
quelque peu de pays qu’elle a réuni à fes états
depuis deux cents ans , a .augmenté fes armées au
moins de deux cents mille hommes. L’Efpagne
femblable à un nuage qui difparoît à mefure qu'il
s’étend, s’eft affoiblie en s’aggrandiflant, & n’a
jamais eu moins de force que quand elle a pof-
fédé plus de pays, parce que, la Sicile, Milan ,
la Flandre & les Indes, font des pays fi éloignés
de fa monarchie, mais même entre eux, que les
troupes de l’un ne peuvent pas foutenir la guerre
de l’autre; & comment garnir les frontières de
tant de provinces différentes, bornées de touts
côtés ou par la mer, ou par des états étrangers ?
Les îles qui ne font pas extrêmement éloignées
des états d’un prince maître de la mer, peuvent
être regardées comme unies à fon royaume, parce
que les vaifieaux lui fervent de pont de communication.
.
Je prouverai clairement peu après qu’il faut
donner des bornes à fes conquêtes, quoiqu’elles
ne foient pas féparées les unes des autres. Je dirai
ce qu’il eft à-propos de faire , lorfque, par les
occurrences favorables de la guerre, vous avez
conquis un pays plus vafte que vous ne pouvez,
conferver, & par quel art on peut fe maintenir
dans des conquêtes que l’on ne lçauroit garder par
la force.
Des précautions à prendre pour que les ennemis ne
connoijfent pas par quel endroit vous voule£ entrer
dans leur pays.
Ayant réfolu de faire la guerre, & ayant déterminé
par. quel endroit vous voulez entrer dans
le pays ennemi, il refte à parler des expédients à
prendre, pour qu’à la rupture de la paix les ennemis
ne foient pas auffitôt préparés à la défenfe, que
le fera votre armée pour faire quelque conquête,
-ou afin que s’ils ,ont compris que. vous ayez
deffein de leur déclarer la guerre, ils ne puiflent
pas connoître par quel endroit, vous prétendez
commencer. J’ai déjà traité du premier de ces
points; il ne me refte donc qu’à parler du fécond
comme il à beaucoup de rapport aux
'règles -que j’ai données touchant le fecret & les
précautions à prendre afin qu’on ne pénètre pas
"vos deffeins, je renvoyé Je leéleur à ce que j’en
ai dit en traitant des qualités d’un général & des
efpions.
. Si l’on vient à découvrir le deffein que vous
avez d’entrer dans le pays ennemi,.làifiez courir
le bruit que c’eft par une , autre frontière que
celle que vous avez réellement intention d’attaquer.
Pour ne pas démentir ce bruit, raffemblez.
vos troupes, Si faites vos magafins :dans des endroits
qui-rendent ce bruit plus vraifemblable ;
mais d’où, pourtant vous unifiiez, en peu de temps
& à peu de frais, les faire tranfpprter aux lieux
où ils vous feront néceffaires, en quoi vous réaf-
firez plus àifément fi ce tranfport fe peut faire
par mer ou par des rivières navigables.
Le meilleur moyen de tromper les ennemis s
eft de commencer par tromper vos propres généraux.
J’ai déjà dit par quel expédient vous
pourrez éviter qu’ils ne fe formalifent de votre
artifice, ce que j’ai prouvé par un exemple de
l’archiduc Albert. On peut auffi jeter dans l’er--
reur les ennemis-, par les avis que leur donnent
leurs efpions doubles, leurs prifonniers & vos
faux déferteurs..
Quelquefois la vérité même peut fervir à faire
prendre le change aux ennemis , en publiant ouvertement
par quel endroit vous avez réellement
deffein d’entrer dans leur pays.
Le roi de France ayant demandé an marquis
Ambroife Spinola quelles expéditions il préten-
doit faire la campagne prochaine , Spinola lui
découvrit naturellement tout ce qu’il projettoit.
Le roi ayant cru qu’il penfoit le contraire, prit
des mefures toutes oppofées; ce qui fit que Spinola
réufîit plus àifément dans fon projet. Je ne
me fouviens pas précifément dans quel écrivain
j’ai lu ce fait ; mais je fçais que c’eft dans un
bon hiftorien. Je me rappelle en particulier que
; la réponfe d.e Spinola fu t , que de deux places
! qu’il nomma il en afliégeroit une Sc ferpit le
blocus de l’autre, & que le roi de France, s’é-
j tant perfuadé le contraire, garnit de beaucoup
de vivres la* première , & de beaucoup de
troupes & de munitions la fécondé.
Un chemin rude & difficile, & qui paroît
peu. commode pour la marche de votre armée,
eft ordinairement mal gardé. Il vous en coûtera
bien moins de monde à furmonter les obftacles
du terrein, qu’à vaincre la réfiftance d’une. armée
dans un défilé : c’eft ce que j’ai prouvé par
les exemples de François. Ier, roi de France, de
Germanicus & de Cæfar. "
Jofaphat, roi de Juda ; Joran , roi d’Ifraël, &
le roi d’Idumée , fe préparant à faire la guerre à
Mifa, roi des Moabites, réfolurent 'd’entrer dans
: fon pays du côté des déferts, à quoi les . Moabites
n e. s’attendoient pas, à caufe des incommodités
de ces chemins.
Lorfque l’obftacle pour choifir de tels chemins,
vient de la difette d’eau, j’ai dit par quel expédient
on peut y remédier.
Au lieu de faire femblant de vouloir pénétrer
par un feul endroit dans le pays ennemi, mena-,
cez différents polies , afin que les, ennemis ayant
divifé leurs forces, vous ne trouviez pas toute
leur réfiftance réunie.
Oiagù, empereur des Tartares, voulant porter
la guerre chez le calife Moftazçn , difpofa de telle
manière les premières marches de fon armée,
q u i, menaçant également diverfes frontières , il
n’étoit pas poffible de conjeélurer par laquelle il
vouloit entrer.,
On peut véritablement menacer. diyerfes frontières,
quand on a une armée extrêmement
noiabreufe, parce qu’alors il eft à propos d’en
former des détachements qui agiffent féparément
du gros de l’armée.
Des premières entreprises»
J’ai déjà dit par quels moyens on pouvoit fe
tfouver prêts à commencer la guerre avant les
ennemis. En fuppofant à préfent que la. guerre-
eft déjà déclarée, voyons par quelles autres voies
vous pourrez mettre en campagne un corps de
troupes plutôt que les ennemis. Indépendamment,
de l’expédient d’avoir vos troupes dès la. fin de ;
l’hyver proche de ,1a frontière , parce que celles j
de l’autre prince n’en feront pas non plus fort
éloignées, la difficulté confifte dans les fourrages ,
que, julqu’à une certaine faifon de l’année, on ne
peut couper ni faire manger. Pour y remédier, &
attendre que les fourrages foient crûs, je ne trouve
que deux moyens : le premier eft de femer de
bonne heure de l’avoine & de l’orge dans les:
endroits voifins de la frontière &. à couvert de
vos places ; le fécond eft de faire dès 1,’hiver de
grands magafins d’avoine , de foin & de paille
dans des poftes bien fûrs & les plus avancés de la
frontière, ce qui fera plus aifé à un prince dont
l’infanterie fait là principale force ,, ou qui a en fa
faveur le courant de plufieurs rivières, par lesquelles,
à moins de frais que-par des mulets ou par
des charrettes, on peut, fur des bateaux ou des
radeaux , faire tr an {.porter le foin & la paille de
plufieurs provinces; car quelle dépenfe ne feroit ee
pas, & où;pouvoir même trouver allez de voitures
pour tran.fporter de loin tout le foin Si la paille
néceffaires pour une armée , qui , parce qu’elle
eft compofée de peu d’infanterie, a befoin, pour
fe maintenir en campagne , d’un gros nombre de
cavalerie ?
Toutes les nouvelles de la dernière guerre de
Hongrie étoient eue le prince Eugène , à la faveur
du courant du Danube , & de plufieurs rivières
qui s’y jettent, faifoit porter aux places impériales
les plus vôifines de la Servie toute l’avoine &; le
foin nécefiàires pour faire fubfifter l’armée Allemande
, jufqu’à ce que les fourrages de la campagne
fuflent crus, afin d’avancer le fiège de Belgrade ,
avant d’y trouver de l’oppofition de la part de
toute l’armée infidelle, qui, ayant les courants
des rivières contraires, & leurs principales forces
dans un nombre exceffif de cavalerie, ne poû-
voient pas faire les mêmes pxovifions de fourrages
autour de Belgrade, ni camper dans ce voifmage,
auparavant qu’il y eût des verds fuffifants pour
nourrir la cavalerie Turque , parce que fon infanterie
feule ne pouvoit pas tenir la campagne,à la
vue de l’armée Impériale. H eft vrai que cette
armée ayant retardé , à ,caufe de quel qu’autre
expédition preffante , elle donna; le temps aux.‘
fourrages de croître & aux Turcs de s’appro-
cher ; mais la faute n’en doit pas être attribuée
a l’idée de ce grand général, mais feulement au
retardement des difpofitions & des ordres.de la
.cour.
Le conful Gabinius , fe préparant à marcher de:
Grèce en Egypte, détacha Marc-Antoine avec
. quelques troupes , afin de s’aller emparer,du défilé
de Pélufe, avant que les ennemis s’y vinffent re-
. trancher pour le défendre ; ce qui-fut ainfi exécuté
par Marc-Antoine:
Les capitaines Timaffion , Dardanois •; Santides
& Philène, d’Achaïe ; Cléonor , Orcfioménien ;.
Stratocle, Candiot., & Xénophon, Athénien,
furprirent un défilé fur les montagnes des Carduf-
fiens, avant que leurs troupes s’y fuftent portées
pourTermer le chemin à touts ces capitaines.
En parlant des marches , j’ai, proposé divers
i moyens pour franchir un. partage difficile que, les
! ennemis défendent.
Si vous avez en campagne un corps confidérable
de troupes , pendant que îles ennemis ne font pas
; encore fortis de leurs quartiers, voyez f i, en fondant
tout d’un coup au milieu d’e u x , pour les
empêcher de fe joindre, vous ne pourriez pas en
enlever quelques-uns , avant que ceux; des autres'
endroits arrivent au fecours ; car ordinairement les
quartiers d’hiver font dans des lieux ouverts ou
mal fermés, &. éloignés les uns des autres, afin
que les troupes trouvent .plus de commodités &
que les peùples foient moins chargés de contributions.
En traitant une matière différente, je rapporte ,
dans un autre endroit de cet ouvrage, un exemole
du comte de Montéeuculi & du vicomte de T u-
renne , qui peuvent me .fervir de preuve fur ce
que je viens d’avancen. On . peut auffi voir, .à ce
fujet les exemples de Dorimaque , de Scopas &
de Gonzale Fernandez de. Cordoue.
Je ferai voir dans la fuite qu’il fera plus.facile
à vos troupes de réu-ffir dans l’expédition que je
viens de propofer, fi,entre les quartiers des ennemis
il y a.quelques petits gués, ponts ou déniés
nécefiàires pour leur communication,, & que. peu.
d’hommes paillent défendre ; car alors, en. détachant,
des partis pour les . aller furprendre & faire
tete à l’ennemi , le gros de votre détachement
s’avancera pour fe rendre maître des autres quartiers,
qui par-là fe trouveront coupés. C ’eft dans
ces cccâfions que font utiles les marches fec-rètes.
I f fera -bpn aurti que votre détachement, qui
fora mis en, campagne avant les ennemis, s’avance,
fi cela fe. pe.ut., fans rifqûe , , pour brûler leurs
magafins de-vivres &. de-fourrages, qu’ils ont fait
dans les deux peu forts , foit pour leur fervir feu-
lement d’entrepôt , ou parce qu’il^ comptoient
qu’après être fortis de leurs quartiers'd’hiver, leur
armée couvriroit ejes magafins. .
Dans la dernière guerre de la ligue contre les
deux-couronnes , le prince Eugène, avant que les
deux armées fe, miffent en campagne , brûla les
magafins de foin des François au voifinage d’Arras,
ce qui fut caufe que les troupes de France, faute