
là, je ne Pavois point vu ; que cela ne vous gêne
point, me dit-il; je vous attendrai aulli longtemps
que vous le voudrez, je vous l’ai déjà dit chez
moi ; & , le premier , il m’excite à me mettre de ..
la partie; fes offres me déterminent; je joue , je
perds beaucoup ; le fournifleur me confole, me
raffine, m’engage à revenir le lendemain ; le
malheur me pourfuit encore; il me refte bien
quelques reffources , mais n’ayant point d’argent
pour acheter les effets dont les foldats de ma
compagnie ont befoin, je prends à crédit de touts
les côtés ; cette habitude contractée , je ne
compte plus avec moi-même; je me livre à la
paffion du jeu , & à toutes les autres; cependant
le fournifleur complaifant, premier auteur de ma
perte , après m’avoir livré pendant longtemps des
inarchandifes de la plus mauvaife qualité, & que
j’aurois refufées dans toute autre circonftance,
m’annonce un jour froidement, que fi je ne le
paye pas fous huit jours , il portera plainte au
commandant du corps : à ces mots le voile tombe:
je vois mes chefs irrités ; la prifon s’ouvrir devant
moi ; il me femble qu’on m’arrache déjà les
marques de mon grade ; le défefpoir s’empare de
mon ame, je délerte; j’ai mérité les peines qui ,
me font réfervées : mais fi mon fournifleur avoit ,
été retenu par la certitude d’une févère punition, !
je ne fervirois point aujourd’hui d’exemple à mes
camarades. « Témoin de la fcène attendriffante
que je viens de décrire , je verfai des - larmes
amères, & je demandai"pourquoi le marchand,
qui avoit été la caufe de la perte de ce brave
bas-officier , n’étoit pas puni fuivant la rigueur
des ordonnances ? Un exemple févère , ajoutai-je,
couperoit le mal jufque dans fa racine. Jeune
homme , me dit un vieil officier qui étoit à côté
de moi, vos larmes font honneur à votre coeur,
mais elles font tort à votre efprit, & annoncent
votre peu d’expériencè : quoi ! vous penfezque,
conformément aux ordonnances, on met une fen-
tinelle devant la porte de la boutique du citoyen
q u i, par fa facilité à faire crédit , engage
les officiers &. les bas-officiers à fe déranger ; il
n’en eft rien; il y a trente ans que je fers,
j’ai vu déferter cent foldats ou bas-officiers,
parce qu’ils avoient contractés des dettes ; j’ai vu
plus, dix officiers renvoyés pour caufe de dérangement
; j’en ai vu un plus grand nombre
encore qui ont dérangé la fortune de leurs parens ;
j’ai vu des lieutenants de r o i, ordonner aux chefs
de corps , de faire payer tel marchand, tel ca-
baretier qui avoit fait crédit, & je n’ai vu jamais
de fentiflelle pofée devant une boutique. Je
connois une ville du royaume oh la garnifon,
quoique très nombreufe, ne fuffiroit pas à fournir
des fentinelles devant la porte de chacune
des perfonnes qui font crédit aux gens de guerre,
chaque citoyen fait vendre fon vin & ordonne
à celui qui le diftribue de faire crédit aux foldats ;
Je vendeur perd bien quelque argent, mais le
prompt débit & le haut prix de celui qu’on lui
paye , le dédommage de ces pertes. Figurez-vous
qu’un grand quartier de cette ville eft habité par
une foule immenfe d’ufuriers avides & induf-
trieux; ces êtres auffi méprifabies que dangereux,
affiégent fans ceffe la porte des jeunes
officiers ; ils leur vendent au poids de l’or un
argent qu’ ils leur enfeignent à dépenfer ; ils leur
vendent chèrement & à crédit des bijoux d’un
vil prix, & ils leur indiquent quelles font les
femmes à qui on peut les offrir. — Quoi 1 Monfieur
la police militaire ne met pas des entraves à ces
horreurs ? Quoi ! les magiftrats fe taifent ï
— Hélas oui i — Ils n’ont donc point l’amour
du bien; iis n’ont donc point d’enfants, de parents,
d’amis. —— Ils en ont fans doute ; mais, félon
les apparences, quelque grande raifon les empêche
de févir : vous la connoîtrez quelque jour
cette raifon. Il fe tut & me quitta. Je 'l’ai cherchée
depuis, cette grande raifon ; mais vainement fans
doute , car il n’eft pas poffible qu’il exifte des
hommes plus vils que des juifs ufuriers.
Punir les ’ bourgeois qui font crédit aux militaires
, ce feroit beaucoup ; mais il faudroit encore
punir les militaires qui contrarient des dettes.
Quoi 1 dit un jeune officier , me punir parce que
j ’ai fait des dettes? Pourvu que je paye, personne
n’a rien à me dire. Quoi J. parce que vous
avez un père riche ou facile , une mère induis
gente qui fe réduit au plus étroit néceflaîre pour
payer vos folies, on n’a rien à vous reprocher ?
Et cet abus de la bonté de vos parents ; n’eft-il
point un crime ? Ne vous expofe'z-vous pas à être
déshonoré, par l’impoffibilité où vous feriez de
paye r, fl vos parents refufoient d’acquitter vos
engagements ? Ne comptez-vous pour^ rien
l’exemple funefte que vous donnez à vos jeunes
camarades ? Je n’ai ni père ni mère , direz-vous.
Quoi ! parce que vous pouvez difpofer de votre
bien , on fouffrira que vous le confumiez en folles
dépenfes ; on vous expofera à traîner dans l’indigence
les jours de votre vieilleffe , qui auroient
pu être doux & fortunés. Quoi ! on vous permettra
de jouer un jeu .ruineux , de vivre à une
auberge trop chère, d’être logé fuperbement,
habillé avec recherche , d’avoir des chevaux,
des chiens , des valets ; & d’afficher que vous
n’avez point de moeurs : non, cela ne peut être.
Dans un état> militaire bien conftitué, un bon
lieutenant colonel diroit à l’homme riche : vous
avez de la fortune , je le fçais ; mais je ne fouf-
frirai pas que par votre luxe, vous humiliez ou
corrompiez vos camarades. ( Voye^ L u x e . ). Il
diroit à l’officier peu riche , je connois vos
moyens ; ( car il les connoîtroit. ) vous ne pouvez,
fans vous déranger , dépenfer que tant par mois,
! & votre train annonce une dépenfe beaucoup plus
I confldérable ; réformez-vous vous-même ; je vous
le dis en ami’, en père ; fi vous ne changez point
I de conduite, vous m’obligerez à en agir en
chef. Perfonne ne doute que cette courte femonce j
ne produifit les effets 'les plus heureux :.mais on I
ne voit guères de lieutenant-colonel qui daigne j
être le père &. l’ami des officiers de Ion -corps, j
Les chefs de quelques régiments ont cru , avec
raifon., que l’ordonnance , en détendant de faire j
payer les créanciers des foldats, n’entendoit pas |
que ceux-ci profitalTent de l’argent qu’ils auroient j
dû payer ; en conféquence ils obligent ceux qui j
contractent des dettes à en payer le montant ;
& ils l’envoyent à l'hôpital de charité du lieu. Cet
ufage nous paroît fait pour être adopté par les
ordonnances. Pour obliger les capitaines à veiller
fur leurs bas-officiers , ne pourroit-on pas encore,
à la manière des Anglois, les rendre refpon-
fables des dettes de leurs fubordonnés ?
Quant aux officiers, on leur ôteroit l’envie de
faire des dettes; f i , dès la première fois , on
faiioit garder des arrêts févères à ceux qui le iè-
roient dérangés ; 6i fi on les contraignoit à vivre
de la manière la plus économique juiqu’ à ce que
la moitié de leurs appointements eût payé leurs
dettes : cette Tévérité , jointe à des loix fomp-
tuaires très rigides, ( Voye£ Lu x e . ) détruiroit
beaucoup d’abus. ( C. ).
CREN AU. Ouverture pratiquée dans un mur
pour y pafler le fufil, &. tirer au dehors. Elle
doit avoir à la partie extérieure de la muraille de
deux à trois pouces de largeur , & beaucoup plus
à la partie intérieure , proportionnément à 1 epail-
feur du mur, de forte qu’on puiile découvrir au
dehors autant d’étendue qu’il eft poffible. ( Foye^
O u vrag es en t err e . )
, CRÈTE. Partie la plus élevée du glacis: dans
l’attaque d’une place, on fait des logements, on
établit des batteries fur la crête du chemin couvert.
CRI D ’ARMES. Cri de guerre. Cri de combat.
11 ne faut pas confondre le cri de combat
avec le cri de guerre ou d’armes. Toutes les nations
ont eu pour ufage de jetter de grands c/is
avant le combat, & ces cris étoient bien différents
de ceux que nous lifons dans notre histoire
, avoir été nommés cris £ armes ou cris de
guerre. Depuis le dixième jufqu’au quinzième, fiècle
touts les Seigneurs François portant bannière ,
avoient chacun le leur. Mais ce n’étoit qu’un certain
mot qui fervoit à leurs gens pour le recon-
noître & s’encourager , comme celui du roi de
France, Montjoie St. Denis ; de la maifon de Bourbon
,notre-dame de Bourbon ; des Anglois royaux ,
royaux, &c. &c. Je parlerai bientôt de ccs'cris
d’armes , & vais examiner ce qui a rapport à
ceux de combat qui font bien plus anciens &. même
dont l’ufage n’a point d’époque.
Cæfar , en parlant, des cm de combat, dit que
les anciens en inventèrent l’ufage pour s’encourager
foi-même , & effrayer l’ennemi : non fruftrà
L’ufage des cris militaires eft fort ancien ; on
le voit pratiqué par les Hébreux. Les murailles de
Jéricho tombèrent aux cris du peuple & au fon
des trompettes : igitur omni populo voce ferante ,
6» cLingentibus tubis , pôftquam in aures multitu-
dïnis vox fonitufque increpuit 9 mûri illico corrue-
runt.
antiquitas inftitutum eft ut figna undique concinerent,.
clamorem univerfi tcLlerènt , quibus rebus & hoftes
terreri , 6» fuos incitari exiftimaverunt,
Il paroît que chaque peuple avoit une façon
particulière de crier ; c’eft ce qu’on remarque
dans Tite-Live à l’égard des Romains , lorfque
Quintius Cincinnatus , créé didateur , pour déban
aller l’armée Romaine que le conful Minutius
avoit laifle enfermer par les Eques , les affiège
eux-mêmes dans leur camp , & annonce ainfi au
conful qu’il eft fecouru. Le dictateur , dit l’hifto-
rien, inveftit le camp des Eques, Sl commande
à fes troupes que , dès qu’on donnera le fignal ,
touts élèvent un^grand cri : Et ubi fignum datum
fit ; clamorem ornnes tollere jubet..............................
. . . . Edito imperio fignum fecutum eft j ]u[fa
miles exquitur ; clamor hoftes circum fonat : juperat
\ indè caftra hofli'um , 6» in caftra conjulïs venit. Le
même auteur en donné divers autres exemples ;
Tacite en parlé auffi à l’égard des Germains &
des Bretons. ; Plutarque à l’égard des Par thés ;
Cæfar à l’égard des Germains & des Gaulois.
Il eft fouvent parlé de ces cris dans les auteurs,
& les troupes les jettoient encore pour marquer
leur acharnement au combat , pour exprimer
que le combat étoit général, qu’il commen-
çoit , &c. Hoftes committunt prcelium , dit Cæfar ;
“ utrinque clamore fublato excipitur $ rurfius ex vallo ,
atque omnibus munitionibus clamor. Tite-L iv e, en
parlant des cris de combat des Carthaginois y joint
d’autres bruits. Le combat commença, dit-il, non-
feulement par le cri ordinaire , mais il y eut encore
un bruit &. un tumulte d’hommes , de chevaux
& d’armés : le même peuple qui n’étoit point
armé , jettoit de grands cris en frappant fur des
vaifiéaux de cuivre , comme on le fait dans les
éclipfes de lune , pendant le filence de la nuit,
de iorte què les efprits des combattants en furent
troublés.
Le même auteur d i t , en parlant du paffage du
Rhône par Annibal , que les Gaulois avoient
différents hurlements ou cris , & même des chants
qui leur étoient propres ; en même temps ils frap-
poient leurs boucliers, en les élevant fur leurs
têtes , & brandiflant & lançant des traits , s’ani-
moient ainfi pour empêcher le paffage des troupes
d’Annibal , tandis que d’autres cris & différents
autres bruits de celles ci & de ceux qui condui-
foient les bateaux, fe fail'oient entendre.
On n’a rien de certain fur la nature des cris de
combat , c’eft-à-dire , de quelles expreffions ils
étoient compofés. Plutarque dit que les Efpagnols
crioient dans le combat , Efpagne ; que les Romains
avoient le mot feri. Ce qu’il y a de certain,
c’eft que les cris de combat n’étoient pas toujours
1 de Amples clameurs ou hurlements , mais de cer