elle fera j en un m o t , dans chaque pofte que
l’armée occupera , toutes les fuppofitions imaginables
j depuis un départ prochain jufqu’à un
féjour très prolongé : depuis une marche précis
pitée en avant ju îq u à une retraite forcée : depuis
une défaite complette jufquà une viêloire
ïignalée. En ne calculant ainft que fur des fuppofitions
, ces fuppofitions étant toujours femblables ;
la cour martiale fe forman t, ou chaque jo u r , ou
feulement un certain nombre de fois par femaine ,
& donnant chaque fois au général le réfultat de
fes difcuffions , il n’en pourra réfulter que des
effets heureux. L ’ennemi eût,-il des elpions dans
le camp , ou des traitres dans les confeils ,• il lui
refteroit toujours de l’incertitude fur Tufage que
le ch ef de l’armée voudroit faire des avis qu’on
lui auroit don n é s , & ce ch ef n’auroit plus qu’à
choifir entre les projets qu’on lui auroit préfentés.
Mais comme il eft auffi difficile de faire un bon
choix entre plufieurs confeils que de fe bien con-
feiller fo i-m êm e ,1a fécondé partie de la cour
martiale aideroit le général à fortir de ce labyrinthe
; elle difçuteroit de nouveau chaque point ;
elle jugeroit de fon utilité , de fa poffibilité , &
de fon exécution ; elle s’occuperoit principalement
de ceux que le général lui auroit déftgnés ; elle
arrêteroit enfin de nouveaux réfuitats. Alors le
général aidé par les grands hommes morts & par
leurs ouvrages , qui ne çèlçnt jamais la vérité ,
examinerpit chaque objet encore plus particulièrement
, & formeroit le pian de fes opérations. Si
je ne fuis pas ébloui par mes propres idées , je
v o is une foule d’ avantages fortir de ces deux con?
feils j mais ne fiffent-ils que former des militaires,
& faire connoître les officiers généraux ou particuliers
qui méritent ce titre , ce qui arriverait
néceffairement 3 ils réndroient toujours de grands
fçrvice s à l’état.
6. T re iz e ou quinze maréchaux-dercamp , affiliés
de huit ou dix brigadiers , compoferoient la
première partie de la cour martiale ; ils formeroient
pne efpèce de grand confeil.
C in q ou fept lieutenants-généraux formeroient
la fécondé partie de la cour martiale : ils fçroient
une efpèce de çoiifdl privé.
L ’ancienneté feule n’ouvriroit pas l’entrée d’un
des confeils $ ce ne feroit pas non plus l’amitié qui
en ouvriroit la porte. Une difcrétion à l’épreuve
des attaques de la flnefle & des féduélions de la
vanité , feroit là première vertu que le général
rechercheroit dans les membres de fes confeils. Un
dévouement entier à la patrie , & un attachement
fincère aux intérêts & à la gloire du çhef de l’armée
yiendroient ehfuite ; un amour propre ex-
ç e f f if , une grande obftination , font des défauts
effentiels dans les membres d’un confeil. L ’officier
qui aura un jugement droit St, j lifte1, fera préféré
U celui qui n’aüra qu’un efprit brillant ; celui qui
raifonner'a avec folid ité , à celui qui parlera ayec
^Ipquêncè f cglüi qui àtifa une bravoure froide &
f un âge a y an cé , à celui qui aura une valeur bouffi*
lante^ ou le feu de la jeuneffe. Il faut dans un
| confeil difcerner le v r a i , le faire reconnoître &. ne
| jamais chercher à féduire : il faut y prévoir touts
j les dangers , & ne jamais montrer comme aifé ce
1 qui peut offrir de grandes difficultés. Les officiers
| dépourvus de quelques-unes des qualités que nous
J avons nommé es , feront pourtant quelquefois ap-
pellés aux confeils. C eu x qui en feroiènt conf-
! tamment exclus fe décourageroient totalement, &.
| finiroient par être méprifés par leurs fubalternes*'
; Mais quand on y appellera des indifcrets, des
j ignorants ou des hommes peu fu r s , on ne traitera
i que d’objets de police intérieure , ou de quelque
j operation dont on voudra faire croire à l’ennemi
| qu’on eft occupé ; réfervant les grandes chofes
pour lesinftants où le confeil fera, compofé d’hommes
qui réuniront la prudence au courage , l’étude de
l ’hiftoire & de la guerre , à l’expérience militaire
& à la connoiffance des hommes.
7 . Q u e le général ait formé lui-même fon con-
feil, ou que fa cour martiale ait été compofée par
fon maître : qu’il adopte ou qu’il rejette ce que
nous avons dit dans les numéros 5 & 6 , les feuls
endroits de cette feélion où nous nous foyons
permis d’abandonner les traces des écrivains militaires
, nous n’en devons pas moins dire quelle
doit être dans les confeils de guerre , la conduite
du ch ef d’une armée.
Pourquoi touts les confeils de guerre ne corn-
menceroient-ils pas par un ferment que chacune
des perfonnes qui y feroient appellées prêteroit
dans les termes fujvants. Moi N. , je jure'par
1honneur de ne divulguer ni faire connoître à per-
fonne non-feulement les objets quon aura décidés
dans le confeil de guerre, mais même ceux quon y
aura mis en délibération. Je jure par Vhonneur de
dire mon avis félon ma confcience 6* mon intelligence ‘
fans me laijfer féduire ou entraîner par des confédérations
particulières ou perfonneUes. Je jure par
Vhonneur de ne défapprouver jamais hors du confeil
de guerre les réfolutions quon y aura prifes contre
mon avis, & d’apporter au fucçes de ce qu on y aura
réfolu j tout ce quon doit attendre d’un bon François.
Quand le général voudra affembler un confeil
extraordinaire , ce fera toujours par un billet ca*
cheté qu’il en convoquera les membres ; il leur
fera défendu de dire qu’ils font appellés à une cour
martiale. La tenue d’un confdl extraordinaire ré-
veilleroit l’attention des ennemis.
L e général affiftera à touts les confeils ; la prév
fence du ch ef donne de l ’énergie à touts les eft»
prits.
Il cherchera d’abord à pénétrer le caraélère &
les intérêts des différentes perfonnes qui le com-
poferont. L ’avis d’un homme bouillant doit être
pefé avec une autre balance que celui d’un homme
flegmatique. Ce lu i qui efpère être chargé d’uhe
opération parle différemment de celui qui ne
compte pas l’exécuter,
Qu and le général voudra déterminer les objets
fur lefquels le confeil devra délibérer, il fera ex -
pofer par un de fes fubordonnés, ou il expofera
lui - m ême l'objet dont on doit s’occuper ; il pré-
■ lentera les facilites & les difficultés , n'appuiera
pas plus fur les unes que fur les autres. Ce tte attention
fait partie de l’impartialité d'un chef.
Il rie donnera jamais fa v o ix . Il ne laiffera pas
même connoître par fes traits & fes geftes , qu’elle
eft l’opinion vers laquelle il penche en fecret. Le
ro i Philippe de V alois , affemble un confeil pour
fça vo ir fi on doit marcher tout de fuite contre les
Flamands ou attendre le retour de la belle faifon.
Les avis font partagés, le confeil balance : le roi
s’adreffe au connétable de Chatillon , & lui lançant
un de ces regards qui enlèvent les fuffrages , lui
d i t , & VOUS feigneur connétable, que penfez-vous
d e tout ceci ? Croye z-vou s qu’il faille attendre un
temps plus favorable? Sire , répond Chatillon en
courtifan habile , on peut être guerrier plus v a leureux
que prudent ; qui a bon coeur a toujours
le temps à propos. L ’expédition fut réfolue : elle
fut heureufe. Mais l’homme fage ju g e.t- il d’après
un feul événement ? Parmi les reproches que fes
contemporains ont fait au maréchal de S t ro z z i, un
des plus graves eft celui de ne pouvoir fupporter
la contradiélion , & de dire toujours fon avis le
premier dans les confeils.
Un confeil de guerre au que llegénéral appellera
quelques-uns de ces hommes qui ne fçavent point
garder un fe c re t, pourra lui fervir à induire l’ennemi
en erreur. Dans cette circonftance , le chef
de l’armée opinera en faveur du projet dont il
.voudra que l’ennemi foit inftruit.
11 fe gardera fu r - to u t de rejetter un confeil,
parce qu il lui aura ete fuggéré par un homme dont
il aura à fe plaindre ou qu’il n’aimera point. L e
prince de Condé éprouva en 1639 combien il eft
dangereux^ de confulter fa manière particulière de
fentir plutôt que l’intérêt général. 11 ren v o y a au
lendemain l’attaque des lignes efpagnoles, parce
qu e le maréchal de Schomberg avoit opiné pour
ce tte opération , & avant la fin de la nuit les éléments
ligués contre lui l ’obligèrent à prendre la
fuite.
Si les differents avis des confeils ont les mêmes
avantages de les mêmes inconvénients , il ne con-
fultera que la gloire. Quand touts les avis feront
reunis , il pourra fans crainte fur le fuccès entreprendre
1 operation j. mais il exigera toujours que
chaque membre du conjeil ligne fon opinion. En
agiffant ainft, il préviendra une infinité de propos
auxquels les fots donnent de l’importance , & qui
peuvent quelquefois porter atteinte à la gloire d’un
.chef.
8. Après chaque bataille les Grecs' décernoient
des récompenfes, non-feulement aux guerriers quj
avoient bien combattu, mais même à ceux qui
avoient donné de bons confeils. Cette dernière
jtécompenfe conüftoit en une couronne d’olivier ;
elle étoit appellée le prix de la fagefïe. Les nations
modernes ayant négligé de faire ufage d ’une infinité
de petits^ moyens dont les peuples anciens
tiroient un très grand p a r t i, les généraux n’ont
plus la facilité de témo ign e r, par des lignes certains
, leur reconnoiffance à ceux de leurs fubordonnés
à qui ils doivent un avis fage. C ’eft un
grand m a l, fans doute , perfonne ne fe refufe à
faire une aéfion valeu reufe, parce qu’il eft prefque
impofïible qu’elle foit ignorée : mais trop lbuvent
on garde pour foi une idée heureufe qu’on auroit
mife au jour , fi on avoit été alluré d’obtenir une
récompenfe éclatante. Pour fuppléer à cette négligence
des gouvernements modernes , pourquoi un
guerrier qui viendroit prendre le commandement
d’une armée , ne fera-t-il pas proclamer qu’il
écoutera a v e c attention, non - feulement touts les
avis que des militaires youdront lui d o n n e r ,
mais même ceux que d ’autres perfonnes lui offriront?
Villars dut le lùccès de Denain à un prêtre
& à un magiftrat. Comme il ne me feroit pas pof-
f ib le , pourroit-il dire , de donner une audience
particulière & fecrette à touts ceux qui voudtoient
me communiquer leurs lumières; comme le génie
aime quelquefois à fe cacher dans l’ombre, comme
un mémoire bien raifonné , convainél mieux
qu’une converfation fouvent interrompue : comme
on n’omet rien quand on travaille dans le filence
du cab ine t, je prie toutes les perfonnes qui auront
des avis ou des confeils à me don n e r, de dépofer
leurs plans & leurs projets dans une boëte qui
fera placée proche de ma tente , & ouverte par
moi trois fois au moins dans chaque journée ; je
lirai touts les mémoires qui y auront été jettés. Je
ferai connoître à l’armée & à la cour les auteurs
des projets dont l’exécution aura été heureufe ; je
folliciterai pour eux les grâces les plus fignalé’e s ;
je prendrai fur mon compte , comme je le dois ’
touts les projets qui auront eu des fuites iuneftes •
jamais ceux qui les auront conçus ne feront montrés
fous cet afpeél au roi & à fe s miniftres ; je travaillerai
, au contraire , en les faifant v o ir fous des
afpeéls plus h eu reu x, à leur procurer des récompenfes
proportionnées à leur mérite ; je confer-
v eta i même de la reconnoiffance pour les perfonnes
qui me donnent des avis peu utiles ou
des projets impraticables : tout militaire q u i , fans
négliger les devoirs de fon é ta t , s’occupe du bien
g én é ra l, eft à mes y e u x un citoyen précieux, &
qui mérite les grâces du fouverain , l ’amitié’ du
g éné ral, & la reconnoiffance de la jullice. Je le
r ép è te , qu’on ne craigne point que je dérobe à
mes fubordonnés la gloire qu’un bon confeil mérite
ou que je leur impute le malheur d’un avis que
j aurai adopté ; fi j’avais affez de baffeffe pour en
agir ainft , le R o i mon maître me d ir a it , av ec
raifon : V ou s ne commanderez plus mes armées
chaque journée de votre commandement feroit
marquée par-quelque événement funefte : aucun
de mes fujets ne voudroit ni faire des aélions g lo