
On charge d’an plus grand nombre de troupes
les quartiers qu’on prend dans le pays ennemi ,
foit afin que plus de régiments profitent de cet
avantage , foit parce qu’ayant épuifé ce pays
d’argent ôc de vivres, il ne puiffe pas fournir aux
ennemis d’abondants fecours.
Afin que -la contribution des quartiers dans le
pays ennemi foit plus/ confidérable , ou moins
©néreufe aux peuples qui doivent demeurer fous
votre obéiffance ; comme aufli pour couvrir une
plus grande étendue de frontière , on embtaffe le
plus de terrein que Ton peut, fans néanmoins fe
départir de la maxime effentielle, qui exige de
ne pas tellement féparer les quartiers les uns des
autres , qu’ils ne puiffent réciproquement fe fe-
courir, de la manière que je le dirai bientôt ;
chaque quartier, à proportion de fa force, doit
avoir les troupes néceffaires pour le défendre
contre un coup de main des ennemis, en attendant
que celles des autres quartiers accourent à
fon fecours ; en quoi il faut avoir égard à l’af-
fiftance que des habitants affeâionnés peuvent
donner, ou aux attes d’hoftilités que ces mêmes
habitants, irrités contre vos troupes, pourroient
exercer contre elles, pendant que les ennemis
attaquent le quartier. ’ v •
Tout quartier avancé fera compofé d’infanterie
& de cavalerie ; la première de ces deux troupes
fêrt pour défendre le quartier ; la fécondé l'ert
pour les courfes ôc pour le recouvrement des'
contributions dans le plat pay s , 6c l’une & 1 autre
pour s’accompagner ôc fe foutenir dans les differents
terreins où elles 'feront oblige de marcher
ôc de combattre.
J’avoue que je ne comprends pas pourquoi l'infanterie
, q u i, dans la guerre , eft infiniment plus
expofée à la fatigue Ôc au p é r il, ne jouit que
rarement de l’avantage des quartiers.
On charge un quartier de plus d’infanterie ou
de cavalerie, félon que le pays eft plein ou mon-
tueux, ftérile ou abondant, ou que les troupes
ennemies de cette frontière craignent davantage
l’infanterie ou la cavalerie. .
Dans les pays qui font coupés par des bois,
des montagnes, des ravins & des défilés, il feroit
à propos de donner à chaque quartier une petite
troupe de Miquelets, ou'autres payfans de cette
ëfpèce , qui connoiffent parfaitement le terrein ,
.pour fervir de guides, pour battre continuellement
la campagne, pour prendre langue., Ôc pour re-
connoître, dans la marche des troupes, les bois
des côtés ôc les ravins trop difficiles .par touts
autres batteurs d’eftrade.
J’ai v u , dans l’hiver de 170 7, une compagnie
de payfans de Benavare, fort affeâionnés pour
le roi d’Efpagne , rendre touts ces. ferviçes aux
troupes de fa majefté catholique, qui etoient en
quartier à'Graus. v :
Il faut-pourtant que le commandant du quartier
jjiye beaucoup d’atientiofi à empecher <jue ces
payfans armés ne volent pas les peuples. Afin
qu’ils fe comportent en tout avec valeur & fidelité,
on mettra à leur tête des officiers d’honneur,
& qui foient allez robuftes pour foutenir la grande
fatigue qu’il y a à fouffrir avec des payfans qui
font de continuelles ôc longues marches, la nuit,
par des fentiers Ôc dans des faifons incommodes,
afin d’exercer leur manière furtive de faire lax
guerre.
S’il y a peu d’infanterie deftinee pour les quartiers
, ceux qui feront feulement compofes de
cavalerie feront placés dans des lieux qui foient
de défenfe par eux-mêmes, parce que, comme
je l’ai déjà d it, la cavalerie n’eft pas fi bonne que
l’infanterie pour défendre un pofte ferme.
Il femble d’abord qu’il feroit à propos d’envoyer
chaque régiment dans le pays où il a ete autrefois,
parce qu’il connoît les paffages pour les courfes ,
Ôc que touts les officiers fçavent de quels payfans
& de quels lieux ils doivent fe défier,. Ôc a qui ils
peuvent fe confier : mais nous tomberions dans
un inconvénient, en ce qu’il n’y auroit pas de
l’égalité par rapport au profit Ôc au travail des
troupes, parce qu’il y a des quartiers dans des
contrées fi pauvres, dont les habitants font fi peu
affe&ionnés au fouverain , ôc dont les ennemis
en'grand nombre font fi voifins, quon y trouve
moins d’avantage & plus de fatigues que dans les
autres. D ’ailleurs les régiments qui ont beaucoup
fouffert à la campagne précédente ont befom
d’un quartier de repos, & il eft jufte que ceux qui
font délaffés , ou qui ne font, pas aguerris , foient
envoyés dans des quartiers de travail, ou on
-les exercera dans les petits combats ôc dans les
marches que l’on ne pourra éviter, pour tirer du
pays la fubfiftance néceffaire. Le milieu qu’il y
auroit à prendre feroit de donner a chaque quartier
un commandant qui connut parfaitement le
pays ôc le génie des habitants.
On affignera à chaque quartier ufi plus grand
ou un plus petit nombre de lieux, à proportion
de la richeffe ou de la mifère de ces mêmes lieux.
Si vous établiffez des quartiers dans un pays du
domaine permanent de votre prince, ayez attention
à fes privilèges, à fa fidélité * a fes ferviçes
& aux contributions qu’il eft accoutume de payer.
Les troupes du quartier, à-compte d’une partie
de ces contributions, prendront a un prix.raifon-
nable, taxé par le commandant, la viande, le
bled, le vin , les légumes, les.autres denrées qm
font lçs plus abondantes dans ce pays > '&■ qui fer*1.
viroùt pour la fubfiftance des troupes. ' • Jg?
. Par rapport à l’augmentation ou à la diminution
de la contribution du lieu ou le quartier eft établi,,
: on a égard, d’un côté , .à l’avantage que ce ’lieu
! retire par-l’argent que gagnent fes fabricants, fes
marchands, ôc touts ceux qui y vendent des
•vivres:; & de l’autre côté., à l’incommodité quii
■ fouffre à caufe du logeront - des lits , des, voitures,
"de la paille, du bçis & dç la .npvtfnture
r § P
Ique les particuliers font obligés de fournir aux'
officiers Ôc aux foldats.
Selon la richeffe & le commerce de chaque
lieu, on règle la contribution qu'il doit payer au
quartier : on lui donne un terme pour le payement
; lorfque' ce temps eft paffé , fans que la
contribution foit payée , le commandant du quartier
ménace ceux des habitants qui font en charge :
fi la menace ne fuffit pas , il les fait conftituer pri-
fonniers : fi c’eft par leur faute que vient ce retardement
, on fait vendre leurs meubles; ôc leurs
troupeaux pour le payement de la contribution,
fauf à eux d’exiger leur rembourfement des débiteurs
: fi ce n’eft pas la faute de ceux qui font en
charge, on leur donne main-forte pour enlever
les beftiaux & les meubles de ceux qui ont refufé
de payer, ôc qu’on retient en prifon julqu’à entier
payement.’
Lorfque dans le pays ennemi quelques habitants
abandonnent leurs maifons, le commandant du
quartier les menacera d’y faire mettre le feu ; ce
qu’il fera exécuter, lorfque ceux qui les ont quittées
ne feront pas retournés dans le temps prefcrit
par le ban qu’il aura fait publier à ce fujet.
S i, en vous retirant d’un quartier établi dans le
pays ennemi, quelques lieux doivent aux troupes
une partie confidérable de fa contribution, félon
la jufte répartition qui en avoit été faite, vous
pourrez emmener avec vous quelques - uns des
habitants les plus aimés , ÔC qui y ont plus
d'autorité, afin qu’à leurs inftances, ôc à celles de
leurs parents ôc de leurs.amis, ces lieux achèvent
de payer ce qu’ils doivent ; mais fi le quartier que
vous quittez eft dans le pays de votre prince, au
lieu d’enlever ces otages , vous vous adrefferez
à l’intendant ou au commandant de la province,
félon, que cette infpeétion regardera l’un ou
l ’autre.
Si les villes & les villages où vous établiffez
ces quartiers ne font pas de défenfe contre un
coup dç main des ennemis , confervez un corps
de troupes à portée de les foutenir, jufqu’à ce
qu’ils fe foient bien retranchés.
C ’eft ainfi que Cæfar établit fes quartiers dans
la Gaule , avant la révolte d’Ambiôrix & de
Cativulce, quoique le pays fût encore alors tranquille.
,
J’ai dit un peu plus haut que les quartiers doivent
être à portée de pouvoir fe foutenir les uns les
autres, 6c qu’il faut mettre en chaque quartier un
nombre fuffifant de troupes pour fe défendre, en
attendant que le fecours arrive ; mais comme les
événements inefpérés de la guerre obligent fouvent
de tirer les troupes des quartiers pour les envoyer
dans quelque autre endroit, ôc qu’il peut arriver
que le débordement d’une rivière rompe les ponts
qui étoient néceffaires pour la communication, il
eft toujours à propos que les quartiers les plus
. avancés fe ferment du moins avec dés murailles
de terre, avec une tranchée paliffadée, ou autre
Art militaire, Tom, II»
défenfe, qui puiffe les mettre à couvert d’un coup
de furprife.
Ce feroit un trop long ouvrage, de vouloir fortifier
ces lieux par dehors ; ainfi, l’on fe contente
ordinairement de fermer les embouchures des rues
qui aboutiffent à la campagne , 6c les portes 6c
les fenêtres baffes des maifons qui regardent vers
cette campagne : on tire feulement quelque angle,
qui ferve de flanc aux parties du front où les
édifices ne fe flanquent pas entre eux.
Quand le lieu eft fi grand que , même après
l’avoir fermé de la manière dont je viens de le
propofer, les troupes du quartier ne fuffiroient
pas pour le défendre, on .fe contente de fortifier
la partie la plus haute._ Pour ce travail, il faut
obferver, i ° . qu’un front regarde la campagne,
afin de pouvoir y recevoir du fecours , quand
meme les ennemis auraient pris le refte.de la
ville ; 20. que la partie fortifiée foit la plu$ haute,
afin qu?elle ne foit pas dominée des toits , des
terraffes 6c des fenêtres des maifons du dehors ,
d’où les ennemis pourroient faire feu 30. que ce
retranchement foit ifolé , afin que fi les. ennemis
brûlent les maifons voifines, le feu ne fe communique.
pas au retranchement.
On met dans ce retranchement la réferve des
munitions 6c des vivres du quartier : c’eft là aufii,
ou dans lres maifons les plus voifines, que doivent
coucher les officiers ôc les foldats, principalement
quand les habitants ne font pas affeéfionriés au
prince.
Par une femblable précaution , les régiments
d’infanterie des Afturies 6c de Navarre ne furent
point furpris à Balbaftro ; car, quoique nos ennemis
euffent, en 1707, furpris cette ville à la
faveur d’une intelligence qu’ils avoient avec quelques
habitants , ils ne purent pas y.réuflir, lorfqu’ils
voulurent le tenter contre ces deux régiments, qui
s’étoient fortifiés dans deux couvents.
Un autre avantage que l’on trouve à pratique*
ce que je confeille , eft qu’il ne faut, dans cetta
petite partie fortifiée, qu’une garde médiocre pour
mettre en fureté les équipages, les vivres, les
munitions 6c les malades du quartier , pendant
que le plus grand nombre des troupes en fera
forti pour aller au fecours d’un autre , pour leyer
les contributions, ou pour quelque autre entre-
pixfe.; • . .
L’officier Efpagnol q u i, en 1708 , commandoit
le quartier de Graus, dans le comté de Ribagorza,
s’étant fortifié dans un endrbit de ce lieu, qu’on
appelle el Mor'ul, fit évanouir le deffein que les
ennemis avoient de furprendre ce quartier, pendant
que les foldats des régiments des Afturies
ôc de Pampelune étoient allés en courfe dans le
pays ennemi.
Le commandant du quartier, en attendant que
ces ouvrages de fortifications foient finis ; qu’il
çonnoiffe les intentions Ôc les forces des habitants
} qu’il prenne , à leur égard', les précautions
D d d d d