les Francs & les Gaulois ne furent en peu de
temps qu’un même peuple.
Canut I I , roi de Danemarck, après avoir conquis
l’Angleterre , ufa avec fuccès de la même
politique à l’égard des Anglois. . *
■ Comme dans toutes les chofes du monde 1 excès
efl toujours dangereux, il fe peut qu il foit ne-
ceüaire de prendre des précautions contre la
trop grande amitié que les troupes de votre pays
lieroient avec les peuples conquis où elles feront
en gamifon ; ainfi, après vous en etre fervi pour
vous attirer l’affeâion de ce nouveau pays , changez
les avant qu’une patrie étrangère-leur falfe
oublier la leur.
Dans la fécondé guerre des Carthaginois, les
colonies.des Romains, voiiines d’Italie , refusèrent
de donner du fecours à Rome , parce que ceux
qui les compofoient s’etoient naturalifes dans le
pays depuis le long efpace de temps qu’ils y
étoient.
Dans les foulèvements de Naples par Maza-
niello & par le duc de Guife, les plus grands ennemis
qu’eurent les Efpagnols furent leurs propres
janiffaires ; & lorfque les Allemands fe mirent
dernièrement en poffeflion de ce royaume, nul
foldat du régiment qui y étoit fixe , & prefque
aucun des officiers dudit régiment, fur - tout de
ceux qui étoient nés a Naples , ne voulurent
retourner en Efpagne. Je trouve quun autre
avantage qu’il y a de changer les vieilles troupes
que vous avez d’abord envoyées - dans le pays
conquis, eft qu’elles ne feront pas les feules à
fe familiarifer avec ces nouveaux fujets. Je vous
confeille néanmoins de les changer p eu -a -p e u ,
afin que celles qui refient fervent à introduire
celles qui arrivent, & à les inflruire du génie &
des coutumes de la nation & des particuliers , du
foible des places, des paffages les plus importants
de la province, fie de tout ce qui eft néceffaire
que les officiers de vos troupes fçaehent. Ces régiments
que vous envoyez dans le pays conquis ,
pour relever ceux qui en fortent, auront ordre
de ne pas fe moquer des modes du pays où elles
vont, en leur donnant bien à entendre que , dans
toutes les difputes avec les citoyens , dans le
doute qui a raifon ou to r t, on jugera en faveur
des habitants, ce qu’il faudra néanmoins cacher
eux habitants , de peur qu’ils n’en abufent. S’il
arrive , au contraire , que quelques-uns infultent
vos troupes, faites-les punir par la voie de la
juftice, avant que les parties fe rendent juges du
différend, & veuillent par elles-mêmes en avoir
fatisfaéion, ce qui donneroit lieu à de fréquents
tumultes entre les foldats & le peuple.
A G ènes, &.dans plufieurs autres pays bien gouvernés
, on change touts les fix mois la quatrième
partie des perfonnes qui doivent, pendant' deux
ans, exercer la magiftrature. De cette manière il y
a toujours les trois quarts des magiftrats inftruits
des règles & de la méthode des tribunaux, & de
Tétât qù fe trouvent les procès qui y ont été précédemment
commencés.
Rarement on change la gamifon de Ceuta, &
on y laiffe toujours le régiment fixe de cette
place , parce qu’il eft néceffaire qu’il y ait toujours
des troupes accoutumées à cette manière peu ufitée
dont les Maures combattent.
A Meffine & dans les autres villes de Sicile., qui,
pendant la guerre d’Efpagne contre les Allemands ,
moins par la force que par leur fidélité , s’étoient
déclarés pour le roi mon maître , le prince Trio ,
gouverneur des armées , avoit fait" entendre aux
troupes qu’on leur donneroit toujours le tort
dans touts tes démêlés quelles auroient avec les
habitants ; mais il ne laiffoit pas pour cela de châtier
ceux - c i, lorfque, fur la confiance de cette
prote&ion , ils manquoient de refpeél aux troupes.
Les exemples que j’ai rapportés précédemment
, font voir que , dans cet échange des
troupes de vos états & du pays conquis, il faut
avoir attention à ne pas envoyer celles d’une province
ou la chaleur eft exceffive, dans une autre où
-le froid eft extrême ; ni au contraire dans un pays
-brûlant, celles qui font- accoutumées à un climat
froid, fur-tout fi c’eft pour fervir en campagne, où
on n’a pas les mêmes commodités pour fe garantir
des injures du temps que dans les garnifons.
Lorfqu’en 1719 la ville de Cagliari fut menacée
d’un fiège, on envoya au cap de Pula , qui
n’en eft éloigné que de cinq lieues , foixante
payfans avec un chef, pour y couper des fafeines.
Pendant quinze jours que dura ce travail, le chef
& quarante travailleurs y moururent j vingt feulement
échappèrent, parce qu’ils étoient natifs
d’Oreftan & de l’Ollaftra , dont les climats fônt à-
peu-près aiiffi mal-fains que celui de Pula.
Lorfqu’il faut abfolument envoyer des garni-
fons dans les places où la chaleur eft extrême,
on doit le faire pendant l’hiver, afin que les troupes,
s’accoutumant peu-à-peu, &. comme par degrés ,
à la chaleur du printemps & de l’été, fouftrent
moins des incommodités d’un climat brûlant. Nous
voyons que ceux qui entrent dans Rome pendant
les jours caniculaires, font en danger de leur
vie ; péril que ne courent pas ceux qui y arrivent
avant les grofles chaleurs. Pour m oi, je
ferois démolir ces places, excepté quelles ne
fuffent pas de la dernière importance, quand
même il faudroit en faire conftruire d’autres fous
un climat plus fain.
Obfervations à faire, afin de ne perdre ni le temps
ni l ’argent à, s’attirer l ’affetiion du pays ennemi. '
Je viens de tâcher de perfuader combien il eft
important de s’attirer l’affeéfion des peuples du
pays conquis ; mais avant que de faire des démarches
pour une chofe qu’on croit utile, il faut
voir fi elle eft poffible , examiner quand eft-ce
qu’il y a lieu d’efpérer que les moyens propofes
— ' ‘ * — — * , V.V. vjLianu OZI-V.V, V.JUV. i u n n e UUH
s’en rien promettre ? Ce que j’omettrai ici fur le
premier point, pourra s’inférer de ce que je dirai
dans la fuite.
Examinez fi les peuples ennemis, ou ceux que
vous avez déjà conquis, feront, par leur rufticité
ou leur inconftance , infenfibles à vos ménagements
de politique, & peu reconnoiffants du bon
traitement dont vous uferez à leur égard.
Sallufte, parlant de la ville deCapfa, queMarius
avoit conquife contre Jugurtha, dit qu’il la donna
au pillage à fes foldats, parce que fes habitants
etoient inconftants, infidèles, & incapables d’être
contenus dans Tobeiffance par les bienfaits.
Obfervez encore fi ces peuples aiment leur
prince & haïflent le vôtre, & s’ils fuivent la religion
du premier, ou une différente de celle du
fécond. Dans touts ces cas , & dans quelques
autres dont je parlerai dans la fuite , déterminez-
vous à conferver feulement vos conquêtes par la
force, fans prétendre de vous attirer l’affe&ion
du pays , & fans vouloir même y pénétrer trop
avant, parce que, d’une part, ce feroit perdre
vos.foins & les contributions ; de l’autre , ce feroit
trop expofer vos convois, & aventurer peut-être
votre retraite, fi vous ne vous l’étiez pas afîùrée
de la manière que je l’ai dit ci-devant. Si vous
faites attention à la fin que les armées de là ligue
eurent en Efpagne-, vous y trouverez un exemple
accompli de ce que je viens de dire; car les
deux armées furent battues à Almanza & à Villa-
viciofa, pour n’avoir pu fubfifter dans le coeur
des deux Caftilles, parce que les payfans, à la
faveur de notre cavalerie , leur coupoit touts leurs
convois ; & dans l’une & l’autre rencontre , les
ennemis ne tirèrent aucun avantage des contributions
, qu’ils ne demandèrent pas, pour ne pas
contrevenir à l’intention qu’ils avoient de fe rendre
le pays favorable , dont la fidélité pour le roi
devoit pourtant leur être connue par les fuccès
precedents,
Un prince ne tirera pas de grands avantages de
es intelligences avec les fujets d’une république ;
je dis la meme chofe des intelligences d’une répu-
bhque avec les fujets d’un riionarque, parce que
lun (Selautre gouvernement ont noq-feulement
des maximes oppofées , mais des génies & des
intérêts differents. Apollonius, député de la ville
de bcipion , pour diffuader l’affemblée d'Acaïe
d accepter les vingt talents qu’Eumène , roi de
rergame offroit , repréfenta qu’il ne falloir pas lui
avoir cette obligation, parce que, d ifoit-il, les
interets des rois & des villes libres font entièrement
oppofes , & parce que toutes les chofes les
plus importantes fur lefquelles nous avons à délibérer,
ne roulent que fur les différends que nous
avons avec les rois. ’
Quand même les peuples ennemis feroient favo-
d'<i>ofés à entrer en négociation avec
votre fouveratn, il y a à craindre que le fecret ne
prife , il faudra indifpenfablement que les perfonnes
qui vous font fecrétement affidées , faffent
part de l’idée à un grand nombre de leurs amis, &
parmi tant de gens il y a beaucoup à rifquer
pour le fecret.
Le- feul remède contre ce danger , eft de ne
fe découvrir qu’à des hommes de confiance &. de
prudence , de peur que , par malice ou par igno-,
rance, ils ne faffent, avant le temps, des démarches
qui puiffent donner quelque connoiffance du fecret.
J ai établi ailleurs des- règles pour éviter
qu’un fecret ne tranfpire.
Il y a extrêmement à appréhender que le fecret
ne vienne a fe découvrir, lorfqu’on tarde de mettre
a execution une négociation commencée, & pour
la faire reuflir, rien n’anime davantage que le
vomnage d’une armée ; ainfi, pour avancer une
négociation & pour en pouvoir profiter avant que
le temps la découvre , faites approcher vos troupes
du pays ou vous formez des intelligences. I Quelquefois ceux qui font femblant de vous
etre affidés, fervent fous main vos ennemis, &
vous trompent pour vous jetter dans quelque embarras.
Souvent auffi ils tâcheront de yo u s détourner
de porter vos armes fur une autre frontière ,
en vous flattant de Tefpérance de tirer de grands
avantages des intelligences que vous avez dans une
province. Indépendamment de ces rifques , crai^
gnez encore que quelques fujets mécontents de leur
prince, ne vous promettent beaucoup plus qu’ils
ne peuvent tenir , foit par le defir aveugle d’une
recompenfe confldérable, foit par un efprit de
vengeance contre leur fouverain , ou par la crainte
du châtiment, fi , en defirant l’exécution de leur
entreprife, on venoit à découvrir les premières
démarchés de la négociation. Vous trouverez;
encore des inftances plus violentes & des offres
plus amples de la part des fujets du prince ennemi,
s fis font exilés de leur pay s , & fi les biens font
confifques , parce qu’ils ne défirent rien tant que
de retourner dans leur patrie pour jouir de leurs
biens, & abattre les familles contre lefquelles ils
ont une inimitié particulière, fous prétexte qu’elles
fuivent le parti d’un autre fouverain. Alors ils
e mettent peu en peine que l’on rifque les troupes
qui doivent les foutenir. D ’ailleurs, comme ils
ignorent le metier de la guerre, ils ne s’arrêtent
pomt a des difficultés qui fe trouvent enfuite invincibles.
N’abandonnez donç pas quelque autre
entreprife pour vous engager dans des négociations
fur lefquelles il n’eft pas toujours sur de
compter, & fans avoir des forces fuffifantes pour
vous en tirer avec honneur, fuppofé que les prd^
meiles des habitants fe trouvent fauffes & qu’ils
vous manquent dans l’occafion la plus eflentielle.
Voyez a ce fujet l’exemple d’Annibal.
En 1647, les Napolitains allèrent traiter à Rome
avec le duc de v^uife, & l’aflùrèrent, par la bouche
g Auguftm Lieto, leur ambaffadeur, qu’il y avoit
A a a a a ij