
rapporter , combien il eft dangereux de laiffer
prendre parti aux déferteurs ennemis , & de quelle
précaution il faut ufer dans les paffeports qu’on
leur accorde pour fe retirer dans quelqu’autre
Pay & ' A , ' •
Vous pourrez auffi être informé de la difpofition
du camp dés ennemis , & des autres particularités
dont il vous importe d’être inftruit. S i, fous quelque
prétexte , vous envoyez un .officier pour çonfér.
rer avec le général ennemi,- en lui. donnant ;des.
hommes intelligents, qui, habillés en domeftiques y;
obferveront, fans faire femblant de rien , ce que
vous fouhaitez de fçavoir , pendant que leur maître
prétendu s’entretient avec le général fur les affaires
pour lefquelles il paroît que vous l’avez envoyé.
Selon T ite -L iv e , ce fut de cette manière que
Scipion l’Africain fut inftruit de la difpofition du
camp dè Syphax, roi de Numidie , à qui, fous prétexte
de traiter de paix , il envoya diverfes per-
fonnes q u i, au lieu de domeftiques , menèrent des
hommes habiles pour obferver ce que Scipion de-
firoit de fçavoir. Quelques autres écrivains ajoutent
que ces faux domeftiques des ambaffadeurs de
Scipion laifsèrent échapper un cheval 3 comme fi
cela étoit arrivé par haiard, & que les Romains ,
fous prétexte d’aller après pour le fatraper, parcoururent
tout le camp de Syphax.
Charles Canutfon, grand maréchal de Suède,
& qui en fut enfuite roi fous le nom de Charles
V IH , deftrant de fçavoir la difpofition du camp
de Chriftierne Nilfon, fon ennemi 3 lui écrivit une
lettre fous prétexte de vouloir traiter de paix , mais
dans la vue que celui qui portoit la lettre, remarquât
comment les troupes étoient diftribuées dans
le camp ; à quoi il réuffit fi bien , qu’à fon retour
Charles détacha un parti qui, bien inftruit, marcha
droit au quartier de Nilfon 3 & le fit prifonnier.
Don Sanche de Condogno I I , veut que les tambours
& trompettes , dont on fe fert pour faire des
-meftages , ou pour porter des lettres à l’armée ou
-aux places des ennemis , foient inftruits des mêmes
chofes , dont on a dit que les efpions dévoient être
inftruits ; afin qu’ils puiffent à leur retour vous
.informer de ce qu’ils auront vu dans la place ou
dans le camp ; fi les ennemis n’ont pas eu le foin de
leur faire bander les y eu x , & de prendre les autres
précautions accoutumées, afin qu’on n’obferve pas
-ces précautions avec tant d’exa&itûde , ces tambours
ou ces trompettes doivent faire paroître fort
peu de capacité, & feulement un peu de fimplicité ;
-parce qu’i/ne trop grande fimplicité paroîtroi-t
affeéiée , n’étant pas croyable qu’on fe fervît d’un
imbécile pour une pareille commiffion.
. Des avis donnés par Us déferteurs, ou des prifonnier s
ennemis*
Lorfque vous voulez fçavoir , par un prifonnier,
ce qui fe paffe dans fon armée , ou dans fon pays,
envoyez par avance , dans la meme prifon où il
doit être conduit, un homme de confiance qui foit
habillé à leur manière, & qui ait toutes les marques
d’un prifonnier. S’U y a plufieurs prifonniers, vous
les féparerez dans des priions différentes, ôc vous
aurez dans chacune un homme tel que celui dont je
viens de parler j afin que ce que l’un ne pourra pas
tirer des prifonniers , l’autre le puiffe faire , & afin
de voir s’ils font touts conformes dans ce qu’ils
difent. Mais comme l’artifice feroit aifé à découvrir
fi . ces hommes fe difoient des mêmes régiments
que font les prifonniers, avant de les faire mener
dans leur prifon, vous enverrez un officier pour
prendre le nom des régiments où chacun d’eux
fervoit, afin que les faux prifonniers ne fe difent
pas des mêmes corps : car fi les véritables prifonniers
croient que les autres le font auffi, il ne
faudra que quelques heures de converfation pour
leur faire dire tout ce qu’ils fçavent de l’endroit où
ils fervoiènt.
J’ai vu , en 1708 , que par ce ftratagême, à Grans
de Ribagorza 3 on tira de la bouche des prifonniers
ennemis tout ce que l’on fouhaitoit fçavoir.
Lorfque des déferteurs ennemis viendront vous
donner des avis qui pourroient vous porter à faire
quelque entreprife , avant que de vous y engager,
& après avoir bien examiné ces déferteurs en particulier,
faites-les mettre aux arrêts, & dites-leur
qu’ils peuvent s’attendre à être pendus 3 fi les nouvelles
qu’ils vous ont apportées fe trouvent fauffes ;
mais que vous leur donnez votre parole de leur pardonner,
& de leur faire même quelque gratification
s’ils vous avouent qu’ils ont menti, & s’ils vous difent
la vérité. Si cela ne fuffit pas pour tirer la vérité de
leur bouche, il faut les punir fans rémiffion , lorfque
les avis qu’ils vous auront donnés , fe trouveront
faux , à moins qu’ils ne fe difculpent d’une
manière à pouvoir vous fatisfaire, parce qu’on ne
doit pas dans ce cas les traiter comme des déferteurs
, mais comme des efpions doubles.
Lorfque le général Montécuculli commandoit
l’armée de l’Empereur Léopold contre celle de
France, qui étoit en préfence fous les ordres du
vicomte ^de Turenne , un déferteur françois apporta
la nouvelle à Montécuculli que Turenne
.venoit d’expirer d’un coup de canon. Comme cet
avis pouvoit donner lieu à Montécuculli d’entreprendre
ce à quoi il n’auroit pas ofé penfer, parce
que la conduite & le bonheur du vicomte faifoient
la principale force de l’armée françoife ; Montécuculli
répondit au déferteur , que fi ce qu’il lui
rapportoit étoit véritable, il feroit récompenfé ;
mais qu’il feroit pendu fi cela fe trouvoit faux ; &
le déferteur ayant toujours foutenu que rien n’étoit
plus vrai, Montécuculli penfa dès-lors à attaquer,
les Français.
On peut auffi détacher des partis- pour faire
quelques prifonniers. Les officiers de ces partis
ne laifferont pas parler les prifonniers entre eux pendant
la marche , &. lorfque des prifonniers feront
srrîvés à votre camp , vous les examinerez touts
s a particulier l’un après l’autre pourvoir s’ils, font
conformes dans les nouvelles qu’ils vous donnent,
& s’ils s’accordent avec celles des déferteurs &
avec les avis que vos efpions vous apportent.
« Ceux de l’armée ennemie qui défertent pour
palier dans votre armée y-dit B eyerlinck, peuvent
facilement vous informer des réfolutions des ennemis
; mais vous devez faire plus de fondement fur
ce que vous rapporteront ceux qui, dans quelque
in-curfion auront été faits prifonniers ; & vous pourrez
être encore plus alluré de la vérité fur ce que
vous fouhaitez fçavoir ; fi ce que les déferteurs &
les prifonniers vous difent , y eft parfaitement
conforme. ». Xenophon donne auffi pour confeil
de confronter les avis des prifonniers avec ceux
des efpions.
Vous verrez, dans divers endroits de cet ouvrage,
que fouvent les ennemis font déferter leurs plus
fidèles foldats , afin de venir répandre des nouvelles
qu’il leur importe que vous croyez ; mais
quand même les foldats défertent véritablement,
ne penfezpas que les ennemis fe trouvent dans un
auffi mauvais état que ces déferteurs le difent,
parce que pour plaire au nouveau général3 ils
tâchent de le flatter par les nouvelles qu’ils lui
donnent.
Vous devez, par vous-même examiner en particulier
les déferteurs, & empêcher que d’autres
perfonnes ne leur parlent ou ne les tirent à l’écart,
avant qu’ils foient conduits devant vous, lorfque
vous vous trouvez au fiège ou au blocus d’une
placé,
Des efpions qu’il faut laiffer dans un pays que vous
abandonnées lorfqu il eft ajfeêlionné à votre prince.
Il eft certain que lorfque vous vous verrez forcé
d’abandonner une place ou un pays qui étoit à votre
fouverain , les troupes ennemies qui viendront l’occuper
demanderont à être logées dans les maifons ;
& les officiers exigeront des habitants qu’ils balaient
leur appartement, qu’ils leur portent du
bois & de l’eau, qu’ils aident à la cuifine , &c.
Dans cette fuppofition , avertiffez feulement ceux
qui font dans les charges de l’hôtel-de-ville de ces
lieux , de donner fans difficulté aux officiers ennemis
, & particulièrement au commandant &. au
major , les perfonnes qu’ils demanderont pour les
fervir ; faifant choix pour cela de certains domeftiques
qui aient de i’efprit & de l’adreffe, & qui
foient affectionnés à vôtre prince.
On les inftruira de prêter adroitement l’oreille à !
tout ce qui fe dit dans les converfations , fur-tout
~ à table} parte que c’eft alors qu’on parle plus haut
& avec moins de précaution de toutes fortes d’affaires.
Il feroit bon que ces domeftiques entendif-
fent la langue de l’officier qu’ils fervent. Ils prendront
garde lorfque , dans la maifon de ces offi-
: ciers , il fe fera quelques préparatifs pour une
marche , &. -ils .donneront ponctuellement avis de
tout aux perfonnes de ces lieux chargées de vous
informer de ce qui fe paffe. Les propriétaires
des maifons feront, à l’égard des officiers qu'ils
logent, lamême choie que les domeftiques à l’égard
de leurs maîtres. On aura foin d’avertir ces propriétaires
des maifons de ne prendre aucun domef-
tique mal intentionné pour votre fouverain ; dè
peur que fon inclination pour le prince ennemi ne
le porte à accufer les- autres. . . . .
Les Vitellius & les Aquilius, qui Envoient le
parti de Tarquin le Superbe, perdirent la v ie , &.
ne réuffirent pas dans leur entreprife, qui étoit
de chaffer de Rome les Confuls Junius Brutus &
Publius V.alerius pour rétablir Tarquin fur le trône,
à çaufe qu’un nommé Vencîicius , domeftique d’un
de ceux de la faéfion de Tarquin , avertit les confuls
de ce qui fe tramoit contr’eux.
Chüderic, roi de France, détrôné par G ilo n ,
recouvra la couronne par le moyen d’un certain
Vinomade , ou Guinomade , qui, s’étant offert de
demeurer parmi les ennemis pour obferver leurs
démarches , donner à Childeric les avis qui lui
paroîtroient importants., les lui donna fi a propos ,
que Childeric fut rétabli fur le trône.
J’ai oui dire , comme une chofe certaine , que
lorfqu’à l’entrée du marquis de Las Minas à Madrid
, nos troupes & nos tribunaux en fortirent ;
don François Ronquillo , prefident de Caftille ,
ordonna à quelques fidèles Miniftres de refter dans
cette Cour, pour y fervir alors l’archiduc, afin
d’avoir par - là occafion de donner avis au roi
mon maître de toutes les démarchés que les ennemis
feroient. ,
Les perfonnes du pays qui fervent dans la maifon
du commandant ennemi, obferveront encore s’il
ne s’enferme pas de temps en temps pour parler
avec quelqu’un de ceux qui fortem fréquemment
hors du lieu , fans qu’on puiffe découvrir précifé- *
ment où ils vont ; parce qu’alors fi cet habitant
vient plufieurs fois à votre camp ou à vos places,
vous devez foupçonner que c’eft un efpion. Les
autres perfonnes avec qui vous êtes d’intelligence
doivent faire la même obfervation, afin que fur
l’avis & le portrait qu’ils vous enverront, Yefpion
ennemi foit arrête.
On peut conclure de ce que je viens de dire, _
que fi vous féjournez quelques jours dans u^ lieu
pour quelques affaires fecrètes, vous ne devéz pas
loger avec les maîtres de la maifon , ni prendre
d’autres domeftiques que ceux que vous aviez auparavant
, q u i, en tout temps, doivent être d’une
fidélité éprouvée.
Me trouvant à Mora de Ebro 3 je remarquai que
toutes les fois que les aide-majors venoient prendre
l’ordre , & qu’on parloit dîaffaires de guerre, le
maître de la maifon où je logeois ve oit en lecret
écouter à la porte de mon appartement. L’ayant
averti de ne plus y revenir , on le furprit la nuit
iuiyante derrière la porte de la rue , où il écoutoit