
arme propre à écarter les gens de trait; ceux-ci
approcheroient d’eux fans crainte, certains de n’en
recevoir pas plus de dommage que des arbres
d’une forêt; que toutes ces richefles, mites entre
leurs mains, par la cavalerie Mode & Hyrcanienne,
lui appartenpit autant & peut-être plus qu’à eux ,
& qu’enfm le feul moyen de réunir en eux-mêmes
touts ces avantages, étoit de fe former dans l’art de
conduire des chevaux.
Les Hyrcaniens ôc les Mèdes revinrent un peu
après midi j ramenant un grand nombre de chevaux
ôc d’hommes, ÔC n’ayant tué aucun de ceux
qui avoient mis les armes bas. Cyrus les reçut «avec
des éloges, ôc les interrogea fur le pays qu’ils
avoient parcouru. Il étoit habité, rempli de bef-
tiaux, de chevaux, de froment ôc de vivres. Le
grand nombre de captifs n’étoit pas moins embar-
raffant que dangereux. Il falloit les garder & les
nourrir. Les renvoyer ôc défarmer touts les habitants,
c’étoit fe délivrer des embarras du danger,
ôc augmenter le nombre des captifs. C y rus , en
prenant ce parti, annonça qu’il traiteroit comme
ennemis ceux qui n’apporteroient pas leurs armes,
comme amis ôc non comme efclaves, ceux -qui
le ferviroient, foit en aéfions, foit par des avis.
Il envoya les Mèdes ôc les Hyrcaniens confommer
les vivres qu’il avoit fait apprêter dans le camp,
leur dit que les mêts des Perfes étoient prêts, ainfi
que leur boilïon, ôc qu’ils n’avoient à leur envoyer
que la moitié du pain. Les foldats crurent en effet
que le refte étoit préparé par fes foins. Mais par
mêts, il entendoit la faim, Ôc par boiflon, l’eau de
la rivière voifme. Il établit-ainfi leur sûreté fur
la tempérance, remit la garde intérieure aux étraners
; Ôc tandis que les Mèdes mangeoient &
uVoient au fon des inftrumçnts, il répandit fes
Perfes autour du camp par petites divifions de cinq
&>de dix, avec ordre de fe cacher, d’arrêter ceux
qui fortiroient avec des effets & de l’argent, de
s'en emparer ôc de tuer les hommes. La précaution
ne fut pas inutile, ôc arrêta le mal dans fon principe
: plufieurs fugitifs perdirent la v ie , mais après
.cet exemple, aucun ne s’y expofa.
Tandis que. Cyrus s’occupoit ainfi de la guerre, j
Cyaxare plongé dans les plaifirs de la table Ôc dans
l’ivreffe, ignoroit qu’il étoit prefque feul dans fon
camp. Dès qu’il en fut inftruit, il fit partir quelques-
uns des liens, avec'ordre d’enjoindre aux Mèdes
qu’ils revinrent' aulîi-tôt. Mais ces envoyés ne
fçachant oh étoit Cyrus, firent une route incertaine.
Ils rencontrèrent, par hafiârd, quelques Afly-
riens fugitifs , qu’ils obligèrent à leur fervir de
uides, ôc n’étant arrivés que de nuit au camp des
erfes, ils n’y furent introduits qu’au foir.
Cyrus ayant entendu les plaintes ôc les menaces
de Cyaxare, retint fon envoyé, afin que les Mèdes
ne le quittaffent pas, ÔC fit partir un Perfe chargé
d.’une lettre pour le prince Mède. Il lui repréfen-
toit que ce n’étoit pas l’abandonner que de poursuivre
fes ennemis , de mettre leurs troupes en
fuite, de s’emparer de leurs biens Ôc de leur pays.
Il lui rappelloit fes fervices en Arménie, fes fuccès
à lui procurer des fecours & des alliances; il lui
apprenoit la demande qu’il venoit de faire en Perfe
<ae nouvelles troupes, lui reprochoit l’injuftice de
fon courroux, lui confeilloit de ne pas rappeller
avec menaces ceux dont il defiroit ufi prompt
retour, de ne pas fe plaindre qu’il étoit feul, en
menaçant une troupe nombreufe, de crainte qu’elle
n’apprît de lui-même à en faire peu d’eftime. Il lui
promettoit de le rejoindre lorfqu’il auroit achevé
ce qu’il jugeoit utile à l’un Ôc à l’autre.
Cyrus remit aux Mèdes ÔC aux Hyrcaniens le
partage du butin , en leur „difant que les Perfes
ne doutoient pas qu’ils ne le fiffent avec fidélité,
comme eux-mêmes fçavoient bien que les effets
pris avoient été gardés par les Perfes avec exactitude.
11 leur recommanda l’égalité dans la répartition,
fit diftribuer l’argent monnoyé , de forte
que le cavalier eut le double du fantaffin, engagea
les Mèdes à traiter favorablement les Hyrcaniens
comme nouveaux alliés, ôc^ceux-ci à donner aux
Mèdes ce qui étoit de luxe ôc d’ornement. Quand
vous ferez abondamment pourvus, leur dit-il, le
refte fuffira aux Perfes. Nous avons été élevés
populairement, ôc non dans la pourpre. 11 ordonna
aufli qu’on mît à part pour les Dieux, ce que la
fcience des Mages leur prefcriroit, que l’on donnât
une part aux envoyés de Cyaxare, en les priant
de différer leur départ, afin de rendre à leur roi un
compte plus fidèle , ôc que l’on rélervât à ce prince
tout ce que les Mèdes croiroient lui être plus
agréable. Ils fourirent, en difant que ce feroient
de belles femmes. Eh bien! dit Cyrus, choififfez
des femmes Ôc tout ce que vous voudrez.
Il fit diftribuer aux compagnies Perfes , par
nombre, ÔC au fort, les chevaux qu’il avoit reçus ,
les harnois, Ô£ ceux qui en prenoient foin. On
publia aufli par fon ordre que f i, parmi les captifs,
il y avoit des Mèdes, Perfes, Ba&riens, Cariens *
Ciliciens, ou Grecs, ils fe préfentaffent, ôc il en
parut un grand nombre. Cyrus fit choifir ceux qui
étoient de la jflus belle figure , les envoya aux
Taxiarques, avec ordre de les armer de boucliers
d’ofier, de petites épées, & de les joindre à la
cavalerie, & de leur faire donner la même ration
que les Berfes recevoient. Il prefcrivit que les
Taxiarques feroient toujours à cheval avec la cui-
rafle, & la demi-pique, & remplacés chacun par
un autre choifi par les Homotimes.
Enfin il régla l’ordre, la police & la fureté du
marché public, afin que les habitants du pays y ap-
portaffent & vendiffent leurs denrées fans trouble.
Un vieillard Aflyrien, nommé Gobrias , fe pré-
fenta au camp. Il étoit accompagné de gens à
cheval, ôc de quelques cavaliers : on le conduifit
feul à Cyrus. Gobrias lui dit qu’il poffédoit un
château très fort, Ôc un pays très étendu , qu’il
fournifloit environ mille chevaux au roi d’A flyrie ,
mort dans le combat, qu’il en étoit tendrement
aimé ; mais que le fucceffeur de ce prince étoit
l’objet de toute fa haine. « Son père , dit-il, m a-
voit demandé mon fils , mon fils unique, pour
l ’unir à fa fille, & je vivois dans cette efpérance.
Celui qui règne maintenant a aflafüne mon fils ,
pour avoir tué un ours ôc un lion que le prince
avoit manqué. Je viens t’adopter à fa place ; je
te donne tout ce que j’ai , ma fortereffe , mes
terres , mes biens , mes troupes , mes fervices ,
pourvu que je fois vengé. Cyrus accepta fon alliance,
ÔC permit qu’il fe retirât avec fa troupe ôc fes
armes.
• Le partage du butin fut exécuté fuivantfes ordres.
On réferva pour Cyrus une tente magnifique , une
femme de Suze , qui paiîoit pour la plus belle de
l’A fie , ôc deux autres femmes, habiles muficiennes.
Un Mède , grand amateur, les entendit avec tant
de plaifir, qu’il en demanda une au prince comme
un doit qui de voit faire tout le bonheur de fa vie.
La Sufienne étoit femme d’Abradate , roi de
Sufe : lorfque le camp aflyrien fut pris, il étoit
abfent: le roi d’Aflyrie l’avoit envoyé folliciter
l’alliance de celui de la Baéfriane. Cyrus remit cette
femme à un jeune Mède, nommé Arafpe. Celui-ci
demanda au prince s’il l’avoit vu e , lui fit le tableau
le plus touchant de fa douleur ,ôc de fa beauté,
lui dit enfin qu’il en jugeroit lui-même en la voyant.
« Non pas, répondit Cyrus, fi elle eft telle que tu le
dis : on ne me perfuadera pas de l’aller voir. N’ayant
pas beaucoup de loifir , j’avois déjà craint qu’en la
voyant elle ne m’engageât à la voir encore, ôc que
je n’employafle à la regarder un temps que je dois
à d’autres foins,«.
Cyrus defiroit que les Mèdes & les autres alliés
ne le qüittaflent pas ; mais il ne vouloir pas qu’ils
reftaflent contre leur volonté. Il les aflembla &
leur dit, qu’il garderoit faintement la foi qu’il avoit
jurée aux Hyrcaniens & à Gobrias ; mais que cette
même foi n’engageant ni les Arméniens , ni les
Mèdes , il ne prétendoitpas les retenir, ôc leur de-
mandoit feulement de lui déclarer leurs intentions.
Ils l’aimoient ôc le révéroient ; ils répondirent
touts qu’ils étoient venus avec lu i, 6c ne retour-
neYoient pais Tans lui.
Cyrus conduifit fon armée au château de Gobrias
, qu’il trouva extrêmement fort 6c abondamment
pourvu. Le vieillard lui préfenta beaucoup
d’ârgent, d’ornements magnifiques, de vafes d’o r ,
ÔC fii fille en habit de deuil, en le fuppliant de
les venger. Cyrus promit de le faire autant qu’il
feroit en lui, & recevant toutes ces richefles , il en
fit don à la fille de Gobrias , 6c à celui qui l’épou-
feroit. Il dit à l’Aflyrien de le fuivre avec fes
troupes , continua fa marche, tenant toujours fon
armée dans le plus grand ordre , faifant contenir les
valets dans les colonnès fous peine de châtiment,
ôc ne s’occupant que des moyens d’affoiblir fes
ennemis ôc d’augmenter fes forces. Il s’entretenoit
avec fes alliés pendant la marche , ôc leur difoit
que les fentiments du roi d’Aflyrie à fon égard 6c
au leur étoient fort différents. Que ce monarque
ne faifoit la guerre aux Mèdes ôc aux Perles , que
parce qu’il ne lui convenoit pas qu’ils devinflenc
puiffants, mais qu’il avoit pour les Hyrcaniens 6c
pour Gobrias une véritable haine. Il leur demanda
li d’autres peuples n’avoient pas excité en ce prince
les mêmes fentiments. Ils lui nommèrent les Saques
6c les Cadufiens , nations guerrières que le roi
d’Aflyrie avoit maltraitées 6c vouloit aflujettir. Ils
lui parlèrent de fon naturel fuperbe 6c inhumain ,
lui dirent qu’une de fes femmes ayant loué la beauté
d’un jeune homme qui depuis fon enfance étoit
auprès du prince , 6c dit que la femme qui l’épou-
feroit feroit heureufe, il le fit faifir 6c rendre eu-**
nuque. Ils ajoutèrent que celui-ci, fils d’un grand
d’A flyrie , beaucoup plus puiflant que Gobrias ,
avoit fuccédé à fon père ; mais qu’il étoit difficile
de parvenir jufqu’à lu i, parce que fes états étoient
par-delà Babylone , 6c qu’il pouvoit fortir de cette
ville des forces très fupérieures à l’armée des Perfes,
ôc qu’il étoit néceflaire de ne s’avancer qu’avec
précàution.
Cyrus répondit , que puifque les principales
forces de l’ennemi étoient à Babylone , le chemin
le plus sûr pour lui étoit celui qui menoit à cette
ville. « Ils font nombreux, dit-il, je le fçais , 6c
que , s’ils reprenoient de l’aflurance , nous aurions
fujet de les craindre. Si ne nous voyant pas, ils
penfent que la crainte nous retient, ils cefleront
d'en avoir. Si nous marchons à eux, vous les trouverez
encore pleurant ceux que vous avez tués,
fouffrant des, bleflures que vous avez faites , trem- '
blant de votre audace , preflentant de nouyeaux
malheurs <$,ôc déjà prêts à la fuite. La confiance
donne aux hommes le plus haut degré dp force :
mais quand la terreur les a faifis , elle s’accroît de
leur nombre : les bruits fâcheux la multiplient ; on
la voit imprimée fur plus de vifages. Elle eft fi
répandue que les difcours y font impuiffants. Eloignez
de l’ennemi cette multitude ; elle tremble : fi
vous l’y menez, elle tremble encore. L ’exhorter,
c’eft lui faire croire que le péril a augmenté ; quant
au nombre , ne comptons point touts les hommes
d’une armée, mais ceux-là feulement qui veulent
combattre. Le nombre des vaincus 6c de ceux qui
fuyent diminue, tandis que celui des vainqueurs
augmente : 6c puifqu’il eft vrai qu’il faut le mefu-
rer au courage, marchons à Babylone ».
Lolqu’il fut fur les terres Aflyriennes, il envoya
une partie de fa cavalerie piller la campagne, Ôc y
joignit celle des Perfes qui formoit déjà plus de
deux mille hommes. Il ordonna de tuer touts les
gens armés , 6c de lui amener touts les autres avec
ce qu’on pourroit prendre de beftiaux. Le butin fut
très nombreux. Lorfque l’armée fut pourvue fui-
vant fes befoins, Cyrus , toujours attentif à s’attacher
fes alliés par des bienfaits, fit donner à Gobrias
tout cequireftoit.
Il arriva devant Babylone ôc déploya fes troupes
dans la plaine. Les Aflyriens ne fortant point ?
E ij