à la queue l’un de l’autre, avec des flambeaux
allumés au milieu , & les ayant laiffé courir par les
môiffons des Philiftins, la flamme confuma non-
feulement les moiffons, mais encore les vignes &
les oliviers.
Dès que vous le pourrez fans rifque, vous ferez
autant de détachements que le nombre de votre
armée le permettra, fans éloigner pourtant fl fort
vos troupes les unes des autres , que vous donniez
occaflon aux ennemis de battre quelqu’un de vos
détachements, fans pouvoir être fecouru par les
autres.
S» les ennemis ont un corps raifonnable de
troupes en campagne , le plus fûr eft de détacher,
de chaque pofte où votre armée fait alte, des
partis qui, fans la trop affoiblir, & fans fe trop
éloigner, exécutent les ordres que vous leur donnerez
, vous tenant toujours à portée de les fou-
tenir avec le gros de votre armée. Le chevalier
de la Valiere approuve le premier de ces deux
expédients , & l’empereur Léon approuve l’un
& l’autre.
Tite-L iv e rapporte qu’une partie des troupes
du conful Publius Licinius Craflùs avoit été battue
par les Macédoniens , parce que, dans les courfes
qu’il fit dans certains pays amis de Perfée, il n’avoit
pas pris les précautions que je confeille. Polybe,
parlant des divers détachements que fit Annibal
pour enlever les grains de la campagne de Gerune,
dit qu’Annibal refta toujours en ordre de bataille,
avec la troifième partie de fes troupes pour la
garde du camp , & pour empêcher les ennemis
d’aller charger ceux qui alloient couper les moiffons.
L’empereur Léon veut encore que chaque foir
touts les partis viennent rejoindre l’armée , &
qu’on foit attentif à ce qu’il ne forte pas du camp
plus d’hommes qu’il n’en faut pour cette expédition
, parce qu’autrement l’avidité du pillage en
feroit fortir un beaucoup plus grand nombre qu’il
n’eft néceflaire.
Je trouve que ce premier avis de l’empereur
Léon eft autorifé par l’exemple de Popeus Sabinus ,
qui , dans la guerre des Thraces, ne permit le pillage
du pays aux troupes qu’à condition qu’elles
viendroient toutes les nuits dormir dans le eamp.
Je parlerai dans la fuite de la manière dont on
peut rendre inutiles les fignaux que les ennemis
font d’un lieu à un autre, pour donner avis de
l’entrée de vos troupes dans leur pays.
Comme il eft naturel que les ennemis retirent
leurs meilleurs effets dans des maifons fortes, ou
dans des lieux fermés, il faudra que vos partis
ayent quelques canons légers de la nouvelle invention
, qui fe portent fur des mulets; 8c au lieu
de boulets ordinaires, on fe fervira de boulets
rarnés, qui, tirés obliquement, font plus d’effet
contre les fimples murailles, ou contre celles de
terre , dont les villages font pour l'ordinaire
■ fermés.
Vos partis porteront aufli des pétards, pour
mettre en pièces les portes ou les barrières, &
même pour renverfer les murailles dont je viens
de parler.
En traitant des affauts des places, je prouverai
que, lors même qu’on les prend par la brèche, il
ne faut pas ufer de rigueur à l’égard des femmes ,
des petits enfants, des vieillards , des religieux,
des eccléfiaftiques, des malades, des prifonniers :
il faut mettre des fauve-gardes aux temples & aux
monaftères, & faire courir dans la place de nom-
breufes patrouilles, pour empêcher le tumulte des
femmes 8c les autres défordres.
J’ajoute ici que, bien loin de croire qu’il foit
permis, je penfe au contraire qu’il y a du crime,
de l’impiété & de la barbarie de détruire ce qui ne
fçauroit être d’aucune utilité pour votre prince, ni
fervir aux ennemis, pour augmenter leurs forces
en quoi que ce puiffe être. Je pourrois appuyer
ce fentiment fur diverfes autorités ; mais je me
bornerai à celle de Polybe : « les loix & les droits
de la guerre, dit-il, exigent de prendre ou de
ruiner, les munitions des ennemis, leurs ports ,
leurs villes, leurs vaiffeaux, leurs fruits, & autres
chofes femblables, parce que tout cela peut fervir
à augmenter vos forces, en diminuant les leurs ;
mais détruire ce qui ne peut être, dans la guerre
préfente, d’aucune utilité ni pour vous , ni pour
les ennemis, &. ruiner, par exemple, les temples
& les ftatues , 8c autres pareils ornements , qui
peut nier que ce ne foit là l’ouvrage d’un homme
fans moeurs & fans raifon, & que la colère rend
furieux ?
J’ai déjà fait voir que les François & les Bour-
-guignons avoient eu lieu de fe repentir d’avoir
ruiné le pays par lequel ils dévoient fe retirer,
puifque n’y ayant plus trouvé de quoi fubfifter, ils
y périrent de faim. A in fi, à moins* d’avçir une
réferve eonfidérable de vivres, & des charrettes
pour les faire tranfporter, ne défolez pas les terres
par lefquelles vous devez repaffer. J’ajoute encore
que les peuples à qui vous aurez caufé tant de
I dommages, tâcheront de vous faire tout le mal
j qu’ils pourront dans votre retraite ; ce même
exemple que je viens de citer en eft une preuve.
Les mêmes raifon s que j’ai alléguées pour nè
pas permettre les pillages, peuvent aufli fervir de
motifs pour empêcher la deftruéfion du pays.
Si l’impoflibilité de conferver vos conquêtes
vient de la jaloufre que les autres princes ont de
voir augmenter votre puiffance, vous pourrez y
ériger de petits -potentats, qui, n’étant pas affez
forts pour fe défendre contre celui fur qui vous
avez conquis ce pays , feront touts leurs efforts
pour ne pas perdre votre protcâion ; tout au
moins, vous pourrez vous fervir de leurs troupes
comme de troupes auxiliaires, qui feront à la fplde-
de ces nouveaux princes , leur ayant impofé cette
obligation, & autres charges féodales, iorfqee. vous
leur avez cédé le pays,
*ur jes rartnes.
Vous retiendrez ces petits princes dans une plus
grande dépendance, fl vous confervez quelques
places ou châteaux, fur les côtes de leur nouveau
p ay s , ou fur les frontières qui regardent le vôtre.
L’empereur Charles V , en cédant la Tofcane à
la maifon de Médicis , fe réferva les garnifons de
Porto-Longone, d'Orbitello & de Porto-Hprcolé.
Ce même expédient peut encore être mis en
ulage, lorfque la difficulté des conquêtes vient de
Ja répugnance que les peuples ont d’être fous la
domination de votre fouverain, fur-tout fi alors
■ leur donnf pour fouverain des princes qui ont
quelque droit fur le pays dont il s’agit.
Gafpard de Coligny, amiral de France, menoit
avec lui a l’armée le jeune prince de Navarre ,
pour augmenter, fous cette autorité, le parti des
huguenots rebelles à Charles IX.
Quand Alphonfe, roi de Naples, porta fes armes
contre Louis Sforce, il fe prévalut du nom de
j aï-f m alear f tîtie Sf°rce avoit dépoffédé de l’état
de Milan.
Louis X I , roi de France , voyant fon âge
augmenter & fa famé s’affoiblir, & comprenait
combien il feroit avantageux pour, ceux qui vou-
droient ufurper le royaume, de s’emparer du jeune
dauphin, pour le mettre à la tête de leurs troupes,
le ht enfermer, fous une bonne garde, dans le
chateau d’Amboife.
L empereur Loihaire , fe voyant attaqué par
fon trere Charles-le-Chauve, roi de Neuftrie &
d Aquitaine, mit à la tête de fon parti Pépin I I
ion parent, qui avoit un droit légitime fur l'Aqui-
tame, afin de faire foulever cette province publiant
par-tout qu’il agilfoit uniquement pour l’en
mettre en pofféffion.
Si vous devez céder tout le pays conquis à un
prince feul, ne faites pas choix de celui qui, avec
le (ecours des autres provinces qu’il a déjà, pour-
ro.t pa.venir a une telle puiffance, qu’il n’auroit
plus befom de 1 amitié de votre fouverain , & qui
u •anP° 1;rr0,lt devenir un voifin redoutable ; car
I nelt PaJ bon d’avoir même pour camarades
ceux qui font trop puiffants , & il s’agit ici de
choifir des princes qui Vous fervent de boucliers,
*ans Su ■ >« puiffent le convertir en une épée contre
vous, «11 eft dangereux, difoit Antifthène, d’avoir
pour compagnons des lions qui ont des dents ».
I b il n y a pas des princes qui ayent des droits
lur les provinces que vos armes ont conquifes &
que vous ne pouvez conferver, en fuppofent que,
par evcnement d’une guerre jufte, les conquêtes
de votre prince font légitimes g & qu’il 1 par
conféquen. acquis le droit de- les donner à qui
bon lrn femble, il peut les partager entre quelques
chéris^flr * ?î,?neurs ^e,.F,e Pa7s > extrêmement
chens & pmflamment alliés, afin qu’ils puiffent
Lnir *mem & avec moins de dépenfe s’y main-
s que votre fouverain, par le moyen de
1 1 : , . , . , . . . 7 I J
ceux a qui il en a fait un don, fe conferve une
forte dufufruit fur les provinces qu’il a enlevées
a-fes ennemis.
Ataulfe, roi des Goths, ayant deffein de porter
les armes contre l’empereur Honorius, perfuada
a un capitaine Romain, nommé Attale, de prendre
le titre d’empereur.- La vue fecrette du roi Goth
en cela etoit de faciliter fes conquêtes à la faveur
du pouvoir qu’Attale fon ami acquér-oit. Ce fut
lelon cette maxime que le cardinal Auguftin Fiule
engagea, au nom de la France, le comte Jean-
Louis Fiefchi de prendre le gouvernement de
vrenes, & de l’enlever à la maifon de ' Doria
attachée aux Efpagnols , peu amis alors des
rrançois. f
Il peut arriver que les pays conquis, s’étant mal
trouvés du gouvernement monarchique , ayent dç
la répugnance a retourner fous la domination de
leur premier fouverain, & encore plus à demeurer
lous celle du vôtre : en ce cas, & en fuppofant
que vous ne puilfiez pas les contenir par la force,
tâchez de gagner leur affeaion & d’en tirer du
iervice, en les érigeant, ou en leur donnant efpé-
rance de les ériger en république.
Rien ne fervit tant au duc de Guife , pour fe
concilier l’affeSion des Napolitains, que l’efpé-
rance dont il les flatta de les iaiffer en république,
dès qu’ils auroient fecoué le joug Efpagnol ; & fi
certains avis , que je tiens de fource, ne me
trompent pas, un prince tâche aauellement, par
avance & fous main, de mettre cette politique en
ufage : le temps peut-être développera ce que je
veux dire. . J
| Comme entre les perfonnes avec qui vous aurez
a traiter, il s’en trouvera d’éclairées & d’habiles
.qui, fans s’arrêter à vos paroles, examineront de
près le motif de vos aBions , prenez garde que
quelques-unes de vos aélions ne démentent les
autres.
Bethelen Gabor, voulant ufurper la Hongrie &
enlever à l’empereur Ferdinand II le titre de*roî
de ce royaume, donrioit à entendre qu’il n’avoit
d autre intention que d’ôrer la Hongrie des mains
de Ferdinand, pour mettre en liberté les Hongrois
Flufieurs le crurent d'abord, & fe rangèrent en
grand nombre fous fes étendards ; mais ils les
abandonnèrent dès qu’ils s’apperçurent de la contrariété
qu’il y avoit entre fes promeffes & fes
actions.
Si parmi les peuples conquis, les uns fouhaitent
le gouvernement ariftocratique , les autres le démocratique
, & quelques-uns le monarchique d’ua
îeigneùr ou d’un prince qu’ils aiment ; & s’il y a
a craindre que, pendant que votre prince balancera
fur la rélolution qu’il doit prendre, ces peuples
ne fe révoltent, vous pouvez, fans néanmoins engager
vatre parole, donner à entendre à chaque
parti que vous êtes tout difpofé à le protéger, ou
témoigner a chacun que vous n’ètes nullement
porte pour le fentiment contraire ; ce qui peut-être
X jç x x ij