
Après avoir découvert ceux qui , dans votre
armée, manquent de courage , faites femblant de
croire que leurs feintes indilpofitions font réelles ,
ou que leurs armes , ou leurs chevaux font
en mauvais état ; lous ce prétexte , envoyez - les
en garnifon dans les places ou il y a moins à
craindre , & d’où, pour les remplacer, vous tirerez
un égal nombre de foldats choifis des corps qui
y font. Ces détachements pourront à la fin de la
camgagne , rejoindre leurs compagnies ; parce
qu’ainfi les colonels donneront toujours les meilleurs
foldats, afin qu’en fe diftinguant dans l’armée,
ils tafient honneur à leurs régiments: au lieu que
fi les officiers de ces corps voyent qu’on ne leur
rende pas leurs détachements, ils n’enverroient
une fécondé, fois , dans un pareil cas , que les
moindres foldats. Il nç fqffiroit pas même , pour
y remédier , que les gouverneurs des places, ou
les infpe&eurs enflent ordonné de les choifir, parce
qu’il y â dans chaque compagnie des hommes de
bonne mine, mais dont les aéfions ne répondent
pas à leur belle apparence, & dont les officiers
ifeuls connoiflent les défauts.
L ’empereur Léon'recommande extrêmement de
^’entreprendre aucune expédition avant d’avoir
éprouvé la valeur des foldats ; mais en même-
temps il confeille au général de ne pas divulguer
la lâcheté de ceux qu’il aura reconnu manquer de
courage, de peur qu’ils ne deviennent encore
plus lâches ; au lieu que fi vous faites femblant de
ne pas vous en appercevoir, fur-tout à l’égard des
nouvelles troupes, peut-être qu’avec le temps & la
pratique de la guerre , elles fe rendront valeureufes.
Çæfar envoya fes plus mauvais foldats aux gar-
fiifoqs dé Theflalie & d’Etolie , & fe réferva les
bons pour les faire camper & les oppofer à Pompée.
En 1711 ou 17 12 , on demanda aux régiments
Efpagnols qui étoient en Catalogne un détachement
de 400 hommes , avec promefle qu’une certaine
expédition finie, on rendrpit chaque foldat
il fon corps. Les colonels donnèrent leurs meilleurs
foldats ; mais ayant vu qu’on les avoient fait
pafler à Porto-Longo, pour recruter les bataillons
d’Oflon d’Alman^a, lorfque peu de mois après
on leur demanda un autre détachement de 500
hommes, il ne s’en trouva pas vingt dans ce nombre
qu’on pût compter pour foldat. Je puis l’affurer,
parce qu’une bonne partie des foldats de cette
dernière recrue échut à mon régiment des Aftru-
fie s , & je les renvoyai prefque touts , dès que
j’eus l’oçcafion d’en recruter d’autres.
En traitant des occafions où il faut éviter le
çombat > je donnerai divers avis , qui fouvent
peuvent être ffirt utiles lorfqu’on change des corps
entiers à caufe qu’ils font intimidés.
Différents moyens pour accoutumer Vinfanterie à
perdre la crainte -quelle a ordinairement de la
cavalerie.
J’ai déjà parlé des avantages que finfanterie a ,
lorfqu’elîe eft bonne , fur quelque cavalerie que
ce foit ; mais comme ce n’eft pas affez que le
commandant comprenne fes avantages , fi l’infanterie
elle-même n’en eft pas perfuadée , je. vais
lui propofer les moyens de connoitrë fa propre
force , afin que par la confiance qu’elle y aura ,
elle perde la crainte qu’on peut avoir quand on
l’ignore.
Pour difluader l'infanterie d’une faufle prévention
, & du peu de raifon qu’elle a de .craindre la
cavalerie , détachez quelque parti d’mfanterie pour
attaquer des partis de cavalerie ennemi en nombre
égal, que par vos efpions vous fçavez être fortis
de l’armée, & tenir un tel chemin. Vous pouvez
auffi employer un détachement d’infanterie contre
une grande garde de cavalerie , pourvu que la
retraite jufqu’à votre armée ne foit pas longue,
ou que vous méditez, à une, diftance raifonnable ,
un corps de troupes affez fort pour foutenir votre
détachement contre les piquets des ennemis, qui
ne tarderont pas à venir les charger.
On voit fouyent des partis de dragons ou de
cuiraffiers ennemis s’avancer devant les places qui
n’ont point de cavalerie. C ’eft - là une des meilleures
occafions pour envoyer un pareil nombre
de foldats d’infanterie pour les combattre, parce
que la vue de leur garnifon les portera à faire
de plus grands efforts , & s’ils commencent à.plier ,
on fera promptement fortir un gros corps d’infanterie
qu’on aura pofté à cet effet fur le chemin
couvert. Lorfque , dans ces occafions , vos partis
d’infanterie battront ceux de la cavalerie ennemie,
cet exemple fervira d’un augure favorable pour
porter vos bataillons à attaquer les efcadrons ennemis
avec plus d’efpérance de les vainçie , fur-tout
fi les officiers d’infanterie repréfentent fouvent à
leurs foldats les avantages que j’ai dit que l’infanterie
a fur la cavalerie , & leur rappellant les
occafions dans lefquelles cette même infanterie a
mis en déroute la cavalerie ennemie.
Cæfar, à force de repréfenter à fon infanterie
les avantages qu’elle avoit fur la cavalerie en nombre
égal, & qç mettre fouvent aux mains la première
contre la fécondé , fit que fon infanterie eut un
parfait mépris pour la cavalerie.
Dans la retraite fameufe que les dix mille Grecs
firent après la mort du jeune Cyrus, Xénophon ,
leur chef, les voyoient trilles de ce qu’ils n’avoient
point de cavalerie, tandis que celle de Tyfapherne ,
en grand nombre, Içs chargeoit chaque jour.
Entre plufieurs représentations que Xénophon
leur f i t , il leur difoit : « que dix mille hommes
à cheval n’étoient que dise mille combattants ;
parce que p.erfonne ne mouroit de la morfure
des chevaux ». Par cette raifon & autres fem-
blables , ii anima fi bien fes foldats contre cette
cavalerie , qu’elle les pourfuiyçit toujours en
vain.
Motin, officier diftingué parmi les Suiffes, avant
de les conduire à la bataille ‘de Bovarre, leur rappe11
«
Jleïïa les occafions oii l’infanterie de la nation avoit
toujours battu en rafe campagne toute forte de
cavalerie, & ces Suiffes, avec leur feule infanterie,
gagnèrent, en 15 13 , cette bataille contre
les François.
Les officiers de. votre infanterie doivent auffi
faire comprendre a leurs foldats que s’ils viennent
à fuir, ils ne pourront jamais s’échapper de la cavalerie
ennemie, qui court mieux, & qui les maf-
Jacrera à diferétion ; au contraire, s’ils fe tiennent
ferrés, en bon ordre, & ne perdent pas tout-à-
coup courage, il eft prefqu’impoffible que la cavalerie
leur nuife, & que, par conféqùent, la fureté
de leur vie dépend de leur fermeté &. de leur dif-
cipline, ce qui eft certain : « c a r , dit Ariftote,
le fantaffin, fans l’ordre & fans la difeipline, eft
un foldat inutile, v.
Mironidas étant fur le point de combattre contre
les Thébains, qui lui étoient fupérieurs en cavalerie,
avertit les Athéniens qu’il commandoit, de
faire attention à la grande plaine où ils fe troü-
voient, & de confidérer que, s’ils venoient a
prendre la fuite, leur perte étoit certaine , parce
qu’ils feroient atteints par les ennemis ; mais que,
s ils fe tenoient ferrés & en bon ordre, ils avoient
lieu d efperer remporter la viétoire ; & cette' re-
prefentation fit que l’armée d’Athènes tint fermé.
Il femble qu’Alexandïede-Grand avoit la même
vue de perfuader à fes foldats qu’il y a plus de
fureté à combattre qu’à fuir , lorlqu’il leur donna
feulement des plaftrons de cuirafifes, fans épaù-
lieres, afin qu’ils couruffent moins de danger en
faifant face à l’ennemi, qu’en lui préfentant les
épaules.
Je dois avertir que les partis d’infanterie que
) ai confeillé d’envoyer contre ceux de cavalerie ,
doivent etre des foldats d’élites, commandés par
les plus vaillants officiers, qui, pour la première
fois, choifiront un terrein plus avantageux à l’infanterie
qu’à la cavalerie , parce que , fi ces partis
etoient défaits, bien loin d’arriver à la fin que
vous vous piopofez , vous tomberiez dans un inconvénient
contraire.
J avertis encore que fi votre détachement d’infanterie
vient à mettre en déroute celui de la cavalerie
ennemie, il ne doit le pourfuivre qu’en bon
feulement jufqu’à ce peu d’éloignement
necefîaire pour s’affurer la v iâo ire , parce qu’il y
auroit à craindre que l’infanterie ne rompît fes j
rangs en voulant fuivre la cavalerie, qu’elle ne peut i
jamais atteindre, ou qu’elle ne tombât dans quel- i
ques embufeades. A l’égard de la récompenfe qu’il
faut promettre aux officiers & aux foldats de la
première troupe d’infanterie qui mettra en déroute
une autre de cavalerie de pareil nombre, voyez
les exemples que, pour une femblable fin, je rap-
porterai en parlant des difpofitions avant une ba-
taïUe, & des précautions à prendre avant de donner
OE aiiaut a une place.
.Vos officiers d’infanterie doivent, en préfence
A r t m i lita i r e . T om e U ,
de leurs foldats, faire monter fur un cheval fort &
robufte , tel homme qu’on voudra choifir , qui
viendra fondre enfuite fur un fantaffin, qui l’attendra
de pied ferme, feulement un bâton à la
main, & ils verront qu’en ne faifant que voltiger
le bâtôn aux yeux du cheval, ou en le touchant à
la tête, ce cheval fera un écart fans vouloir avancer
, a moins qu’il ne foit dreffé à ce manège : de-là
les- officiers prendront occafion de reprélenter aux
foldats que , fi un cheval s’effarouche d’un homme
qui tient ferme , n ayant qu’un bâton à la main , à
plus forte raifon ils trouveront que les efforts de
la cavalerie font inutiles contre des bataillons
ferrés, dont les baïonnettes, les balles , l’éclat des
armes , la fumee & le bruit de la poudre font plus
capables d’épouvanter les chevaux.
Je dis encore qu’afin que l’infanterie foit bonne
& qu’elle ne craigne rien tant que le déshonneur ,
il faut avoir foin de la remplir de nobleffe , qui a
une réputation à perdre. On y réuffira, en donnant
aux officiers d’infanterie des récompenfes
proportionnées aux plus grands périls & aux plus
grandes fatigues, où l'on eft expofé davantage dans
1 infanterie que dans la cavalerie , fans pourtant
négliger la cavalerie , qu’il faut toujours avoir
bonne, & dont on a quelquefois befoin d’un grand
nombre , airifi que je l’ai déjà prouvé.
D E L A G U E R R E O F F E N S I V E .
Des avantages de cette guerre,. & des moyens de
conferver les conquêtes en s'attirant VaffeRion des
peuples conquis.
• Ce n’eft pas affez qu’une guerre foit utile &
neceffaire, il faut fur-tout qu’elle foit jufte ; en
fuppofant que là vôtre l’eft, voyons s’il vaut mieux
la loutenir dans les états de votre prince, ou la
porter dans le pays des ennemis.
f Laiffer entrer l’armée ennemie dans vos états
c’eft la renforcer par l’affiftance que vos peuples
lui donneront peut-être, foit qu’ils foient dégoûtés
de la domination de votre prince, foit q ue, par
leur inconftance naturelle, ils aiment la nou-
veaute, ou que ,par leur peu de fermeté, ils favo-
r rifent les deffeins des ennemis qui viennent de
fe rendre maîtres de leurs pays. Vous trouverez
vous-même touts ces avantages, fi vous faites entrer
vos troupes dans les provinces ennemies
principalement dans celles qui autrefois ont appartenu
a votre fouverain, & dont plufieurs de*
citoyens confervent encore pour lui leur affe&ion ;
de. forte qu’ils n’attendent, pour prendre les
armes, que ^d’être raflùrés , par votre armée,
contre le châtiment qu’ils auroient à craindre de
la part du prince , fous l ’empire duquel ils fe
trouvent a&uellement.
| D ans la pénultième guerre des alliés contre l’Eft
! Pfg?? & la France, les Napolitains. & les Sardes
[ n’ofoient fe déclarer pour l’archiduc ; mais dès
Q q s q