
dont il étoit menacé par le fultan Saladîn. Il
s’avança fur les confins de Damas ; & , pour prévenir
touts les ravages des troupes ennemies dans
fon pays, il livra bataille, 6c défit l’armée du
fultan & celle de Serunfidile, fon frère.
Deville prétend que, porter la guerre dans les
provinces étrangères, c’eft y faire palier tout l’argent
de l’état. Je conviens que l’argent des armées
le répand parmi les peuples du voifinage qui
viennent vendre aux troupes ; mais ou votre def-
fein eft de conferver , ou d’abandonner cette province
étrangère. Dans le premier cas, l’argent ne'
fait que changer de province, & paffer de l’ancien
état de votre prince à un autre nouvellement
conquis, oh cet argent eft plus néceffaire pour lui
aider à fe remettre des pertes fouffertes pendant
la guerre, & pour gagner à votre prince l’affeâion
des habitants, afin qu’ils ne quittent pas leurs mai-
fons par néceffité, ou par haine, pour leur nouveau
maître : dans le fécond cas, rien n’eft plus aifé que
de tirer , par des contributions, ce même argent ,
& celui encore qui étoit auparavant dans le
pays. I g f j |
Quelques écrivains allèguent, pour une dernière
raifon contre la guerre offenfive, que fi
l ’armée qui eft entrée dans le pays ennemi ,
vient à perdre la bataille, elle aura difficilement
une retraite, 6c qu’ainfi, dans une feule fournée,
elle pourra être entièrement détruite. Je réponds
qu’en prenant les précautions que je propoferai
bientôt , pour ne faire que des conquêtes contiguës
& foutenues des autres par la prifè ou la
conftru&ion des places dans lés endroits convenables,
vous ne vous trouverez jamais éloigné de votre
frontière , parce que ces places conquîtes, ou nouvellement
conftruites, affureront à une armée en
déroute le même afyle qu’elle auroit pu trouver,
fi elle avoit combattu dans fon pays. Quand ce
péril d’une retraite difficile s’y réneontreroit, ne
pourroit-il pas être compenfé par l’efpérance d’augmenter,
par cette même difficulté, la fermeté &
le courage de vos foldats dans le combat? C ’eft-là
un des avantages que l’empereur Léon trouve à
combattre dans le pays ennemi.
Une des efpérances qu’eut Annibal en livrant
la bataille du Tefien, qu’il gagna, fut que les Romains
, qui avoient la retraite libre dans leur pays ,
ne foutiendroient pas avec autant de fermeté le
combat que les Carthaginois, qui, d’aucun côté ,
ne pouvoient«fe promettre une retraite s’ils étoient
vaincus.
P olybe, parlant du peu* de réfiftance que les
vaiffeaux de Carthage firent contre ceux de Cnéius
Scipion auprès des Alfags deTortofe, dit: a que
les troupes d’Afdrubal, rangées -en bataille fur
le bord de la mer , leur infpirèrent moins
de valeur que de crainte, en faifant voir qu’elles
avoient une retraite ouverte pour fe fativer. ».
Je parlerai un peu plus bas des circonftances qui
peuvent rendre un.e guerre offenfive plus ayantageufe
fur une frontière que fur l’autre. Voyons à
préfent en quel cas il ne convient pas d’entreprendre
une guerre offenfive.
Des occurrences dans lesquelles il y a plus de dêpenfe,
plus de difficultés 6* plus de rifque à entreprendre
une guerre ojjenjîye.
Je viens de parler, en général, des avantages de la
guerre offenfive ; & comme, félon le principe que
j'ai plufieurs fois établi, prefque toutes les règles
font fauffes, fi l’on n’en marque pas les exceptions,
je penfe que je dois déduire ici les circonftances
qui peuvent rendre une guerre offenfive
moins utile, ou plus haiardeufe.
Je prouve, dans un autre endroit, qu’un prince
qui n’eft pas afluré de la fidélité de fes fujets, doit
éviter de s’engager dans une guerre. J’ajoute ici
qu’il n’en doit pas entreprendre une offenfive qui
l’éloigne trop d’eux, excepté qu’il n’ait àffez de
troupes pour laiffer le pays bien garni, ou qu’il n’eût
trouvé auparavant le moyen de les contenter 6c de
les rendre fidèles.
Tibère voyant qu’il n’étoit pas aimé des peuples,
refufa d’en venir à une guerre contre Lentulus
Getulicus, commandant de la haute-Allemagne ,
quoique l’infolente conduite de Lentulus parut
mériter toute l’indignation de cet empereur.
Saint Louis, roi de France, avant de conduire
fon armée à la conquête de la Terre fainte, fit
publier, par fes prédicateurs, que touts ceux de
fes fujets qui avoient à fe plaindre de fes miniftres,
euflent à comparoître au palais, oh on leur ren-
droit juftice.
Au commencement de ce traité, j’ai propofé la
guerre offenfive comme un moyen propre pour
prévenir une fédition dans le pays, parce que j’ai
dit qu’il y avoit à craindre qu’une armée ennemie ,
qui eft entrée dans vos provinces, n’y fomente
quelque parti qui n’y étoit pas auparavant : au lieu
que je fuppofe ici que les fujets font mécontents &
leur fidélité fufpecte ; en quoi il n’y a aucune contrariété.
Il eft toujours vrai qu’un prince qui veut éloigner
fes troupes pour porter la guerre dans un pays
étranger, doit être afluré de la fidélité de fes fujets ,
ou laiffer fon état bien garni de troupes.
Cette maxime doit être encore plus particulièrement
obfervée , lorfque ce pays fufpeâ eft
voifin d’un prince puiffant & ambitieux , qui pour-
roit profiter de l’éloignement du gros de vos
troupes pour s’emparer de vos états par des intelligences
ou par les armes.
En traitant des places que l’on peut affiéger, je
parlerai de la difficulté qu’il y a de faire des conquêtes
fur une nation qui a une extrême antipathie
contre la vôtre. Je ferai voir que la crainte du
châtiment augmentera la réfiftance de ceux qui
auparavant ont été rebelles ; mais que cette réfif-
tance ne fera jamais fi grande que# lorfque la dtfférence
de la religion y fera mêlée, parce que les
ennemis envifageant alors les travaux comme un
aéte de piété 6c la mort comme un martyre , ils ne
fe borneront pas à une défenfe qui ne fera pas
portée à la plus haute témérité.
Remarquez dans l’hiftoire combien de prodiges
de valeur firent à Agria les femmes les plus délicates
, pour ne pas tomber entre les mains de Soliman
H, qui, en 1552, attaqua inutilement cette
place. En 1570, Nicolas Eldrin, gouverneur de
Ziphat, étoit affiégé dans fa place par les Turcs. Il
neluireftoit plus que trois cents perfonnes, lorf-
qu’avec cette petite troupe il fit une fortie fur les
ennemis pour trouver dans une glorieufe mort la
digne récompenfe de leur valeur..
Il y a peu d’avantage de porter la guerre offenfive
dans un pays rempli de places bien fortifiées
ôc bien pourvues, parce que c’eft rifquer infiniment
que d’en laiffer quelqu’une derrière. A in fi,
tout le fruit que vous pourrez elpérer alors des
frais immenfes de la guerre, fera la prife d’une
ou de deux places par* campagne, Ôc du peu de
terrein que ces mêmes places couvrent jufqu’à
la demi-diftance des autres qui reftent aux ennemis.
L’auteur du manifefte, pour le miniftère d’Angle^ [
terre,relève beaucoup la faute que les alliés commi- j
rent en faifant leurs principaux efforts en Flandres, 1
tandis qu’avec leurs puiffantes armées de terre &
de mer , ils pouvoient, en peu de temps, achever
la conquête de l’Efpagne ; au lieu qu’en Flandres
une ou deux places les occupoient une année en- I
tiere après des dépenfes prodigieufes , fur-tout J
pour l’Angleterre ; ce qui eft précifément le motif j
des plaintes de cet écrivain.
Vous ne devez pas pourtant porter la guerre !
dans un pays entièrement dépourvu de places , fi j
vous avez deffein de conferver ce pays, parce que I
quelques-unes de ces places font néceffaires pour
tenir en bride les peuples de la campagne , pour y
établir les hôpitaux &. les magafins, & pour couvrir
le chemin des convois ôc des recrues ; mais
fur-tout pour affurer, en cas de malheur, la retraite
a 1 armée, ôc afin que les ennemis s’arrêtant à reprendre
les places, votre armée puiffe fe refaire
dans ce pays a>rant qu’ils l’ayent ruiné.
Quand il n’y auroit pas dans le pays ennemi les
places dont je viens de parler, il peut s’y rencontrer
des îles, des prefqu’iies, des montagnes inac-
ceflibles, ou autres poftes fort faciles à fortifier, ôc
fitués dans des endroits propres à favorifer vos
projets. En ce cas il n’y aura pas un grand inconvénient
que ce pays manque de places.
On fait moins de progrès dans un pays coupé
par des rivières 6c des défilés , parce qu’à leur
faveur, de petits corps d’ennemis arrêtent des
armees nombreufes, 6c leur difputent le terrein j
pied a pied. D’ailleurs, les habitants des mon- !
tagnes font,- pour l ’ordinaire, plus guerriers que I
ceux du plat pays, qui eft prefque toujours plus [
fertile, & qui, par cette abondance, rend ceux
qui l’habitent plus délicats, plus vicieux 6c plus
lâches. C e ft la remarque de Saint-Thomas, dans
fon traité du gouvernement des princes.
( Tite-Live, parlant des peuples voifins des Alpes,
dit que l’expérience a fait voir de tout temps que,
dans les pays de montagnes , les habitants y font
plus guerriers Ôc plus robuftes; ce que je pourrois
confirmer par les Afturies 6c la Bifcaye , petites
provinces rudes 6c ftériles, qui ne purent être fub-
juguees par les Africains , déjà maîtres du refte
de l’Efpagne, 6c qui réfiftèrent les dernières à la
puiffance de Rome, s’étant défendues contre elle
jufqu’à l’empire d’Augufte. Cette réflexion me
fait fouvenir d’avoir lu dans un auteur digne de
fo i, qu’alors la Cantabrie, aujourd’hui la Bifcaye,
fut foumife, moins par la force des armes des
Romains, que pour accomplir la prophétie touchant
la paix univerfelle à la naiffance du rédempteur.
On peut ajouter, à ces raifons, qu’un pays coupé
par des défilés 6c des montagnes, favorife beaucoup
la manière de combattre de ces payfans, qui
fe battent féparés les uns des autres, couverts par
des arbres 6c des rochers, fans crainte d’être atteints
par la cavalerie , qui eft un corps qu’ils appréhendent
extrêmement.
Ces pays coupés font fort défavantageux, quand
votre principale force confifte dans la cavalerie ,
parce qu’elle ne fçauroit y combattre ni marcher
fans rifque d’être battue. Ce même inconvénient
fe rencontre dans la plaine, quand l’armée eft
inférieure en cavalerie. Les bois 6c les montagnes
font nuifibles à une armée dont plufieurs corps ont
des niques ou une armure fort pefante ; enfin, une
armée qui fonde fa principale force dans fa cavalerie
, ne doit pas s’engager dans un pays oh il y a
difette d’eau 6c de fourrage. 1
Une guerre offenfive peut être plus dangereufe ,
lelon que votre nation 6c celle de lune ou de
1 autre frontière des ennemis font moins propres à
combattre dedans ou dehors de leur pays, 6c à
attaquer ou à le défendre.
Annibal, qui croyoit les Romains invincibles
hors de leur patrie, jugea qu’on pouvoit aifément
les vaincre dans leur propre pays. C ’eft pour cela
que ce fameux capitaine confeilla à Antiochus, roi
de Syrie, de ne pas attendre la guerre dans fon
royaume, mais de prévenir les Romains, 6c de la
porter en Italie.
Tacite, parlant de Bardane, roi des Parthes,
dit « qu’-après plufieurs batailles gagnées, il. fub-
jugua tout le pays iufqu’à la rivière de Cindem , &
qu’il termina là fes conquêtes, parce que les Parthes,
lors même qu’ils font vainqueurs, n’aiment
pas à faire la guerre loin de leur piti ie. ».
Nous avons v u , dans la dernière guerre, les
peuples de Valence défondre, avec une valeur
extraordinaire , de petits poftes de leur royaume „
6c dans quelques autres oecafions oh les troupes