
bande aufli fouvent qu’il en trouve l’occafion.
T e lle s fo n t , en e f fe t , les caufes qui rendent le
foldat françois, ou contrebandier, ou fauteur de
contrebande. Le legiflateur militaire convaincu qu’il
eft prefqu’impoffible d’arracher du coeur des lol-
dats , le defir de faire la contrebande, a cherché à
l’autorifer en multipliant les difficultés fous leurs
pas , & en leur faifant envifager la contrebande
comme toujours fuivie de peines graves & certaines.
Louis X I V avoit donné une infinité d’ordonnances
pour prévenir ou punir la contrebande.
Louis X V en donna une le 20 avril 1 7 3 4 , dans
la q u e lle , après avoir rappelle les ordonnances des
rois fes prédéceffeurs, il établit les précautions &
les punitions dont nous parlerons plus bas.
§ . I I . ;
Des différentes manières dont le militaire françois
fait la contrebande.
L ’officier françois introduit quelquefois dans le
royaume des marchandifes prohibées ; il fraude
quelques droits & tranfporté un peu de faux
tabac. V a -t -il quitter la Bretagne pour retourner
dans fa province , il fait venir de^l’O rien t une
piè ce de quelque étoffe des Indes ; il arrive dans
la maifon paternelle ; & jo y e u x il l’offre à fa
m e r e , a fon époufe ou à fa foeur , comme une
marque de fon tendre fouvènir : en quittant la
Flandres ou l’A l fa c e , il porte quelques livres de
tabac , ou pour fon ufage , ou pour celui de fon
père , il y joint quelques aunes de batifte pour
l u i , une pièce de linon , ou quelquefois une garniture
de dentelle qu’il deftine à un des objets
chers a fon coeur : p a f le - t - i l à Verdun ? quelques
bouteilles de liqueur , quelques livres de bonbon ,-
forment fa pacotille. L a galanterie ou la fenfibi-
lité , v o ilà fes motifs : jamais il ne fonge à Un vil
lucre ; jamais il n’abufe deT efp èce de confiance,
qu’ont en fa délicatefTe, les perfonnes les plus in-
téreffées à réprimer la contrebande.
L e foldat françois f a i t , quelquefois, pour fon
ufage y la contrebande du faux tabac ; ici cette denrée
, devenue pour beaucoup d’ entre e u x , une
denrée de première néceffité , ne coûte m êm e ,
quand elle eft bonne , que 12 ou 20 fols la
livre ; il v a dans une province où elle fe paye
3 livres 10 fols ou 4 livres , & 'où elle n’eft pas
toujours d’une bien bonne qualité ;■ lé gain eft
c la ir , le plaifir fû r , la peine incertaine, il acheté
une ou deux livres de faux tabac.
L e foldat françois fait encore la contrebande du
tabac de la manière fuivante. L ’ordonnance donne à
chacun d’eux une livre de tabac par mois , à raifon
de 12 fols laliv re : ceux qui ne confüment point
ce tabac , lé vendent quelques fols de plus à un
de leurs camarades , l’accapareur le râpe ou le réduit
en po u ffiè re , & le vend enfuite aux citoyens
pour 30 ou 40 fols la livre. Ce genre.de contrebande
eft très difficile à empêcher. Si fon ne
donne pas à chaque foldat le tabac qui lui revient,
il fe plaint ; tu ne confume pas ton tabac , lui
dit-on ; non , mais je le donne à un de mes amis ,
a qui ce que le roi fournit, ne fuffit pas pour
fumer, mâcher & prifer. C ’eft leur expreffion.
Remet-on, a un bas-officier, le tabac au Complet
pour fa compagnie ? L’avidité du gain l’engage
fouvent à faire la contrebande en grand &»
pour fon compte ; le tabac refte-t-îl à l’état-major ?
Le foldat dit que quelqu’un fait la contrebande
avec ce tabac : & il a fouvent raifon. Quand le
foldat a la -liberté d’aller à la cantine acheter pour
trois liards une once de tabac ; un payfan , un
ouvrier donne dans un petit coin un fol au foldat ,
'St il en reçoit une once de tabac. Voilà encore
de la contrebande.
Le foldat françois fait rarement pour fon compte
fe commerce des marchandifes prohibées ; il n’eft,
dans ce genre , prefque jamais que colporteur ou
proteéieur. Il en eft de même pour le faux fel, Il eft
en garnifon ou en quartier fur les confins de deux
provinces, dont l’une eft libre , & l’autre foumife
âu régime de la gabelle ; ici le fe! vaut douze fols
la livre ; là , il ne coûte qu’un ou deux fols ; un
citoyen lui dit : allez vous en à tel endroit, acheter
cent livres de fe l, rapportez-les moi ic i, je vous,
donnerai un louis : le foldat féduit par l’éclat de
l’or part après l’appel, à l’entrée de la nuit, & il
eft de retour avant le point du jour. Quelquefois
cinq ou f ix , ôt même un plus grand nombre, fe
réunifient pour faire ce colportage; les gardes
veulent les arrêter , mais c eft prefque toujours en
vain. Qui eft comptable de la contrebande faite &
du fan g répandu ? C’eft , fans contredit, le citoyen
qui a promis d’acheter le fel.
Les vivandiers des régiments ont toujours bien
envie de cacher dans leurs charriots quelques livres
de faux fel ; mais la crainte les retient prefque
toujours. Les foldats voudroient bien auffi en transporter
quelques livres dans leur fac ou dans leurs
poches ; mais ils Font arrêtés par le même motif.
Il n’y a pas encore un fiècle que les officiers
favorifoient, autant qu’ils le pouvoient, ceux de
leurs foldats qui faifoient la contrebande ; mais je
dois dire à l’honneur du militaire françois, que les
lumières qu’il a acquifes lui ont montré cette tolérance
comme nuifible à la difeipline militaire, &
à l’état, & qu’il l’a bannie de fon ame.
§. I I I .
Des précautions établies pour prévenir la contrebande.'
Pour prévenir la contrebande, les ordonnances
défendent aux foldats de fe traveftir , & de fortir
des places fans congé ; elles ordonnent aux officiers
de faire deux appels par jour, & aux commandants
des places de faire des revues toutes les fois
qu’ils en font requis,
Les officiers doivent veiller à ce que le foldat
ne puifle fortir a vec des armes ; iis font refponfables
des dommages qufil pourroit commettre a
main armée. Ils doivent placer des fentinelles aux
portes & aux brèches des villes pour 1 empecher
de faire la contrebande , & même cotçmiander des
détachements pour courir fus aux contrebandiers
dès la première réquifitioü des employés.
Quand les employés croient devoir faire la vifite
des quartiers ou des cafernes dans lesquelles ils fup-
pofent qu’il y a de la contrebande , ils s’adreffent
au commandant de la place ou du quartier , pour
qu’il ordonne à,un officier de les accompagner,
afin de faciliter la vifite des logements, & la prife
des foldats qui fe trouveroient en contravention.
Le s commandants des places & des Corps font
refponfables des dommages que leurs refus ou leurs
délais feroîent éprouver à la ferme générale. Ils
doivent m êm e , pour ces refus ou d é la is , être
privés de leurs emplois, fi le roi le juge néceffaire.
Les commandants des places ou des châteaux
ne peuvent jamais refufer aux employés l’entrée
de leurs placés ou de leurs forts.
Les troupes font obligées de prêter main-forte
aux employés.
O n accorde des récompenfes aux troupes qui
fe faififfent de quelque contrebandier,ou de quelque
marchandife de contrebande.
Chaque bas-officier doit vifiter les havrefacs des
foldats de fafubdivifion, pour s’affurer qu’ils ne c o n - .
tiennent aucune quantité que ce puiffe être de faux
fel, de faux tabac ou d’autres marchandifes de contrebande.
Si après cette vifite un foldat fe trouve faifi de
marchandifes de contrebande, le bàs-officier de la
fubdivifion eft mis en prifon pour un mois , privé
pendant ce temps de la moitié de fa folde , & le
capitaine de la compagnie doit payer , fur fes appointements
, aux fermiers géné rau x, un dédommagement
proportionné à la quantité de faux fel
ou de faux tabac faifi dans fa compagnie.
Pendant une marche , les chefs de corps font
obligés de faire mettre leur régiment en bataille ,-
toutes les fois qu’ils en font requis par les emp
lo y és établis fur les paffages , &. de leur donner
la facilité de faire la v ifite des havrefacs des foldats
& des porte-manteaux , coffres & vàlife des
officiers. La même chofe a lieu à l’entrée & à la
fortie de toutes les v illes de guerre ; un des officiers
de l’état-major de la place doit s’y trouver.
Les commandans des corps font refponfables,
en leur propre & privé nom , des dommages que
la contrebande peut faire éprouver à la ferme
générale.
Les précautions établies contre la contrebande ,
font la diftribütion du fel & du tabac. ( V. ces mots.).
§■ i v .
Punitions dès contrebandiers.
L a lo i défend à touts les militaires, françois ou,
étran g e rs, de fe ch arger, fous q u e lq u e . prétexte
que ce f o i t , de faux fel , de faux tabac , ou de
marchandifes de contrebande.
Elle v eu t que touts les militaires qui ont le grade
d’officier, & qui ont fait la contrebande, foient punis
par la confifcation' des harnois, des chevaux , des
charriots & d e s autres équipages qui leur appartiendront
, fur lefquels on aura trouvé de la contrebande;
quant aux peines perfonnelles, le roi s’en réferv e
le jugement.
T o u t foldat q u i, étant en congé , fait la contrebande
, ne peut être réclamé par Ton corps : il doit
être jugé par les juges ordinaires des fermes. 1
T o u t foldat qui eft pris faifant la contrebande au-
delà des diftancés preferites, fans être muni d’un
co n g é , eft puni comme déferteur.
T o u t foldat qui à , dans fon lo gem en t, deux
livres de faux ta b a c , ou une livre fur l u i , eft
condamné , pour la première fois , à trois mois de
prifon & à cent livres d ’amende ; & pour la fécondé
fois aux galères perpétuelles. L ’officier qui
commande une compagnie , ou une partie de compagnie
détachée dont eft un foldat condamné à
Am e n d e , eft obligé de payer cette amende.
Les foldats qui font commerce de faux fel , de
faux tab a c , ou d’autres marchandifes prohibées , &
qui en le faifant portent des armes à feu , font condamnés
à être .pendus.
Les foldats qui font le commerce de la contrebande
fans port d’armes , font condamnés aux galères
perpétuelles.
T o u t foldat qui a plus de deux livres de faux
ta b a c , eft cenfé en faire commerce.
Qu elque petite que foit la quantité de faux f e l ,
dont un foldat eft trou vé faifi , il eft cenfé en
faire commerce.
Quant aux marchandifes prohibées , c’eft au
confeil de guerre à juger fi le foldat les a voit
pour fon u fag e, ou pour en faire comme rce, &
par conféquent , à décider s’ il doit être puni par
l’amende &. la prifon, ou par les galères, perpétuelles.
Les foldats qui arrachent à main armée des contrebandiers
des mains des employés , doivent être
punis de mort : ceux qui ne^font que favorifer la
fpoliation , font condamnés aux galères. L e procès
dans ce cas eft inftruit & rapporté par le p révôt
de la maréchauffée , & jugé par le confeil de
guerre. L e régiment eft refponfable, en outre ,
de la perte des marchandifes qui avoient été
faifiçs,
Les foldats arrêtés pour la contrebande , font jugés
par Un confeil de guerre , dans la ville la plus
voifine de l’endroit où ils font arrêtés.
Les accufations qui ne tendent point à des peines
affliélives font jugées fans qu’il y ait befoin de re -
colement &■ de confrontation de témoins : il faut
pour infliger les peines affiittives , une inftru&ion
1 régulière.