
66 4 G U E G U E
& le bois pour l’artillerie , & toutes les autres
chofes principales dont elle a befoin , Ôc dont les
tranfports ne peuvent fe faire fans de gros frais :
car, fi par bonheur, vous trouvez de ce côté-là
ces commodités, que les ennemis n’ont pas, il
eft impoffible que la guerre ne les jette dans
des embarras extrêmes, &. qu’elle ne leur coûte
beaucoup. Je laiffe aux politiques à réfléchir fl ce
ne fut point par ces motifs que Louis X IV tâcha
de faire la paix avec un certain prince, avant
de la conclurre à Rifwick, avec les Efpagnols,
les Allemands, les Anglois & les Hollandois;
La raifon que vous pouvez avoir pour faire la
guerre dans un pays chaud ou froid, en été , ou
pendant cette partie de l’hiver, du printemps ou
de l’automne, que les pluies le permettent , &
peut être parce que vos- troupes, & celles des
ennefnis, font d’un climat différent, ôc par confé-
quent les unes plus propres que les autres à ré-
flfter à l’ardeur du foleil, ou à la rigueur de la
gelée , dans ce cas , tâchez de vous fervir du fort
de vos foldats contre le foible des ennemis : c’eft-
à-dire , portez la guerre offenflve fous un climat,
& dans une faifon , qui foient les plus incommodes
à vos adverfaires, ôc contentez-vous de vous tenir
fur la défenfive dans les provinces oh le climat
6c la faifon font plus contraires à votre nation pour
pouvoir tenir la campagne.
Les Suédois, fous le roi G uftave-Adolphe , qui
trouvoient les froids d’Allemagne très-fupportables
en comparaifon de ceux de la Suède , attaquèrent
6c prirent Konisberg & Græyfenagen pendant la
rigueur de l’h iver, lorfque lès Allemands ne pou-
voient pas tenir la campagne dans cette faifon trop
rude pour eux.
Une des raifons que Guichardin donne de ce
qu’en 1503 l’armée Françoife étoit fl fort diminuée
, ôc de*ce que par-là elle avoit perdu la
bataille de Cérignoles, eft que le grand capitaine
fit la guerre cette année dans un temps fl rude , ôc
dans un pays fl marécageux, que les François ôc
lesSüiffes, ne pouvant pas réfifter à ces incommodités
& à plufieurs autres, tombèrent malades ,
ôc défertèrent par douzaines ; au lieu que les Efpagnols
, plus accoutumés à toutes fortes de travaux
, fupportoient patiemment ôc en fanté ces
mêmes fatigues.
Vous ne devez pas mener vos troupes dans un
pays oh l ’air eft mal fain, lorfqu’elles font nées
fous un meilleur climat, excepté que ce ne foit
■ çn hiver ôc au printemps, faifons auxquelles on
fe fent moins de rintempérîe de l'air.
Par un très grand nombre d’autorités, d’exemples
6c de raifons, je ferai voir, en traitant de la guerre
offenflve, qu’il faut toujours donner des bornes à
fes conquêtes ; quelles ne doivent pas être difi
perfées & féparées les unes des autres , pour pouvoir
des conferver , ôc pour n’y pas trouver de
l’oppofition, par la jaloufle ou par la politique des
çrjnces voifin§.
Expédiens lorfque la frontière par où vous voudriez
entrer dans le pays ennemi, manque de grains 6*
de fourrage.
Si le pays oh il vous convient de porter la guerre
& de commencer la campagne, manque de grains
oc de fourrages, donnez ordre que pour le compte
du roi, ôc fur les terres de la frontière qui font
a couverts par vos places, on sème une quantité
de bled Ôc d’avoine , dont une partie fervira pour
donner le vërd à votre cavalerie, & pour vous
mettre en campagne avant lés ennemis , d’oh vous
tirerez des avantages confidérables ; ôc le refte de
l’avoine ôc du bled fervira pour en amaffer en fon
temps le grain ôc la paille ; par-là vous épargnerez
au prince des frais immenfes pour en faire transporter
de bien loin , ôc peut-être de 60 ôc 80
lieues : dépenfes à laquélle le roi mon maître fe
vit obligé en 1709 , ayant fait venir de Caftille
ôc de France le bled ôc l’avoine pour fon armée
de Catalogne, ôc ayant tiré une partie.du fourrage
de l’Arragon.,
Les Suiffes , en fe précautionnant pour foute-
nir la guerre contre Cæfar, firent femer dans les
endroits les plus commodes, une moitié plus de
bled qu’on en femoit ordinairement.
La paille que cette moiffon vous donnera, fera
que votre cavalerie pourra tenir la campagne ,
même après que les ennemis, ayant confumé tout
le fourrage du pays, fe verront contraints d’éloigner
% leur : alors votre armée, n’ayant plus de
cavalerie ennemie qui lui faffe tê te , aura plus de
liberté d’agir pendant tout le temps que le retardement
des pluies ôc du froid lui permettra de
camper en automne^
On peut encore -ajouter qu’ayant recours aux
fourrages du roi, vous n’ètes pas obligé de couper
ceux des habitans : car fl vous les appauvriffez ,
ôc fl vous les mettez hors d’état de pouvoir nourrir
dans la contrée leurs troupeaux Ôc leurs beftiaux,
ils les mèneront dans une autre province, ce qui
dépeuplera ce pays ; ôc votre armée manquera de
vivandiers, de charrettes, & autres voitures dont
elle fe trouve avoir befoin chaque jour.
Pour ces femailles de bled ôc d’avoine que je
viens de propofer, il faut s’adreffer à des hommes
du pays, afin qu’ils les faffent comme fi elles
étoient pour eux : car fl les ennemis venoient à
•découvrir qu’elles font pour le compte du ro i, Ôc
que vous vous préparez à porter. la guerre de ce
côté-là, ils en feroient autant fur la même frontière.
Il faut donc que les perfonnes qu’on chargera
d’une pareille commiflion , fojent fecrètes ,
affeâionnées à votre prince, & riches, afin que
par ignorance , ou par malice , elles ne découvrent
pas le fecret ; ôc qu’on ne trouve pas étrange
qu’elles faffent un fl grand trafic, pour lequel elles
peuvent prendre pour prétexte qu’elles fe font
engagées à fournir une grande quantité de grains
G U E
à certaine province, fur-tout fi le pays eft près de
la mer, & s’il eft arrivé qu’autrefois quelques autres
nations ayent envoyé leurs vaifleaux pour y venir
chercher du bled ôc de l’avoine.
Un autre expédient, lorfque la frontière oh l’on
veut porter la guerre manque de grains •& de
fourrages, eft de faire par avance de gros maga-
fins de bled, d’avoine, de paille Ôc de foin ; mais
je trouve deux* inconvénients ; par-là on incommode
beaucoup les particuliers de qui on les
prend ; ôc ayant befoin de plufieurs mois pour
les tranfporter fur les frontières , on. inftniit les
ennemis de l’endroit oh vous avez deffein de faire
la guerre, excepté que les courants des rivières navigables
ne vous foient favorables.
Raifons pour former divers détachements d'une armée
fort fupérieure en nombre à celle des ennemis.
ennemis, après vous en être réfervé affez pour
leur être un peu fupérieur , par rapport à leur
qualité , à leur nombre, au terrein qu'ils doivent
occuper, & aux expéditions que vous devez entreprendre
, formez un ou deux détachements
qui agiffent féparéroent, parce que les armées ex-
ceflivement nombreufes ne rendent pas tant de
fervice qu’elles caufent d’embarras : c’eft ainfi que
le penfoit le vicomte de Turenne 'ôc M. de la
Noue.
Les armées de Cæfar ôc d’Alexandre étoient
ordinairement de trente - cinq à cinquante mille
hommes ; rarement même arrivoient-elles à ce
dernier nombre : ôc certainement ce n’eft pas
faute de monde & d’argent que ces deux grands
pnnces, dont on pouvoit à peine compter les
provinces , n’ont pas voulu entretenir des armées
plus nombreufes.
Lorfque je cherche les raifons fur lefquelles le
fentiment du vicomte de Turenne & de M. de
la Noue etoient fondées , j’en découvre plufieurs
6c très fortes. La première eft qu’il- y a bien de
la difficulté a trouver affez .de vivres ôc de fourrages
pour faire fubflfter une armée extraordinairement
nombreufe.
Don Sancho de Londogno fait obferver , que
fouvent 1 eau qui fe trouve dans un camp, qui
d ailleurs feroff avantageufe , ne fuffit pas pour
une armée extrêmement nombreufe, & que l’air
dans 1 endroit oh une fi groffe armée campe pen-
dant quelques jours , s’infeâe facilement, d’oh
naiffent plufieurs -maladies dangèreufes.
Une autre raifon e f t , que rarement on trouve
un terrein oh toute une grande armée puiffe com-
u treA>^ ^ors .plufieurs troupes deviennent inutiles.
C eft la remarque de Tacite. Strata fait la
meme obfervation , & fe fert à ce fujet de la comparaifon
d’unç pique , qui, quelque longue qu’elle
toit, nç bleffe pourtant que par le peu de fer qu’elle
aaubput. *
Art militaire, Tome 11,
G U E 6i 5
[ Lorfqu’ utië affilée eft de plus de cinquante mille
hommes , le moindre défilé l’arrête un jour entier ,
ce qui caufe beaucoup d’embarras ôc de retardement
dans les marches, comme toute perfonne qui
a fuivi les troupes peut y avoir pris garde.
La dernière ôc la plus forte raifon pour perfuader
qu’il faut former des détachements d’une armée
beaucoup fupérieure en nombre à celle des ennemis,
eft qu’il n’y. a pas de prudence à expofef
toutes les troupes du fouverain à un feul événement
de la fortune. Vous m’objeâerez que le
moyen , pour n’être pas vaincu en aucun endroit ,
eft de ne combattre qu’avec une armée plus groffe
que celle des ennemis : je réponds que cette règle
fe trouve très fouvent fauffe, comme je le prouve
en traitant des occafions oh il faut évitée le combat*
Les Romains , dans le temps oh leur république
étoit fl bien gouvernée , avoient plufieurs armées ;
mais elles étoient peu nombreufes, & pour l’ordinaire
elles n’étoient pas compofées de plus de douze
mille Romains ôc de douze mille hommes de
troupes auxiliaires. Lorfqu’i l . étoit befoin que les
deux armées fe joigniffent, elles faifoient enfemble
vingt-quatre mille Romains ôc vingt-quatre mille
hommes de troupes auxiliaires ; en tout elles ne
paffoient que très rarement cinquante mille hommes. -
Par-là , quoiqu’une de leurs armées fût défaite, ils
pouvoient facilement fe relever par les troupes de
l’autre.
En formant des détachements d’une armée beaucoup
fupérieure , vous rendrez vos aftions plus
glorieufes, fans que vos armes courent plus de
rifque ; car les troupes qui font de trop ne fervent
de rien. « Pour détruire cette ville , difoit Jofué ,
fl n’eft pas befoin que toute l’armée aille à l’attaque
: deux ou trois mille hommes fuffifent, parce
que ceferoit la fatiguer inutilement que d’oppofer
tant de mond§ contre fi peu d’ennemis. ».
Avec plufieurs corps de troupes, vous formez
en même-temps plu^ d’entreprifes, vous avancez
vos conquêtes, Ôc vous mettez plutôt - fia à la
guerre, qui pourroit, fl elle étoit prolongée davantage,
donner moyen aux ennemis de faire de nouvelles
alliances, ôc caufer dans vos états des révoltes
, des maladies épidémiques , ou quelqu’autre
malheur, qui feroit un obftacle à vos projets.
Louis X IV divifa fa grande armée de Flandres
en trois corps , dont fa majefté très chrétienne en
commandoit un, & deux de fes généraux les deux
autres. Par-là il falloit beaucoup moins de temps à
la France pour faire les conquêtes qu’elle fit fur
les Hollandois.
Egbert ayant deffein de conquérir les fept
royaumes d’Angleterre , comme il y réuflit, divifa
en deux corps fon armée, qui étoit beaucoup
fupérieure en nombre; tandis qu’avec l’un il invertit
les états d’Etelulfe, roi des Saxons orientaux,
fon fils entra avec l’autre dans le pays de
Kent, occupé alors par le 'ro i Baltrete. Par-là
Egbert prit moins de temps à faire fes conquêtes»,