
il iallut donner un nouveau général à cette
armée, -qui , fous le commandement de M. de
Luxembourg, avait toujours été vi&orieule quand
elle avoit combattu , & fupérieure quand elle n’a-
voit feulement fait que fe remuer fous un fi grand
général.
Le choix tomba fur M.'le maréchal de Villeroy
pour l’armée principale ; la fécondé armée fut
donnée à M. le maréchal de Bouflers, fubordonné
à M. le maréchal de Villeroy : & le ro i, par le
projet de campagne pour cette année, ne chargea
le nouveau général en chef que de la conferva-
tion des conquêtes précédentes, fans lui demander
de fe commettre à des événements dont il
ne croyoit pas les fuccès fi fûrs, quoiqu’avec les
memes troupes toujours vi&orieufes, qu’il les au-
roit pu penfer , lorfqu’elles étoient conduites par
M. le maréchal de Luxembourg. M. le prince
d’Orange de fon côté , défait d’un aufli redoutable
adverfaire que letoit M. de Luxembourg,
devant lequel il n’ofoit plus fe commettre , longea
à prendre un air 3e fupériorité fur nos nouveaux
généraux pour cela forma le deffein du
fiège de Namur, qu’il couvrit par des préparatifs
immenfes dans les places des Efpagnols du
côté de la mer & de la Flandres, voulant par-là
nous donner des attentions égales pour Dun- !
kerque, Y pres, Tournai & Namur.
Le roi qui, comme je viens de Je dire, avoit
pour cette campagne pris le parti de la défensive
en Flandres, & qui étoit perfuadé que M. le
prince d’Orange. feroit touts fes efforts pour entreprendre
, fongea également à pourvoir ces
quatre places.
Il faut remarquer que Namur & Dunkerque
fai l'oient la droite & la gauche de l’étendue du
pays à protéger. Namur au confluent de la Sambre
dans la Meufe , Dunkerque fur la mer , Tournai
fur l’Efcaut, & Y près, près de la Lys , faifoient
je centre de cette- étendue de pays.
Pour mettre donc, à l’ouverture de la campagne,
nos armées dans une difpofîtion également
à portée de protéger ces quatre places, le
roi voulut que l’armée de M. le maréchal de
Bouflers. s’aiTemblât vers Mons, pour obferver
Namur, & que celle de M. le maréchal de "Villeroy
s’affemblât entre l’Escaut & la Ly s -, pour
protéger Y p re s, Dunkerque &. Tournai.
On mit outre cela dans Namur une puiffante
garnifon d’infanterie, parce que cette place étoit
à une allez grande diftance des autres, & que
d’ailleurs elle eft difficile à aborder.
. On donna à M. de Montai, chargé en particulier
de la défenfç de Dunkerque, un petit corps
avec lequel il fe tenoit campé à l’abbaye de Lo ,
entre Dunkerque & la Kenoque.
Je fus deftiné pour la défenfe d’Ypres, en cas
que ce fût cette place que les ennemis vouluffent.
-attaquer.
M. de Créquifut deftiné pour Tournai, & M. le
maréchal de Bouflers eut ordre de fe jetter dans
Namur avec un gros corps de dragons , dès qu’il
verroit que les ennemis fe détermineroient à faire
le fiège de cette place.
Voilà-quelles furent les mefures qu’on prit pour
la confervation ou la défenfe de ces quatre places,
». & pour foutenir la guerre défenfive cette campagne
en Flandres.
M. le prince d’Orange, dont le véritable deffein
étoit fur Namur, le couvrit à l’ouverture de la
campagne, par des feintes démonftratftns fur les
autres places.
^Comme fes forces étoient fort fupérieures aux
nôtres, & qu’il crut avoir pénétré que nous ne
voulions foutenir cette année qu’une guerre^, dé-
fenfive , il les partagea d’abord, avec trop peu
de circorrfpeélion en plufieurs corps. 11 donna à
M. 1 eleélëur de Bavière une armée , qui s’affembla
vers la haute Dendre, & qui bientôt vint entre
l’Efcaut & la Lys.
Ce mouvement engagea M. de Bouflers, deftiné
à l’obferver, à vfenir couvrir les lignes de Cour-
trai. Le prince d’Orange donna à M. d’Owerker-
que un corps de cavalerie', qui vint fe placer fur
la grande chauffée près de Fleurus. Ce corps
commençoit à marquer le deffein de ce prince
fur Namur , ou Charieroi ; & pour lui, il vint à
Becelair fur la Hutle avec fon armée principale „
d ou il aetacha M. le duc de Wirtemberg avec
vingt-deux bataillons & quelques efcadrons , pour
venir par Dixmude jufques vis-à-vis de la Ké-
noque & de la Fin reliés.
Cette première difpofîtion, par laquelle ce
prince croyoit donner également jaloufie à toutes
nos places, etoi’t fort hazardeule ; Ôc il n’auroit jamais
ofé fe féparer de la forte devant une armée
auffi puiffante que celle du roi le pouvoit devenir
en fix heures de temps, s’il avoit encore eu
M. de Luxembourg en tête.
Pour prouver que cette difpofîtion expofoitnos
ennemis à des inconvénients irréparables pour
toute la campagne , il faut remarquer que l’arméé
du roi, prefqùe réunie par le mouvement qu’a-
voit fait M. de Bouflers, en venant garder les
lignes de Courtrai, tenoit ainfi tout le pays depuis
1 Efcaut jufqua la Kenoque, & pouvoit eu
fix heures de temps fe joindre pour accabler à fon
choix J ou l’armée de M. le prince ' d’Ôrangë ,
très-défavantageufement campée à Bécelair , ou
l’armée de M. de Bavière, campée devant les
lignes de Courtrai, où elle étoit fans communication
av ec celle de M. le prince d’Orange.
Il mauroit même été facile, avec les trente-fîx
bataillons & les vingt efcadrons campés le long
du canal de Bouzingen, entre Ypres & la Ké-
noque, d accabler M. de Wurtemberg dans le
camp qu’il avoit pris entre la Kénoque & l’abbaye
de L o , fans que les armées principales de
Mrs. de Villeroy & de Bouflers euffent eu aucun
mouvement à faire pour foutenir cette entreprife.
Il eft certain que le fuccès d’une de ces trois
entreprifes auroit changé la conftitution de la
guerre défenfive , fans expofer l’armée du roi à
un événement douteux, par la grande fupériorité
où elle fe feroit trouvée lorfqu’elle auroit voulu
agir contre l.’un de ces trois corps des ennemis ,
qui étoient également à portée de l’armée du ro i,
&. fans communication entre eux.
Et il eft encore certain que ce fuccès auroit ôté
à l'ennemi toute poflibilité de réuffir dans le fiège
de-Namur , qu’il s’étoit propofé de faire, & qu’il
auroit. pour toute cette campagne ôté au roi toutes
fes inquiétudes des deffeins de fes ennemis fur
les places , parce que fon armée auroit ainfi acquis
une fupériorité entière fur celle de fes ennemis,
fans s’être commife à un événement douteux.
Cette mauvaiie di'.pofition de l’ennemi dura
même plus de huit jours , fans aucun mouvement
de notre part pour l’ên châtier ; au bout duquel
temps , tout étant apparemment prêt pour le fiège
de Namur , M. le prince d’Orange'raffembla les-
forces difperfées.-, repaffa. la Lys &. l’Efcaut, après
quoi M. de Bavière prit le corps de cavalerie
de M. d'Owerkerque en paffant, & alla inveftir
Namur.
Premier exemple dans cette campagne par rapport
à la guerre défenfive, qui fera fentir de quelle
conféquence il eft à un prince de choifir , pour
quelque efpèce de guerre qu’il ait à foutenir, un
général qui fçache fe conduire de manière à ne
point laifî'er échapper les occafions heureufes que
fon ennemi , ou préfomptueux, ou peu judicieux ,
lui préfente de s’acquérir une fupériorité fure fans
être commis.
Car il eft certain que dans la conjonéhire dont je "
viens de parler , il auroit fuffi de détruire un de
ces trois corps, pour mettre M. le prince d’Orange
hors d’état d’ofer de toute la campagne entreprendre
un fiège comme celui de Namur, parce que la
perte d’un de ces trois corps, placés comme je
viens dedire qu’ils l’étoient, entraînoit indifpen-
fablement après elle la ruine des autres , ou tout
au moins la perte de la fupériorité fur les forces du
r o i, & par conféquent l’ina&ion pour l’offenfive.
Voilà donc, à l’ouverture de la campagne ,
une occafion perdue par M. le maréchal de Villeroy
, dont la- réuflîte dans l’une des trois entreprifes
qu’il auroit pu exécuter , -étoit capable
de changer la conftitution de la guerre , fans commettre
les armées du roi; mais comme une première
faute efTentiellé en entraîne prefque toujours
dîautres, il faut encore faire voir dans la fuite
de mes réflexions fur cette campagne, par rapport
à la guerre défenfive , quelles ont été les autres
fautes faites par M. le maréchal de Villeroy ,
feulement par rapport à cette matière.
Le ftège de Namur fut donc formé par M. l’È-
leâeur de Bavière avec l’infanterie de fon armée',
celle de plufieurs princes d’Allemagne dont il fut
joint, & quelque cavalerie. M* le prince. d’Orange
avec toute fon armée, & la cavalerie que com-
mandoit M . d’Owerkerque fur la grande chauffée
ayant le ftege de Namur , formoit une armée
d obfervation en-dehors de la Mehaigne , à portée
d’y entrer pour favorifer le fiège lorfqu’il feroit
néceffaire.
M. le prince de Vaudemont fut laiffé pour couvrir
les places de la Flandre, avec foixante &
quelques bataillons , &. environ cinquante efcadrons.
Ce corps vint camper auprès de Deynfe ,
entre la Ly s & le Mandël.
De notre côté', M. le maréchal de Bouflers ,
qui avoit côtoyé M. l’Eleâeur de Bavière dans
la marche qu’il faifoit pour aller former le fiège
de Namur, s’étoit , fuivant les ordres du roi ,
jetté dans cette place-avec vingt efcadrons de dragons
, & avoit renvoyé à M. le maréchal de
Villerçy toute fon armée , à la réferve de quelque
cavalerie , qui avoit été deftinée pour entrer dans
les places voifmes.de Namur pour couvrir le pays
d’entre Sambye & Meufe le'côté-de Dinant.
Ainfi l’armée de M. le maréchal de Villeroy
fe. trouvoit fort groffe , & ce général étoit venu
camper dans les lignes de Courtrai , où, if n’étoit
qu’à trois lieues du corps que commandoit M. de
V audemont.
Voilà quelle étoit la difpofîtion des armées au
commencement du fiège de Namur. Comme je
réferve mes réflexions fur ce qu’il auroit été mieux
de faire de noire part que ce què l’on fit, lorfque la
fiiatiére m’y engagera , & qu’il ne s’agit ici que
de ce qui regarde la guerre défenfive , je ne remarquerai
que les fautes que fit M. le maréchal
de Villeroy par rapport à cette efpèce dé guerre.
Un préalable pour fecourir Namur avec un
fuccès vraifemblablement heureux, étoit d’y pouvoir
marcher avec une grande fupériorité / & fans
inquiétude du corps confidérable que M. de Vau--
démolit commandoit en Flandres.
Ce général s’étoit fort inconfidérémènt campé
a postée de notre armée, infiniment fupérieure à
la fienne, & d’ailleurs mal pôftée. M. le maréchal
de Villeroy conçut donc le deffein de l’aller accabler
dans fon camp. Ses mouvements, pour raffurer
ce général ennemi, furent* fort judicieux , & fa
marche vers lui fi fecrette, que toute l’armée du
rot fe trouva fur les cinq.heures du matin à deux
portées de moufquet , de la gauche de i’ennemi,
fans qu’il eût eu aucun avis dé notre m'ouvemen t. *
11 y avoit entre la gauche de l’efihêmi'& l'infanterie
de l’armée du ro i, un petit rüiffeau qui
navoit pas, plus de cinq ou fix pieds de large’ ,
& qui en un moment avoit été couvert de ponts
faits'des portes des maifons voifines du ruiffeau.
Il n’y avoit donc qu’à, faire paffer l’infanterie fur
les ponts ,& entrer dans le quartier de M. de Vau-
demoht, qui dormoit encore. Ce mouvement
dans -cette circonftarice , fait avec vivacité n é
pouvoir fouffrir aucune difficulté dans fon exéca-
■ t ion; • •