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qu’il eut envoyé une armée à Naples & une flotte
avec quelques troupes en Sardaigne , les peuples
de ces deux royaumes , partie par crainte & partie
par inclination, embralsèrent ouvertement le parti
de l’archiduc , aujourd’hui l’empereur Charles VI.
Tacite racontant comment les Parthes, foulevés
contre Tiridate * leur roi, avoient appelle le prince
Artaban , qu’ils avoient auparavant rebuté , dit
« que ce prince fe hâta d’aflembler quelques
troupes dans le pays des Scythes, & qu’il partit en
diligence pour ne pas donner à fes*amis le temps
de fe repentir, & à fes ennemis celui de pouvoir
mettre en oeuvre la rufe& l’artifice : ce quiréuffit
parfaitement à Artaban. ».
Comme il eft naturel de penfer que celui qui
attaque a la fupériorité , vous jouirez des avantages
que trouve celui qui a cette réputation, toutes
les fois que vous porterez la guerre dans les pays
ennemis.
Le jeune Cyrus encourageant fon armée pour la
Faire entrer dans le pays des Affyriens, lui difoit
que par-là les ennemis la croiroient plus nombreufe
qu’elle n’étoit effectivement.
S i , en portant la guerre dans lé pays ennemi,
vous vous acquérez la réputation d’être lupérieur
en forces , vous ferez à peu de frais des recrues ;
les ennemis déferteront en grand nombre, & les
fujets de votre fouverain ôc ceux des autres princes
viendront avec plaifir fervir dans votre armée par
J’efpérance certaine de vaincre , & par le defir de
s’enrichir des dépouilles des peuples que, dans un
pays ennemi, les raifons ou les accidents de,la
guerre expofent fouvent au pillage. Aufli voyons-
nous qu’il y a beaucoup plus de céferteurs des
petites armées aux grandes, que des grandes aux
petites, parce qu’il eft confiant que, parmi les
fimpies foldats, peu fervent par honneur, quelques
uns par force & la plus grande partie par
intérêt.
Une multitude infinie de Huns, de Saxons,
d’Erules, de Goths, de Sarmates, de Suédois, de
Bavarois, de Bulgares, de Turcs & d’Efclavons,
fuivit avec plaifir Albouin, roi des Lombards,
parce que l’efpéranee que ce prince leur donna de
les enrichir des dépouilles de l’Italie, qu’il alloit
conquérir, leur fervit de paye anticipée.
Les peuples contribueront volontiers à une guerre
qui tend à augmenter la gloire de la nation & les
domaines de l’état. Il eft à craindre au contraire
qu’ils n’ayent en horreur une guerre défenlive ,
lorfque , nonobftant les contributions qu’ils four-
niffent, ils voient, par une armée ennemie, les
campagnes défolées, les citoyens fubjugués & les
loix du pays renverfées, comme, félon la remarque
de Polybe, il arriva à ceux du Peloponèfe.
Les Anglois,qui avoient toujours accordé avec
plaifir à Edouard'VI, leur ro i, touts les feçours
qu’il leur avoit demandés pour faire plufieurs
guerres offenfives, en vinrent à une révolte ouv
erte, lorfque , fous la mmçrité de Richard I I , on
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voulut exiger de nouveaux fubfides pôUf foutenir
une guerre défenfive contre la France & l’Ecofle,
parce que ces contributions, difoient les Anglois ,
ne les empêcheroient pas de perdre le pays qu’E-
douard avoit auparavant conquis.
J’ai prouvé que, pour porter les peuples à contribuer
volontiers à la guerre que vous voulez faire ,
vous devez leur repréfenter toute la juftice de cette
guerre. & la néceflité ou vous vous trouvez de
l’entreprendre ; les vues que vous avez de recouvrer
une partie de ce qui a été ufurpé par les
ennemis fur les états de votre prince, & de porter
la guerre dans leurs provinces , pouf mettre les
vôtres à couvert des ravages qu’elle caufe, les
raifoùs qui doivent en faire efpérer un court, un
riche & un heureux fuçcès ; enfin, que vous devez
vous fervir de touts les motifs d’une haine
précédente, que vos peuples peuvent avoir contre
les ennemis, & fur-tout de celui de la religion , fi
fes ennemis ne font pas catholiques.
Comin Ventura dit qu’il ne faut .gu ères plus de
troupes pour attaquer que pour fe défendre, parce
qu’alors on peut compofer l’armée des garnifons
des places.
Ce fentiment paroît d’abord renfermer des
inconvénients confidérables, fi on le prend dans
toute l’étendue que cet écrivain le propofe ; mais
il peut être mis en pratique, fi on eft fi fort affuré
de la fidélité & de la valeur/ des habitans des
places, qu’on puiiïe les leur confier fans y mettre
garnifon de troupes, & fi, outre cela, on n’effc
voifin des ennemis que, par une feule frontière.
Alors »entrant par ce côté dans le pays ennemi,
il n’y a pas à craindre qu’ils “pénètrent .dans le
vôtre pour attaquer vos placés, parce que, dans
la fuppofition que cette frontière eftxunique & de
peu d’étendue, votre armée la couvrira en même-
temps que, par des aâes d’hoftilité, elle ravagera
les terres des ennemis ;& pour, vous garantir des
coups de furprife & des courfes fecrètes des partis
ennemis, il fuffira de laiffer à ces citoyens fidèles
quelques petits corps de cavalerie.
C ’eft feulement dans ces çirconftances que je
crois que le fentiment de Ventura peut être d’ufage,
parce qu’en vous mettant fur la défenfive, il faur
droit indifpenfablement affoiblir l’armée pour
garnir toutes les places en danger d'être attaquées ;
autrement les ennemis, en faifant femblant d’en
menacer une , tombereient fur celle qui feroit dégarnie.
En vain vous m’objeélerez que vous ferez
toujours à temps de joindre à votre armée les autres
garnifons pour combattre l’ennemi. Je réponds qu’il
y a des places,, dont les-avenues font fi faciles à
garder, qu’on ne fçauroit les fecourir, même avec
une armée fupérieure, ainfi qu’on le verra par ce
qui fe pafla à Namur.
Quand vous auriez befoin de beaucoup, plus
de troupes pour attaquer que pour vous tenir fur
1 la défenfive, dans votre pays, je foutiens que ,
1 dans ce cas même, la guerre offenfive fera aune
ftioiridre dépenfe, parce que vous tirerfcft de grofles
contributions des provinces ennemies, & , par les
quartiers d hiver que votre armée y prendra, vous
épargnerez au moins une moitié de la paye pendant
les mois que dureront ces quartiers. Dieu fit
pleuvoir fa manne pour fon peuple pendant qu’il
tut dans le défert ; mais dès qu’il l’eut conduit
dans le pays ennemi de Chanaan, il fufpendit le
miracle, parce que les Ifraélites pouvoiènt fe
nourrir des fruits de cette terre.
L empereur Léopold Ignace fe plaignant de ce
Ou il ne fçavoit ou prendre des fonds pour payer
les armées , le comte de Walftein , (on généra-
liflime, lui répondit que le remède qu’il y trou-
voit etoit de lever une fois plus de troupes. L’empereur
lui ayant répliqué comment il pourroit
entretenir cent mille hommes, puifqu’il n’avoit pas
den. faire fubfifter cinquante m ille ,'
iWalitein le fatisfit, en lui repréfentant que cinquante
mille hommes tiraient leur fubfiftance du
pays ami, & cent mille le tireraient du pays
ennemi.
Vous me direz peut-être qu’en entrant dans les
provinces des ennemis , vous dépenferez beaucoup
pour le. tranfport des vivres, des munitions ,
oes habits, &c. & pour la conduite des recrues &
~es, remontes. Je réponds qu’à l’égard des vivres,
îl n y aura aucun inconvénient, ft vous prenez la
précaution que j’ai déjà propofée , qui eft de faite
lemer, fur les terres couvertes par vos places de la
frontière oh l’année fuivante doit être la guerre,
allez de froment, d’orge ou d’avoine, pour que le
grain & la paille fufbfent pour la campagne prochaine.
A l’égard des munitions des habits & de
tout l’attirail néceffaire en fer ou en bois, rien
” empêche de fabriquer tout cela dans le pays que
Vous allez occuper, parce que, pour être d'un
autre prince, il ne s’enfuit point qu’il n’y ait pas
des minéraux, des bois, du falpêtre, des laines, &c.
«x en fuppofant que la plupart des ouvriers ayent
pris - la fuite , & que les ennemis ayent détruit une
patpe des fabriques,il ne fera pas bien difficile de les
rétablir 6c de faire venir d’autres ouvriers de vos
états, parce qu’il eft certain que les ennemis n’emportent
pas les eaux qui font tourner les roues
ru les montagnes qui donnent du bois, ni les mines
qui fourmffent du fer, du plomb ou du cuivre, ni
la terre qui produit le falnêtre ou le fouffre.
Les remontes & les recrues, qui marchent à
Pied, ne doivent pas être mifes en compte pour
le tranfport. A l’égard des habits, on ne doit pas
croire que les laines qu’il ÿ avoir auparavant,
manquent, parce que les habitants conferveront
<-!ürSntr0Uf ea,UX ,d?ns les endroits o{> ils ont leurs
familles, & ils n abandonneront pas leurs maifons,
£ r™ n t .a f f i^ ^ * m3nière *"*«-
Il eft vrai que, dans quelques provinces ennemies,
vous manquerez d’une grande partie des
chofes dont je vtens de faire le détail ; mais il fe
peut ànffi qu’elles s’y trouvent en plus grande
abondance que dans vos provinces : & alors , au
beu que la dépenfe foit plus confidérable , elle
fera moindre. Enfin, cette règle générale, que la
guerre offenfive coûte moins, ne doit pas être détruite,
parce qu’il arrivera , par quelque motif
particulier & cafuel, que les tranfports feront plus
chers. r
Suppofons même que ces tranfports expofent à
de plus grands frais; cette confidération doit-elle
1 emporter fur 1 avantage d’éviter dans votre pays
touts les dégâts que la guerre lui feroit éprouver
par rapport a la culture des champs, aux troupeaux,
aux arbres 6c aux édifices ? Si vous me
dites qu’en ayant votre armée fur ces mêmes
frontières, les partis ennemis ne pourront ni piller,
ni brûler, ni défoler vos campagnes, je vous demande
fi vous êtes affuré d’empêcher que votre
cavalerie ne fourrage, que les lieux de la contrée
ne logent pendant l’hiver les troupes qui ne font
pas en garnifon dans les places, 6c que les habi-
tants ( quelque bien difciplinés que foient vos foi-
dats ) ne foient expofés à une infinité d’extorfions &
de défordres de leur part, ou de la part de ceux qui
prennent leur nom 6c leur habit, pour faire des
vols 6c exercer des brigandages.
La raifon qu’eut Eumènes, roi de Bergame,
pour ne pas confentir à une fufpenfion d’armes
avec Antiochus , roi de Syrie, acceptée par l’armée
romaine, fut qu’il prévît que, pendant qu’on irait
a Rome pour faire approuver cette fufpenfion
d armes, les troupes d’Anthiochus, qui étoient
entrées dans le royaume de Bergame, y prendraient
leurs quartiers d’hiver, 6cy confumeroient
les vivres 6c les autres provifions.
Le prince d’Orange, fuivant ce proverbe allemand
, d eft toujours bon d'attacher les chevaux aux
urbres des ennemis, dit que celui qui fait une guerre
offenfive peut, dans un malheur, avoir recours à
ion propre pays, parce que ,n ’-ayant pas fouffert
de la guerre, on y trouvera abondamment tout ce
qui eft neceffaire ; an lieu, que, ajoute-t-il, celui
qui la foutient fur fes états, ne fçauroit, en plu- ,
fieurs jours , faire les préparatifs convenables pour
entrer dans le pays ennemi. Enfin, en fe tenant
lur la defenfive, on ne peut que perdre, ou tout
au plus conferver ce qu’on a , 8c, en attaquant, on
peut gagner. Lorfqu’Appollonius, avec l’armée de
-Syrie, iè mit en marche pour venir détruire Juda
« Judas Machabée fortit pour aller au-devant de
lui.,».
Tamerlan, empereur*des Parthes, fe détermina
de porter la guerre fur les terres de Bajazet, empereur
Ottoman, fans attendre d’être attaqué dans fes
états, « parce que, difoit-il, du moins par-là j’aurai
1 avantage de ruiner les provinces ennemies &.
d empecher le dégât des miennes. ».
Raymond, comte de Tripoli, gouvernant le
royaume de Jérufalem pendant la minorité de
Baudouin IV , n’attendit pas fur fes états la guerre
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