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auffi toujours quelque berger ou quelque paÿfan
qui vient donner avis aux tours de l’incurfion
des ennemis.
M. D e ville , dans fes inftruftions aux gouverneurs
des places frontières , pour délivrer le pays
des courfes des ennemis, leur donna les aver-
tiffements fuivants ; mais comme cet écrivain
s’étend peu fur cette matière , Tans donner aux
règles qu’il propofe les exceptions neceffaires,
1 j'ajouterai mes réflexions à ce qu’il enfeigne à ce
fujet. ~ mi
Que les détachements des garnirons , dit U eviile,
aillent en droiture fe mettre en embufcade fur le
chemin de la retraite des partis' ennemis.
afin que les uns & les autres courent fur les partis
ennemis ; f i vos détachements 6* vos habitants armés
font moins forts, ils fuivront de loin les partis ennemis
Il eft à fuppofer que Deville n’entend parler
que dans le cas où les détachements qui font
trop éloignés ne fçauroient arriver affez tôt pour
empêcher que les partis ennemis n’enlèvent les
troupeaux de la campagne , ne pillent les villages ,
n’attaquent un convoi, ou ne brûlent les moulons ; :
car autrement, prefque tout le dommage qu’ils
pourroient caufer feroit déjà fait. D ailleurs, il n eft
pas aifé de fçavoir par quelle route les ennemis fe
retireront, parce que des partilans marchent par
le bon &. le mauvais chemin ; ils portent de petits
ponts de toile pour faire paffer à leur infanterie
les rivières peu larges ; leur cavalerie les trayerfe
à la nage , quand le courant n’eft pas trop rapide ,
& que les bords font acceffibles pour y entrer &
en fortir ; enfin il n’y a point de partifan affez
fot pour fe retirer par le même chemin qu’il eft
entré. ’ .
Il peut cependant arriver que vos places loient
tellement fituées , vos villages fi forts , & vos
rivières fi rapides & fi profondes, que vos parti-
fans n’ayent qu’une ou deux routes a tenir dans
leur retraite. En ce cas, comme auffi dans celui où
il n’eft pas poffible d’empêcher les premiers coups
de main , le confeil de M. D eville n’a aucun inconvénient,
en quoi il feroit encore plus aife a
l’exécuter, lorfque fur ces rivières, qui ne font pas
guéabîes , vous avez des barques & des ponts qui
vous abrègent le chemin, ou lorfque, maître de
la mer , vous avez des bâtiments qui, en traver-
fant par le milieu d’une rade, peuvent porter des
troupes dans l'endroit où les ennemis ne fçauroient
fe rendre que par un demi-cercle que fait la cote,
principalement fi vous traverfez cette rade de
nuit, pour dreffer une embufcade aux ennemis ,
fans qu’ils en ayent connoiffance. On trouve ces
mêmes avertiflements dans le Commentaire Polior-
cetique d’Æneas le taâicien.
Deville propofe de cacher l’infanterie a l’entree
des bois, & la cavalerie à la fortie. Comme il ne
^’explique pas affez fur ce point, je renvoyé a
mon Traité des Embufcades.
S'il y a , ajoute Deville, une grande difiance entre
une place & Vautre , mettes dans les lieux de défenfe ,
qui fe trouvent entre deux , quelques détachements de
cavalerie ou de dragons, & arme^ toufs les habitants,
, jufqu’à ce qu’ils tombent dans votre embufcade,
afin de les attaquer en queue , tandis que vos troupes
de votre embufcade les chargeront de front & eh flanc»
Deville veut encore que les habitants des petits
lieux ouverts fe retirent dans des villes fermées.
Enfin je vous conleille de tâcher par avance de
fcavoir, par vos efpions, le nombre des foldats du
parti que les ennemis détachent de leur camp ou de
leur place , & pour quelle entreprife le détachement fe
fa i t , parce que fur cet avis anticipe on a le temps
d’affembler les troupes nèceffaires pour aller a la rencontre
de ce parti, & l’attendre dans le pofie qui vous
parottra le plus favorable. ^
Le conieil eft fort utile j mais il n eft pas aifé
de pouvoir être prévenu par les efpions du def-
fein des ennemis , parce qu’ordinairement le general
ne donne l’ordre que de bouche, & tete-a-tete,
à celui qui doit commander le parti. On peut
pourtant réuflir quelquefois à penetrer ce fecret,
lorfqu’on a auprès du général une perfonne avec
qui on eft en intelligence. Voye{ fur ce point le
Traité des Efpions.
Rien ne fert davantage, contre les embufcades
des petits partis & des payfans ennemis que de
couper les arbres, de brûler les brouffailles, &
d’abattre les édifices abandonnés, qui fe trouvent
à droite & à gauche, à la portée du fufil, des chemins
les plus fréquentés. |
Avant que les étrangers commencent avenir pour
quelque grande foire, jufqu’a ce que la foire finiffe ,
& qu’ils fe foient touts retirés, mettez en mouvement
plufieurs patrouilles de cavalerie, qui battent
les chemins & empêchent les vols. C eft ainfi que je
le vois a&uellement pratiqué dans le Piémont pendant
la foire d’Alexandrie. S i , à l’occafion d’une
foire, d’une fê te , ou pour quelques-autres motifs,^
il doit y avoir quelque concours de peuples fi
près de la frontière , qu’il y ait à craindre quelque
embufcade ou quelque incurfion des ennemis, il
faut que vos patrouilles, outre les chemins, battent
les bois, les vallons & les ravins ; poftez auffi
d’autres plus gros détachements pour accourir où
l’on apprend que les ennemis paroiffent ; tâchez
d’établir, avec le commandant de la frontière ennemie
, que de part & d’autre on fera pendre touts
les partifans qu’on pourra arrêter, quand on les
trouvera fans un chef qui ait fon brevet d’officier,
ou un ordre par écrit ; de cette forte on évitera les
v o ls , les homicides, & les cruautés que les payfans
commettent fans aucune utilité pour leur prince,
dont ils affaffinent même les fujets, lorfqu’ils les.
rencontrent dans les lieux à l’écart ou mal peuplés.
C ’eft ainfi que, fous le nom & la liberté des parti-
fans, ils s’érigent en troupes de voleurs, & attribuent
enfuite aux ennemis les infamies & les
meurtres qu’ils font, n’y ayant point de cruauté
i qu’ils n’exercent à l’égard des officiers, des folr;
dats, des payfans, & même deTeurs concitoyens,
qui ont le malheur de tomber entre leurs mains.
C ’eft par un accord femblable à celui que je
viens de propofer, que don Antoine de la Véga,
gouverneur de la Ciudad Rodrigo, & celui d’Al-
meyda, exterminèrent ceux que fur la frontière
de Portugal on appelle rateros , c’eft-à-dire, coupeurs
de bourfe, qui, dans la dernière guerre,
fous le nom de partifans, commettoient fur les
chemins toutes fortes de v o ls , de meurtres &
de brigandages.
Des quartiers. d'hiver.
Chaque général d’armée tâche d’être le dernier
à prendre fes quartiers d’h iver, parce que celui
qui tient plus longtems la campagne, peut, fans
beaucoup d’oppofition , faire quelques petites en-
treprifes, lorfque les troupes ennemies fe font
déjà féparées.
Deux chofes peuvent contribuer à fe maintenir
en campagne quelques jours de plus que les ennemis
; la, première , eft lorfque les troupes de
votre armée, nées fous un climat plus rude, ou
mieux accoutumées à fouffrir les injures de l’air,
réfiftent, fans une trop grande incommodité , au
froid , qui eft infuportable pour des ennemis élevés
dans des provinces plus tempérées, ou moins
habitués aux fouffrances de la guerre.
-La fécondé circonfiance néceffaire afin de tenir
la campagne plus longtemps que les ennemis, eft
d’avoir des fourrages pour faire fubfifter la cavalerie,
lorfqu’il ne s’en trouve plus dans les champs.
Il arrive néanmoins ordinairement que les
troupes des deux armées fouffrent également du
froid , & que les fourrages commencent à leur
manquer prefque en un même temps, vers la fin
d’oélobre. Par conféquent, à moins qu’une des
deux armées n’aye des raifons très importantes
pour fe maintenir plus de jours en campagne,
elles fe féparent comme d’un commun accord ,
& après avoir fait l’une & l’autre deux ou trois
marches, elles prennent leurs quartiers. Quelques-
autres fois les deux armées confervent leur ter-
rein, & elles détachent peu-à-peu égal nombre de
troupes dans leurs quartiers, jufqu’à ce qu’enfin
chaque corps d’armée fe fépare.
Dans ce cas, dès que vous vous trouvez inférieur
à l’armée ennemie, conduifez la vôtre fous
le canon d’une de vos places, derrière une rivière,
fur une montagne , ou dans quelque autre endroit, ;
où la fituation du terrein fupplée à la quantité de
monde, ou bien les premiers corps que vous détacherez
pour aller prendre leur quartier, régleront
leur marche à proportion de celle des troupes qui
feparent de l’armée des ennemis , afin que le
général contraire ne fe trouve pas en état de
joindre furtivement fes troupes pour vous charger
le premier avant que vous euffiez pu affembler
les vôtres.
Arrato, préteur d’Achaïe, & Taurion, gouverneur
du Péloponèfe , pour Philippe V , roi de
Macédoine, ayant renvoyé les troupes d’Achaïe
pour prendre leurs quartiers fans avoir conduit
le refte de l’armée dans quelque endroit fort dans
fon affiette, furent battus à la bataille de Chaphies
par Dorimarque & Scophas, qui commandoient
les troupes d’Etolie.
Gonzale Fernandès de Cordoue, s’étant retranché
auprès de la rivière de Garillan avec l’armée
Efpagnole, inférieure à celle des François, s’y
maintint jufqu’à ce que le marquis de Saluces,
commandant des troupes de France, s’étant laifle
fléchir aux inftances de fes officiers, eut détaché
la cavalerie à différents quartiers, afin qu’elle y
fubfiftât plus commodément. Gonzale fit alors,
avec toute la diligence poffible, jetter un pont à
quelques lieues au-deffus du camp des François.
Ayant paffé le Garillan, il enleva les quartiers
François les uns après les autres, défit le gros du
marquis de Saluces, & fe rendit maître ablolu du
royaume de Naples.
Les troupes, dans un pays extrèmemenr chaud,
ont coutume de fe retirer dans des quartiers de
rafraîchiffements, pendant les mois de juillet &
d’août. Si vos troupes font plus habituées à la
grande chaleur que celles des ennemis, vous pourrez
tenir la campagne durant ces deux mois, afin
de faire quelque entreprife en l’abfence de l’armée
ennemie ; car fi elle s’opiniâtre à refter campée,
elle fouffrira extrêmement, & fera bientôt ruinée
par les maladies.
Quand on veut tenir la campagne par des chaleurs
exceffives, on doit camper dans une expo-
fition fraîche, & dans un terrein aëré , changer
fouvent de camp, afin d’éviter l’infeftion de l'air,
& ces groffes mouches qui défolent les chevaux.
Il faut camper l ’hiver avec le front au midi, où
les montagnes garantiffent du vent du nord. On
doit choifir le penchant des collines, ou un terrein
pierreux & fabloneux , afin que les inondations,
les eaux croupiffantes & les boues n’incommodent
pas dans le camp.
On eft indifpenfablement obligé en hiver de
loger l’armée fous des baraques, & d’y enfermer
les chevaux , autrement ils périffent par le froid
& les pluies.
La principale fin des quartiers d’hiver eft de
mettre une plus grande partie de pays à couvert
des courfes des ennemis , & d’avoir un terrein
plus étendu pour la fubfiftance de vos régiments,
fans qu’il en coûte tant au prince, qui peut leur
mettre à-compte quelque chofe de ce qu’ils retirent
de leurs quartiers d’hiver où ils font. Pour
moi, je donnerois aux troupes en quartier un tiers
de plus de ce qu’il leur revient par leur p a y e ,
& j’augmenterois ou je diminuerois ce furplus à
proportion du travail qu’elles ont à faire dans les
quartiers , ou de la fatigue qu’elles ont foufferte
dans la précédente campagne.