
à Rome cent foîxante Ôc dix mille hommes fous
les armes , cinq cents chevaux tout prêts, 6c cinq
ou dix mille autres qu’on prendroit des qarroffes ;
qu’il feroit aifé d’amaffer trois ou quatre millions
d’o r ; qu’il y avoit beaucoup de munitions, du
froment dans les greniers pour cinq mois , 6c une
beaucoup plus grande quantité dans les lieux
voifins. Cependant, lorfque le duc de Guife arriva
à 'Naples,il trouva qu’excepté trois mille cinq cents
chevaux, Ôc deux cents cinquante à cheval, tout le
refte manquoit entièrement.
Des circonjlances dans lefqUelles on peut f e promettre
l ’ ajfeiïion d'un pays qui eji ou qui a été d'un
autre prince.
Vous pourrez aifément avoir des intelligences
dans un pays que vos ennemis ont nouvellement
coiquis par la force des armes, parce qu’en faifant
leurs conquêtes, ils n’auront pu s’empêcher de
commettre des hoftilités ; ils auront été aufli obligés
de prendre certaines précautions, qui, quoiqu’elles
n’ayent pour fin que la fureté du vainqueur, ne
laiflènt pas d’irriter les peuples conquis, comme
ce feroit, par exemple , de leur ôter leurs armés ;
de les dominer par des citadelles, d’obferver de
près leurs démarches, ôcc. Enfin nul n’eft content
du fort où la néceffité l’a réduit, 6c il y en a peu
qui aiment un maître qui, par le moyen de fes
troupes, a fait périr le voifin, le parent 6c l’ami.
Il n’y a que la longueur du temps qui puiffe
effacer le fou venir de ces ravages, 6c' faire évanouir
le defir de la vengeance. C ’e ft, je penfé,
dans cette vue que Tacite vous avertit- « de në
pas croire d’avoir pour amis ceux que vous avez
vaincus» ; 6c qu’Eftrada a dit, «que les vaincus
aiment rarement les vainqueurs »..
Peu de jeunes gens Espagnols, dans la guerre
de la ligue contre les deux couronnes, fe déclarèrent
pour les Allemands ; mais quantité de
vieillards voyoient à regret Philippe AÆ fur le trône,
parce qu’ils étoient aigris contre les1 François, à
force d’avoir été témoins des ravages iridifpen-
fables que les armées de France , dans les précédentes
guerres continuelles, avoient caufé à
l’Efpagnë. Par la même raifon , on remarquoit une
égale antipathie contre les Allemands, dans les
Efpagnols quifoutinrent le parti du roi mon maître,
particulièrement dans ceux qui n’avoient jamais
combattu contre la France, qui par conféquent
ne confervoient point un fouvenir qui les irritât
contre les François.
Vous pouvez vous promettre encore un meilleur
effet de vos négociations , fi vous traitez avec
des peuples qui ont effuyé des violences de la part
de votre ennemi, par rapport à la religion qu’ils
profeffent, 6c qui eft celle aufli de votre fouve-
rain.
Quand il n’y a que quelques particuliers ou
ennemi, faites attention fi ces perfonnes ou ees-
communautés ont dans le pays affez de crédit pour
faire un parti en faveur de votre prince ; mais ,•
comme je l’ai déjà dit , ne comptez pas qu’ils
tiennent tout ce qu’ils vous promettent, ôc retranchez
quelques lieux qui ont été maltraités par le prince I
de leurs offres 6c de leurs promeffes tout
ce que vous jugerez qu’il faut attribuer à un trop
grand defir de vengeance.
. Ifabelle de France, femme d’Edouard I I , roi
d’Angleterre, pour fomenter le parti qui ôta la
couronne à fon mari, ôc qui mit Edouard I I I
fur le trône , commença par communiquer fon
deffein au comte Henri de Lancàftre, parce
qu’Edouard II avoit fait mourir le comte Thomas
fon père.
Ceux qui furent les plus zélés à favorifer la
révolte de Lothaire contre Louis, roi de France,
furent les parents de divers feigneurs que Louis
avoit fait mourir pour leurs crimes.
Vous pouvez vous promettre un heureux fuccès
de vos négociations avec un pays q u i, après avoir
été foulé par les troupes ou par les commandants,
n’en aura reçu aucune fatisfaéfion. J’ai déjà dit
quels font les fervices qu’en tel cas ces perfonnes
qui vous font affidées peuvent vous rendre.
Le marquis de Malvezzi nous apprend que les
fujets d’un monarque qui deviennent a l’être d’unë
république, ne fe foumettront qu’avec peine à ce
nouveau gouvernement, compofé de particuliers,
qu’ils regardent d’une condition égale , ou même
inférieure à la leur. Get écrivain cite l'exemple
d’Efpagne , qui , s’étant tant de fois foülevéé
contre la république de Rome , demeùra tranquille
fous l’empire d’Augufte. 11 cite encore celui
de la ville de Crémone , qui aimoit mieux être à
la Francë qu’à la république de Venife, malgré le
plus grand éloignement qu’il y avoit de Crémone
en France, & une plus grande différence en langue
& en coutume.
Je me perfuade que Malvezzi fuppofe que cette
république n’admet pas à fes honneurs 6c à fes
privilèges les peuples qu’ellë a conquis; car autrement
ces peuples ne perdroient rien, puifquë
de Amples fujets qu’ils 'étoient, ils deviennent
membres de la magiflrature républicaine, qui
repréfente le prince. Mais ,les républiques ne le
pratiquent pas toujours de cette forte : je remarque
au contraire que, par un grand abus, il y en à
qui ne regardent que comme nobleffe moderne
les anciens gentilshommes du pays qu’elles ont
conquis , ôc qu’ils les excluent même des privilèges
des nobles ; comme f i , pour jouir de cette dif-
tin&ion héréditaire, il étoit d’une néceffité effen-
tielle que les familles foient écrites dans les livres
de la république.
Arifiôte ditsqu’une république a pour ennemis
touts ceux qui fe trouvent exclus du gouvernement.
Polybe a obfervé que la république Romaine
n’avoit été fi floriffante que parce que la nobleffe
& le peuple, ayant part au maniement des affaires
publiques , ils s’intéreffoient touts également pour
fa défënfe. Dans cette fuppofition, fi le gouvernement
de la république où vous fouhaiteriez vous
faire des intelligences eft ariftocratique , foyez'
perfuadé que les nobles vous feront contraires
parce que la magiftrature les rendant quelquefois
fouverains , ils ne voudront pas devenir pour i
toujours les fujets de votre prince. Dans ce cas, !
le peuple, qui aime mieux être gouverné par un ;
feul que par plufieurs, entrera avec plaifir dans
Votre négociation, 6c foit par haine contre les
nobles qui ont l’autorité fur lui, foit par reffenti-
ment de quelque injure reçue, ou par quelque
autre raifon , il fera charmé de voir ceux qui lui
étoient fupérieurs devenus fujets comme lui ; au
contraire , dans les républiques gouvernées par le
peuple, vous formerez vos intelligences avec les
nobles, qui trouveront qu’il eft plus honorable
d’être fujets d’un prince que d’avoir pour fupérieur
ou pour égal un roturier ; car la grandeur du fouverain
relève le cara&ère du fujet.
Après la mort de l’empereur Caligula, la no-
blefle de Rome vouloit rétablir le gouvernement
en république, où elle prétendoit avoir la principale
autorité ; mais le peuple s’étant oppofé à
cette réfolution , mit Claude fur le trône impérial.
C ’eft la remarque de Çomazzi.
La nobleffe de Suède a tenté plufieurs fois de
donner le gouvernement du pays à une àffemblée
ou compagnie compofée uniquement des nobles,
6c le peuple a toujours pris les armes pour nommer
un roi. L’hiftoire en fournit divers exemples.
Le même Comazzi remarque que les patriciens
Romains furent charmés que l’empereur Octavius
prît le nom d’Augufte , titre qu’on ne donnoit
auparavant qu’aux dieux , parce qu’il paroiffoît à
ces gentilshommes , qui devenoient fujets d’un
mortel, qu’il étoit plus honorable de l’être d’un
homme qui portoit un nom qui le diftinguoit des
autres.
Quand votre deffein eft feulement da détacher
6c de fouftraire* un pays de la domination des
ennemis, fans vouloir le réunir au vôtre, traitez
avec des peuples qui, ayant été indépendants ôc
maîtres d’eux - mêmes , ne forment plus qu’une
autre province de quelque pays, parce qu’il eft à
préfumer alors que ces peuples font mécontents,
püifqu’ils ne fe gouvernent plus par eux-mêmes,
6c ne font plus dans une fituation à foutenir leur
gloire 6c à faire valoir leurs forces. C ’eft ce que
Tite-Live rapporte des Samnites 6c de quelques
autres nations , qui, dans le temps qu’ëlles étoient
indépendantes, avoient fait contrebalancer le fort
des armées Romaines, Ôc q ui, après avoir été
conquifes par ces mêmes Romains, avoient à
peine trouvé place dans l’hiftoire. Je penfe que
c’eft là encore une des; réflexions de Malvezzi,
dans fes difcours fur Tacite.
? Une des récompenfes que Dieu promettoit à
; . , G U E 7 4 i
fon peuple, pour l’obliger à garder fes faints commandements
, étoit : « qu’il le mettroit à la tête
des peuples , ôc qu’il feroit toujours au - deffus ,
loin d’etre au-deffous ». Et un dès châtiments dont
Dieu menaçoit de punir ce peuple ingrat, s’il
n’obfervoit pas fa divine lo i , étoit « d’élever l’étranger
au - deffus de lu i, & de le rendre plus
puiffant ».
Les peuples'des pays fort éloignés du fouverain
ne font pas ordinairement contents de leur fort,
parce que cet éloignement donne lieu à chaque
vice-roi de prendre des airs de fouverain ; 6c pour
marque de fon pouvoir, il renverfe certaines loix
pour en établir de nouvelles ; de forte qu’il en eft
de ces fujets comme des chevaux q u i, à force de
changer fou vent de main, n’ont jamais de bouche.
D ’ailleurs , les fujets qui n’ont que rarement ou
peut-être jamais vu leur fouverain , ne fçàuroient
avoir un grand amour pour lui ; la principale raifon
eft que les gouverneurs des pays fort éloignés de
: la cour ne fongent qù’à piller, foit pour eux, afin
de s’enrichir avant qu’un fucceffeur vienne prendre
leur place , ou pour le fouverain , afin de paroître
zélé pour les intérêts de la' couronne. Tibère ,
voulant faire comprendre que le changement fréquent
des gouverneurs ruine les pays , fuppofa
qu’il avoit rencontré un homme couvert de bief-
fures, Ôc que des mouches qui s’y étoient attachées
lui fuçoient le fang ; que la pitié l’ayant fait ap-*
procher pour les lui chaffer , le bleffé lui avoit
demandé de les laiffer , parce que, lui avoit-il dit,
ces mouches, étant déjà raffafiées, ne fçàuroient
plus me tirer autant de fang que d’autres q u i,
affamées, viendront prendre leur place.
Les peuples d Afrique ne fe foulevèrent contre
Maximin , 6c ne proclamèrent le jeune Gordien
empereur , que parce que le miniftre que Maximin
avoit envoyé dans ce pays éloigné de la réfidence
de l’empereur, pour y lever certains tributs ,
l’avoit fait avec tyrannie.
Vous m’obje&erez peut-être que les pays voifins
de la cour du prince peuvent être expofés
aux mêmes vexations des gouverneurs : je réponds
qu’il y a une très grande différence , parce que
les plaintes qui viennent de loin font déjà aufli
foibles quand elles arrivent aux oreilles du fouverain
, que le font les mefures que ce fouverain
peut prendre pour remédier à ces plaintes ; ôc,
pendant qu’il faut deux ou trois ordres du prince ,
6c qu’il vient autant de repréfentations de la part
du v ic e - ro i, le temps de fon gouvernement eft
paffé. ;
Selon la remarque de Solis, les pays occupés
dans les Indes par les Efpagnols, avant la conquête
de Cortès , étoient extrêmement tyrânnifés par les
gouverneurs ; & quoique le roi don Ferdrnand-le-
Çatholique ait tâché d’apporter divers remèdes à
ce défordre, l'éloignement les rendoient inutiles :
de la même manière qu’une flèche tombe fans
fbr.ce a la vue du b u t, lorfque le bras qui la