
Martin Penofer, au lieu de Penonfer, pour montrer
que le baron de PreuiUL étoit le porte-pennon
de faint Martin. » . . . . L’auteur cite encore d’autres
monuments où eft repréfenté l’étendard de
faint. Martin.
D e - là , il s’enfuit deux chofes : la première,
que la chape de faint Martin*, foit qu’on la prenne
pour fon rochet , foit qu’on la prenne pour le
voile qui couvroit fon tombeau, n’étoit point l’étendard
de faint Martin ; car l’étendard de cette
églife étoit de la figuré de quelques autres étendards,
& en particulier de l’oriflamme de faint Denis,
4k n’avoit ni la-figure d’un manteau, ni la figure
d’un rochet, ni du voile d’un tombeau. La fécondé,
que l’étendard de faint Martin n’étoit point porté
à l’armée par des clercs, mais par un fêigneur,
comme l’oriflamme & les autres étendards ; &
que dès qu’on fuppofe que la chape de faint Martin
étoit portée par des clercs, dès-là on ne doit
point la regarder comme un étendard. Ce raifon-
nement me paroît très concluant.
On peut cependant faire une obje&ion tirée
d’un paffage d’un auteur du douzième fiècle : c’eft
Honoré .d’Autun qui parle en ces termes de la
chape de S. Martin : hujus cappa francorum regibus
ad bella euntibus pro figno anteferebatur, qui pa-
roiffent dire que la chape de faint Martin étoit un
étendard.
Je réponds à cette objeâion : i° . que c’eft
l ’unique auteur ancien où la chape de faint Martin
paroiffe être appellée du mot de Jîgnum : je dis
qu’elle paroiffe; car en effet, l’auteur ne dit pas
que ce fût un étendard ; mais qu’elle étoit portée
devant l’armée, pro figno. Ce qui peut lignifier
que cetto chape'tenoit la place de l’étendard , &
qu’elle précédoit l’armée à la place de l’étendard
roy al; qu’on lui donnoit la place que l’étendard
auroit dû avoir dans la marche de l’armée, 6c
qu’elle en règloit les mouvements marchant à la
tête. Cette expreflion eft certainement équivoque,
& l’on en doit déterminer lé fens par les circonf-
tances qui ne conviennent nullement à un étendard,
comme d’être" porté par des chapelains.
Je réponds en fécond lieu que ce paffage eft tiré
d’un fermon de cet auteur à l’honneur de laint Martin.
O r , dans ces fortes de difcours, on ne s’exprime
pas toujours avec la dernière "exaéfitude, comme
dans une hiftoire ou un ouvrage de critique ; on
parle fuivant les préjugés populaires; & apparemment
dès-lors on s’étoit imaginé que la chape
de faint Martin étoit un étendard, parce qu’autre-
fois on la portoit dans lés armées, & on la re-
gardoit fur le même pied que l’oriflamme étoit
regardée alors.
3°. Honoré d’Autun étoit un particulier philo-
fophe & théologien, qui a fait une infinité d’ouvrages
fur toutes fortes de matières, dont la plupart
font traitées fort fuperficiellement. Il étoit
dans un coin de province : il écrivqit près de
«eut cxnquante'hns après la fin de la fécondé race,
où 'l’on portoit cette chape. Enfin il dit lui-même
que ceux qui portoient la chape de faint Martin
; étoient des chapelains ; & eam déférentes capellanos
! dicebant. Or on ne perfuadera jamais que le prin-
! cipal étendard de l’armée ait été porté à la tête
des troupes par des chapelains, c’eft-à-dirè, par
des clercs, étant confiant par nos hiftoires, que
les autres étendards, foit l’oriflamme , foit l’étendard
royal, étoient portés par des feigneurs d’une
valeur reconnue, de peur que ces. étendards ne
fuffent pris par les ennemis, & que ceux qui les
portoient , n entraînaffent en fuyant le refte de
l’armée.
Il paroît donc que lo chape de faint Martin n’étoit
point un étendard. Mais qu’eft-ce que c’étoit donc ?
Voici fur cela ma penfée, qui eft celle de l’auteur
de l’hiftoire manuferite de Touraine. C ’étoit
une efpèce de pavillon portatif, fouî lequel étoient
les reliques des faints que nos rois de fa première
6c la fécondé race faifoient porter à l’armé“ , pour
s’attirer par leur interceflion la prote&ion de Dieu
dans leurs expéditions. Parmi ces reliques, il y
en avoit de faint Martin ; 6c' comme ce faint évêque
étoit un des patrons de la France , on avoit donné
a cette tente le nom de chape de faint Martin, à
caufe de fes reliques, quoiqu’il y eût des reliques
de divers' autres faints.
C ’étoit félon l’ufage de ce temps-là qu’on avoit
donné à ce pavillon le nom de chape, car ce
nom fe donnoit primitivement aux habits qui cou-
vroient le corps, 6c venoit du mot latin eapere,
parce que la cape ou chape couvroit & conte-
noit le corps de l’homme : mais on le tranfpor-
toit encore aux chofes qui en contenoient 6c en
renfermoient d’autres, & jufqu’au ciel même par
rapport à la terre.
N’agueres meillor terre fous la chape du c ie l,
Dit . un de nos romanciers. Ainfi, parce que ce
pavillon renfermoit & couvroit les.reliques de faint
Martin, on l’appelloit la chape de faint Martin;
6c de cette chape eft venu le nom de chapelain,
comme je l’ai déjà-remarqué fur le témoignage
des anciens auteurs., pour ceux qui étoient chargés
du foin de garder cette efpèce de pavillon.
C ’eft par la même raifon que la chaffe qui con-
tenoit & renfermoit immédiatement les reliques
de faint Martin, étoit appellée du nom de chapelle ,
c’eft-à-dire, petite chape, par comparaifon avec
une plus grande chape ou pavillon, fous lequel
la petite chape étoit placée. C ’eft ainfi que s’explique
le moine Marculfe dans une de fes formules
, ou marquant que deux hommes qui étoient
en procès l’un contre l’autre, dévoient, faute d’autres
preuves, faire ferment fur la chaffe de faint Martin,
il dit : Tune in palatio noflro , fuper capellam
domni Martini, ubi reliqua facramenta percùrrunL9
debeant conjurare. Capella.eft certainement ici la
chaffe.
Par cette formule on voit encore que, comme *
nos anciens rois faifoient porter à l’armée la chape
de faint Martin ; cette chape, au retour de leurs
expéditions, étoit mife & gardée dans leur palais,
pour une femblable fin; c’eft-à-dire, pour attirer
ïùr leur maifon les b énédiéHons du ciel.
M. du Cange, dans fon gloffaire, parlant.de
la chape de faint Martin, dit que les empereurs
Grecs faifoient aufli porter des reliques des faints
à la tête de leurs armées, & ils donnoient pareillement
à ces reliques le nom de chape, xà-znzj/.
Celui qui portoit cette chape marchoit après celui
qui portoit l’étendard ,pofi bandophorum. 11 en étoit
fans doute de même dans les armées françoifes ,
&. c’eft apparemment tout ce qu’a voulu dire
Honoré d’Autun par fon expreflion, qui induit
en erreur nos écrivains modernes.
Je crois que par-tout ce que je viens de dire,
j ’ai affez éclairci ce qui regarde la chape de faint
Martin, & bien prouvé que ce n’étoit point un
étendard, comme plufieurs de nos' écrivains modernes
fe le font perfuàdé ; mais que c’étoit un
pavillon fous lequel on portoit la chaffe des reliques
de faint Martin. Je vais maintenant traiter
de l’étendard le plus fameux dans nos anciennes
hiftoires, appelîé l ’oriflamme.
De Voriflamme*
En parlant des grandes charges qui étoient autrefois
dans les armées françoifes, j’ai traité de
celle de porte-oriflamme. Elle étoit fi confidé-
rable, qu’on vit fous Charles V I le feigneur d’An-
drehen quitter pour l’avoir , la dignité de maréchal*
de France, d’autant que ces deux charges
étoient cenfées incompatibles. Je vais maintenant
traiter de l’oriflamme même.
Parmi les étendards que l’on portoit autrefois
dans les armées de France, l’oriflamme, ou comme
d’autres l’écrivent, l’auriflamme a été le plus célèbre.
• C ’étoit une bannière comme celle des églifes
qu’on a coutume de porter aux procédions, dit
Guillaume-le-Breton ; le bâton auquel elle étoit
attachée, étoit une lance, dit un autre ancien
auteur.; 6c tenoit en fa main une lance à quoi
l ’oriflamme étoit attachée ; il étoit, ajoute la même
chronique à Guife de Gonfanon, à trois queues;
c’eft-à-dire, qu’il étoit fendu en trois par le bas,
6c attaché à la lance, non pas à côté, mais en
travers.
Il étoit d’un taffetas rouge 6c fimple, fans figure.
Oriflame eft une bannière,
Aucun poi plus fort que guimple,
D e cendal roujoyant & fimple ,
Sans pourtraitufé d’autre affaire.
Et dans un autre endroit :
L ’oriflame eft au' vent mife ,
A v a l, lequel va ondoyant,
De cendal fimple roujoyant,
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Sans ce qu’autre oeuvre y foit portraîte :
Entour c’ eft l’oft de France traite.
Cet auteur, au refte, ne parloit point par oui-
dire ; mais après l’avoir v u , comme il le marque?
dans ces .autres- vers :
Et comment- que l’on l’ait portée
Par nations blanches & Mores ,
Elle eft à Saint-Denis encores :
Là l’ai-je n’a gueres veue.
C ’eft ainfi qu’en parle encore la chronique de
Flandre, où il eft dit que l’oriflamme étoit de
vermeil famit : & elle ajoute quelle avoit en tour
houppes de foie verte.
La lance étoit dorée, comme le dit l’avocat
du roi Raoul de Preffe , dans un traité fur cette
matière, adreffé au foi Charles V . « Et fi portés
feul d’entre les rois, ô r o i, l’oriflamme en bataille ;
c’eft à fçavoir un glaive (lance) tout doré , où
eft attaché une bannière vermeille. ».
De ce bâton doré, 6c de la couleur rouge , ou de
couleur de feu de la banhière, eft venu apparemment
fon nom d’oriflamme. M. du Cange,
dans la differtation qu’il a faite fur ce fujet, croit,
qu’il eft plus vr-aifemblable qu’elle -fut appellée
flamme, du mot flammulam, qui, dans les auteurs
de la moyenne latinité , fignifioit un étendard.
Pour ce qui eft de l’antiquité & de l’origine
de cette bannière, il y a des auteurs qui en ont
parlé comme d’un préfent venu du ciel à nos rois.
Guillaume Guyart dit qu’elle fut faite par le roi
Dagobert :
Li rois Dagobert la fit faire.
D ’autres l’ont appelle l’étendard de Charlemagne
; mais tout cela n’eft fondé que fur des
traditions fabuleufes, 6c nullement fur aucun monument
digne 'de foi.
Quelques auteurs l’ont confondue avec l’étendard
royal. Comme Philippe Mouskes, en ces
vers fur la bataille de Bovines :
Et par le confeil de fa gent
Il a fait bailler eframent
L ’oriflame de Saint-Denife.
A. un chevalier, par devife ,
Walo de Montigni & nom
Qui moult eftoit de grand renom.
Or il eft certain que l’étendard porté par Gallon
de Montigni, n’étoit point l ’oriflamme ; c’étoit
l’étendard royal parfemé de-fleurs-de-lys , floribus
lilii diftinblo, dit Rigord. Et cet hiftoriographe de
Philippe Augufte, diftingue expreffément, aufli
bien que Guillaume-le-Breton, cet étendard de
l ’oriflamme ou bannière de faint Denis , ainfi que
je l’ai dit en parlant de la charge de porte-oriflamme.
L’oriflamme étoit originairement la bannière de
l’abbaye de Saint Denis , non pas pour être portée
en proceflion, mais dans le combat & dans les
guerres particulières que l’abbé étoit quelquefois
obligé de foutenir contre les feigneurs qui enya