
Ainfi par rapport aux préceptes que j’ai donnés j
fur la manière de faire ou de foutenir les différentes
efpèces de guerre , je puis dire que la I
France, dans cette occafion, a failli contre nos
maximes, pour le bien conduiré dans une guerre
offenlive ; & que l’Efpagne n’a pas auffi eu la
conduite fage & prévoyante qu’un état doit avoir ,
foit pour éviter une guerre offenlive qu’on fe
prépare à lui faire „ foit pour en foutenir une
défenlive, & trouver dans la manière de la foutenir
les moyens de faire changer la con-ftitution
de cette guerre en la nature de celle qui fe fait
entre puiffances égales , qui eft la moins dange-.
Teufe de toutes les efpèces de guerre.
La guerre offenlive que la France a faite aux
Hollandois en 1672. , n’a pas été mieux conduite
que celle dont je viens de parler, par rapport à
mes maximes fur cette efpèce de guerre, qui ne
doit jamais être entreprife que pour en tirer un
profit , & la faire finir avant que d’être forcé à
voir dégénérer cette guerre offenlive en celle qui
fe fait entre puiffances égales.
Les rois de France & d’Angleterre étoient choqués
de l’orgueil & des mauvais difcours' des
Hollandois. Voilà ce que portoit notre déclaration
de guerre. Un état orgueilleux eft puni par
fon abaiffement, qui ne peut fe trouver ou qu’en
diminuant l’étendue de ce qu’il pofsède, ou en
lui ôtant tout le plus qu’il eft poffible de fes
Ticheffes en argent, ou enfin en le contraignant
de faire des foumiffions.
Si c’étoient-là les objets des deux rois alliés,
& en particulier les vues du roi dans' cette expédition
, il pouvoit fe contenter d’avoir ôté d’abord
aux Hollandois les places du Rhin qu’ils
Occupoient fur les princes a qui elles apparte-
aioient ; c’étoit avoir diminué les poffeffions des
Hollandois. •
Il ne devoit pas auffi refufer les foumiffions
que leurs députés vinrent offrir de lui faire , &
les dédommagemens des frais de la guerre qu’ils
s’ offroient de rembourfer. Par la première de ces
, -offres , il rabaiffoit leur orgueil ; par la fécondé,
il les auroit châtiés à leurs dépens.
Ainfi trois mois après la déclaration de cette
guerre offenfive , la raifon vouloit qu’elle finît par
une fatisfaâion entière fur touts les points qui
en avoient paru être les motifs. Cependant contre
les maximes de la guerre offenfive, qu’il eft
avantageux de terminer avant qu’elle ait eu le
temps de dégénérer en guerre entre puiffances
égales , les offres des Hollandois ne furent pas
trouvées fuififantes ; & fans agir enfùite avec capacité
& application , pour conferver ce que
l’on avoit conquis' fur e u x , on leur donna le
temps de faire avancer de puiffants fecours, que
l’empereur & l’éleâeur de Brandebourg leur envoyèrent
jufques fur le Rhin, de fe faire joindre
par toutes les troupes Efpagnoles des Pays-Bas ,
& de faire leur paix particulière avec l’Angle- /
j terre : de forte que dès la fin de 1673 ■» la France
fut obligée d’abandonner fes conquête;? de Hollande
, & de ramener fon armée en France ;
parce que celle de l’empereur s’étoit rendue
maîtreffe de Bonn , qu’elle occupoit l’éle&orat de
Cologne, & avoit en fa difpofition les places
Efpagnoles de la baffe Meufe ; & qu’ainfi l’armée
de France, dans les conquêtes de Hollande, ne
pouvoit plus avoir de communication avec ce
royaume, que par Grave ou Maftrick, ce qui
auroit été impraticable à la longue.
Si donc le roi avoit accepté les propofitions
avantageufes que les Hollandois lui étoient venus
faire à Utrecht, il auroit terminé gîorieufe-
ment cette guerre ; après quoi ramenant fes armées
, & fe couvrant du prétexte que les Efpa-
gnols avoient rompu avec lui, par l’envoi de
leurs troupes aux Hollandois, il pouvoit tomber
fur les Pays-Bas catholiques, les conquérir en fort
peu de temps, & conferver cette conquête ,
malgré les efforts de la maifon d’Autriche & de
fes alliés; parce que le parti puiffant que la
France avoit en ce temps-,là en Allemagne , joint
aux forces de cette couronne, auroit été plus
que fuffifant pour empêcher l’armée de l’empereur
de venir jufqu’à la Meufe.
Le roi auroit ainfi, prefque dans la même ann
é e , commencé & fini glôrieufement, & avec
un grand profit, deux guerres offenfives , qui
dans la fuite fe font tournées en guerres entre
puiffances égales, fans.beaucoup d’avantage pour
la France , & qui ont été terminées par le traité
de Nimègue , dans lequel les Hollandois, qui
étoient les parties principales à la déclaration de
la guerre en 16 72 , n’étoient prefque plus regardés
que comme auxiliaires de la maifon d’A utriche.
Ce fécond exemple de guerre offenfive, fera
encore aifément connoître que nous nous fom-
mes très-mal conduits par rapport aux maximes
de cette efpèce de guerre, & que les Hollandois,
nos premiers ennemis , ont habilement profité de
toutes nos fautes , ont fait fortîr la guerre de chez
eux, ont fçu la tranfporter chez leurs alliés, dont
ils n’ont plus été que les auxiliaires, & fe font
relevés d’une ruine totale, à laquelle ils s’étoient
trop orgueilleufement-expofés.
La guerre offenfivè quéTa France a commencée
contre l’empereur au mois de feptembtre 1688,
a eu l’origine que j’ai dit ci-deffus , lorfque j’ai
réfléchi fur le caractère des princes paifibles &
ambitieux.
, Le prétexte qu’on en a donné a été la nécef-
fité, en bonne politique, de prendre des furetés
contre l’empereur, pour qu’il ne put pas approcher
facilement de nos nouvelles frontières, &
nous faire la guerre, après qu’il auroit terminé
celle •qu’il avoit contre les Turcs.
L’on pouvoit donc penfer que ce prince n’at-
tendroit pas l’expiration de là trêve de vingt ans,
faîte après la prife de Luxembourg fur les Efpa-
gnols ; & il étoit fûr que l’Empire , irrité par nos
réunions , fuivroit les mouvements de l’empereur
dès que les troupes s’approcheroient du Rhin.
Il n’étoit pas même raifonnable de croire que
toute l’Europe vît paifiblement l’accroiffement du
roi, pendant qu’il fe difoit en pleine paix avec
touts les voifins défarmés, & que toutes les
puiffances ne fe joigniffent pas à l’empereur , dès
qu’il aiuroit terminé la guerre contre les Turcs, &
qu’il auroit ramené dans les états & dans l’empire
, toutes les troupes qui faifoient la guerre
en Hongrie.
Ainfi la France, après avoir irrité toute l’Europe
, devoit s’attendre à une grande guerre, dès
que toutes ces puiffances irritées auroient formé
une ligué pour la lui faire.
A toutes çes raifons générales il y en avoit
encore une particulière à ajouter, qui étoit d’un
grand poids. L’empereur faifoit fi avantageufe-
ment la guerre contre les Turcs , & l’empire
Ottoman étoit fi bas, qu’il étoit fort à craindre
que fi nous avions différé à le foutenir par une
diverfion contre l’empereur , ce prince n’eût
porté fes conquêtes jufqu’à Conftantinople , &
n’eût ainfi chaffé les Turcs de toute l’Europe.
Cette augmentation de domaine & de puif-
fance de la maifon d’Autriche allemande , lui
auroit Fans doute donné des vues contre l’Europe
•chrétienne, & , félon toutes les apparences , cette
atnbitieufe maifon auroit voulu fe rendre l’empire
héréditaire. Cela feul lui auroit donné une
puiiïance fans bornes, l’auroit mife en état,
dès ce temps-là, de faire reyivre les prétendus
droits de l’empire Romain, que l’empereur Jo-
feph affeâ'e de faire valoir avec tant de hauteur.
Le roi devoit donc , en bonne politique, empêcher
la ruine totale des Turcs en Europe, &
nous ne pouvions les garantir de tomber, que
par une puiffante diverfion. Par-là nous prévenions
les fuites fâcheufes de leur chûte, & nous
prenions des mefures contre l’établiffement d’une
puiffance fupérieure à toutes les autres, qui auroit
été celle de la maifon d’Autriche notre en-
.nemie.
Toutes ces raifons de politique, qui étoient
d’autant meilleures qu’elles étoient plus vraies ,
après tout ce que la France avoit fait pour irriter
l’empire , l’empereur & les Espagnols , furent fi
vivement repréfentées au roi par fon miniftre
irrité en fecret, comme je l’ai d it, qu’elles firent
leur effet fur l’efprit de ce prince , & le déterminèrent
à attaquer PhiHsboùrg, qu’il avoit cédé
à l’empereur par le traité de Nimègue , pendant
que l’empereur, par le même traité , lui avoit
cédé Fribourg., ancien domaine de la maifon
»d’Autriche.
.‘Comme -le domaine de Phîlrsboirrg eft une dépendance
de l’évêché de Spire, l’empereur n’étoit
le maître que de la fortification, de même
que le roi l’avoit été pendant que la place étoit
à lui. '
Si après fa prife on l’eut rafée , & qu’en cet
état on en eût remis l’habitation à l’évêque de
Spire, l’empereur n’auroit pas eu le crédit à la
diète d’engager l’empire à déclarer la guerre à
la France pour cette entreprife , qui, dans le
fond, n’auroit offenfé que l’empereur ; mais pour
convaincre la diète que nous n’avions pas eu
intention d’offerifer l’empire en prenant cette
fureté contre les deffeins à venir de l’empereur,
il auroit été prudent de faire repaffer le Rhin à
l’armée , après avoir rafé Philisbourg.
Loin de fuivre cette conduite fage &. propre à s’af»
forer dans la fuite de ce que nous avions occupé
fur touts nos voifins pendant la paix , on dépouilla
l’éleéleur Palatin , beaufrère de l’empereur , on
prit fes places, on les rafa, & on en brûla les
habitations.
On en ufa de même avec les évêques de Spire
& de Worms, quoique ces deux villes fuffent
impériales ; on s’empara de Mayence & de prefque
tout fon éleâorat; on en fit de même de Trêves
& de fon éle&orat, à la réferve de Coblentz que
l’on bombarda.
Le cardinal de Furftemberg nous livra tout
Féleâorat de Cologne. On s’empara de tout le
Necker & du duché de Wurtemberg , des états
de la maifon de Baden , & Fon fit payer des
contributions à tous les états de l’empire fitués
entre le Mein & le haut palatinat de Bavière,
l e Danube, & même jüfqu’à Augsbourg. Le
prétexte de ces contributions étoit de fe rembourfer
des frais du fiège de Philisbourg , qu’il
■ n’étoit pas raifonnable de faire payer à ces
membres de l’empire.
Voilà ce que Ton fit pour commencer une
guerre offenfive, non feulement contre l’empereur*
mais contre tout le corps de l’empire.
Jufqu’à préfent la politique de la France avoit'
été bien éloignée des maximes qu’elle fuivit en
cette occafion; Dans .toutes les guerres précédentes
, cette couronne avoit toujours tâché de
ne fe point brouiller avec le corps de 'Fempire,
quoiqu’elle fût en guerre avec l’empereur, comme
prince de la maifon d’Autriche , & _ avoit avec
un grand foin ménagé le patti proteftant, ,&
même les princes catholiques, pour que l’empereur
ne pût pas, dans une diète générale,
avoir allez de crédit pour engager le corps de
Fempire .à déclarer la guerre à la France.
Dans cette occafion les règles de cette ancienne
politique me furent point fuivies. On choqua
en même-temps l’empereur & Fempire, de
manière que par un réfukat de la diète de Ra-
tisbonne, tout Fempire concourut avec l ’empereur
à une déclaration de guerre formelle contre
la France.
L’on pouvoit bien s’attendre que les Espagnols