
7 0 6 G U É
1 n’y ait pas allez de terrein pour que leur cava-
erie puiffe agir.
Dans le choix d’une plage, plutôt que d’une
autre, pour le débarquement, on doit principalement
avoir attention fi beaucoup de chaloupes
pourront de front aborder à terre, parce qu’ii y
a des cotes o ù le s écueils & les bancs de fable
ne laiffent que des paffages étroits, comme on
le voit à la prefqu’île d’Augufta , appellée Terre-
vieille.
La côte la plus favorable pour unv débarquement
eft celle qui, entre deux rades, a un front
de terre de peu d’étendue , parce qu’alors les
premières troupes débarquées , quand elles ne
ieroient pas même en grand nombre , ont leurs
ailes couvertes par ces rades, où l’on porte des
frégates, des galères' & des galiotes , afin que fi
les ennemis viennent pour infulter vos troupes,
ces frégates , ces galères ces galiotes puiffent
tirer librement fur eux, jufqu’à ce qu’ils foient à
cinquante pas de diftance.
Comme je n’ai pas fervi dans la marine , -j’ai
lieu d’appréhender d’avoir omis plufieurs avis
importants fur la matière que je viens de traiter :
ce n’a été que pour fatisfaire tant foit peu la
curiofité du ieâeur que j’ai écrit ce que j’ai pu
apprendre dans différents voyages de mer que
j’ai faits avec des tranfports de troupes , quelquefois
en qualité de commandant, & quelquefois
fous les ordres d’un autre, & principalement
dans un embarquement de onze mille hommes ,
dont je fus chargé pour des expéditions que des
hiftoires rapportent ; mais rien ne m’a inftruit
davantage à ce fujet, que les mefures fi juftes &
fi bien concertées que j’ai vu prendre à don
Pierre de los Rios, pour l’entreprife de Majorque,
& à don Jofeph P-atigno , pour celle de Sicile. S’il
y a quelque défilé , que, félon vos vues , vous
croyez néceffaire d’occuper, faites-le avant que
les. ennemis s’y fortifient. J’ai dit précédemment
comment vous pouvez y réuffir.
Vous devez aufîi d’abord occuper ce défilé, fi
c’eft par ce feul paffage que les ennemis peuvent
vous venir charger, avant que toutes vos troupes
foient débarquées.
J’ai déjà fait voir comment on peut forcer un
paffage que les ennemis occupent.
S’il n’y a pas lieu d’occuper un défilé qui vous
mette en fureté, ou de prendre en peu de jours
un port de mer qui vous ferve de magafin, d’ho-
pital de retraite , & d’abri à vos vaiffeaux , ne
perdez point de temps à fortifier un camp près
de la mer, dans un lieu avantageux pour toutes
ces fins, règle que Bélilaire approuva lorfqu’il
devoit faire un débarquement en Afrique contre
les Vendales.
Cette précaution eft fur-tout néceffaire, lorfque
la tempête ayant féparé plufieurs de vos vaif-
feaux , ou lorfque n’en ayant pas en un affez grand
nombre pour tranfporter toutes vos troupes à la
G U E
fois, vous n’avez débarqué qu’une partie de votre
armée qui , fans un retranchement , ne lçauroit
réfifter aux forces que les ennemis peuvent ailem*
hier, avant que le vent permette à votre flote
de faire un fécond voyage, ou que les vaiffeaux,
que le gros temps avoit écartés, arrivent à l’endroit
du premier débarquement.
Dans l'un & l’autre de>ces deux cas, & auparavant
que les ennemis viennent en grand nombre,
vos premières troupes débarquées mettront dans
leur camp touts les vivres & les beftiaux qu’elles
pourront prendre dans les lieux voifins & dans
la campagne , fur-tout fi ce débarquement s’eft fait
fur une côte expofée à des coups de vent fubits ,
qui peuvent obliger les vaiffeaux de lever l’ancre,
fans avoir mis à terre les vivres néceflaires. Pour
ce qui eft de certaines munitions, pèles, fapes,
ferpes, bifcuit & viande falée , je fuppofe qu’on
les débarque immédiatement après les troupes.
Ce fut par toutes ces précautions que Cæfar ne
perdit pas une partie de fon armée , qui étoit
débarquée en Angleterre.
J’ai déjà parlé de la manière dont on peut retirer
les vivres & les fourrages du pays voifin
du débarquement, & comment on peut les çon-
ferver ; j’en parlerai encore plus particulièrement
en traitant des occafions où il faut éviter le
combat.
J’ai traité au long des circonftances qui peuvent
rendre un camp avantageux, de la manière de le
fortifier en peu de temps &. de le défendre
contre l’attaque des ennemis. Par ce que j’ai dit
des troupes que vous mettez l,es premières en
campagne, vous pourrez ju&er fi vos premières
troupes débarquées ne pourront rien entreprendre
contre les magafins & les quartiers des ennemis.
De quel traitement il faut ufer à F égard des prifoft—
niers , & des peuples que vous foumette£ à votre
, obêijfance.
Je ne rappellerai point ici tout ce que j’ai dit
des avantages que peut tirer un général, lorfqu’au
commencement de la guerre il lçait fe faire une
réputation, tant par rapport à fa conduite , que
par rapport à la valeur & au nombre de les
troupes, & qu’il agit ,d’abord avec vigueur > fur-
tout contre une nation qui n’eft pas encore exercée
dans le métier de la guerre.
Quelques écrivains prétendent que le conquérant
doit traiter avec autant de rigueur ceux qui
fe défendent avec confiance, qu’il doit faire pa-
roîîre de bonté à l’égard de ceux qui font prompts
à fe rendre, afin que les ennemis, intimidés par
le châtiment des premiers, foient plus portés à
fuivre l’exemple des féconds.
Ces écrivains fondent leur fentiment fur ce
que dit Dion de Jules-Cæfar, dont il rapporte,
1 «qu’ayant donné au pillage Gomphos, ville de la
J Theflalie, après en avoir fait paffer les habitants
«u fil de l’épée, la capitale de cette province fe
rendit immédiatement après ; & que Cæfar l’ayant
traitée avec douceur, ces deux exemples fervî-
rent à lui foumettre plufieurs peuples ». Acomat,
général de l’armée de Soliman 11, fit aufîi paffer
au fil de l’épée la garnifon de Soclos , qui lui avoit
fait une opiniâtre réfiftance ; les garnifons des
autres châteaux en furent effrayés , & lui ouvrirent
les portes.
| Chacun fent fort bien que cette maxime eft
impie. Je ferai voir qu’elle n’eft pas même utile
m decente, excepté contre des rebelles. Je le prouverai
en traitant des révoltes, par les exemples
du maréchal de Teffé, à l’égard d’une ville de
Catalogne; du maréchal de Montluc, contre une
ville de France, l’une & l’autre foulevées, & de
Cæfar, dans la révolte des Gaulçs. Je dois même
faire obferver que l ’exemple de la ville,de Gomphos,
que j ai rapporté plus haut, arriva pendant
Ja guerre civile que fe failoient Cæfar & Pompée ,
& que les deux partis traitoient touts leurs ennemis
comme rebelles, parce que les deux chefs préten-
doient juftifier leur entreprife, fous prétexte de
maintenir la liberté de leur patrie. A l’égard de
l ’exemple d’A comat , quand tout ce que nous
fçavons de fon genie brutal & féroce ne fuffiroit
pas pour lè détruire, les exemples contraires,
meme des barbares comme lu i, feront voir combien
peu il doit être imité.
J ai prouvé que le bon traitement que vous
ferez aux prifonniers, obligera les ennemis de
traiter également les vôtres, & que vous devez
honorer dans le vaincu la valeur & la confiance,
parce qu elle releve la gloire du vainqueur. J’ai
cité à ce fujet les exemples d’Alexandre à 1 egard
de Porus, & de Paul-Emile à l’égard des Perfes.
Faifons voir a préfent , par ceux qui fuivent,
qu’indépendamment d’un même intérêt que vous
y avez, la fidélité & la valeur des ennemis ont
un droit légitime dans votre eftime & dans votre
amitié; non-feulement parce que ces vertus font
louables par elles - mêmes j mais encore parce
que 1 eftime extérieure que vous témoignerez en
faire portera vos guerriers à avoir les mêmes fen-
timents.
Soliman II ayant pris le château de Bude
trouva que Nadafti, que l’empereur Ferdinand y
avoit mis pour commander, y étoit enfermé
pnfonnier. Soliman en ayant demandé la raifon ,
■ Allsmands. de la garnifon répondirent que
mdafti les ayant traités de lâches & d’infidèles
parce qu’ils le preffoient de capituler, ils l’avoient
eux-memes mis en prifon, pour pouvoir plutôt fe
rendre. Soliman ayant admiré la fidélité & la bra-
voure de Nadafti, le combla de louanges & de
prefents, le mit en liberté , & condamna à mort
touts ceux qui avoient eu part à fon emprifonne-
ment.. 1 _
Anadène Barberouffe punit les habitants de
àciati, 9 4 pour fe rendre à lui, avoient fait mourir
Jerome mem-e ,- qui détendent cette île avec beaucoup.
de confiance.
Don Garcia Gomès Carillo , gouverneur de
Xérès , étant refté feul à la défenfe de cette
place , fe mit à difputer aux Maures un morceau
de brèche. Alhamar, roi de Grenade , ayant remarqué
cette aélion, défendit aux affiégeants de
le bleffer, & leur envoya ordre de le prendre eu
vie; ce qui ayant été exécuté, Alhamar le fit
guérir avec beaucoup de foin de fes bleffures precedentes
, le mit en liberté, &. le renvoya à don
Alphonfe le Sage, comme un prodige de valeur &
de confiance.
Le roi don Alphonfe X I , afliégeant Algecire, un
Maure fortit de cette place, fous prétexte de parler
au roi, mais en effet pour le tuer. Son deffein
ayant été découvert par les armes qu’il portoit,
il ccnfeffa avec intrépidité que fes concitoyens
fe trouvant réduits à mourir de faim, il avoit
pris Ja refolution de les délivrer aux dépens de
fa propre vie', en donnant la mort au roi. Don
Alphonfe , charme de la valeur avec laquelle ce
guerrier fe facrifioit pour le bien de fa patrie, lui
donna la liberté , &. le recommanda à fon roi
Maure en Afrique.
Louis X I I , roi de France, & don Ferdinand-le-
Catho-lique, fon ancien compétiteur, s’étant rencontres
a Gènes , le premier , accompagné de
d’-Aybigny fon général, & le fécond, du grand
capitaine Gonzale Fernaadès de Cordoue, le roi
très chrétien alla manger chez ce grand capitaine ,
à qui il fit préfent d’ime chaîne d’or , & qu’il lui
au cou en fe mettant à table. D ’un autre
côté, le roi catholique fut vifiter d’Aubigny, qui
alors étoit malade, & lui fit don du comté de
Venafre. Ces deux généreux princes firent voir
dans cette occafion combien on doit eftimer le
véritable mérite, même dans fes ennemis.
Si vous u fez d’un bon traitement à l’égard
de ceux qui s’oppofent le plus opiniâtrement a
vos conquêtes , vous n’aurez pas de peine à accorder
un traitement favorable aux autres qui
fe^ feront fournis, & q u i, fur la réputation de votre
clémence , porteront les peuples ou les troupes à
faire moins de réfiftance ; au lieu que le bruit de
la rigueur que vous auriez exercée contre les
premiers, les rendroient plus obftinés à fe défendre.
Guftaye Adolphe, roi de Suède, commençant
fes conquêtes par l’île de Rugen , par les villes de
Wogalflô & de Wolin, & par les ports de Pene-
mund , de Surein & de Divenans, donna ordre de
ne faire nulle forte^ d’injure à aucun des habitants ,
& de diftribuer même du pain aux plus pauvres.
Il fçavoit, ajoute le continuateur de Forefti, que
pour fe rendre maître des places , la clémence ne
vaut pas moins que la force.
Soliman , beglierbi de la Çarie , général de
l’armée de Soliman I I , ayant pris la place d’Ad en,
ordonna de ne faire aucun mauvais traitement aux
x V v v v ij