
des troupes des deux partis , ^ après avoir refté
longtemps feul avec le duc d’Andria, il ne fit
rouler ta converfation que fur des chofes indifférentes,
& il le quitta fubitement, fans avoir touché
le point pour lequel il s’étoit abouche, afin que
don Jean d’Autriche, inftruit de leur longue &.
fecrète converfation , & à qui le duc d Andria ne
pouvoit porter aucune réponfe , entrât dans des
défiances. Par ces moyens &. autres femblables, le
duc de Guife gagna plufieurs feigneurs Napolitains
qui fervoient à Philippe IV , avec des troupes con-
fidérables qu’ils entretenoient à leurs dépens , &
q u i, voyant que leur fidélité n’étoit payée que
par des loupçons & des défiances , abandonnèrent
enfin le parti d’Efpagne.
Les peuples qui le font déclarés contre leur
ancien fouverain ont coutume de s’en repentir ,
dès qu’ils imaginent que le temps aura fait évanouir
le reffentiment de i’offenfe ; comme les
continuels pardons qu’on leur offrent diflipent peu
à peu la crainte du châtiment, ils ouvrent les
yeux à la juftice, & reconnoiffent l’énormité de
leur faute ; & fi le fort des armes vient à changer,
c’eft alors fur-toütque ces peuples croyent pouvoir
allier leur fidélité & leur fureté. On n’a pas
même raifon de penfer que ceux q u i, par inconf-
tance, ont manqué à leur devoir , Soient fermes
dans l’obéiffance qu’ils vous ont promife, principalement
lorfqu’il s’agit de certaines nations naturellement
changeantes , & qui fouhaitent toujours
de n’être jamais au prince fous lequel elles font.
Ainfi , pour ne pas dépendre entièrement du
caprice des peuples nouvellement conquis, mettez
garnifori dans leurs châteaux & dans leurs principales
places, à mefure que vous les accoutumez
à votre domination.
Les peuples de Tranfilvanie fe foulevèrent contre
Reminie leur fouverain, en faveur d’Apaffi ; mais
dès que ce dernier eut été battu , ils lui fermèrent
les portes du château de Segefward, & l’abandonnèrent
entièrement, tant cette première difgrace
dans les armées leur donna de crainte.
Bêla III, roi de Hongrie , ayant été appellé par
les peuples de la Dalmatie, qui s’étoient révoltés
çontre les Vénitiens, mit d’abord une forte garnifon
dans Zara, dont les habitants avoient voulu fou-
yent changer de maître.
Les Francs , s’étant foulevés contre Probus ,
proclamèrent Proculus empereur ; mais n’ayant
pas eu la précaution de s’affurer des portes les plus
importants , ils le firent mourir , & ayec la même
facilité fie fournirent une fécondé fois à Probus.
En traitant des révoltes, je parlerai des portes
qu’il eft à propos de démolir ou de fortifier dans
un pays dont la fidélité eft fùfpeâe ; mais ne faites
pas paraître de la défiance, fans avoir pris auparavant
les précautions né'ceffaires, parce que vous
pourriez vous faire des ennemis de ceux qui, fans
çette défiance, n’auroient peut-être.pas penfé à
abandonner votre parti ; ainfi, avant de garnir &
de fortifier certaines places, ou d’en démolir
quelques autres , donnez, à entendre que vous
n’avez d’autres motifs que de vous garantir contre
les furprifes & autres entreprifes du parti contraire
ou de l’armée ennemie ; car, dans un pays dont
on ne s’eft rendu maître que par les intelligences
& les négociations, il ne faut employer la force
qu’avec Beaucoup de difîimulation.
Jean Scipion Palavicini , gouverneur de Gènes
pour Galéas Sforce, duc de Milan, voulut conf-
truire une fortereffe , pour mieux s’affurer des
Génois. Lazare Doria, fuivi de quelques autres
de cette nation, coupa publiquement le cordeau
qui avoit été tiré pour marquer le plan 'de l’ouvrage
; & cette entreprife de Palavicini irrita fi
fort les Génois , que ceux même qui s’étoient
déclarés pour les Sforces , fecouèrent le joug de la
domination des ducs de Milan.
Jufte-Lipfe dit : «qu’il, faut ufer des mêmes
moyens, pour conferver un pays, dont on s’eft
fervi au commencement pour le pofféder, & il
fonde fon fentiment fur l’autorité de Salufte ».
A y ez attention, fur-tout, de ne rien faire qui
fèmble contrevenir à ce que vous avez promis,
ou à l’efpérance principale qui a directement porte
un pays à changer de parti en faveur de votre
fouverain.
Les Napolitains qui, avec tant d’empreffement,
voulurent fe donner à Charles V I I I , roi de France,
tâchèrent enfuite, avec une même ardeur, de retourner
fous la puiffance de don Ferdinand, roi
d’Arragon, parce qu’ils furent irrités de trouver,
contre leur attente, dans les François un traiter
ment égal à celui qu’ils avoient éprouvé fous le
roi Ferdinand.
T)e la conduite du fouverain à Végard du prince
ennemi qui a été fait prifonnier.
Certain auteur, q u i, dans fes aphorifmes, établit
plutôt de pernicieufes maximes qu’une faine
politique, & qui veut qu’on fe défaffe des hommes.,
quand il ne trouve pas d’autre expédient pour fe
tirer d’embarras , pouffe fi loin l’impiété , qu’il
n’excepte pas même de cette règle le prince
vaincu ; il prétend que fa mort doit affurer au
conquérant la confervation du pays conquis , &
n’exige autre chofe finon que le vainqueur le farte
mourir d’une mort fecrète, afin feulement de ne
pas s’attirer la réputation d’homme cruel. Mais
comment pourra-t-il fe mettre à. couvert du courroux
du tout-puiffant, à qui tout eft préfent, qui
découvrira cet indigne artifice , en rendant cette
infamie publique, & qui ne permettra pas qu’on
tire aucun avantage de cette conduite impie ? C ’eft
ce que les livres fajnts nous enfeignent dans plufieurs
endroits.
Les peuples conquis auroient l’ame bien baffe
& bien vile s’ils refpeCioient pour maître le cruel
affafiin homicide de lçur princç.
Le roi don Sancho ayant été tué par trahi fon
devant Zamora, dont il faifoit le fiège, les Caf-
tillans ne voulurent pas reconnoître pour roi don
Adolphe fon,frère, qu’il n’eût plufieurs fois affuré
avec ferment qu’il n’avoit eu directement ni indirectement
aucune part à la mort de don Sancho.
Louis Griti, commandant, pour Soliman I I , fur
les frontières de Hongrie & de Tranfilvanie , crut
fe perpétuer dans l’abfolu gouvernement .de ces
provinces, eh ôtant la vie à Emmeri Zîbac,
fo.n vaivode : mais il s’en flatta vainement ; car
les Tranfilvains , irrités d’une aÇtion fi noire, fe
foulevèrent. en grand nombre contre lu i, & ne
ceffèrent de le pourfuivre , jufqu’à ce qu’étant
tombe entre les mains de François Scendene ,
parent du vaivode mort, il eut la tête tranchée
pour prix de fon infâme politique.
5 Attenter à la vie d’un prince qui eft prifonnier,
c eft autorifer un autre vainqueur à vous ôter la
votre, f i , en punition de votre cruauté, le fort
vous faifoit tomber entre les mains de votre ennemi
; comme il arriva à.Jeanne, reine de Naples,
qui fut faite prifonnière de Charles I I I , après que
cette princeffe mal confeillée eut fait mourir le
roi André ; comme il arriva encore à.Ptolomée ,
roi d Egypte , qui, pour s’affermir fur le trône,
avoit fait périr par trahifon les fils de fa.foeur ;
car fes ennemis , après l’avoir vaincu dans un
combat, lui firent enfuite trancher la tête.
Adonibefec, a qui, par l’ordre de Judas & de
Siméon fon frère , on coupa les pieds & les mains,
reconnut que ce châtiment étoit une jufte punition
de D ie u p u ifq u ’il avoit traité de la même manière
foixante-dix rois fes prifonniers, & dans fa
difgrace il confeffoit «„que Dieu le puniffoit justement
du même fupplice qu’il avoit fait fouffrir
aux autres ». '
. Gédéon condamna à mort Zébée & Salmana,
rois de Madian , parce qu’ils avoient ufé de la
meme rigueur à l’égard des Ifraélites , fans en
avoir même épargné un, qu’ils regardoient comme
le fils du roi ; & Gédéon , après avoir prononcé
la fentence de leur mort, « je prends le feignfeur
pou^ témoin , leur dit-il, que fi vous ne leur aviez
pas oté la vie , je ne vous ferois pas mourir ».
Indépendamment de toutes ces confidérations ,
# • > refpeéf que l’on doit au fang des princes
-doit fuffire pour ne pas ofer attenter à la vie du
, louverain ennemi.
...Ce. fut cet unique motif qu’allégua Henri IV ,
pour ne pas çonfentir à la mort de Charles de
V âJois.
En confervant la vie au prince votre prifon-;
nier, s il arrive que les peuples conquis fe révoltent
en faveur d un autre, & que vous ne vous trouviez
pas avec des forces fuffifantes pour les foumettre,
vous ayez efperance de pouvoir chaffer le nouveau
conquérant, en mettant en liberté votre prifon-
• nier, qui. fans doute trouvera un parti en fa faveur
.dans un pays qui lui appartenoit.
A r t m il i ta i r e * T ome I I ,
On voit dans Tite - Live que la république
Romaine a mis plufieurs fois utilement ceite
politique en ufage. Tacite rapporte que Tibère
fe fervit de ce même moyen pour détruire
Artaban , roi des Parthes, qui s’étoit foulevé
contre Rome , en lui oppofant Phraate , prince
de la maifon royale des Parthes , prifonnier des
Romains. Après la mort de Phraate , le même
lib è r e , pour une. pareille fin , fe fervit de Tiri-
date, prince aufli de la famille des Arfacides.
Lorfqu’un fouverain prifonnier a fes fils en
liberté, qu’il ne craint pas par conféquent que fes
états, dont fes enfants confervent la plus grande
partie, partent dans une famille étrangère, je crois
alors qu’il y a plus de grandeur d’ame & plus
d’avantage à le renvoyer libre , & à contrarier
avec lui une alliance perpétuelle, fous des conditions
douces & raifonnables , que de faire dans
la rigueur un trafic de fa rançon, fur-tout fi vous
reconnoiffez dans le fouverain prifonnier un coeur
noble & généreux, & fi votre prince, après lui
avoir tait toutes fortes de bons traitements , le
renvoyé de bonne grâce ; car il y aura plus à
efpérer de fon amitié & du fe cours de fes armes,
qu’on ne tirera d’avantage de tout ce qu’il donnera
pour fon- échange & fa, rançon.
. Ce fut là le confeil que plufieurs grands, politiques
donnèrent à l’empereur Charles V , fur la
liberté de François Ier, roi de France ; & en effet
la continuelle inimitié des François a plus caufé
de maux a l’Efpagne, que la grande rançon de ce
prince ne lui avoit accordé d’utilité.
Si votre fouverain, ayant conquis touts les états
de fon prifonnier, trouve qu’il en coûteroit trop
a fa générofité-de les lui rendre, fur-tout fi ce
prince eft d’un génie paifible, peu propre à faire
de nouvelles^ entreprifes, ou à réuiîir, quand il
voudroit même tenter quelque choie, parce qu’il
n’eft aimé ni de fes anciens fujets, ni des potentats
voifins : alors votre fouverain devra non-feulement
lui rendre la liberté, mais encore lui donner quelques
terres qui puiffent lui procurer un honnête
entretien. Par-là ce fouverain vaincu aura moins
de peine à fe conformer à fa fortune, & il n,e
penfera pas à exciter quelques troubles, pour ne
pas rifquer de perdre encore ce qu’il, tient de
votre main ; mais il fera à propos de choifir des
terres éloignées des états qu’il a perdus, & qui
ne puiffent pas lui fournir des forces pour les
recouvrer..
L’empereur Charlemagne, connoiffant le caractère
&. le bon génie du prince Grimoald , lui
donna l’inveftiture de Benevent, quoiqu’il fut
proche parent d’Adalgife , chef des Lombards,
que l’empereur tâchoit d’exterminer.
Le roi don Ferdinand - le - Catholique , ayant
conquis le royaume de Grenade fur le roi Maure
BoabdiL, que quelques autres appellent Mêlé, &
que les peuples de Grenade avoient en horreur ,
pour avoir chaffé du trône Albohazen fon oncle
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