
Châties XII & Condé ont vaincu dès l’âge le
plus teindre ; mais combien de fois les nations
n’ont - elles pas verfé des larmes pour avoir
été conduits par des généraux que l’âge &. l’expérience
n’avoient pas rendu fages. Dans le choix
du général, évitons donc ces deux extrêmes également
dangereux , & donnons la préférence à
cet âge oh le corps n’aura rien perdu de fes forces ,
Taine de fon énergie, mais oh l’efprit aura acquis
une heiaeufe maturité.
§■ V .
De la naiffance du général.
Que Toratéur qui entreprénd de louer les héros
paffe rapidement fur la grandeur de leur naiffance ;
qu’un grand homme ne tire jamais vanité de la
nobleffe de fa maifon , c’eft un devoir pour l’un
ôt pour l’autre j. celui - ci s’énorgueilliroit de ce
que le hafard ltfi a procuré, & celui-là vanteroit
ce qui ne mérita jamais de louanges ; mais la nation
qui va raffemblèr une armée doit-elle regarder
d’un oeil indifférent la naiffance du général à qui,
elle Va en confier le commandement ? Une
naiffance illuftre infpire du refpéô aux foldats ; ils
rendent volontiers une obéiffance aveugle à des
généraux dont le nom eft depuis longtemps connu
dansles camps; l’homme qui par fa naiffance eft
deftiné à commander les armées, reçoit ordinairement
une éducation toute militaire ; il étudie de
bonne heure les grandes parties de la guerre ; il
les étudie en homme qui doit devenir général ; il
eft pourvu de bons guides ; ainfi il doit plutôt 8ç
plus aifément arriver à la perfection. D ’ailleurs,
quel aiguillon plus puiffant pour le commandant
en chef qu’un nom fameux à foutenir î Toutes les
fois qu’un général qui comptera une longue fuite
d’ayeux illuftres fe trouvera dans quelque circonstance
difficile, il verra les yeux de ces hommes
célèbres fixés fur lui ; il entendra leurs voix lui rappeller
les vertus qui les ont illuftrés ; leurs leçons
héroïques feront fur fon coeur une vive impreflion ,
6c il fe placera bientôt lui-même au rang de ces
grands hommes.
Sans compter des héros pour ayeux, on peut
cependant être digne de commander les armées ,
6c mériter d’être infcrit au nombre des grands
généraux. L’hiftoire de France , 6c celle des
autres peuples, en offrent des preuves célèbres.
A la fin du dix-huitième fiècle , & chez une nation
éclairée, qui fert bien fon pays ri a pas befoin cF ayeux.
j peut être utile auffi que l’officier fubalterne folt peu
rïc/\e J Parce qu’il s’adonne alors fans réferve au
metier des armes , 6c s’y attache d’autant plus fortement
, qu’il fent la néceffité de l’exercer plus
longtemps. L’officier peu riche eft d’ailleurs forcé
de fe réduire au néceffaire 6c de fuir le luxe , ce
grand ennemi de l’état militaire. Ainfi dans ces deux
claffes de guerriers une fortune médiocre eft un
bien reel pour , l’état. Il en eft tout autrement
des principaux officiers 6c fur-tout du général. Plus
la fortune du commandant en chef fera confidé-
rable, plus on le verra avec plaifir.à la tête des
arme es. Le général eft obligé , par la place qu’il
occupe, de repréfenterfouvent dans toute fa pompe
la puiffance fouveraine qui lui a confié fon ,au-
torite ; il doit admettre fouvent fes fubordonnés
a fa table pour apprendre à les connoître, pour
en etre connu , 6c même pour les récompenfer»
( Voyeç T a b l e ,). Il doit aller au fecours des
officiers que des événements' funeftes ont mis hors
d état de continuer leurs fervices ^ il doit aider
ceux a qui une fortune .médiocre ne .permet pas
de grands efforts; il doit auffi chercher à capter
1 amour de fes foLdats, ôc, fi cela eft poffible, à
leur faire perdre, pendant quelques inftants , par
fes libéralités , le fouveriir des maux cruels qu’ils
ont foufferts. ( Voye^ feéfion I V , § . X V .) . Les
trefors de l’état font un dépôt facré auquel le général
ne peut toucher que pour les befoins abfôlus
de la patrie ; il ne peut attenter aux propriétés
des citoyens pour récompenfer fes foldats. Dans
la diftribution du butih , il eft obligé de .fuivre
les loix de la jufîice 6c d’impofer filence à la
voix de fon coeur. A in fi, le général peu riche
eft contraint de fe borner à verfer des larmes fur
Timpoffibilité de donner un libre cours à fa bien-
faifance.
Nous ne cherchons pas à faire voir que le defir
d’arracher fes biens aux ennemis , donnera au
commandant en chef une nouvelle force 6c une
nouvelle aélivité : nous ne difons pas que le général
riche fera au-deffus du defir d’augmenter fes biens
par des moyens vils , qu’il fera infenfible aux
offres féduifantes d’un ennemi qui chercheroit à
le vaincre avec de Tor, 6c que la crainte de perdre
fa fortune le retiendra à l’inftant oh il fera prêt
à fe précipiter dans le crime; des motifs femblables
font fuperflus ; une âme vraiment militaire ne
Calcule jamais.
§ . V I L
Le général do U-il être marié ?
9 v i.
De la fortune du général.
Il peut être avifhtageux que le foldat foit pauvre,
parce que le defir ôc le befoin d’accroître fafortune,
peuvent donner à fon ame une nouvelle force ; il
Un général n’a pas befoin, fans doute , que fesi
biens répondent de fa fidélité ; jamais le defir de
conferver fa fortune ne fera la plus petite impreflion
iur fon coeur , 6c ne l’empêchera de voler à une
mort affinée quand le falut de l’état l’exigera mais
fera-t-il auffi fidèle à la voix de la patrie quand
une femme' adorée 6c dçs enfans chéris embraffer
rontîfes genoux , 6c les yeux en larmes le conjureront
d’une voix touchante de leur conferver
leur père 6c leur époux.
Tout ce qui attache l’homme à fa patrie doit
augmenter ion amour pour e lle , 6c par confisquent
fortifie en lui les vertus utiles à la fociété.
Le général que des enfants 6c une femme uniront
par les liens les plus doux à touts les êtres inté-
reffants 6c foibles qu’il doit protéger 6c défendre ,
fera donc plus pour la patrie que le général célibataire.
Le défir de reparoître couvert de lauriers
aux yeux de fa compagne ; le befoin de donner
de. grands exemples à fes enfants ; l’envie de leur
tranfmettre un nom illuftré par fes hauts faits ;
l ’ambition de. leur donner un rang diftingué dans
la fociété ; touts ces motifs impoferont filence
àu fentiment fi naturel de fe conferver pour ces
etrës chéris : certain d’ailleurs que fes concitoyens
feront reconnoiffants des foins qu’il donnera à
leur bonheur, affuré que s’il reçoit une atteinte
mortelle au milieu des combats, le fouverain s’em-
preffera de confoler fa famille défolée , 6c de la
combler.de grâces; 6c de bienfaits , il verra d’un
oeil ferme 6c tranquille le délabrement de fafortune,
âcilenvifagera la mort avec-une mâle affurance.
En faifant voir-qu’il eft de l’intérêt de l’état de
choifir de préférence les généraux parmi les hommes
qui tiennent à la patrie par les noeuds d’époux Ôc de
pere nous avons toujours entendu qtfe toutes
les autres qualités feroient d’ailleurs égales. Si un
guerrier,.quoique célibataire, pouvoit citer comme
Èpaminondas deux-filles auffi célèbres que Leuélres
6c. M antinéecelui-là mériteroit qp’on fe hâtât de
remettre entre- fes mains le commandement des
armées. -
Telles font les qualités phyfiques qu’on peut
.defirer dans le général ; paffons aux qualités morales
qui Jui font infiniment plus effenrielles , 6c
qui! lui eft toujours ’poffible d’acquérir oLridè per-
fe.éfionner,
d e s q u a l i t é s m o r a l e s .
§. I er/ ; '
De Famoùr de ta patrie.
L’immortel Montefquiéu a eu , fans' doute',
raifon de dire que l’amour de la patrie étoit fin-
giüièrement affecté aux Démocraties, 6c que l’honneur
étoit le principe des gouvernements monarchiques
; l’honneur dans une monarchie 6t fur-tout
dans la. monarchie. Françpife , eft un reffort.- puiffant
;, mais, l’eft-il aifer pour remplacer entièrement
l'anjour de. la patrie dans l’ame du général? Nous
ofons eh douter , 8c nous allons effayer de faire
voir que les généraux ne peuvent remplir avec
gloire le pofte éminent qui leur eft confié, fi un
ardent patriotifme ne les embrafe point.
Avant de nous, faire un cripie d’avoir avancé
que 1 honneur ne fuffit pas aux généraux ; avant
de nous acculer duyoir porté une- miûnfà.crilége
fur cette idole refpeâable de la nation Françpife ;
qu’on daigne lire le paragraphe que nous lui avons
confacré, on verra que nous lui avons affigné un
rang très diftingué 6c que nous avons regardé
Tenthoufiafme qu’il infpire comme noble , heureux
& néceffaire ; mais l’amour de la patrie n’en mérite
pas moins pour cela le premier rang parmi
les qualités indifpenfables au général.
Si en effet le plus grand facrifice que le rang
éminent du général exige de lui étoit l’abandon de
fa v ie , comme l’honneur élève jufques - là tout
François, l’honneur fuffiroit au chef d’une armée
françoife. Mais l’honneur fera-t-il affez. puiffant
pour lé contraindre d’obéir à un de fes fubal-
ternes ? Pour le forcer à fervir fous un miniftre
ou avec un autre général qu’il hait, qu’il craint ou
quil méprife ? Et $ans ces occafions oh il eft néceffaire
d’immoler fon honneur à la patrie, fera-ce
l’honneur qui fe contrariant lui-même ofera exiger
ce grand facrifice ? L’honneur le fera combattre
vaillamment ; mais l’amour dé la patrie pourra
feul; commander à fa haine , impofer filence à fes
craintes, vaincre fes dégoûts ; feul il pourra lui
faire regarder comme honorable tout pofte qu’on
voudra lui confier ; feul il pourra l’engager à commettre
fa gloire à de nouveaux hafards.
Si Montécuculli eût préféré la patrie à la vaine
gloire, eût-il ofé dire, après, la mort du vicomte
de Turenne, qu’un homme qui avoit eu l’honneur
de combattre Mahomet Coprogli, M. de Turenne
& M. le Prince ne devoit plus compromettre fa
réputation & fa gloire. Si Bouffers, Noailles &
Vauban n’eüffent préféré la patrie à leur amour-
propre; le premier auroit-il fervi fous Villars; le
fécond fous. Maurice ; le troifième âuroit-il offert
(es fervices, à la Feuftlade ?: Pour tout dire , en un
mot , l’amour de la patrie peut feul ' forcer le général
à, vivre quand la- vie le couvriroit d’ignominie
& la mort d’une gloire immortelle. •
En recevant le coup fatal, le généralayà n’eft
^conduit que par- l’honneur ne longe qu’à fà propre
perforine , en mourant le vrai patriote fonge en-
pore à fa patrie.
A la. prife d’Ypres , le marquis de Bèaüveais
animé du patriotifme le plus ardent, d it, d’une
voix expirante à fes foldats , qui fe difputoient
l’honneur de le porter- : - mes amis , alle^ combattre
& laiffe^-moi mourir.
Un autre général François, s’écrie dans une cir=
confiance femblabie 5 foldats,, voila.le chemin de la
.viâloire, en.leur montrant un pafisge qu’il falloit
forcer: ne. fonge^ plus* à moi faites, votre devoir. >
; Célèbre prince •d’Orange , chef d’un état républicain
, aimiezrvous la patrie , quand à la journée
de Saint-Denis vous attaquâtes Luxembourg ,
quoique-., vous fuirez, que la paix avoit été figrfee
à. Nimègue-?. :
Maréchal de.Biron, compagnon dugrand Henri,
Thjftoùe nous a. tranfmjs, la réponfe. que vous fîtes
à votre, fils, pendant le liège de Rouen , & cette