
l'ennemi leur faffe > les habitants fe délivreront de
cette crainte en payant.
( Cette méthode eft excellente, mais elle eft
plus facile à exécuter dans un pays coupé que dans
un pays de plaine : elle y demande infiniment plus
de précaution ; parce que les détachements ne
peu vent pas s’y cacher fi aifément. ).
Un gros corps en -exécution embraffe peu de
pays ôc met le trouble par-tout-où il fe trouve.
Les habitants cachent leurs effets , leurs ~beftiaux ,
ôc dans cet état on en tire peu de chofe , parce
qu’ils Tentent bien qu’on ne fçauroit demeurer
longtemps, qu’ils efpèrent du fecours, ôc qu’ils
vont eux-mêmes le chercher : ce qui fouvent eft
caufe que ces corps font obligés de fe retirer à la
hâte , fans avoir fait autre chofe que d’y laiffer
du monde ; ou lorfque les affaires vont au mieux ,
celui qui commande ce détachement, foit par
crainte , prudence ou intérêt propre, fait une com-
pofition avec les habitants , & revient avec des
troupes haraffées & en mauvais état , quelques
vivres & peu d’argent. Voilà le fuccès qu’a ordinairement
cette façon de faire contribuer ; au
lieu que celle que je propofe vient tout à bien
d’elle-même.
Il ne faut faire payer que tant par mois; les
habitants s’entr’aideront ôc pourront fournir d’autant
plus aifément qu’ils ne feront pas troublés par
la crainte ôc la préfence des troupes, qu’ils ont
du ^emps devant eux , & qu’ils ne peuvent éviter
d’être brûlés s’ils ne fatisfont. Enfin , on embraffe
un pays immenfe , les plus éloignés vendent leurs
denrées pour apporter de l’argent , Ôc les plus
près apportent d^s vivres.
Il faut que ces partis jouent bien de malheur,
ou que ceux qui les conduifent ne fçachent pas
leur métier, pour être découverts ; car avec vingt-
cinq à trente hommes de pied on peut traverler
un royaume fans être pris, & lorfqu’ils font découverts
ils cheminent. ( Ave c un détachement
de gens à pied il doit être fort difficile de traverfer
tout un royaume , fuppofé même qu’il foit fourré
partout, ôc que le commandant connoiffe touts les
chemins & fentiers ; parce qu’il ne peut pas marcher
fi vite qu’il ne foit poffible de lui couper
le chemin. ). On ne les fuivra pas bien loin ? fur-
tout la nuit, parce qu’on craindra de tomber dans
des embufcades , comme cela pourroit arriver ,
fur - tout fi plufieurs partis fçavent s’accorder ôc
convenir entre eux de certains rendez - vous ou
ils pourront fe rencontrer en tel temps, en cas .
qu’ils fuffent découverts ôc pourfuivis. ( Rêveries
du maréchal de Saxe, Liv. 111.
§ v i "
Des différentes efpèces de contributions.
On entend généralement par contribution, toute
taxe ou levée .faite par l’autorité publique ; ce
i mot eft cependant plus particulièrement confacré
i à défigner le tribut qu’un pays paye a une armée
ennemie , afin de 1e garantir du pillage Ôc de
la dévaluation.
On diftingue trois efpèces de contributions. Les
contributions en nature , les, contributions en cor-
1 v é e s , ôc les contributions en argent. Les contributions
en nature confiftent en grainsfourrages ,
viande , bois , logement de troupes , en meubles
ôc uftenfiles à l’ulage de l’armée. Sous le nom de
»contributions en corvées > on comprend les charrois
ôc les pionniers. -
Autrefois la -vîâroire -enrichiffoit le vainqueur ;
aujourd’hui le vi&orieux ôc le vaincu -font à la
fin .de la campagne prefque également ruinés. Il
femble qu’on a oublié que la guerre devoit nourrir
la guerre ; & que le grand art confifte à faire fup-
porter à fon ennemi les frais énormes que les
grandes armées entraînent après elles ; comme
militaires nous déplorons l’oubli de ce principe ,
mais comme citoyens nous nous en réjouiffons
il ouvrira quelque, jpur les yeux des potentats ;
mais jufqu’à ce moment fi defiré par touts les
coeurs humains, ôc par touts les bons efprits , on
ne pourra trop répéter au général d’armée, qu’il
doit nourrir la guerre par la guerre, ôc pour cela
fe procurer une théorie fûre ôc facile fur les contributions.
§ . i i .
Une armée vi&orieufe a-t-elle le droit d'impofer des
, contributions ?
Si j’ai le droit de tuer mon ennemi, de dé-
vafter fes poffeffionsôcmême de l’en dépouiller,
à plus forte raifon ai-je celui d’exiger qu’il m’abandonne
une partie de fes revenus. 'Tel eft.
l’efprit modéré des contributions. Cette modération
inconnue dans les premiers fiècles du monde >
eft un des bienfaits' de la civilifation 6c des lumières
: elle fdbftitue au meurtre commis de fang
froid , aux incendies préméditées & à toutes les
horreurs du pillage , une coutume plus avanta-
geufe au vainqueur ôc au vaincu. Les contribu-
■ tions font heureufes pour le vainqueur ; par elles
la force de fon ennemi eft diminuée ôc la Tienne
accrue ; elles font heureufes pour le vaincu : par
elles fa femme ôc fes enfans font à l’abri de l’op-
preflion ; fes biens font garantis du pillage, & fes
maifons préfervées de l’incendie. Le peuple qui
paye des contributions à un ennemi, armé ,• doit,
comme celui qui paye volontairement des impôts
à un prince légitime , jouir de Tes biens ôc de fa
liberté.
§• n i -
Des règles qu'une armée doit fuivre dans Vimpofi*
tion des contributions ?
Le général qui foumettroit aux mêmes impofitions
le pays' que fon maître .devroit conferver
à la paix , ôc celui où fon armée ne pourroit faire
qu’une incifrfion momentanée , mériteroit d’être
taxé d’ignorance ; il en feroit de même du général
qtii feroit contribuer fur le même pied le
pays où l’armée devroit féjourner longtemps, &
celui qu’elle ne devroit que traverfer ; celui que
l’ennemi pourroit dévafter bu traverfer, ôc celui
■ dans lequel il ne pourroit pénétrer ni en corps,
•ni avec des partis détachés.
Un pays fournis à des contributions exorbitantes
'cherche par cela feul qu’il eft furchargé , àfecouer
le joug ôc à retourner fous la domination de fon
premier maître ; il y eft encore déterminé par
les moyens violents dont on eft forcé de fe fervir
pour l’obliger à payer les contributions ; ces moyens
aliènent pour toujours Tefprit ôt le coeur de touts
les habitants, ôc en font des ennemis d’autant plus
dangereux qu’ils ofent moins le paroître. Ces contributions
exceflives rentrent d’ailleurs dans la claffe
des impôts exorbitants , comme eu x , pour- un
fecours paffager qu’elles offrent, elles produifent
le mal confiant d’épuifer pour la fuite, une fource
féconde de fubfides annuels ; comme eux , elles
découragent totalement l’habitant de la campagné,
ôc fi elles font portées affez haut pour l’obliger
à fe défaire du grain deftiné à fes femences, ou
des inftruments du labourage , elles le déterminent
à offrir ôc porter ailleurs des bras, dont on auroit
pu foi-même tirer un parti infiniment avantageux ;
en un mot, impofer des contributions trop fortes
fur le pays que l’on veut conferver , c’eft ravager
fon propre bien : aïnfi parloit Alexandre à fes
foldats ; ainfi s’expliquent Sénecque , Cicéron , «
Polibe , Titelive , Grotius , ÔCc. Le prince qui exige
des contributions exceflives , reffemble parfaitement
à l’infenfé poffeffeur de la poule aux oeufs d’or ;
ou, fuivant l’expreflïon de M. de Montefquieu ,
aux fauvages de la Louifiane , qui , pour avoir le
fruit, coupent l’arbre au pied.
Il faut donc ménager un pays qu’on defire conferver
à la paix : cette modération a pourtant fes
bornes : elle ne doit jam a is, fur-tout pendant la
durée de la guerre , aller jufqu’à difpenfer la contrée
nouvellement conquife , de fournir un contingent
proportionné à fes richeffes ôc à la fertilité
de fon fol ; c e la , afin que le vainqueur ne defire
plus la condition du v a in cu , ÔC qu’il ne fe dégoûte
pas du fervice d’un p rin c e , capable de préférer
d e nouveaux fujets à ceux qui lui o n t procuré fes
conquêtes.
Dans le pays où vous ne voudrez faire qu’une
incurfion paffagère vous ne ferez pas tenu aux
mêmes ménagements ; vous en tirerez le plus de
contributions que vous pourrez, tant pour diminuer
vos propres dépenfes , que pour mettre cette contrée
dans l’impofiibilité de fecourir l’ennemi. Un
dixième des richeffes ne feroit dans cette circonfance,
ni affe^ confidèrable ni fu f ffin t, dit M. de Turpin
de Criffé. On ne demandera pas néanmoins, dès
le premier moment, dés contributions trop fortes,
on pourroit jetter les habitants dans le défefpoir ;
il eft prudent ÔC adroit de n’en exiger d’abord que
de petites, fe réfervant la faculté de renouveller
fouvent la même demande ; ainfi on obtient autant,
fans avoir l’air de vexer un pays , ôc fans s’expofer
à de rudes repréfailles. Les petites contributions que
les habitants auront fournies, feront pour eux une
raifon d’en payer de nouvelles , foit parce quils
ne voudront pas perdre le fruit des premières ,
foit parce qu’ils croiront que celles qu’ils vont payer
feront les dernières. M. de Santa-Cruz, qui nous
a fourni l’idée de cette dernière maxime , l’appuie
par l’exemple fuivant: a Flavius-Jofeph , gouverneur
des deux Galilées, offrit à ceux de Tibériade
de leur pardonner leur révolte , pourvu qu’ils lui
envoyaffent des députés pour lui faire fatisfaftion.
Ayant reçu dix députés , il les retint, ôc demanda
cinquante fénateurs des plus confidérables, pour
lui engager leur parole , il les retint aufli ; ôc fous
divers autres prétextes , il demanda jufqu’a deux
mille habitants de cette ville , Ôc touts les fénateurs
, qui étoient au nombre de fix cents. Alors
Jofeph le trouva maître d’entrer dans la place,
de difpofer de tout à fon gré ôc de s’y faire obéir. ».
M. le marquis de Feuquieres va plus loin encore
; il veut que toutes les efpèces de contributions
foient exigées fous des prétextes fpécieux.
Cet aufeur juftement célèbre , connoiffoit les
hommes, il fçavoit qu’on leur fait tout entreprendre
avec plaifir ; ou fupporter fans murmure quand
on emploie un peu d’art Ôc des prétextes plaufibles ;
qu’on gagne toujours à raîfonner avec e u x , ôc à
. leur faire croire qu’on s’intéreffe à leur fort. Les
contributions en bled feront donc, dit-il, exigées
comme par forme de reconnoiffance, pour la tranquillité
dont le pays a joui. Pour les avoines ÔC
fourrages, on emploîra, outre ces memes prétextes,
celui du bon ordre , qui confomme infiniment
moins que la permiffion de fourrager, accordée
à l’officier ôc au cavalier. Enfin, le prétexte des
contributions en viande doit être celui de la discipline
, difficile à conferver lorfque l’armée
manque de cette denrée.
Quelques lumineux que foient ces préceptes,
on le fent aifément, il ne font qu’indiquer la né-
ceffité des prétextes.
La contrée dans laquelle on doit féjourner ,
prendre des quartiers ou repaffer , doit, jufqu’à
l’inftant où on la quitte pour la dernière fois,
être mife au rang des pays qu’on veut_ conferver
à la paix ; ÔC lès contrées qu’on doit toujours avoir
en avant de foi ou fur fes ailes, ôc que l’ennemi
peut faire contribuer à fon profit , doivent être
placées dans la claffe de celles qu’on ne doit point
ménager.
§. I V .
Manière d'alléger le poids des contributions. ‘
Mais ce ne font pas toujours les fommes impofées,
N i )