
& y garder toujours une forte garnifon, qui paroiffe
plutôt une fage précaution pour conferver ce que
l’on a acquis de nouveau, qu’un deffein d’entreprendre
plus avant.
Si le pays eft chargé.de montagnes & de bois ,
il effc par conféquent rempli de défilés. En ce cas,
1 armée avec laquelle on veut conquérir doit être
fans comparaifon plus forte en infanterie qu’en
cavalerie , & tuivie d’un plus grand nombre de
pionniers , qu’on prendra d’abord parmi fes_propres
nijets , par le moyen defqüels on ouvrira les défilés
autant qu’il fera poffible ; on rendra les chemins
de communication bons & larges ; on fortifiera,
d’efpace en efpace, des polies pour affurer les
convois ; on fera de grands abattis dans les bois ,
pour élargir les chemins ; & on s’appliquera à
conduire touls les travaux vers quelques villes ou
places qui foient dans une fituation plus ouverte ,
où on puiffe faire les dépôts qu’il convient d’avancer.
Que Î1 c’eft un pays de plaines , on n’y fçauroit
avoir trop de cavalerie. C’elt elle qui foumettra
le p a y s , & qui empêchera l’ennemi de fe communiquer.
Il ne faut en ce cas-là d’infanterie que
pour conferver les grandes villes qu’on foumettra.
Mais comme il arrive rarement que les pays ne
foient pas mêlés, ce fera la connoiffance précédente
qu’en aura le prince qui veut conquérir,
qui lui fera prendre des mefures juftes pour conduire
fon entreprife à une fin heureufe, en compofant
fon armée comme il lui conviendra.
Toutes les cOnfidérations de ci-deffus font du
nombre de celles qui doivent avoir été faites d’avance.
Il relie préfentement à examiner l’entre-
prife , par rapport aux forces de l’ennemi qu’on
attaque , au prompt fecours qu’il peut avoir de
fes voifins , & à fes finances.
S’il a été furpris par l’entrée de vos troupes dans
fon pays, il faut ufer d’une grande diligence pour
fe placer le plus avant qu’il fera’poffible, de manière
qu’on empêche qu’il ne raffemble les troupes
qu’il aura en divers endroits de fon état ; & en
cas que l’ennemi puiffe fe raffembler à la faveur
de quelque rivière , il faut , autant que la prudence
le permettra, paffer cette rivière, & combattre
l’ennemi avant qu’il ait raffemblé fes troupes,
dans la préemption où je fuis que l’armée qui veut
conquérir, eft de beaucoup fupérieure à celle qu’on
attaque.
Une bataille, dans un commencement de guerre ,
donnée à propos, en décide prefque toujours le
fuccès. Ainfi, il ne faut point héfiter à la donner ,
fi l’ennemi, par quelque mouvement pour mettre
fes forces enfemble,fe met à portée de rifquer
un événement.
S i , au contraire , il fépare fes forces, & ne
fonge qu’à gagner du temps , foit pour lever des
troupes chez lu i, foit pour tirer des fecours étrangers
, il faut s’attacher à une entreprife aifée à
garder après fa conquête ; s’y renfermer dans de
bonnes lignes de circonvallation , & dèÿ qu’elles
ferçnt faites, n’y laiffer que ce qu’il faut d’infanterie
pour prendre commodément la place , &
s’avancer avec le refie de l’armée dans le pays ,
à portée pourtant de protéger le fiège , autant
que la prudence le peut permettre , par rapport
au lieu où feront les forces de l’ennemi, qu’il faut
toujours avoir devant fo i, afin de n’avoir aucune
inquiétude pour le fiège.
11 feroit infini d’étendre cette matière, jufqu’à
dire tout ce qui fe peut faire. Les avantages de
cette difpofition réfident îouts dans les fautes que ,
dans le commencement d’une guerre imprévue , un
ennemi peut faire ; dans la capacité d’un général qui
fçait en profiter, & dans celle des officiers généraux
à qui’ il commet l’exécution de fes deffeins
particuliers.
Si l’ennemi peut être promptement fecouru, il
faut avoir examiné d’avance par quel nombre ,
& par quelle nature de troupes il peut l'être, fans
quoi l’entreprife de cette guerre pafferoit toujours
avec raifon pour téméraire & imprudente.
L’état des , affaires du prince qu’on veut attaquer
, par rapport aux finances , mérite encore de
la confédération. S’il efl pauvre , tout eft aifé à
entreprendre contre lui. En ce cas , il faut ménager
fes fujets, les corrompre , les lui débaucher,
autant qu’il eft poffible de le faire par la douceur ,
ou les mettre hors d’état de pouvoir affifter leur
prince.
S’il eft riche , il le peut être de deux manières ;
ou par les tréfors qu’il aura amaffés, ou par les
facultés de fes fujets , qui pourront le mettre en
état d’affembler promptement des forces confidé-
rables.
. S’il eft riche par les tréfors qu’il aura amaffés,
il ne le peut être que de deux manières , ou pour
avoir vécu d’épargne dans la fuite d’une longue
paix, ou par des levées extraordinaires & nouvelles
qu’il aura faites fur fes peuples , dans des
temps où elles n’étoient pas abfolument néceffaires
à faire. '
Si les tréfors viennent du premier de ces deux
moyens, il ne les aura acquis qu’en négligeant
de foudoyer un corps confidérable de troupes , de
réparer les fortifications de fes places , & d’entretenir
fes magafins de guerre & de bouche. En ce cas ,
il faut l’attaquer vivement , & former plufieurs
entreprifes à la fois, parce qu’on le trouvera également
dépourvu par-tout.
S’il s’eft fervi du fécond moyen pour amaffer de
l’argent, il aura joint aux négligences qu’on vient
de dire, la faute irréparable d’aliéner par des vexations
l’amour de fes fujets; auquel cas les principaux
doivent être corrompus, foit par l’argent qu’on
leur donnera, foit par les établiffements qu’on leur
procurera ; & le peuple doit être traité avec douceur
, déchargé des impofitions qui lui avoient été
les plus odieufes , & ménagé par des efprits doux ,
qui s’appliqueront à lui faire goûter la tranquillité
&• l’aifance du nouveau gouvernement.
Si
Si la richeffe du prince réfide en celle de fes
fujets , elle ne fera venue, ou que par la douceur
de fon gouvernement, ou que par la facilité que
la fituation du pays leur aura procurée de faire
avec leurs voinns un commerce lucratif.
Si leurs facultés viennent de la douceur du
gouvernement, elle les aura plongés dans la mo-
leffe & l’oifiveté ; auquel cas ils peuvent bien
aider leur prince de leur argent, mais non pas
de leurs corps, peu accoutumés aux travaux de
la guerre. En ce cas-là il faudra laiffer en repos
céux qui ne fourniront point-d’argent à leur prince,
mais traiter avec rigueur ceux qui ne lui ouvriront
point leurs bourfes , & qui prendront les armes.
Si c’eft des fruits de leur commerce qu’ils foient
devenus pécunieux, ils auront fûrement l’efprit
porté à conferver ce qu’ils auront amaffé 9 & difficilement
le prince en pourra tirer des fecours
d’argent auffi prompts qu’il fera néceffaire dans
une occafion preffante. En ce cas , il ne faut point
dans les capitulations , refufer aux nouveaux fujets
qu’on aura conquis, aucune affurance qui regarde
la fureté & la facilité dans leur commerce , mais
s’appliquer au contraire à empêcher qu’ils y puiffent
remarquer aucune diminution.
Il eft prefque fûr parmi les hommes , que leur
intérêt particulier eft ce qui les fait agir ; & il eft I
bien rare que dans le fond ce foit l’amour pour la j
perfonne du prince qui les attâche à fon fervice , |
principalement lorfque les moeurs & les coutumes j
de vos peuples ne font pas entièrement différentes
de celles de ces nouveaux fujets ; ou,qu’au
moins fi elles le font, vous ne les contraignez pas
de perdre vos ufages, & de quitter les leurs.
De la guerre dèfenfive.
Il feroit"b ien difficile de prefcrire ici par des
maximes générales la manière de foutenir cette
guerre. Elle eft toute dans la prudence & dans l ’efprit
de prévoyance de celui qui la conduit.
On peut dire feulement qu’elle a été tout-à-fait
imprévue, ou qu’elle n’a pas été prévue affez-tôt,
ou que la perte d’une bataille,ou de quelque place
confiderable, l’a rendue telle, quoiqu’elle eût eu
un autre commencement.
Au premier cas, le peu de troupes qu’on a fur
pied doit être ménagé ; l’infanterie jettee félon la
quantité des places qu’on a à garder, dans celle
que l’on peut croire qui doit être le plus indif-
penfablement attaquée , abandonnant ainfi à l’ennemi
celle , qui dans la fuite de la guerre pourroit
être ou plus facilement conquife, ou celle qu’il pourra
aG P^us difficilement conferver ; la cavalerie doit
etre mife en campagne, pourtant toujours en état
d avoir fa retraite lûre ; &. cela afin d ’incommoder
les fourrages & les convois de l’ennemi, & d’em-
pecher que les petits partis ne s’écartent trop de
ion armée, & ne jettent trop facilement la terreur
«ans le dedans du pays.
A r t militaire. Tome II.
Le plat-pays ne doit point être ménagé. II en
faut retirer dans les meilleures places tout ce que
l’on peut en ôter & confumer , même par le feu ,
touts les grains & fourrages qu’on ne peut mettre
en lieu fûr , afin de diminuer p a r -là la fubfifi-
tance aifée de l’armée ennemie. Les beftiaux doivent
être auffi envoyés dans les lieux les plus
éloignés de l’ennemi, & autant qu’il fe peut couverts
de grandes rivières , où ils trouveront plus
de fureté , & une fubfiftance plus aifée.
Que fi cette guerre n’a pas été abfolument imprévue
, & que l’on ait eu au moins quelques mois
pour s’y préparer , il faut avoir employé ce temps
à lever des troupes , à affembler des munitions
de guerre à réparer les fortifications des places
dont la confervation eft la plus néceffaire , foit
pour donner une occupation férieufe & de durée
aux forces de l’ennemi, foit pour la confervation
des meilleures contrées du pays , foit pour fe garder
une entrée libre, au fecours des dehors, ou
même une entrée dans le pays ennemi, qui force
l’affaillant à former un corps en arrière , pour
empêcher qu’on ne faffe de grandes courfes dans
fon propre pays , & qu’on ne batte fes convois.
Tout ce qui vient d’être d it, regarde les précautions
de dedans, celles du dehors confident
en négociations pour des fecours des puiffances
voifines, pour des levées étrangères, & même
pour des diverfions éloignées. La jaloufie que l’on
prend ordinairement d’un conquérant, donne affez
de facilité pour fe lier contre lui ; & pourvu
qu’on ne foit. pas accablé d’abord, on peut trouver
des moyens de rétablir fes affaires.
J’ai dit que cette nature de guerre dans fa conduite
, confiftoit entièrement dans la capacité du
général qui la foutient. Son application particulière
doit être à ne fe point commettre, à multiplier
de petits avantages , à refferrer fon ennemi
dans fes fourrages , & à l’obliger à ne les faire
ordinairement qu’avec degroffes efcortes, à battre
ou à écorner fes convois , à lui rendre le paffage
des rivières- & des défilés difficile à le tenir en-
femble; s’il veut attaquer quelque place , à y jetter
quelques petits fecours avant qu’il l’ait inveftie,
pour ranimer le peuple & la garnifon ; enfin , à
ne chercher dans ce commencement qu’à fe faire
refpeéler de fon ennemi, par fon aélivité & fa vigilance
, à le rendre circonfpeél dans fes marches,
& même dans fon camp , & qu’à gagner du temps
& lui en faire perdre.
Avec touts ces foins, un général habile ranimera
le coeur de fes1 troupes & du pays , & donnera
à fon prince le temps de rétablir fes affaires,
pour balancer dans la fuite le fuccès, & changer
la nature de cette guerre, toujours trille à celui
qui eft forcé de la loutenir.
La troifième efpèce de guerre dèfenfive dont
nous avons parlé ail commencement de ce chapitre
, celle qui eft venue par des malheurs
eft la plus difficile à foutenir ; parce qu’elle peut
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