
584 G É N
tendre avec les Perles pour la- perte de fa riatlofi.
Eh ! qu’avez-vous donc perdu julqu’à ce jour leur
dit froidement Achanonar ? Le temps , s’écrièrent-
ils. Les Huns avoient railbn, c’ell par 1 adiyité
que l’on a des fuccès à la guerre ; tien ne fécondé
mieux le courage que la promptitude ; rien ne
diminue autant les ..peines & les dangers que, la
diligence. Prévenir Ion ennemi -fera toujours une
des meilleures manières de le vaincre ; Mja;
guerre la célérité fert plus que la force ; le général
amoureux de fa gloire & fur-tout du bien public
fera donc a f t if , diligent & prompt ; comme
Alexandre , il ne renverra jamais au. lendemain
ce qu’il pourra faire le jour même ; comme Cæfar,
il croira n'avoir rien fait, tandis qulil lui reliera
quelque choie à faire. Ce fut en effet à leur aftivité
que ces deux héros durent leurs fuccès étonnants
& leurs plus beaux faits d’armes ; c’eft par la
promptitude & la vitelle de fa marche qu Alexandre
étonna , vainquit & fournit les Perles \ c eft par fa
diligence que Cælar fauva ton gouvernement de
l’invafion des Helvétiens ; c’eft autant par fon aéti-
vité que par fon génie qu’il les battit au palfage
de la Saône ; c’eft parce qu'il ne dormoit guères
que dans fon charriot ou dans fa litiere ; parce qu il
s’étoit accoutumé à écrire 6c a diéter lorfqu il etoit
à cheval ; c’eft parce qu’il traverfoit l’Italie dans
un court efpace de temps ; c eft parce qu il étoit
prefque à la même époque aux extrémités dés
Gaules les plus oppofées ; enÇn , c’eft parce qu’il
arrivoit avec fon armce au £11 tôt »que le courier qui
apportoit la nouvelle de fon départ, que ce Romain
célèbre fournit les Gaulois, dompta les Germains,
vainquit Pompée , Scsempara de la puiffance fou-
L’hifioire romaine nous offre auffi , dans des
temps plus reculés , des exemples frappants d’afth
vité. Le diûateur Quintius ordonne le matin à
touts ceux qui font en âge d’aller a la guerre , de
fe rendre à la fin delà journée au champ de mars ,
avec des armes , des vivres pour cinq, jours , &
douze pieux pour planter des paliflades ; tout eft
prêt à l’heure indiquée , 6c 1 armee marche au
commencement de la nuit.
Dans une autre circonftance , le conful harangue
le peuple, affemble le fénat , enrôle les foldats ,
& le lendemain au point du jour toute l’armée
% réunit, campe le foïr à dix milles de Rome ;
deux jours après les ennemis font battus & la
guerre eft terminée. ‘ .
Quelles grandes leçons ces deux exemples ne
renferment-ils pas l Aaivité dans les préparatifs ,
vîteffe dans les marches, vivacité dans les attaques,
diligence après la viéloire ; telles furent pendant
longtemps les vertus des Romains , 6c alors leur
grandeur ne fit que s’accroître ; mais lorfque: leurs
chefs devinrent infolents, l’empire tomba bientôt
en décadence. Quel militaire doutera de ces vérités
, fur-tout lorfqu’il verra ailleurs 1 aélivite toujours’
heureufe, 6c la lenteur enfanter fans ceffii
G É N
des-:difgraces. Recueillons quelques traits épars
dans les annales du monde.
Crafl'us eft la vi&ime de fa lenteur dansfon expédition
conrre les Parthes ; Othon fuccombe fous
Vitellius par le manque d'aéfivité de fes lieutenants ;
Bafilicus donne à Genferio le temps de munir Carthage
, de raflemblende nouvelles forces , par-là
l’empire des Vandales fublifte.çn Afrique ^Charlemagne
dompte les Saxons plutôt par • fon . aéfivite
que par la force de fes armes ; du Guefclin parcourt
la France dans un clinrd’oeil, &. la fauve en
courant. L’Alviane eft plus redoutable aux François
en Italie par fon aéfivité que par la force de fon
génie militaire. Le maréchal de Chaumont, un des
généraux les plus aétifs de fon fiècle , perd en
pour-parlers,quelques inftants devant, Bologne ,
Jules en profite pour fortifier la place, & Chaumont
eft obligé de fe retirer ; Lautrec donne à Mencade
le temps de fe fortifier dans Naples , & aux confédérés
qui faifoient le fiège de Parme, l’occafion de
fe joindre aux Suifles , & bientôt il efluie les plus
grands revers. Philippe 11 fait peu de progrès contre
les François , parce qu’il ne profiteras de la victoire
de Saint-Quentin ; Henri IV , ce modèle de^s
fouverains & des .guerriers,,doit moins peut:etre
à fa valeur & à l’amour de fes peuples, qu’à la
lenteur de Mayenne ; Guftave Adolphe perd par
fon inaéfion le fruit de fa viéloire à Leïpfick ;Feu-
quièreseft battu par Piccolomini devant Thion ville,
parce qu’il tarde trop à raffembler fes troupes &. à
fe retrancher ; Eugène & Marlbqroug aiment
mieux s’éloigner du prince Louis de Bade, & fe
priver des.forces qu’il commande, que de voir
leurs projets hardis & fermes , détruits par fa
lenteur ; & enfin le même prince Eugène n’a tant
de fuccès en Italie que parce que le grand Prieur
n’a pas en partage l’aélivité & la diligence nécef*
faires au général d’une armée.
Mais, de touts les généraux modernes , Eugène ,'
que nous venons de nommer, Turenne &. Condé
font ic i, comme prefque par-tout ailleurs , les
généraux que l’on doit offrir pour modèles. Lifez
la vie de ces héros , vous les verrez toujours aélifs ;
leur aéiivité ne dégénère cependant jamais en imprudence
; ils font prompts à exécuter, mais ils
font lents à réfoudre ; ils mettent de la diligence
à faifir l’occafion , mais ils fe gardent d’agir avant
qu’elle ne foit venue.
§ . X I V . /
De V exaElïtude,
Que leurs flatteurs difent aux généraux de voir
tout en grand ; qu’ils leur répètent que les chefs
doivent laiffer à leurs fubordonnés ôet efprit d’ordre
& de règle q u i, félon eux, s’allie rarement avec
le génie, & cette exaéfitude minutieufe qui le rétrécit;
l'homme vrai qui aimera leur gloire, &
qui aura confulté les annales du inonde , leur dira ;
G É Nloin
que l’efprit d’ordre & l’exaéHtude foient incompatibles
avec le génie, il l’aide au contraire
à mettre au jour fe;s .productions fublimes. Voir
les chofes en grand, aj.outera-t-il, c’eft , dans
plufieurs Qccanons, n’avoir rien vu ; c’eft , fous ,
un mot vuide de fens, cacher une ignorance réelle.
V o y e z , pourra-t-il dire encore, avec quelle adreffe
Socrate le . prouve au jeune Glaucus ; voyez comment
il l’oblige de convenir qu’il n’a cherché à
voir en grand que pour'fe.difpenfer de rien voin,
& bientôt, comme cet Athénien, vous, abjurerez
votre négligence ;, bientôt vous ferez convaincu ,
comme lu i, qu’en facrifiant vos goûts , vos penchants
& vos plaifirs, vous aurez le temps non-
feulement de méditer profondément les grands
objets, mais encore de defcendre dans les plus
petits détails, & de voir tout par vos yeux ; comme
Alexandre , le grand Henri &. Charles X I I , vous
ne donnerez plus au fommeil que fo temps abfo-
lument néceffaire pour réparer vos forces épuifées ;
inftruit par le malheur de Lautrec , vous ferez ac-
ceflible à touts .les inftants; comme Maurice de
Naflau , vous placerez à côté de vous , pendant
votre fommeil, des hommes chargés de vous
éveiller au moindre befoin qu’on pourroit avoir
de vous ; vous confacrerez , comme le duc de
Guife, les nuits à répondre aux mémoires qu’on
vous adreffera ; vous ne vous fierez jamais aveù-
glément aux avis, fouvent infidelles, qu’on pourroit
vous donner ; vous vous fouviendrez que Boutières
faillit à fe voir enlever une place très-importante,
& à perdre la yie, pour n’avoir pas lu dans l’inftant
où on la lui remettoit, une lettre qui renfermoit
les avis les plus importants. En réfléchiffant fur
quelques autres faits de ce genre que l’hiftoire
vous offrira, vous apprendrez que le général qui
abandonne la conduite des, affaires au zèle de les
fubordonnés, doit tomber tôt ou tard dans les
pièges que fes envieux & les ennemis de l’état
tendent continuellement, fous fes pas , & vous cond
u i r e z enfin que ce n’eft pas tout pour les généraux
.que d’être aCtifs , mais qu’ils doivent joindre l’exactitude
à la. diligence, l’attention à la-promptitude,
$L l’efprit d’ordre à l’a&ivité.
§ . X V .
Du dèjintèrejfement.
Ne pas attenter aux propriétés des citoyens ;
ne porter jamais des mains avides fur les tréfors de
l ’état; faire tourner en entier au profit de la patrie
toutes les contributions qu’on lève fur les ennemis; ■
ne dépenfer qu’à propos , & toujours avec économie,
un bien dont on n’eft que le dépofitaire ;
ne donner jamais lieu au foldat d’imaginer que fes
chefs augmentent leur fortune aux dépens de fa
fubfiftance ; fe mettre même par fa conduite au-
•deffus de. tout foupçon à cet égard ; veiiler enfin
à .ce que fes fubordonnés fe conduisent ayec la
Art militaire, Totat lh
G É N 585
même délicatefle, & les y contraindre par touts
les moyens poffibles : telles font les loix que,
l’exa&e probité impofe à tout militaire.
On devroit chercher à prouver ce que nous v e nons
d’avancer dans un ouvrage deftiné à des
citoyens qui n’auroient pas reçu une éducation
capable d’élever leurs am.es au-deffus d’un vil in-,
térêt pécuniaire, & qui auroient été fans cefle environnés
d’hommes dont l’argent auroit été le
premier mobile ; mais nous parlons à des guerriers
accoutumés à préférer l’honneur à l’or ; nous nous
adreflons à des militaires qui doivent porter encore
plus loin que les fubordonnés les vertus nobles de
leur état. Ne nous arrêtons donc pas à vanter
cette probité commune, & occupons-nous feulement
du défintéreflement, cette vertu qui conferve
& fortifie toutes les autres-, qui fait méprifer aux
généraux les récompenses dont l’or fait tout le prix ,
qui les empêche d'accepter les témoignages de la
jufte reconnoiflance de leurs fubordonnés , enfin ,
qui les engage à défendre à tout ce qui les entoure
de recevoir la rétribution la plus modique,
& le préfent le moins confidérable. Cette v ertu,
telle que nous venons de la peindre, a été celle
de touts les grands hommes que nous admirons.
Pour le prouver, nous n’irons point chercher
nos héros a Rome , à .Thébes, à Sparte & dans
Athènes. Ariftide , Phocion, Cincinnatus , je ne
parlerai point ici de votre défintéreflement : vous
viviez dans des fiècles où le luxe étoit prefque
inconnu , où l’or étoit compté pour peu , où
l’exemple de tout ce qui vous entouroit vous
rendoit le défintéreflement moins difficile. Grand
connétable , je ne citerai pas les exemples que tu
en as donné à l’Europe, j’aurois à retracer toute
l’hiftoire de ta vie. 11 en feroît de même de la
tienne , vertueux guerrier , que ton fiècle honora
du glorieux furnom de Chevalier fans ^reproche ;
ta conduite à Brefle ne fera même pas rapportée ;
le défintéreflement étoit trop fortement recommandé
par les loix de la chevalerie ; il étoit trop
chanté par les troubadours & les jongleurs , ÔC
trop vanté par les romanciers. Ce fera donc dans
des temps plus rapprochés du nôtre que je çhoifirai
mes exemples. Montmorenci, Gonfalve , Gaflion ,
Fabert, Catinat, c’eft vous, hommes illuftres ,
que je citerai. Je pourrois joindre d’autres noms
aux vôtres ; mais vos exemples doivent fuffire à
des François.
Henri I I , duc de Montmorenci, s’empare de
l’ile de Rhé ; il lui revient plus de cent mille écus
pour fa part du butin ; il abandonne cette fomme :
« Je ne fuis pas venu i c i , dit-il, pour gagner du
bien , mais pour acquérfr de la gloire ».
Guftave Adolphe veut ricompenfer Gaflion
d’une aétion valeureufe & réfléchie qu’il vient de
faire ; il veut que cet officier lui demande une
récompenfe « Je fouhaite , dit Gaflion , d’être
envoyé pour faciliter l’arrivée des troupes que vous
attende! m .
E è e e