
les ffcortes, afin de s’oppofer aux ennemis, &
faire retirer les fourrageurs.
Si le pays eft couvert ou par des bois ou par
un ruilleau, il faut que l’elcorte foit plus forte en
infanterie , & que les partis de cavalerie , foutenus
de ceux de l’infanterie, s’avancent, s’il fe peut,
au-delà du pays couvert de bois ou bordé du
ruilTeau ; que les partis d’infanterie ayent, la nuit
.qui précédera ce fourrage , bien battu le pays ,
&L que toute l’efcorte borde le bois ou le ruilleau ,
non-l'eulement par des corps féparés , mais par une
chaîne de îentinelles, afin que les fourrageurs ne
les paffent pas.
Il y a encore une autre manière de fourrager
en avant : c’eft lorfque les deux armées font fi
proches l’une de l’autre, quelles refpe&ent les
fourrages qui font entr’elles. En ce cas, pour les
dérober à l’ennemi, on s’avance avec toute la
cavalerie , dont il n*y en aura que la moitié de
fcellée, & l’autre ne fera qu’armée de fes mouf-
quetons ; & , lorfque là cavalerie armée fera en
bataille en avant, celle qui ne l’eft pas , fourragera
diligemment derrière, & fe retirera à mefure qu’elle
aura fait fon fourrage. Quelquefois ces fourrages
font fi hafardeux , & pourtant fi néceffaires, qu’on
ne les fait qu’avec des faucilles au lieu de faulx;
que toute la cavalerie eft armée & fellée , &
que touts les cavaliers n’emportent que des ballots
au lieu des trouffes.
Quelquefois aufli toute, cette cavalerie a un gros
corps d’infanterie,, avec du canon pofté derrière
elle j pour la recevoir, en cas qu’elle fût pouffée
par un trop gros corps des ennemis , & lui donner
le temps de le former pour combattre ,li la nécelîité
l ’y obligeoit. Quelquefois encore ces fourrages-Xk
ne fe font que par ailes ou d’un ou de deux cavaliers
par chambrée , tout le refie étant en bataille.*
Tout ceci ne fe dit que pour les fourrages en
avant pris en verd ; ceux qui font en fec , le font
d’une autre manière. On fait précédemment recourt
oitre les villages que l’on veut faire fourrager ;
on examine la nature du fourrage qui y eft, fi ce
font des foins ou des grains, ou s’ils font remplis
de l’un & de l’autre, & de la quantité qu’il peut
y en avoir ;~ on en fait la diftribution par aile ,
par brigade & par corps. Les efcortes étant poftées
en-delà de ces villages, les fourrageurs y viennent
en ordre , chacun au canton qui lui eft deftiné ,
avec des cordes pour les trouffes, des fléaux pour
battre, & des facs pour emporter lps grains.
Souvent, & principalement lorfque les fourrages
en grains font trop éloignés de l’armée, on les
tire des lieux ou ils font par des répartitions qui
fe font fur des communautés qu’on oblige de voi-
turer ces grains au camp , ou même feulement
de les tenir prêts dans les lieux deftinés pour les
aller enlever ; mais'cette dernière manière ne fe
doit pratiquer qu’en cas qu’elle fe puiffe faire bien
fûrement, parce que l’ennemi, qui aura fans doute
-çonnoiffance de cette répartition faite fur les lieux ,
qui lui appartiennent, & de la manière dont on
doit eqlever ces grains, y pourroit aifément mettre
obftacle, ou en les enlevant lui-même, ou en enlevant
les fourrageurs.
Les fourrages derrière l’armée doivent être 'fort
ménagés , parce/qu’ils doivent fervir ou pour dernière
reffource , en cas que. l’on doive faire un long
féjour au camp où l’on e ft, ou pour être donnés
au quartier-général, aux vivres & à l’artillerie,
parce qu’à ces fourrages derrière l’armée , il faut
des efcortes bien moins-çonfidérables > & par con-
fequent ils fatiguent bien moins l’armée.
- Les fourrages fur les ailes font encore d’une autre
nature. Il faut veiller à ce que l’ennemi ne les
dérobé pas , ou que les habitans des lieux ne les
détournent point. Il en faut faire une reffource
pour les ailes, léfquelles fe chargeront, chacune
en particulier , de faire ledit fourrage, lorfqu’elles
en auront befoin, & après l ’avoir demandé au
général ; car nul dans l’armée ne doit fourrager
iàns la permiflion du chef.
On n’a jufqu’à préfent rien dit du fourrage de
l’infanterie. On ne compte tout au plus un bataillon
que pour un efçadron : cela ne va pas même
à cette fupputatron. Tant que dure le fourrage en
v e rd , on ne l’épargne pas plus à ce corps qu’a
la cavalerie; & , lorfque j’ai parlé des fourrages
par aile, j’ai fuppofé qu’on l’entendroit par moitié
de l’armée.: Lorfque les fourrages font fecs , on en
donne moins à l’infanterie, parce qu’on ne veut
pas .qu’elle enlève les grains , dont la cavalerie a
un befoin abfolu.
Lorfque l’on, fait des diftributions de grains., il
eft fort rare que l’on en donne à l’infanterie , n’ayant
pas befoin de chevaux pour combattre. On ne
fe foucie pas tant que les chevaux de l’infanterie,
qui ne font que ceux des équipages & montures
des officiers, foient fi bien nourris : cependant,
comme il faut qu’ils fubfiftent dans les fourrages
généraux, ils y vont comme le refte de l’armée ;
mais , dans les particuliers, principalement en fec ,
& qui fe font dans les villages , on commence
toujours à faire emporter les grains par la cavalerie ;
& , quand l’abondance du pays fait qu’on en donne
à l’infanterie , c’eft toujours en petite quantité,
comme il vient d’être dit.
Après avoir parlé de toutes les manières de
fourrages, il ne refte qu’à ajouter que plus les
fourrages font bien ménagés dans un pay s , plus
l ’armée y fubfifte longtemps ; moins aufli fait-elle
de mouvements inutiles qui ruinent la cavalerie
& les équipages , & par conféquent elle eft plus
en état d’exécuter ce qui a été projetté.
Ce que j’ai dit jufqu’à préfent des fourrages 3
ne regarde que ceux qui doivent être confommés
par l’armée. Il me paroît néceffaire de dire ici
un mot de l’attention que le général doit avoir,
pour ôter à fon ennemi ceux qu’il peut conforamer
avec facilité.
C’eft un principe certain qu’il faut ôter à fon
ennemi tout le plus de fourrages qu’il eft poftible.
Ces fourrages font en verd ou en fec. Les fourrages
ne le peuvent ôter à l’ennemi en total ; on peut
feulement fe placer de manière qu’il n’ofe , fans
de fort grandes précautions., faire fes fourrages en
avant ; car ceux qu’il a derrière lu i, on ne les
lui peut ôter. La conftitution du pays peut quelquefois
faciliter les moyens aux petits partis de fe
couler dans les derrières d’une armée , & d’enlever
en détail quelques fourrageurs qui fortent fans
efcortes, parce qu’ils fe croient en fureté.
Les fourrages en fée ne fe peuvent ôter que par
leur enlèvement, fi on en a le temps, & qu’ils fe
trouvent à portée d’être mis* dans les places, ou
par leur incendie. .
On peut comprendre au nombre des fourrages,
la paille & même le bois dont les troupes ont
befoin en campagne,
La paille fert à plufieurs ufages. Dans le commencement
des campagnes, elle fert pour coucher
les hommes qui font fous les tentes. Après- la récolte
, elle fert à barraquer les hommes & à faire,
des écuries pour les ehevaüx , parce que’dans cette
faifon les -jours - deviennent pluvieux , & que les
nuits font plus froides.
A la fin des campagnes , lorfque les fourrages
font plus ou moins éloignés des camps dans
lefquels il faut féjourner longtemps , ou que les
mauvais chemins les rendent plus difficiles à être
portés en trouffe au camp , je trouve l’ufage de la
paille hachée pour les chevaux excellent, principalement
quand cette paille hachée eft mêlée avec
un peu de grain.
11 feroit à fouhaiter que les armées Françoifes
employaffent cette nourriture pour leurs chevaux ,
plus qu’elles ne font. Il y périroit beaucoup moins
de chevaux par la fatigue du' fourrage , & elles
refteroient dansles derniers camps de la campagne,-
fans incommodité pour les fourrages , bien plus
longtemps qu’elles n’y reftent.
La cavalerie Allemande & Hollandoife qui fe
fert de paille hachée , fe retire toujours én meilleur
état que la nôtre , & fubfifte même longtemps
dans des camps que nos armées ont abandonnés
faute de fourrages.
De la paille.
Quoique la paille foit comprife dans le général
des fourrages, puifqù’eîle fert à la nourriture des
chevaux , & que j’en aye déjà parlé ; je dirai ici
un mot lur la manière dont elle doit être enlevée
par les troupes, lorfque fon ufage ne regarde que
le coucher des hommes, ou la conftruQion des bar-
raques & ecuries, dans le temps que les nuits commencent
à être froides.
Après que l’infanterie eft arrivée au camp, &
<ju elle a pôle les armes, il faut que le foldat fonge
à le pourvoir de paille pour les chofes auxquelles
il en a befoin ; mais pour cela 7 il ne le doit
jamais faire en défordre. Il faut qu’il y ait par
bataillon des officiers & des fergents commandés
pour conduire les foldats à la paille , & les ramener
enfemble au camp. Ces officiers ne doivent jamais
, fouffrir, fans une néceffité abfolue , que le foldat,
toujours porté au défordre & à la deftruftion,
découvre les maifons ; parce que les maifons découvertes
& rendues inhabitables , reftent abandonnées
, même après que l’armée s’eft éloignée :
d ou fuit par conféquent le manque de .culture ,
qui ruine le pays dans la fuite de la guerre , &
caufe la difette des fourrages pour les années V ivantes.
Ce foin mérite une attention férieufe de
la part du général.
: Le bois eft d’un ufage abfolument néceffaire pour
les armées , tant pour cuire & pour chauffer les
hommes quand les chaleurs font paffées , que pour
les effuyer après des pluies.
U feroit à fouhaiter que la difeipline fût mieux
obfervée dans les armées-qu’elle ne J’e ft, à l’egard
de la diflipation qui s’y fait des bois de charpente
des édifices , pour être réduits en bois de chauf-
fage , & qu’il fut bien expreffément défendu de
détruire les maifons pour en brûler le bois de
charpente parce qu’il eft plus fec , & qu’on obligeât
l’officier & le foldat à prendre le bois dont il a
befoin , dans les bois qui font fur pied. Cela augmenterait
un peu fon foin & fon travail : mais
aufli l’armée en général s’en trouveroit bien plus
commodément dans la fuite de la guerre ; parce
que les habitants du pays y reviendroient après le
départ de l’armée , & ne cefferoient pas la culture
de leurs terres, dans l’efpérance ou de la paix ,
ou que l’année Vivante iis pourraient fauver leur
récolte, & qu’ainfi le pays ne feroit pas fitôt dé-
foie, ni les terres fitôt privées de culture.
Je voudrais que l’on prît foin de conferver les
bois de charpente , & que l’on obligeât le foldat
& le cavalier à s’abftenir de la deftruQiqn des
édifices, en les faifant conduire pour aller faire
du bois , de la même manière que je viens de
dire pour aller a la paille, & en les obligeant de
fe contenter du bois fec de chauffage , qui fe peut
trouver dans un pays , pour aider a faire brûler’
le bois qu’ils couperaient.
Je fçais bien qu’on me dira, que l’obfervatïon
de, cette difeipline eft d’une grande application ;
j’eij conviens : mais, aufli cela produit de grands
avantages pour une armée dans les fuites d’une
guerre , puifqu’elle empêche l’abandon du pays &
de la culture des terres.
L’habitant de la campagne ne croit pas être malheureux
touts les ans , & revoir l’armée dans fon
champ & dans fa maifon l’année fuivante. Quand,
il la trouVe encore habitable, il cultive & croit '
recueillir ; ce qu’il ne içauroit certainement plus
faire , quand il trouve fa maifon détruite.
Mes réflexions ne s’étendront que for ce qui
regarde les fourrages, parce qu’il eft aifé d’entendre
, que le général qui fe procure la facilité