préparé le fecours , une bourrafque l’écartô , &
que des calmes ou des vents contraires le détiennent
dans le port ou fur la mer , ce qui eft encore
plus à craindre lorfque le convoi doit venir de
«tort loin.
Je me fouviens qu’en 1710 les galères du duc
de Turfis ne purent pas, en onze jours pendant
l ’été, traverler le petit trajet qu’il y a de Bonifacio
en Corfe à Terra-Nova en Sardaigne, par la violence
des vents debout qui règnoient ; de forte
quil ne fut pas poffible de fecourir quatre cents
' hommes qui avoient commencé de débarquer à
,Terra-Nova.
S i, fupérieur en forces navales , vous prenez la
refolution de fecourir la place par mer, mettez-
vous à la voile quelque temps avant le jour q u i,
félon le bruit que vous aviez fait courir , paroif-
foit être déterminé pour votre départ, afin que les
vaifleaux ennemis qui font devant le port affiégé,
31e fe tiennent pas encore ft fort fur leurs gardes ;
huit jours avant & après votre départ, ne permettez
à aucun bâtiment, même à ceux des pêcheurs,
d’aller en mer, & contraignez touts les navires de
vous fuivre , pour éviter, par cette précaution,
que les ennemis n’ayent avis de votre-départ ou
de votre prochaine arrivée.
A quinze ou vingt lieues de diftance de la flotte
ennemie, qui eft devant le port aftïégé, mettez-
vous à la cape jufqu’àlanuit, afin que les vaifleaux
qui pendant le voyage avoient perdu la route,
ayent le temps d’arriver pour prendre le pofte qui
leur a été deftiné.
Dès que la nuit commencera , naviguez fans
fanaux, & prenez vos précautions , autant que le
vent le permettra, pour tomb erau point du jour,
fur la flotte ennemie. Evitez fur-tout d’approcher
de trop près la terre , ce qui eft beaucoup à appréhender
dans les côtes baffes peridant des nuits
fort obfcures. Pour déterminer précifément à
quelle diftance vos navires doivent,s’arrêter & fe
mettre à la cape , il faudroit avoir été inftruit par
avance jufqu’où s’étendent ordinairement les vaif-
feaux de garde de l’armée ennemie.
Si vous avez chargé les troupes, les vivres, les
munitions du fecours fur des vaifleaux de guerre,
vous devez y mettre aufli des officiers de marine
expérimentés & de beaucoup de valeur, afin
qu’après le combat commencé ils entrent dans le
port par le deffus du vent du vaiffeau ennemi
le plus éloigné ; il eft néanmoins important qu’il
y ait toujours quelques galères ou quelques frégates
qui accompagnent les navires de tranfport,
pour attaquer les petits bâtiments armés de l’aflié-
geant, qui ne pouvant pas fervir pour combattre
dans la ligne, ne prennent point le large, & fe retirent
près de terre. De cette manière, quand même
votre flotte ne diffiperoit pas celle des ennemis,
vous réufîirez à fecourir la place. -
Lorfque les ennemis n’ont point d’armée navale
devant la place affiégée, & que leur armée de
terre fait venir fes proviftons de bouche ou de
; guerre par des tranfports fur mer, vous diviferez
vos vaifleaux & vos galères pour aller en mer
contre ces bâtiments de.tranfport.
Si les ennemis, au lieu de fe fervir de navires
détachés, forment un convoi dans quelqu’un de
leurs ports , j’ai fait voir , au commencement de
ce traite, de quelle manière vous pourrez enlever
ce convoi ou le détruire, quand même vous feriez
inférieurs aux ennemis en forces navales.
Si vous avez quelque port .voifin de celui qui
eft affiégé, vous pourrez , quand même les ennemis
feroient fupérieurs en vaifleaux , faire entrer
fréquemment dans la place des vivres , des munitions
& des troupes, avec des galères, des bri-
gantins, des galiottes, ôt autres lemblables bâtiments,
qui, bien équipés de rames & de rameurs
, partiront de ce port voifin dans des nuits
obfcures ou dans un temps de calme , pour fe
rendre à celui qui eft invefti.
Perfée, roi de Macédoine, fe fervit de légers
brigantins pour jetter pendant une nuit obfcure du
fecours dans Caffandre, quoique les armées navales
des Romains & du roi Eumène fes ennemis euffent
invefti le port de cette place.
Damien Grillot, ayant bien obfervé la difpo-
fition de la flotte Vénitienne , qui faifoit contre
les Génois le fiège de C h io, fecourut pendant
l’obfcurité de la nuit cette place, par le moyen
de certains bâtiments à rames, qui fecrétement
& fans bruit pafsèrent au milieu des vaifleaux
ennemis.
! Il eft aifé, de jour même, de faire entrer du
fecours dans un port affiégé , avec de légers
bâtiments à rames , en profitant d’un calme,-principalement
fi vous vous trouvez plus fort en
cette forte de bâtiments que les ennemis, ou ft.
! vous avez quelques autres ports voifins pour fervir
de retraite & d’afyle à vos bâtiments à rames „
fuppofé que, s’étant levé un vent frais ,. les vaif-
feaux ennemis leur donnent la chaffe.
. Annibal le Rhodien, fur un bâtiment fort léger,.
faifoit de jour , & à la vue de l ’année navale dèr
Rome , de fréquents voyage de Trapano au port
voifin de Lilibée, qui étoit affiégé.
Quand même vous ne feriez pas fupérieur aux
ennemis en bâtiments à rames ,. ne perdez pas.
efpérânce de pouvoir introduire dans la place des
fecours par mer fur de petits navires bons voiliers.
&peu chargés. Pour y réuffir, commencez à les envoyer
jufqu’où il n’y a pas à craindre qu’ils foient
découverts par les vaifleaux ennemis. Ils y atten-'
dront un-vent favorable. Dans ce cas , le plus fort
eft le meilleur, parce que là flotte ennemie ne
pourra pas aller à la bouline, pour les attaquer
en haute mer, & il lui fera difficile de les atteindre
dans le peu de trajet qu’il y a entre elle & le port*
A la faveur de ce vent, de robfeurité de la nuit &
des pilotes qui connoifftent parfaitement la côte r
vos navires tenteront d’introduire le fecours dansla
place affiégée. Si le vent leur devient contraire j
pour pourfuivre leur route , & par conféquent
favorable aux ennemis pour aller fur eux, ils ne
fe tiendront pas à faire des bordées; ils tâcheront !
au contraire de fe retirer dans un port sûr , le
plus voifin de la place qu’ils alloient fecourir, afin
d’y attendre un autre coup de vent favorable.
Il eft encore plus aifé de réuffir, lorfque la place
affiégée & fes forts détachés couvrent une grande
étendue de plage, où il y a peu de fond, parce
qu’il fera plus difficile aux navires des ennemis
de couper le paffage aux vôtres, lorfqu’ils les auront
découverts. Leurs vaifleaux dé hauts bords ne
pourront. plus approcher vos petits navires dès
que ceux-ci iront près de terre; & pour fe défendre
contre les galiotes des ennemis & autres
bâtiments qui ne demandent que peu de fond ,
il f'uffira qu’il y ait quelque infanterie fur les
vôtres.
. Annibal, fils d’Amilcar, étant forti dé Carthage,
avec douze mille hommes de fecours qu’il devoit
jetter dans la place de Lilibée , dont les Romains
faifoient le fiège par mer & par terre, attendit
dans les îles voifines d’Egufe un coup de vent
for t, dont il profita pour entrer dans cette place ,
ayant paffé au milieu des vaifleaux de Rome ,
quoiqu’ils fuffent fupérieurs en nombre aux fiens.
Le roi d’E fpâgne,en i7 i4 ,a v o i t devant Bar- I
celone vingt ou vingt - cinq vaifleaux armés , des
galères & quelques galiotes ; néanmoins , pendant
plus de fix mois de temps , il fe paffoit rarement
quatre jours fans qu’il entrât dans la place quelque
fecours fur des pataches, des tartanes & des
brigantins qui partaient de Majorque- à l’heure
que , félon le vent, les patrons croiroient jufte ,
pour paffer, à la faveur de la nuit, au milieu des
vaifleaux de garde, & de ceux qui étoient à l’ancre, |
ou par dehors. Ce qu’il y avoit de plus furprenant,
eft que , nonobftant la promptitude avec laquelle
les Efpagnols levoient l’ancre , ils ne pouvoient
jamais atteindre ces vaifleaux ennemis, qui ayant j
bien obfervé les bordées que faifoient les vaif-
feaux de garde, dirigeoiént leur route plus à droite
ou à gauche , & côtoyoient enfuite en fureté, à la
faveur de l’obfcurité de la nuit, du vent de terre,
& du peu de fond, qui ne permettoit pas aux
vaifleaux du roi d’Efpagne de les approcher. D ’ailleurs
ces petits bâtiments, qui apportoient ainfi du
fecours à la place, étoient favorifés par une grande
étendue de côte, couverte par l’artillerie de la
ville & par celle du château de Mon joui.
On peut aufli faire entrer à la dérobée un fecours
par mer, pendant que les vaifleaux ennemis fe
trouvent écartés par une tempête qui les oblige
de courir ; car ordinairement les vaifleaux, pour
ne pas fe tenir fous la portée du canon de la place,
jettent l’ancre au-delà des pointes de terre qui
mettent le port à l’abri des vents. Nous l’avons
éprouvé très fouvent au fiège de Barcelone , ou
il faifoit que nos vaifleaux abandonnaient la plage
toutes les fols que les vents du golfe .fouffioient
fortement.
Pour ces fortes de fecours, il feroit à propos
qu’il y en eût de tout prêts dans les ports à droite
& à gauche de celui qui eft invefti, parce que, de
l’un ou l’autre de ces ports , on pourroit, quelque
vent qui régnât , fe rendre à la place affrétée
avant que la flotte ennemie qui court la mer eue
repris le pofte qu’elle occupoit fur les eaux.
Me trouvant infpe&eur des troupes d’Anda-
loufie & des garnifons d’Afrique , j’obfervai que le
roi d’Efpagne avoit donné ordre à l’entrepreneur
des vivres pour les garnifons d’Afrique, d'avoir1,
toujours un magafin de proviftons de bouche à
Malaga , un autre à Cadix, & quelques-autres à
Tarifa. De cette manière, aticun v ent, à moins
qu’il ne foit extrêmement orageux, ne pouvoir
empêcher de fecourir ces garnifons.
L’expédient que j’ai propofé, d’aller en courfe
contre les bâtiments qui tranfportent des vivres
pour faire fubfifter l’armée ennemie , peut fe pratiquer,
quand même vous feriez inférieurs en vaif-
feaux de guerre, principalement fi vous avez des
ports voifins , où vos corfaires puiffent fe réfugier,
lorfqu’ils découvrent des vaifleaux ennemis ou plus
gros ou en plus grand nombre. C ’eft ainfi qu’Eva-
oras réduifit à la dernière difetté de vivres les
erfes qui faifoient le fiège de Chypre, & que Car-
thaîo.n, général des Carthaginois, empêcha l’armée
Romaine de recevoir des fecours par mer, lorsqu'elle
affiégeoit Lilibée.
J’ai parlé un peu auparavant des précautions à
prendre rpar rapport aux bâtiments qui font dans
un port, & d'une fi grande circonférence que quelque
endroit ne foit pas expofé aux batteries que
les ennemis ont fur terre , & fi la plus dangereufe
attaque peut être par un front, qui par quelque
côté répondë au port, vous devez y conferver
deux vaifleaux de guerre & deux galères , qui vous
ferviront de batteries mouvantes pour enfiler ou
incommoder celles des ennemis , leurs tranchées &c
leurs communications. Les troupes de la ligue
éprouvèrent, au fiège du château de Matagorde,
devant le port de Cadix, combien ce que je pro-
pofe peut coûter de travaux & de fang aux ennemis.
On démâte ordinairement les vaifleaux & les
galères qui fervent à l’ufage dont je viens de parler,
parce que leurs mâts , abattus par les coups de
canon des ennemis , cauferoient un terrible ravage
par leur chute & par leurs éclats , d’autant mieux
que pour le peu de mouvement que ces vaifleaux
doivent faire , il fuffira qu’ils foient remorqués par
les galères ou par les chaloupes du port.
On a coutume de doubler ces vaifleaux de fort
groffes planches , & de mettre de la laine , du
coton , ou autre chofe femblable , entre ces
planches &. le côté du vaiffeau , afin qu’il foit à
Tépreuvè du boulet.
On nefçauroit renforcer les galères de là même'