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la patrie porteroient à l’objet effentiel de ces loix
lansquon y fût forcé; par conféquent encore, il
ne era pas neceffaire que les récompenfes y l'oient
un grand prix; quelques marques de diftinéfion
ieront luffifantes.
, I l S t ’ en effet > ce que nous avons vu dans les
républiques anciennes ; & fi Rome dérogea fou-
* ’en 3 f e,îte rè8Ie > Par lafévérité de fes peines,
c e lt quelle fortoit de l’on état naturel, & avoit
pour but d’etre conquérante , but qui devoit exiger
des conftitutions suffi étrangères à la nature de la
detpocratie, que le projet de conquête eft étranger
ou le doit etre à la république.
Qnc dans la monarchie , oh le prince a la fbu-
verame puiffance , qu’il exerce félon des loix
établies J il faudra aufli que la iifçïptinc ait fes loix.
Mais comme dans cette efpèce de gouvernement
les iujets n’ont pas tant de motifs perfonnels.que
les citoyens des républiques qui les portent à la
con ervation de 1 état ; qu’ils font Amplement unis
par le ientiment de l’honneur, qui peut varier ;
il taudra que les peines y foient plus févères, &
que les recompenfes y confident non-feulement
dans des marques de diftinflion comme dans les
républiques , mais encore qu’elles y foient lucra-
tiv e s , lur-tout à caufe du luxe qui, tout vice destructeur
qu’il eft des états, n’en eft pas moins auffi
nnf*e! tenons de ce gouvernement.
Enfin, parce que dans le defpotifme où le prince
gouverne par fes volontés ou fon caprice, où il faut ,
pour la tranquillité de l’état, que la'crainte abatte
touts les courages, (car des gens capables de s’efti-
mer beaucoup feroient en état d’y faire des révolutions),
il ne faut point de loix il ne faut point de
recompenfes , il ne faut que de la terreur.
3 . Que la difcipline fe rapporte aux manières *
v* aux moeurs de la nation.
Plufieurs chofes, dit M. de Montefquieu , gouvernent
les hommes ; Je climat, la religion, les
"?1X> maximes du gouvernement, les exemples
,?sx’ <:“®fes payées les moeurs , les manières ;
■ forme un efprit général qui en réfulte.
A mefure que dans chaque nation une de ces
caules agit avec plus de force , les autres lui cèdent ;
d autant. La nature & le climat dominent prefque ;
euls fur les fauvages ; les manières gouvernent les j
finnois ; les loix tyrannifent k Japon ; les moeurs !
donnoient autrefois le ton à Lacédémone ; les
maximes du gouvernement , & les moeurs anciennes
le donnoient dans Rome.
S il y avoit dans le monde, continue le même
auteur , une nation qui eût une humeur fociable ,
une ouverture de coeur ^ une joie dans la vie , un
%out une^ facilité à co'mmuniquer fes penfées ,
qui fut vive, agréable, enjouée, quelquefois imprudente
, fouvent indifcrète, & qui eût avec cela
ou courage , de la générofité, de la franchife ,
un certain point d’honneur, il ne faudroit point
chercher à gêner par des loix fes manières, pour
fie point gâter fes vertus^
D §§j
C e ft au légiflateur à fuivre fefprït delânatïoft^
lorfqu’il n’eft pas contraire aux principes du gouvernement
; car nous ne faifons rien mieux que
ce que nous faifons librement, & en fuivant notre
génie naturel.
Sur ce principe, dans des gouvernements de
meme naturç & ayant les mêmes principes , une
meme difçipline pourra ne pas convenir. Par
exemple, les qualités qui ont toujours diftingué
les François des autres nations de l’Europe , ne la
rendront jamais propre à recevoir leur difcipline ;
ou fi l’on y parvenoit, ce ne feroit non-feulement
pas un avantage , mais ce feroit un malheur.
il eft certain qu’on pourroit bien plier la nation
Françoife à la pefante docilité de quelques autres
nees comme-elle dans la monarchie ; qu’à force de
temps & de la décourager, on pourroit l’accoutumer
à l’ignominie des coups de bâton ; qu’on
pourroit parvenir à rendre un colonel un petit
defpote dans fon régiment; il ne faudroit pour,
cela que l’abandonner à. fes volontés , fans lui
demander compte de fes caprices ; qu’à force de
î déshonorer la nobleffe , qui eft le principe de
l’état militaire dans une n;onarchie, le defpote
J parviendrait à mettre les officiers aux fers, & à en
faire des êtres paffifs , incapables de toute autre
chofe que d’une obéiffance fervile ; enfin , qu’à
force de lui faire imiter des modèles qu’on devroit
s’attacher à lui faire braver , on poiïrroit les faire
tirer comme des Pruffiens , & exercer comme despantins.
Je fçais, dis-je, qu’on pourroit parvenir à tout#
ces objets ; mais ne feroît-ce pas détruire cette vi-
vacite a qui la nation doit la gloire dont elle
jouit depuis fes commencements dans le monde t
Rampante fous des traitements qu’elle a toujours
confédérés comme le comble de l’infamie , confer-
veroit-elle l’amour de fon état & de la patrie i
Sous l’étreinte d’un efclavage étranger , ne perdrait
elle pas ce courage enjoué , quelquefois
imprudent, fouvent indifcret , qui l’a de tout
temps portée à des avions éclatantes, à braver
les dangers, & qui les en a rendus tant de fois
triomphantes ? Qùe deviendrait cet honneur ÿ
principe général de toute monarchie ? A la vérité r
félon un iyftème, mais félon le fyftème d’un grand
homme , que deviendroit, dis-je, cet honneur
particulièrement le principe des François , quand
les âmes qu’il devroit animer feroient abattues par
des loix qui devraient, au contraire , animer leur
aâivité? M. le Baron d’Efpagnac a fait les réflexions
fuivantes dans fon fupplément aux revues de M. le
maréchal de Saxe.
Les baguettes font en France un châtiment peu
ufité , & qui n’eft employé que ppur certains
délits ; au lieu qu’on en punit les moindres fautes
dans les troupes étrangères.
| Le foldat Allemand , accoutumé aux coups de
bâton , ne feroit point fenfible à la prifon , qui eft
le châtiment des Franççis.
o jr s
S‘il éfoit eH ufage en France d’avoifuii prévôt dahs
chaque régiment, avec une prifon uniquement defti-
née pour les foldats du corps , la punition d’envoyer
un officier au prévôt n’y feroit pas plus cenfée
déshonorante que chez l’étranger. Mais comme
dans les provinces & dans les armées , les prévôts
y font chargés d’arrêter les malfaiteurs, il n’eft
pas furprenant qu’un homme qui fe pique de fen-
timents d’honneur &. de .probité foit fenfible à la
menace d’être envoyé au prévôt, &. à celle d’être
mis aux fers.
Ainfi donc, en établiffiint des loix militaires
chez quelque nation que ce foit, il faut que le
légiflateur ait egard à l’efprit du peuple pour qui il
les compofe , quand cet efprit n’eft pas contraire
aux principes du gouvernement ; qu’il fe ferve
même de quelques légers défauts qu’il peut trouver
dans cette nation , & qu’il l’enchaine par fes
propres ufages.
4®. J’ai établi ., pour la folidité de la difcipline ,
que les peines & les récompenfes fuflent relatives
entre elles , & fe rapportaflent aux allions qui les
produifent ; qu’elle prévînt plutôt les crimes,
que de prononcer des fupplices ; qu’elle infoirât
plutôt des vertus que d’infliger des peines , & c’eft
la dernière des qualités générales que j’ai cru né-
cefiaire de lui attribuer.
Parcetque des peines infligées , & des récompenfes
accordées d’une façon mal entendue , &
fans rapport au peuple dont elles font l’objet des
■> loix militaires , font néceflairement tomber la
difcipline.
Par exemple, fi dans une république ou une
monarchie, les peines y étoient auffi févères que
dans le defpotifme , -la douceur qui, à touts autres
égards, agit dans ce gouvernement, infpireroit à
ceux qui feroient chargés de l’exécution de ces
lo ix , de fe relâcher de cette févérité en bien des
cas ; ou , pour mieux dire , fa dureté difconve-
nable chez de femblables péuples , en empêcherait
totalement l’exécution.
§ § dans une armée , la maraude eft punie des
mêmes fupplices que le v o l , accompagné des cir-
çonfta;iees qui peuvent le plus aggraver ce crime,
la répugnance à faire périr un brave foldat, qui
n’envifage pas la maraude comme un vol honteux
, fera fermer les yeux fur ce crime par ceux
qui devraient le punir , & la maraude augmentera
impunément.
Si la peine de mort prononcée de nos jours
contre les déferteurs, n’a pas produit en France,
l’effet qu’on s’en étoit promis, & fi la défertion
tt’y a pas diminué, c’eft que dans ce gouvernement
il n’y- a pas aflez de rapport entre le crime & la
peine ; que l’intérêt perfonnel n’y étant pas auffi
étroitement uni à l’intérêt public que dans une
république , le crime de délertion n’y eft pas auffi
grave, & que la peine n’y doit pas être auffi fé-
vère. Que dans une monarchie , fur-tout comme
«elle de France * où l’honneur leul eft çenfé ap-
D I S 1 ï 9
peîler les fujets au fervice , & l’honneur devant
être le principe des récompenfes qu’ils peuvent
efpérer., il auroit été plus judicieux d’établir auffi
.les peines fur ce principe , & de punir la défertion
par la honte & par la flétriffùre pendant la v îe , que
par la mort.
Il ne faut point mener les hommes, dit M. de
Montefquieu , par des voies extrêmes : on doit
être ménager des moyens que la nature nous
donne pour les conduire. Qu’on examine la caufe
de touts les relâchements , on verra qu’elle vient
de l'impunité des crimes , & non de la modération
des peines : fuivons la nature qui a donné
aux hommes la honte comme leur fléau , & que
la plus grande partie de la peine foit l ’infâmie de
la louffrir.
Mais cette peine de mort que je ne regarde
pas comme judicieufement établie dans une°monarchie
, peut être confidérée comme plus équitable
dans une république , parce que cette loi
eft faite en faveur du citoyen , parce qu’elle lui
conferve la liberté , les biens & la vie à touts les
inftants ; que c’eft lui-même qui l’a prononcée
& que par conféquent il ne peut réclamer contre
elle. Ce que je dis ici ne détruit pas ce que nous
avons vu plus haut fur la nature des peines né-
ceflaires pour régir les hommes dans ce gouvernement
: je ne parle ici que de l’analogie plus ou
moins jufte entre les peines & les fautes ; ainfi
Ton voit encore que, malgré la douceur qui doit
être le principe des républiques, celle qui feroit
dans une fituation fi critique , que fa conferva-
tion dépendît d’une grande rigueur dans fa difcU
pline, feroit équitablement de les établir fur ce
principe, & alors , par les raifons que je viens
de dire, perfonne né réclamerait contre leur lé»
vérité.
Tout ce que j’ai dit des peines , peut fe dire
auffi des récompenfes q u i, en flattant l’intérêt
perfonnel qui eft la divinité çhérie de touts les
hommes , font le reffort dont un légiflateur habile
doit le plus tirer p-arti , lorfque la prudence &•
l’économie préfident à la difpenfation qu’il en
fait.
Les différentes natures & les différents principes
de gouvernement doivent être encore le premier
objet qu’on doit avoir en vue en les accordant.
Dans un gouvernement defpotique où l’on n’eft
déterminé à agir que par l’efpérance des commodités
de la vie , le prince qui récompenfe , n’a
que de l’argent à donner. Dans une monarchie
où l’honneur règne , le prince ne récompenferait
que par des diftin&ions , fi les diftinsnons que
l’honneur établit , n’étoient jointes au luxe qui
donne néceflairement des befoins : le prince y
récompenfe donc par des honneurs qui mènent
a la fortune. Mais dans une république , où la
| vertu règne , motif qui fe fuffit à lui-même , Ôç
qui exclut touts les autres , l’état ne récompenfe
que par des témoignages de cette vertu. Je rap-
D d ij '