
partie de fon projet , pour aller tâcher d’entrer en
France par le côté de la Meufe. Il y marcha
jufques vis - à - vis de Moufon , toujours fi fage-
ment côtoyé par M. le maréchal dë Créqui, qu’il
ne lui fut jamais poffible d’entreprendre ni fur
notre frontière, ni fur l’armée.
La campagne s’écoula prefque toute entière
dans ces mouvements , qui ne produisent à nos
ennemis qu’une grande perte d’hommes , & un
grand dépériffement des chevaux de leur cavalerie
& de leurs équipages.
L’armée ennemie dans cet état fongea à marche!-
en Alface , pour y finir la campagne ; mais comme
elle avoit un chemin beaucoup plus long à faire
pour rentrer dans cette province que celui qu’il
falloit à celle du roi* celle-ci y arriva plutôt que
celle de M. le duc de Lorraine, qui eut le chagrin
en y entrant, d’apprendre que le corps de troupes
de M. d’Eifenach, s’étant tenu un peu trop de temps
fur la Kintze , avoit été obligé, pour éviter fa perte
entière, de fe fauver dans une île du Rhin par' le
fort de -Keil, d’où cette armée n’étoit fortie que
par un paffeport, qüe M. le maréchal de Créqui
lui donna pour fe retirer en Allemagne par Philis-
bourg.
Par tout lé récit que je viens de faire, l’on voit
que cette campagne a commencé par l’offenfive de
la part de nos ennemis, & que la capacité & la
bonne conduite de M. le maréchal de Créqui ont
bien promptement fait changer cette offenfive en
pierre entre puiffances égales ; & qu’enfin l’attention
continuelle du maréchal à fe procurer la fu-
périorité fur fon ennemi, la lui acquit fi pleinement
à la-fin de cette campagnè , que M. le duc
de Lorraine, par le mauvais état de fon armée ,
ayant été obligé de la féparer avant que célle du
roi le fu t , notre général , qui fort fëcrètémëht
s’étoit .préparé au fiègè de Fribourg , eut le temps
de prendre cette place , avant que M. de Lorraine
pût feulement rafiembler une partie de fa cavalerie
, pour marcher au fecours de cette ville.
- Au commencement de 1678, la pierre de Flandres
avoit, à fon ordinaire, commencé par des lièges
d’avant faifon.
Après la prife de Gand & d’Ypre's , le roi avoit
laiffé à M. lé maréchal de Luxembourg le commandement
de fon armée, avec ordre d’empêcher
qué M. le prince d’Orange ne fît lever le blocus
de Mons, dont M. de Montai étoit chargé, &
d’obferver feulement l’armée ennemie fans fe commettre
: ce que ce général exécuta jufqu’à ce que
M.' le prince d’Orange, de concert avec lesElpa-
snols, chagrins de ce que la paix venoit d’être
fignée à Nimègüe entre la France &.la Hollande ,
vînt attaquer l’armée du ro i, qui étoit campée fur
laDruyère dè Cafteau, voulant bien ignorer ‘que
cette : paix fût fignée.
Le ruiffeau de Saint-Dénis féparoît lés deux
armées»; ainfi iî-é-tëi't imp'offibîé qu’elles en vinf-
foht à- une aéfion décifive, Gëpéiida'nt ce prince
fit attaquer les troupes du roi par l’abbaye de
Saint-Denis, & par Cafteau/
Le combat fut fanglant, & fi long, que M. le
prince d’Orange voyant que cette aétion, entre-
prife fans efpérance d’y réufiîr, & feulement pour
plaire aux Efpagnols, ne pouvoit troubler une
paix fignée, fe détermina, fur le minuit , à envoyer
dire à M. de Luxembourg, qu’il venoit de
recevoir l’avis de la fignature de la paix.
Je ne rapporte ici ce fait, dont le détail trouvera
fa place ailleurs , que pour faire voir en quel danger
un prince fe met, quand il confie le commandement
de fon armée à un général fufceptible de
fes intérêts particuliers , par préférence à ceux de
fon maître. Mon deffein eft de faire connoître, que
lorfque l’on veùt fe prpeurer un événement qui
change la conftitution d’une pierre, il faut que ce
foit avec alfez de prudence & de capacité, pour
pouvoir s’affurer de réuflir dans ce projet : fans
cela la condition du général, qui n’a pas eu uri
fuccès heureux, devient beaucoup plust mauvaife
& difficile dans la fuite de la pierre, tant par la
perte qu’il a faite dans cette aâion trop peu judi-
cieufement entreprife, que par la fupériorité entière
qu’il donne au général qui lui eft oppofé , &
qui a connu qu’il agit avec imprudence dans les
occafions qui peuvent porter à une «déeifion. ’
Au commencement de 1689, le roi fe trouvoit le
maître du cours du Rhin , depuis Huningue jùfqü’à'
Rhimberg,àla réferve deCoblentz & de Cologne.
M. le maréchal de Duras commandoit en Allemagne
, & M. le maréchal d’Humières en Flandres.
M. le duc de Lorraine étoit oppofé àM. de Duras,
& M. de Waldec à M. d’Humièrès.
Les troupés ennemies étoiënt fort fupérieures à
celles du roi en qualité de trôupes, parce que
prefque toute notre cavalerie étoit nouvelle. Ainfi
le roi réfolut de fe tenir pour cette campagne fur
la défenfive par-tout, afin de donner le temps
aux nouvelles levées de fe former, & de,s’accoutumer
à être enfemble.
Le roi n’avoit point de corps d’armée de fes.
troupes dans l’élëéforat de Cologne, où il n’y avoit
que celles qui avoient été levées par le cardinal de
Furftemberg , qui furent aifément diffipéès , tant
par les lettres évocatoires de l’empereur, que par
leur mauvaife difpofition.
Nous avions feulement une bonne garnifon dans
Bonn, où M. d’Asfeld commandoit. M. Téle&eur
de Brandebourg , qui avoit diflipé les trbüpes de
M. le cardinal de Furftemberg', qui étoient dans
la Weftphalie & dans l’éleftorat de Cologne ; de
J’aufre côté du Rhin , forma une puiffante armée ,
tant de fes troupés, que de celles des princes de
la baffe Allemagne, & affembla tout ce qui lui
étoit néceffaire :pour un grand fiègé , qui ne pouvoir
être que celui de Bonn , qu’on fe contenta de
pourvoir d’une bonne garnifon, avec trop peu de
munitions de guerre & de bouché.
• Voilà quel étoit, de la part dù r o i, le projet de1
défenfive pour cette campagne, -dans les règles
d’u n e guerre défenfive judicieufement exécutée
par le général qui en eft chargé ; il fembloit que le
Rhin étoit une affez bonne barrière pour empé-*
cher M. de Lorraine de pàffer ce fleuve devant
notre armée , commandée par M. de Duras, &
l’empêcher de faire le fiège de Mayence , feule
entreprife raifonnable à former par M. de Lorraine,
pour1 pouvoir porter la guerre en - deçà du Rhin ,
& faire lubfifter l’armée, de l’empereur.
• Cependant M. de Duras éloigna trop fon armée,
pour pouvoir empêcher M. de Lorraine de paffer
le Rhin fans oppofition, & lui laiffa paifiblement
former le fiège de Mayence, place plutôt màu-
Vaife que bonne, que le marquis d’Uxelles qui y
commandoit, ne laiffa pas de défendre avec beaucoup
de capacité -, jufqu’à c ce qu’il fut forcé de
la rendre, manque de munitions de guerre.
Après cette expédition, M. de Lorraine, avéc
Une grande' partie ;de f©n infanterie , defeendit le
Rhin , &• vint aider M. de Brandebourg à prendre
Bonn. Ainfi , cette campagne d’une défenfive mal
exécutéë , coûta aü roi tout le Rhin, depuis Phi-
lisboürg jufqù’à Rheimberg-, & établit-la guerre
dans le Palatinàt.
L’on me dira peut- être, -pour exeufer M. de
Duras , que l’armée de l’empereur étoit compofée
d’un puiffaiit corps dé cavalerie vieille &. fort
aguerrie1, puifqù’elle venoit pour la plupart de
Hongrie & que prelque toute la cavalerie du roi
étoit nouvelle ; qu’ainfi il n’eut pas été prudent à
M. de Duras de la commettre contre cétte bonne
cavalerie*
Cela eft vrai-, & jô ne blâmerois pas M. dé
Duras> fi M. de Lorraine n’avoit pas eu le Rhin à
paffer pour s’attacher à Mayence , qui eft en - deçà
de ce fleuve.
Mais ce n’eft pas la. fupériorité en cavalerie ,
qui met un général en état de faire un pont fùr
une rivière, comme le Rhin , & qui facilite le
débouché d’unè armée.
Ainfi, fi M. dé Duras, qui h’avoit aucune autre
entreprife à craindre que celle du fiège de Mayence,
s’étoit placé plus près du Rhin , qu’il auroit pu facilement
forcer M. de Lorraine à aller paffer le
Rhin à Côblentz, s’il s’étoit fait un capital de paffer
ce fleuve ; auquel cas la guerre n’auroit pu
être portée dès cette année jufqu’aux portes de
Landau, ni être foutenuë par M. de Lorraine fans
Mayence , parce qu’il auroit toujours été trop
loin de fès- vivres.
M. le maréchal d’Humières ne fe conduifit pas
mieux en Flandres, où il reçut, affez mal-à-propos-,•
Un échec à Waicouft.
De manière qu’après la perte de Mayence, le
roi donna à M. le maréchal de l’Orges le commandement
de fon armée d’Allemagne, & -au eom-
rùencement de l’a-ntiée 1690 celui de l’àrmée dé
Flandres à M. de Luxembourg.
Dans cetlé année 1690 -5 M< lé ïriaféthaî de !
Luxembourg fit bien voir qu’un habile général peut
trouver, les moyens de changer la confiitution
d’une guerre.
Celle qu’on s’étoit propofé de faire cette campagne
en Flandres * /étoit de la troifième efpèce
d’entre puiffances égales * dans laquelle les généraux
doivent s’occuper à fe procurer des avantages
qui changent la nature de cette guerre. Ce fut
à quoi M. de Luxembourg penfa avec application.
M. deWaldeck lui étoit fupérieur 5 parce que
la courvouloit que M. de Boufflers , avec un corps
de troupes , veillât avec,' une grande attention aux
entreprifes de nos ennemis contre les places de la
baffe Meufe. Ainfi, quoique M. de Boufflers fut
aux ordres de M. de Luxembourg, ce général ne
pouvoit pourtant fe .fervir du corps que commandoit
M. de, Boufflers, qu’autant qu’il ne per-
droit pas de vue la protection des places de la
baffe Meufe.
M. deWaldeck, après plufieurs mouvements au-
delà de la Sambre, dans lefquels M. de Luxembourg
l’obfervoit toujours de près en - deçà de
cette rivière, vint enfin fe camper à Fleurus.
Ce fut ce temps que M. de Luxembourg , toujours
attentif à fe prpeurer un avantage qui changeât
la conftitution de .la guerre', ut fi bien prendre ,
qu’il parvint à ce; qu’il fouhaitoit. Il le plaça pour
cela vis-à-vis de l’armée de M. de W aldeck, dans
un lieu où la Sambre avoit des gués pour la cavalerie,
& fit faire aux troupes de M. de Boufflers
une marche affez vive pour en être joint avant que
M. de Waldeck fçût qu’elles euffent marché.
Pour couvrir mieux à l’ennemi la jon&ion de
ce corps , la veille. de la. bataille il fit paffer un
corps de cavalerie au-delà de la Sambre , pour
amufer M. de Waldeck par un petit combat, & lui
cacher le paffage de toute fon armée • après quoi
il le combattit avec un fuccès fi heureux", que la'
fupériorité de l’armée du roife trouva établie pour
tout le refte de la campagne , fur celle de les
ennemis.
Exemple remarquable^, qui prouve que dans une
guerre entre puiffances égales, un général habile &
d’un'génie fupérieur-à celui de fon ennemi, peut,
fans lè-commettre au caprice tfe la fortune, &
par fa capacité feule, trouver les moyens de changer
la conftitution embarraffante de cette guerre
en une offenfive de fa part.
Dans cette même ’année 1690, je trouve en
Piémont un exemple tout contraire à celui que je
viens de rapporter, puifque je ferai voir que la
guerre qui Commença-cette année contre M. le duc
de-Savoie dèvoît d’abord être offenfive de notre
part ; que cependant, dès fon commencement,
elle fe tourna en guerre entre puiffances égales;
que l ’événement dé la bataille de Stafarde lui fit
reprendre fa première nature, qui devoît être
celle de l’offenfive-;- qulenfuite, fans aucune rai-
fon., elle revint à fé faire entre puiffances égales ;
& qu’enfin la- campagne fe termina par l ’offenfive