
6 34 G U E
autres malheurs qui ont fuivi ceux-ci, Sc qui ont
plus de rapport à la difpoiition particulière qu’à
la générale, trouveront leur place dans mes réflexions
lur les différentes opérations de la guerre.
Je pafferai à préfent à la troilième elpèce de
£tt*/Ttf,qui eil celle qui le fait entre puiffances égales.
Je dis qu’elle réfide entièrement dans la capacité
du général qui en eft chargé , & dans ,1a
Supériorité de Ion génie fur celui du général qui
lui eft oppofé, afin de le procurer les occafions
de changer la conftitution de cette guerre, & d’en
faire dans la fuite une offenfive. Pour prouver la
vérité de cette maxime , je rapporterai ici quelques
exemples de faits arrivés de mon temps, même
entre des généraux habiles, qui ont changé la
conftitution d’une guerre fans aétion décifive.
En l’année 1673 » maréchal de Turenne étoit
fur *e Tauber avec l’armée du ro i, pour empêcher
que M. de Montécuculi, avec l’armée de l’empereur
, ne pût s’approcher du bas Rhin, & fe
joindre aux Elpagnols & aux Hollandois.
L’armée du roi tiroit fon pain de Wirtzbourg,
par un traité fait avec M. l’évêque de Wirtzbourg,
qui portoit que ce prince laifferoit cuire librement
le pain dans fa v ille , & ne fouftriroit pas
que M. de Montécuculi y fît entrer des troupes
pour troubler nos convois. Sur la foi de ce
traité , le maréchal de Turenne négligea d’envoyer
des efcortes allez fortes , pour recevoir
eos caiffons à la fortie de la ville , & les conduire
fûrement à l’armée.
M. de Montécuculi, qui n’ofoit s’avancer vers
le bas Rhin, tant que M. de Turenne feroit au
milieu de la Franconie, agit fi efficacement auprès
de M. de Wirtzbourg, que ce prince manquant à
fon traité avec M.' de Turenne , laiffa paffer des
-troupes de l’empereur-au travers de la ville , immédiatement
après la fortie de nos caiffons, dont
la foible *efcoite fut battue , 8c le convoi de pain
enlevé.
L’armée du roi fe trouvant donc tout - à - coup
fans pain & fans farines plus proche que celles
qui étoient dans Philisbourg, M. de Turenne fut
contrainte de la ramener fur le champ à-portée de
tirer fon pain, de cette place ; 8c M. de Montécuculi
, débarraffé de M. de Turenne, fans crainte
qu’il pût fe maintenir dans le fond de la Franconie
, ni le fuivre de près faute de fubfiftance,
marcha au bas Rhin, 8t,fit faire le liège de Bonn à
•M. lé prince d’Orange.
Cet événement leul, qui changea la conftira-
îion de la guerre en Allemagne, obligea- dans la
fuite le roi d’abandonner les places de Hollande,
& donna le moyen à l’armée de l’empereur de
prendre fes quartiers d’hiver entre le Rhin 6c la
Mtu e , & de fe joindre, la campagne fuivante de
1 6 7 4 , aux armées d’Efpagne & de Hollande, qui-,
par ce renlort confidérable, crurent avoir changé
la conftitution de la guerre, & être en état de la
faire oftenfive de leur part contre la France,
G- U E
En effet, quoiqu’au commencement de l’année
1674 le roi fe fût rendu maître de la Franche-
Comté , la guerre en Flandres aurpit été détenfive
de notre part, par la jonéiion des troupes de l’empereur
à celles des Elpagnols 8c des Hollandois, fi
M. le Prince n’avoit fuit changer la nature de cette
guerre , en battant l’armée ennemie à Senef.
Le bon luccès de cet, événement fut abfolument
dû à la préfomption des ennemis, qui crurent, par
leur fupériorité, pouvoir impunément prêter le flanc
à l’armée de M. le Prince en décampant de Senef,
8c à la capacité de M. le Prince, qui fçut fe mettre
en ciifpofition de profiter de la témérité de ce mouvement.
Au commencement de cette même année, M. de
Turenne avoit battu un corps de troupes à $intz-
heim. Dans la fuite il avoit donné la bataille d’Eins-
heim, dont le fuccès, quoiqu’il n’eût pas été tout-à-
fait décifif, n’avoit pas lame d’être avantageux.
Cependant , malgré ces avantages , la guerre
d’Allemagne q u i, pendant le temps de cette campagne
, avoit toujours été de l’efpèce de celle qui
le fait entre puilfances égales, alloit devenir entièrement
défenfive de notre part, par la jonction
aux ennemis d’un grand nombre de troupes
qui leur étoient venues de l’Allemagne, & par la
néceflité où s’étoit trouvé M. le maréchal de Turenne
, de leur abandonner tout le plat pays
d’Alface, & de fe retirer dans la Lorraine Allemande,
fi ce grand général, après avoir, pendant
quelque temps, laiiié rétablir fon armée dans de
bons quartiers, 8c donné le temps d’arriver au
fecours qui lui fut envoyé de Flandres après la fin
de la campagne en ce pays-là , ne s’é toit, par une
marche qu’il-fçut cacher aux ennemis , porté dans
les premiers jours de janvier de l’année 1675 , au
milieu des quartiers d’hiver que l’armée ennemie
avoit pris dans la haute Alface; il en enleva plu-
fieurs, battit ceux qui s’étoient raffemblés. auprès
de Mulhaufen 8c de Colmar , 8c par ces heureux
événements 5 força l’armée ennemie, encore fort
fupérieure à la fienne, à repaffer le Rhin pour fe
mettre en fûreté dans des quartiers d’hiver fort
éloignés de nous.
En l’année 1675, la guerre en Allemagne avoit
commencé parl’offenfive de notre part; au moins
nos mouvements répondoient-ils à cette efpèce de
guerre. La mort feule, de M. de Turenne alloit
faire changer l’offenfive en défenfive, ft M. de
Montécuculi avoit pu battre l’armée du .Roi à
Altenheim ; mais cette journée n’ayant rien ,décidé,
& l’armée du roi ayant repaflé paifiblememt
le Rhin , pendant que M. de Montécuculi étoit allé
repaffer ce fleuve fur le pont de Strasbourg, M. le
maréchal de Duras, qui étoit venu prendre le commandement
de l’armée, la porta avec diligence à la
hauteur de Scheleftat, où il campa la droite à cette
ville , 8c la gauche à la montagne»au bourg de
Chaftenai, pour prévenir M. de Montécuculi qui
y marchoit, après avoir paffé à Strasbourg. Dq
G U E
forte qué M. le Prince étant arrivé de Flandres,
& s’étant maintenu dans ce pofte , la guerre , pour
le refte de la cainpagre., reprit la nature de celle
qui le lait entre puillances égales , 8c même avec
tant cl égalité , que M. de Montécuculi ayant formé
le fiège- de Haguenau , fut obligé de le lever, parce
que M. le Prince marcha à lui pour le combattre.
. Pendant cette année , 8c les autres buvantes ,
jufqu a la paix de Nimègue, 1 a. guerre commençoit
toujours en Flandres par lofieniive, 8c par la
prife de quelques-unes des places des Elpagnols,
apres quoi elle fe tournoit en guerre entre puil-
lànces: égales. On ne s’appÜquoit qu’à conlerver
ce que Ion avoit acquis , 8c l’on ne fe commettait
a aucun événement capable de faire changer
la conftitution de la guerre de l’elpèce dont elle
ayoit, ete projettée, lans fe laiffer réduiré. à la
défenfive ; ce qui eft capital à éviter.
Dans cette même année 16 75 , mépris que
M, le maréchal ;de Créqui. eut pour une armée
coropafé.e de troupes de la mai fon d-Hanovert, 8c
de celles de quelques autres princes, le fit battre
a Çouzarbriek, 8c caufa enluite la perte.de Trêves.
. Les ennemis n’avoient pas projetté de faire
contre la France > de ce côté-là,, une guerre offen-
five qui eut des luccès confid.énables, quoiqu’ils
fuffent fupérfeurs en nombre de troupes. ils ne
longeoient qu’à éloigner M. le maréchal de Cré-
qui de Trêves, 8c le fetoient cru bien heureux
d eh pouvoir former le fiège , fans crainte d’y être.
troublés.
M, le maréchal de Créqui fe négligea fur les
attentions , raifonnables à prendre , lorfqu’pn fe
trouve près d’une armée ennemie fupéfieure. Il
crut que la bonté de fes troupes fuppléeroit à
leur,nombre. 11 lut battu , 8c par fa faute changea
la conftitution de cette guerre, qui étoit 8c devoit
etre de la troifième elpèce, 8c la rendit toute offen-
five de la part des ennemis, qui ne s’en prévalurent
pourtant que pour reprendre Trêves, où M. le
maréchal de Créqui s’étoit jetté après la perte de
la bataille.
Ce fut cet événement, q u i, en l’année 16 77,
donna..oçcafion a M. le d^yc de Lorraine de former
le projet de fa campagne, comme je le dirai dans
la fuite.
En 1 annee 1676, les ennemis, fort fupérieurs en
Allemagne , commencèrent la campagne par l’of-
fenfive, 6c cherchèrent les moyens de faire abandonner
1 Ail ace à M de Luxembourg, qui com-
Diandoit l’armée du roi.
: Ce general ; en fe plaçant à Saint-Jean-des-Choux,
près de Saverne, fe procura la facilité d’être joint
par un fecours que le roi lui envoyoit de Flandres,
après la prife de Condé & de Bouchain. Il auroit
meme pu, dans la fuite , empêcher M. le duc de
Lorraine, quieommandoit l’armée de l’empereur ,
de prendre Philisbourg, d’où il forma le fiège,
après avoir inutilement tenté de combattre M. de
Luxembourg, ayant la jonction du fecours qui lui
G U E S j j
venoit de Flandres. M. de Luxembourg même auroit
pu prendre Strasbourg pendant que M. de
Lorraine étoit attaché à Philisbourg ; on auroit
pu le forcer d’abandonner l'on liège pour venir
au fecours de Strasbourg.
Mais la politique du cabinet l’emporta fur touts
les moyens que ce général propofa pour éviter la
perte de Philisbourg \ de forte que dans cette année
la guerre d’Allemagne n’y fut point maintenue fans
cette ttoiiième elpèce dont je parle à préfent, &
fut offenfive de la part de nos ennemis : eh quoi
M. de Luxembourg ne peut être blâmé, puifqu’il
fut continuellement gêné par les ordres de la cour,
différents de fes vues.
La prife de Trêves en 16 75, & celle de Philisbourg
en 1676, firent concevoir à M. le duc
de Lorraine le projet d’une guerre offenfive contre
la France.
Il projetta donc de fe fervir de Trêves & de
Luxembourg pour rentrer dans fes états par le
côté de la Sarre ou de la Meufe. I lv o u io it fe
fervir de Philisbourg & de Lauterbourg , pour aller
dans la haute Aliace. Il avoit deftiné pour
cela un corps de troupes fous le commandement
de M. le duc de Saxe-Eifenach, & il comptoir que
le pont de Strasbourg lui feroit livré par la
régence de cette ville impériale , quand il en
auroit befoin.
A touts. ces grands moyens, pour faciliter le
projet d’une guerre offenfive , fe joignit celui d’une
puiffante armée. M. le duc de Lorraine affembla
donc fon armée principale auprès de Trêves, 8c
fit paffer prefque en même temps le Rhin, au
corps avec lequel M. le duc de Saxe-Eifenach
devoit entrer en Alface.
M. le maréchal de Créqui , qui eommandoit
l’armée «du . roi .en Allemagne , -devenu plus cir-
çonlpeft par fon -malheur de Conzabtick, fe trouva
oppofé à M. le duc de Lorraine, & ce fut M. de
Montclar qui fut deftiné pour s’oppofer en Alface
à M. le duc d’Eifenach.
On doit croire que M. le duc de Lorraine efpé-
roit une révolution en fa faveur des Lorrains fes
fujëts, lorfqu’ils verroient leur prince fi près de
la frontière à la tête d’une puiffante armée : mais
cela n’arriva pas , foit parce que l’on fût fort
attentif à prévenir un foulèvement, foit que ces
peuples attendiffent que leur prince eût au moins
campé fur fes terres pour lui faire paroître leur
affection.
M. le duc de Lorraine ayant paffé la Saare avec
toute fon armée, vint camper jufqu’auprèsdeMetz.
Mais M. le maréchal de Créqui fçut lui rendre fes
fubfiftances fi difficiles par l’ufage qu’il fit de Thion-
v ille , le ferra tellement dans fes fourrages, par
celui que de petits partis faiioient des avantages
du pays couvert de bois, & fe campa toujours
fi avantageufement près de M. de Lorraine, que
ce prince, après avoir inutilement tenté le côte
de la Saare, fut forcé d’abandonner cette première
. L 111 ij