
avoir ; parce que fi les mécontents venoient à le
joindre avec les Maures d’Eipagne , la religion
& le royaume feroient expofés à de plus grands
malheurs.
L’empereur Charles V étant devant Argel, offrit
à Affanaga, que, s’il lui remettoit là place , il don-
neroit liberté de confidence aux Maures & aux
Turcs qui voudroient y refter.
Forefti rapporte que Théodoric I I , roi des
Goths , après avoir conquis l’Italie , ne voulut
point, quoique arrien , s’oppofer à la religion des
catholiques, afin de s’attirer leur affe&ion, parce
qu’ils faifoient le plus grand nombre des peuples
que fes conquêtes lui avoient fournis. Il eft vrai
qu’ayant changé dans la fuite de moeurs & de
génie , il oublia fa première conduite.
Arialde, roi des Lombards en Italie , arrien de
religion , ufa aufii dans le commencement, envers
les catholiques, de la même politique dont Théodoric
avoit ufé.
Nous voyons que les Anglois & les Pruffiens
s’intéreffent aujourd’hui pour ceux de leur religion
dans les difputes que quelques peuples du Palatinat
ont contre les catholiques du même pays.
Ce que vous pouvez faire , même pendant la
guerre, eft d’introduire dans le pays conquis des
prêtres & des religieux qui ayent autant de prudence
-& d’adreüe que de fçavoir & de piété \
qui, fous prétexte d’être deftinés pour le fervice
fpirituel de vos troupes , s’infinueront dans l’ef-
prit des habitants >& feront imprimer en la langue
de ce pays des livres pour démontrer.la vérité
de notre religion , qui, par ces moyens, s’étend
dans la Saxe, en Chine, & dans plulieurs autres
états. . . • '*■
Dans ces commencements vous n’exclurez point,
par aucune ordonnance, les hérétiques des emplois,
mais peu-à-peu vous en donnerez la plus grande
partie aux catholiques ; le prince traitera ces derniers
avec quelque forte. de diftinâion dans le
particulier.
Plufieurs Gentils changèrent de religion pour
fuivre celle de Mardochée , parce qu’il étoit le
favori du roi Affuérus.
Je fçais qu’il peut y avoir en cela un inconvénient
, qui eft que quelques-uns, par intérêt, abu-
feront du nom de la religion. Ce n’eft pas là ma
v u e , & je ne propofe cette forte de récompenfe
que pour ceux qui véritablement & dans la fincérité
du coeur ont embralféla foi catholique.
nombre des catholiques prévaudra de beaucoup«
parce que c,eux-ci alors s’offenferoient de ce trop
de ménagement dont vous uferiez envers les hérétiques.
Je viens de dire que c’eft dans le particulier
qu’il faut traiter les catholiques avec diftinftion \
j ’ajoute que, quelque confiance que vous puiffiez
avoir en eux , vous devez leur recommander le
fecret, pour ne pas trop irriter ceux d’une religion
différente auxquels les ennemis tâcheront de vous
rendre odieux, quand même vous ne donneriez,
en public aucun motif de foupçonner que vous
voulez toucher à leur religion. Mais il ne fera
plus befoin de tant de précautions lorfque le
•
• L’empereur Léopold-Ignace, voyant la Hongrie
foulevée, & defirant s’y faire un parti, offrit plufieurs
grâces aux catholiques de ce pays, en leur
perfuadant que l’intention de Tekeli etoit de
détruire la religion romaine. Tekeli, au contraire >
repréfentoit aux fe&aires que l’empereur n’avoit
! d’autre fin que de les exterminer, afin quil n j ,
eût plus que des catholiqu .s dans la Hongrie ; o£
ces idées differentes, que l’on tâchoit de donner
de l’autre, ne laifsèrent pas de fervir a touts les
deux. . A
Chriftierne I I , roi de Suède, chaffe du trône
par Guftave V a fa , & haï extrêmement des Suédois
, ne fçavoit comment s’y prendre pour entamer
la négociation de fon rétabliffement ; mais^ enfin,
par le confeil de Guftave Trolle , archevêque
d’Upfal, & de Ture Jonffon, maréchal dé Suède,
il publia un manifefte, par lequel il déclara que
fon unique fin étoit de rétablir &. de conferver la
leligion catholique que Guftave Vafa detruifoit, &.
par-là Chriftierne fe fit un puiffant parti. Il eft vrai
qu’il fut de nouveau combattu par de malheureux
fuccès, en punition peut - être de ce qu il n étoit
pas aufii catholique dans le^coeur qu’il avoit voulu
le paroître dans fon manifefte.
En traitant des révoltes, je dirai par quel moyeft
| on peut éviter que les erreurs & les feéles ne- s in-
! troduifent dans le pays ou règne feule la religion,
catholique.
Des coutumes, des loix , des modes, de la langue ,
des poids, dès mefures , de La monnoie & des
privilèges' des pays conquis.
J’ai prouvé que des ordres en tTop grand nombre,
fur des choies que l’on veut porter a la dernière
perfeéfion, font mal obfervés, à moins d’ufer de
continuels & fanglants châtiments ; qu’il- ne convient
pas de faire des ordres pour les laifier enr
freindre fans punition, & que les changer fouvent,
c’eft avouer qu’on les' a donnes fans reflexion j.
j d’où il eft aifé de conclure qu’il ne faut ordonner
j que ce qui eft nécefiaire.
S’il eft impartant de ne pas changer les ordres ,
il eft encore plus nécefiaire de ne pas altérer les
loix , parce que dans le fréquent changement elles
s’affoiblifTent, femblables à un arbre qui, tranf-
planté fouvent, ne pouffe dans aucun endroit de
profondes racines. « Changer facilement les loix
en de nouvelles, c’eft, dit Ariftote, affoiblir la
loi ». S. Thomas, commentant ce paffage, ajoute
« que, par une fréquente innovation des loix , on;
accoutume les fujets à ne pas obferver les, ordonnances
des princes»«
Dès qu’un étranger change les loix ou les cou-,
tûmes d’un, pay s q u a n d même ce fer oit pour te
mieux, dès-lors le vulgaire I de quelque nation que
ce foit, s’imagine que, fur les ruines des anciennes
loix & des anciennes coutumes, l’honneur de la
patrie va être enfeveli, &. que cela eft capable
rie porter atteinte à la réputation de ceux qui les
avoient établies, & de ceux qui avoient vécu fous
ces mêmes loix. Cela eft encore plus v rai, lorfque
les; peuples dû pays où fe fait ce changement font
d’un génie oppofé à la nation qui commence à
y dominer ; parce qu’il foupçonne plus aifément
qu’on agit moins par raifon que par mépris. Ainfi,
quoique certaines modes ou certains ufages du pays
nouvellement conquis vous paroifient ridicules ,
bien loin de vous en moquer, conformez-vous
à ces modes, &. faites paroître que vous voulez
conferver ces ufages , fuppofé qu’ils ne foient
ni indécents, ni criminels, ni préjudiciables à la
fûreté & à l’intérêt de votre fouverain ; car ,
pourvu qu’il y règne abfolument, que vous importe
de vous habiller fuivant une mode étrangère
? L’échange eft bon quand on reçoit de l’or
pour de l’oripeau que l’on donne.
Dès qu’Alexandre eut commencé fes conquêtes
& qu’il eut pris la Carie, non - feulement il ne
toucha pas aux privilèges, aux loix & aux coutumes
des peuples ; mais ayant pade dans la Pérfe,
al s’habilla même à la manière de ce pays, pour
s’attirer l’affeéHon des Perfans.
Pineda rapporte qu’Alcibiade, cet habile &
fameux capitaine, raangeoit peu & mauvais avec
les Lacédémoniens ; qu’il buvoit beaucoup avec
les Parthes ; que parmi les Ioniens fa table étoit
propre & délicate ; que parmi les Thraces il faifoit
paroître fon adreffe à bien manier un cheval j &
qu’avec les Perfes il étaloit le fafte ; de cette manière,
dans touts les différents pays qu’il parcourut,
il fut aimé &bien lervi par-tout.
L’empereur Baflïen, en Allemagne, s’habilloit &
mangeoir à la manière des Allemands : en Grèce,
il prit la parure des Macédoniens , & donna à fes
capitaines le nom de ceux d’Alexandre , dont il
fçavoit que le fouvenir étoit agréable aux Grecs.
Cromwell, qui conrtoifloit combien le nom de
roi eft odieux en Angleterre, ne prit que celui de
proteéleur , & il ne laiffa pas pour cela, non-feulement
de commander en roi, mais même en tyran.
Cæfar , aux Lupercales, jetta par terre la couronne
que Marc-Antoine, par flatterie , lui avoit
mife fur la tête ; au lieu du nom de r o i, il ne
prit que celui de di&ateur, afin de donner moins
a connoitre qu’il vifoit à changer les coutumes du
pays , & à éteindre la liberté de Rome.
Galba ne prit point, au commencement, le nom
rie Cæfar ni d’empereur de Rome , mais feulement
celui de capitaine du fénat & du peuple Romain ,
parce que ce titre étoit moins odieux que les deux
premiers : & Vitellius , le compétiteur de Galba,
refufa de ceux de fa faélion le titre de Cæfar, ne
voulut que celui de Germanicus, parce qu’il corn-
mandpit les légions d’Allemagne.
Je ferai voir ailleurs qu’on eft quelquefois obligé
défaire de nouvelles lo ix , de donner une interprétation
plus étendue aux anciennes , ..ou d’établir
de plus graves peines pour les faire obferver,
foit parce qu’il n’y a plus de proportion 6L de
conformité entre la loi &. les coutumes qui ont
changé, foit parce qu’on lui a donné de fauffes
explications , foit enfin parce qu’elle a çté fi fou-?
vent enfreinte qu’elle n’a. prelque plus la force
de loi. A in fi, lorfque par ces raifons, ou par
quelques autres , il eft nécefiaire def faire quelque
changement ,* fi fur cette matière il y a déjà eu la
même loi que vous voulez établir, ou une qui
en approche, fans en donner une nouvelle, faites
revivre l’ancienne : alors, bien loin de vous attirer
par cette nouveauté la haine des fujets, vous
mériterez leur eftime par le zèle que vous ferez
paroître à tirer de l’oubli les anciennes ordonnances
, & à rappeller le fouvenir des premiers
légiflateurs. Jefus-Chrift lui-même, en établiffant la
loi évangélique , a déclaré : « qu’il ne venoit pas
détruire les prédirions des anciens prophètes ,
mais les accomplir».
Quoique le roi mon maître put faire toutes les
nouvelles ordonnances que bon lui auroit femblé ,
bien aflùré que fes ordres royaux feroient reçus
avec un applaudiffement proportionné à la vénération
& à l’amour que fes fujets lui portent, &
qu’il mérite fi juftement, néanmoins, dans la pragmatique
qu’il a faite en 1723 , il renouvelle prefque
toujours les anciennes pragmatiques & les loix de
fes prédéceffeurs ; & quoique Viâor-Amédée I I ,
roi de Sardaigne, foit un prince fi accompli, que
non - feulement fes fujets , mais le monde entier
devroit s’eftimer heureux de vivre fous fes lo ix ,
il a pourtant obfervé la même chofe dans fes
nouvelles conftitutions.
Si au lieu de faire revivre une vieille loi non
obfervée, il eft à propos d’en réformer une qui
eft en vigueur, faites-le de manière qu’en laiflant
fubfifter une apparence de la dernière, il ne pa-
roifl’e pas que vous voulez l’abolir, mais feulement
prendre les précautions & les mefures que le temps
préfent demande, afin que les peuples, flattés de
l’efpérance que ces nouveaux ordres ne feront pas
d’une longue durée, ne prennent pas une réfolu-
tion proportionnée au dégoût que ces ordres leur
caufent.
Forefti, parlant du conful Paul Emile , qui
conquit la Macédoine, dit qu’il emmena plus de
cent cinquante mille hommes de ce pays ; &
pendant que ce conful , par l’ordre du fénat ,
donnoit la liberté aux v ille s , des milliers de citoyens
venoient fe rendre prifonniers.
Il faut, félon B or r i, en faifant une nouvelle
ordonnance , donner à connoître au peuple qu’elle
tourne à fon avantage : je dirai bientôt çommen*
cela peut fe faire.
Afin quç la nouvelle ordonnance que vous
voulez faire foit moins odieufe , il faut que les
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