
v ro it enrôler 3 examinons quelles font les qualités
phyfiques & morales néceiTaires au foldat.
A v an t d’entrer dans aucun détail, nous devons
faire oblerver que 11 nous avons placé ici les
qualités phyfiques avant les qualités morales, c’eft
parce qu’elles font les plus elfentielles pour tours
les hommes qui font compris dans la claffe du foldat.
U n e manière prelque affurée de fçavoir quels
fon t les hommes qu’on doit enrôler, con iifte, ce
me femble \ à examiner quelle eft la conduite
qu’ont tenue, à cet ég a rd, les peuples que leurs
conquêtes ont rendu fameux. Confiiltons donc les
moeurs & les coutumes des Romains : on ne peut
s’égarer fur^leurs traces. Les Roma ins, pendant
tout le temps qu’ils furent victorieux, n’enrôloient
que des hommes, qui „ non-feulement pouvoient
porter à l’ennemi des coups terribles, mais qui
pouvoient encore l’intimider par un regard ferme
& un ton de v o ix élevé. Ils vouloient qu’ils èuiient
Ja vue étendue, la tête droite, la poitrine la rg e ,
les bras longs & mufclés , le poignet fort , le
ventre peu é le v é , la jambe & le pied peu chargés
de chair, & qu’ils n’euffent pas befoin enfin de
balancer les mains pour marcher a vec vîteffe. T o u t
homme fans poffeffions territoriales étoit exclus
de l’honneur d’entrer dans les légions ; comme
ils n’ont point de pa trie , dit le fublime interprète
des légifia teins ; comme ils jouiffent de leur induf-
trie par-tout, ils ont peu d’intérêt au fuecès de
la guerre-; les .artiftes & les artifans , dont Part
ou le métier favorife le luxe , n’exige pas un grand
emploi de forc es, & n’expofe pas à quelques dang
e r s , étoient traités de la même manière. Les
■ e fc la v e s , les g ladiateurs, les bandits & les bannis,
étoient auffi regardés comme indignes” de fervir
la pa trie ; une fanté fo ib le , une volonté chancelante
étoient encore des motifs d’exclufion; tout
habitant d’une province nouvellement conquife
étoit regardé comme un homme fu fp e â ; il en étoit
de même de celui dont les moeurs n’étoient pas
à l’abri d’une cenfure rigoureufe; des hommes,
difoierit-ils, chargés de la défenfe des provinces
.& de l’iffue des combats, doivent exceller parmi
les autres citoyens , par leurs -moeurs, & même
par leur naiffance ; le principe qui conduit l’hon-
nête-homme à la gu e rre, l’y retient & l’y rend
viâo rieux . Jamais les armées , dont les enrollements
font v ic ie u x , n’ont d’heureux fuccès : ils
alloient plus lo in , 'ils mettoient de grandes difi-
tinéfions parmi les hommes qu’ils avoient jugés
capables de fervir la patrie. L ’habitant des villes
& celui des campagnes, celui qui a voit v é cu dans
un pays de p la in e , & celui qui avoit été élevé,
fur des montagnes hautes ou arides, n’çtoiént jamais
placés dans le même corps. C e n’eft pas tout
en c o re , l’homme reconnu capable d’être enrollé,
étoit exercé chaque jo u r , pendant quatre m o is ,
& on ne Pinfcrivoit dans les rôles militaires, qu’a-
près qu’il avoit été- jugé digne d’être fait foldat.
Quelques autres peuples de l’antiquité ont porté
j suffi loin qiie les Romains l’attention dans le choix
des foldats. Pour être convaincu de cette vérité,
on n’a qu’à parcourir L’hiftoire des principales républiques
de- la Grèce & celle des' Egyptiens,
ce peuple qui fut aulii fage qu’éclairé. Nous n’avons
jufqu’ici fixé nos regards que fur des pays
^policés; tournons-les maintenant vers les ép ailles
forêts de l’Amérique feptentrionale, & nous ver-
! rons que l’efprit qui dirigeoit les confuls romains
| anime les chefs des Sauvages. Quand la guerre
j eft déclarée entre deux hordes , & que le chef
| eft élu , les braves qui veulent aller combattre
j s’adreffçnt à lu i, & lui difent dans leur langue
| pauvre, mais énergique , je veux rifquer avec toi•
i Si celui que fon ardeur entraine a déjà donné des
preuves de valeur & de force, il eft admis avec
■ honneur ; mais celui qui n’a pas encore vu l’en-
i .nemi, eft fournis à de fortes épreuves : on efïaye
j s’il peut fupporter une longue diète &. une foi!/
ardente ; s’il peut réfifter aux ardeurs du folëil pen-
■ dant un jour brûlant, & aux rudes gelées des nuits
| les plus froides ; s’il peut endurer Sans foorciller
les fanglantes & profondes piqûures des infeéfes
• les plus dangereux ; témoigne-t-il la moindre foi-
■ bleffe ou la moindre impatiënce ? il eft déclâré
: incapable & indigne de porter les armes. Quelle
• différence n’y a-t-il point entre ces coutumes &
; celles des peuples de l’Europe ? Les hommes qu’on
| enrollé dans cette partie du monde, fi fière de fes
’ inftitutions militaires, ne font ici que des bannis
; & des transfuges; là , que des vàgàbons'& des
i libertins ; ce n’eft en un mot, prelque par-tout,
que la lie du peuple. Pourquoi , s’écrie avec-
i raifon un écrivain moderne , pourquoi deÿ hommes
qui feroient exclus de toutes les profeflions honnêtes,
feroient-ils admis dans celle où l’honneur,
doit régner? Pourquoi le plus vil de* humains„
| pourvu que fa taille paffe cinq pieds; eft-il tou*
jours jugé affez bon pour être mis au rang des
défenfeurs de l’état? N’eft-il pas aulîi déshonorant
pour les militaires., que dangereux pour les
citoyens, qu’un brigand, qu’un affaffin, puillent,
quand il leur plaît, fe revêtir d’un uniforme? Je
fçais bien; & je l’ai dcja obiervé, que toutes les
troupes de l’Europe font à peu de chofe près com-
pofées de la même manière, & que cette égalité
maintient la bajance en équilibre ; mais je fçais
bien auffi que la puiffance qui ne s’attachant point
à avoir un grand nombre de fes foldats, s’occupera
à en avoir de bons, s’enrichira pendant la
paix, fe couvrira de gloire pendant la guerre, &
finira par fubjuguér, ou au moins maîtrifer fes
-voifins. Je ne prétends pas être animé d’un efprit
prophétique, je dis feulement ce, que les évènements
paffés m’ont appris : je me contente de
montrer les vérités que l’hifcoire a développées
devant moi.
Puifque nous fçavons quels font les hommes
que nous devons enroller, cherchons quelle eft
la manière dont nous devons le faire,
I n
E N R
§. n i .
Quelle ejl la meilleure efpèce ^’enrollement.
Il y a deux efpèces d’enrollements j les enrolle- ;
ments volontaires & les enrollements forcés. Sous
quelque afpeél qu’on envilage les enrollements, on
eft obligé de convenir que ceux qui font volontaires
méritent d’obtenir la préférence, parce qu’ils
doivent produire les meilleurs foldats. L ’homme
qui £ enrolle volontairement a prefque toujours reconnu
qu’il pofsède les qualités propres au métier
qu’il embraffe; tandis que celui que la p re fle , le
fort ou le choix du prince revêtent d’un uniforme ,
peut fouvent en être totalement dépourvu, ou
n e n avoir que les apparences; à cette première
raifon , nous pourrions en joindre quelques autres
confignées dans le foldat citoyen y dans l’examen
critique du militaire françois, &. dans Y efprit militaire
; mais celle-là nous paroît déciftve ; n’eft-il
pas d’ailleurs des états dont la conftitution fondamentale
eft t e lle , qu’un péril imminent peut
feul y permettre à l’autorité fuprême de forcer
un c itoyen à devenir foldat. Mais quel parti
prendra-t-on $ quand les enrollements volontaires
n e pourront point fournir un affez grand nombre
d ’hommes pour completter les armées pendant la
g u e r re , &. les entretenir pendant la paix? alors
on obéira à la loi fuprême, à la néceffité. N e
croyons pas cependant trop légèrement à l’infuffi-
fance des enrollements volontaires ; fi nous nous
réfolvions à faire ufage de quelques moyens propres
à améliorer notre .conftitution, les enrollements
libres produiroient fans doute touts les
hommes que les circonftances nous rendroient
néceffaires,
§• i v .
Moyens faits pour rendre les enrollements volontaires
fufjifants.
Pour que les enrollements volontaires fuffifent
pendant la paix & pendant la gu e rre, il faut recourir
aux moyens fuivants : nous nous bornerons
ici à indiquer ces m o y en s, & nous négligerons
d’en prouver la b o n té , foit parce qu’elle
eft démontrée dans d’autres endroits de cet ouvrage
, ou foit parce que les détails dans lefquels
nous ferions obligés d’entrer feroient faftidieux
pour ceux de nos le&eurs qui connoiffent déjà
les bons ouvrages militaires, & inutiles pour ceux
qui n’ont pas encore*formé leur jugement en les
lifant avec réflexion.
Voulez-vous rendre les enrollements volontaires
fuffifants, réduifez la force de chaque armée au
point où elle étoit au commencement du ftècle
de Louis X IV ; les avantages de cette diminu- :
tion font prouvés dans touts les écrits modernes. !
,Choififfez bien les hommes de rec rue, ainfi les I
A f t militaire. Tome 1I%
maladies & la défertion en confumeront un nombre
peu confidérable. ( Voyeç le paragraphe I I de cet
article. ). Défendez a v e c foin toutes les fuperche-
ries que les recruteurs fe permettent ; elles infpi-
rent à la nation entière une défiance funefte ;
n’entaffez pas toutes v o s troupes dans les villes
frontières ; répandez - les dans l’intérieur du
royaume ; portez à dix ans la durée des engagements.
( Voye^ E n g a g e m e n t . ). N e
négligez rien pour fâvorifer les rengagements.
( Voyeg R engagement . ) . N e changez jamais
l’état du foldat de mieux en mal ; tenez-lui toutes
les promeffes que vous lui aurez faites ; ne le tourmentez
pas par des innovations inutiles ; rendez
fon état phyfique auffi heureux qu’il eft poffible
qu’il le foit ; nourriffez-le abondamment, logez-le
commod ément, vétiffez-le b ien , donnez-lui de
tendres foins quand il eft malade ; & la nation
v o y an t que le foldat eft heureux, courra au-devant
des perfonnes chargées des enrollements. Prodiguez
fon fang & fes forces dans les occafions d é c ifiv e s ,
mais foy ez-en économe , avare même , dans touts
les autres inftants. N e menez à la guerre que ceux
que vous aurez rendu robuftes & adroits ; en un
m o t , que ceux dont vous aurez fait de vrais foldats.
E le v e z l’ame de chacun d’eux ; accoutumez-
les à eftimer leur profeffion &. à fe croire ennoblis
par elle ; vous y réuffirez en leur donnant toute la
-confidération qu’ils doivent naturellement avoir
dans un pa ys entouré d’ennemis puiffants ; qu’une
difcipline exaéte , fans être minutieufe ; ferme , fans
être cruelle ; & fé v è r e , fans être flétriffante, règle
leur conduite & les force à avoir des moeurs ;
établiffez dans vos régiments quelques, écoles où
vos foldats acquièrent les connoiflances les plus
néceffaires aux citoyens de leur condition ; veillez
à ce qu’ils n’oublient pas les métiers dans lefquels
ils ont été élevés ; enfeignez-leur vous-même des
moyens d’être utiles à eux & à l’état , & vous
verrez les pères venir vous offrir leurs enfants,
& briguer pour eux les places que les morts ou
les retraites auront fait vaquer. ( Voyez Écoles
dans les régiments.). A ffu rez-leur des récom-
penfes p roportionnées à leurs fervices ; qu’ils foient
certains d’avoir des retraites affez confidérables
pour que leurs derniers jours foient heureux; &
ils relieront dans la carrière militaire auffi longtemps
qu’ils le pourront. N e donnez jamais aucun
congé de grâce, ou n’en donnez au moins qu’un nombre
infinimeiît petit. ( Voye% C ongé de g râ c e . ) .
Donnez beaucoup de congés limités, toutes les
fois que les circonftances le permettront. ( Voyeç
C ongé l im i t é . ). Diminuez le luxe des domefti-
q u e s, & empêchez fur-tout que la livrée ne cou vre
les hommes les plus propres à l’éiat militaire ;
diminuez autant que vous le pourrez le nombre
des artiftes & des artifans inutiles ; réformez une
partie de cette armée deftinée à empêcher la contrebande
& la fraude; fermez la porte aux émigra
tion s, foit vers l’étranger, foit vers v o s coio-
K k