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de Calcinato , & n’apporta: aucun changement à la
conftitution de la guerre d’Italie -, parce que M. le
prince Eugène eut le temps de faire venir de-
nouvelles troupes des princes d’Allemagne , & de
rétablir la guerre en Italie.
Il falloit en Allemagne mettre en force & ep
mouvement les alliés que nous y avions , qui
étoient les éle&eurs de Bavière & de Cologne, &.
le duc de Wolffembutel.
Ce manque d’attention nous fit perdre le duc
de Wolfembutel avant l’ouverture de la campagne
de 1701 , & l’éleâorat de Cologne dans la fuite
de cette campagne de manière que la guerre avan-
iageufe que nous aurions pu faire en Allemagne
du côté du bas Rhin , fe tourna bientôt en défensive
de notre part.
Les fautes particulières faites pendant cette campagne
peuvent être .attribuées a M. le maréchal de
Ëouffiers , qui ne fit point fon capital de foutenir
Keiferfwerî , & dont les mouvements incertains
donnèrent les moyens à nos ennemis de fe-porter
à la'baffe Meufe * après la prife de^ cette place.
A in fi, l’on peut dire que de ce côté-là la guerre
qui y avoit commencé, & qui devoit s’y tenir
offenfive , dégénéra bientôt en une défenfive ,
même honteule.
A l’égard de la Hollande, il falloit retenir les
troupes que les Etats-généraux avoient dans les
placés Espagnoles, juiqu’à ce que l’on eût pris avec
eux des fur étés qu’ils n’armeroient pas, & nen-
treroient dans aucune ligue contre les d'eux couronnes.
" -,
Il auroit même été bien utile de donner à cette
république , (oigneule de la confervation, des fu-
xetés contre les iuftes appréhenfions quelle pour-
roit concevoir de la nouvelle grandeur de la mai-
îon de France ; & quand il en auroit coûté un
peu de terres & quelques places à la monarchie
d’Efpagne , ç’auroit été peu de chofe, pour s’afi-
furer que les Hollandois ne prendroient aucune
part dans la querelle de l’empereur.
Il falloit aulfi prendre des mefures avec eux
pour le commerce , fi avantageuies & fi ëXclu-
iives pour les Arglo is, qu’on eût pu être certain
que ces avantages pour leurs négociants les euffent
détachés de leur union avec l’Angleterre : union
que le rôi Guillaume , qui yenoit de mourir ,
avoit fçu conferver avec un foin extrême entre
ces deux puiffances , quoique toujours jaloufes
l’une de l’autre poûr la fupériorité de la mer &
du commerce.
Mais toutes les mefures fages dont je viens de
parler, ne furent qu’imparfaitement prifes , ou
même négligées, de forte que de notre plein gré ,
nous biffâmes dans l’inaâion échapper les moyens
de faire d’abord une guerre offenfive, qui n’au-
roit point été de durée par la grande fupériorité
où fe trouvoîent alors les deux couronnes réunies,
& parce qu’il n’auroit fallu commencer cette
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guerre qu’en offrant continuellement la paix, pourvu
qu’on eût eu des luretés de fa durée.
Nos ennemis donc , après avoir, pendant près
de dix-huit mois, levé des troupes, & pris toutes
les mefures entre eux pour attaquer de toutes parts
les états de la monarchie d’Eipagne , nous déclarèrent
la guerre 1 & la commencèrent eux-mêmes
par une offenfive , qui fut pendant quelques temps
foutenue avec quelque efpèce d’égalité du côté du
Rhin & de la Meufe. -
Les raifons des événements furprenants de cette
guerre, qui dure encore pendant que j’écris , trouveront
leur place dans la fuite de cet ouvrage.
( Mérn. de Feuquières. )
D E S P R É P A R A T I F S .
Moyens de porter les fujets à contribuer volontiers
aux frais de là guerre.
Dès que la guerre fera déclarée, tâchez, par
les raiions les plus fortes , de porter les fujets à
contribuer de bon tcèur a ce qui eft néceffaire pour
la foutenir, & donner à cette guerre les couleurs
les plus propres, afin qu’elle paroiffe jufte, & qu’elle
foit par coniéquent approuvée.
Lorfque Louis X l l , roi de France, & don Ferdinand
le Catholique, fe joignirent pour conquérir
le royaume de Naples , ils publièrent que leur fin
étoit de pouvoir plus facilement aller de-ià invertir
le pays des Turcs. Don Ferdinand ajoutait que
cette guerre étoit jufte à caufe que Frédéric d’Ar-
ragon, alors roi de Naples, avoit voulu taire alliance
avec les Ottomans.
Ne penfez pas que je veuille vous infpirer la
maxime de Platon , qui confeille « de ne féparer
que de l’image de la juftice & de l’ombre de la
vertu, & de cacher fous fes dehors la rufe &. la
fourberie du renard. ». Je foutiens au contraire
avec Achille, qu’il faut préférer d’être bon à le
paroître, & j’ai feulement prétendu dire que ce
qui eft jufte en foi, doit encore paroître honnête
aux autres. Je ne parle donc que d’une guerre que
je fuppofe jufte, & mon unique intention eft de
faire connoître que cette guerre étant jufte, elle
doit encore paroître telle j car, félon faint Paul,
h il faut non-feulement faire le bien devant Dieu ,
mais encore devant les hommes. ».
Si la guerre eft défenfive., vous repréfenterez
aux peuples la néceffité où ils fe trouvent de faire
leurs efforts pour vous aider à la foutenir, afin de
conferver leurs maifons , leurs biens, leurs vies,
l’honneur de leur famille,& la couronne du prince,
qui les aime en père, au lieu que le conquérant
les traiteroit en ennemi.
Par de lemblables repréfentations, Camille des
Urfins , gouverneur de Rome pour le pape
Paul IV j porta les Romains à contribuer aux
préparatifs néceffaires pour pouvoir fe défendre
contre l’armée efpagnole, qui, fous les ordres du
duc d’A lbe, menaçoit Rome.
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Si les ennemis, dans les guerres précédentes ,
s’étoient emparés de quelque partie des états de
votre prince, il fera ailé de porter les fujets à contribuer
volontiers afin de la recouvrer, parce que
chacun voit avec regret qu’une portion de la
république ou du royaume où- il eft n é, aye été
démembré, & une guerre entreprife fur un pareil
, fondement eft jufte. '
A ch ab ,ro i d’Ifraël, pour ehgager fon peuple à
la guerre contre les Syriens, lui rappelloit qu’ils
avoient enlevé, aux Ifraélites la place de Ramotli-
galaad : « avez-vous oublié, lui difoit-il, que
Kamothgalaad nous appartient, & nous négligeons
de la reprendre lur le roy de Syrie. ».
Guichardin rapporte que les Miîanois. contribuèrent
avec plaifir à la guerre que Louis X I I , roi
de France, maître alors de l’état de Milan , réfolut
de faire aux Vénitiens, parce que ce prince pu-
blioit que c’étoit pour recouvrer les terres du
Miîanois, dont la république de Venife, dans les
troubles précédents, s’étoit emparée.
Par les raifons que je rapporterai bientôt, il
y a lieu de croire que vos fujets verront avec
plaifir que vous portez la guerre dans le pays ennemi
; cependant fi l’idée de guerre offenfive les
choquent, tâchez de détourner cette idée, en prenant
pour prétexte que vous ne prenez ainfi les
devants, en entrant dans les provinces des ennemis
, que pour les empêcher de venir fondre dans
les vôtres.
Servius Sulpius Galba ayant remarqué que le
peuple romain s’oppofoit à ce que fon armée
portât la guerre en Macédoine, réuflit à l’y faire
confentir, en lui repréfentant que c’étoit*-"la feule
voie pour éloigner la guerre de l’Italie, qu’autre-
ment Philippe y entreroit avec fon armée , & lui
feroit éprouver touts les maux qu’elle avoit foufferts
lors de la guerre d’Annibal.
Athenagoras de Syracufe repréfentoit à fes concitoyens
que pour empêcher les ennemis d’exécuter
leurs deffeins, il falloit les prévenir & les
battre.
Un £ guerre défenfive à laquelle on fe voit forcé
pour fa • propre défenfe, pafle prefque toujours
pour plus jufte , qu’une guerre offenfive. D’ailleurs,-
un fouverain qui fait voir de l’ambition,. alarme
touts les princes voifins, & ne fe croyant pas en
fureté .en demeurant dans l’inaélion , ils fe tiennent
dès-lors fur leurs gardes, ils fe précautionnent &
s’uniffent enfemble pour obferver ce guerrier, &
pour fe déclarer contre lui dès que leur foupçon
fe changera en certitude qu’il a deffein de faire des
conquêtes.
Solis rapporte bue Hernan Cortès ne vouloit
pas qu’on pût donner le nom odieux de guerre
offenfive à celle qu’il faifoit, & qu’étant arrivé au
fleuve de Tabafco, il défendit à touts fes foldats
de faire -aucun mouvement jufqu’à ce que les
Indiens fuflent venus à la charge, en leur difant :
« qu’ils dévoient, en cette occaiion, fe feryir pre-
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«fièrement du bouclier, avant que d’en venir à
l’épée, parce que cette guerre ne pafferoit pour
jufte, quelorfqu’on verroit qu’on y avoit été provoqué.
».
Exagérez les forces de votre prince & la facilité
que vous avez de faire fentir combien les
ennemis vous font inférieurs en moyens & en
troupes, pour pouvoir foütenir la guerre.., parce
que ft les fujets croient qu’elle aura un heureux
fuccès, & qu’elle fera de peu de durée, ils contribueront
de'bon coeur aux frais de cette guerre.
Les confuls Quintius Marcius &. Titus Quin-
tius Capitolinus s’y prirent de cette manière ; le
premier pour animer les Romains contre Perfée,
roi de Macédoine, & le fécond contre les Eques
& les Volfques, lorfque le peuple romain refufoit
de vouloir entrer dans l’une et l’autre de ces
guerres, qu’il entreprit enfin à la perfuafion de
ces confuls.
Si vous réufliffez à perfuader qu’il vous fera
aifé d’exécuter vôtre deffein & d’entrer dans le
pays ennemi, plufieurs viendront volontairement
prendre parti dans votre armée , & fous prétexte
de chercher la gloire & de fervir leur patrie, ils
fatisferont leur inclination au pillage , ou voudront
à peu de frais s’acquérir la réputation de vainqueur.
L’hiftorien qui raconte comment Xercès, en fai-
fant croire qu’il avoit de grandes intelligences en
Grèce, avoit attiré dans fon armée un grand
nombre de volontaires, dit : « que croyant aller
au triomphe plutôt qu’au combat, ils venoient à
l’envi fe ranger fous fes étendarts, & que même
plufieurs barbares, de leur plein g ré, étoient venus
fe joindre à lui.
En donnant à connoître aux fujets & aux
troupes la difpofition où vous êtes d’entrer dans le
pays ennemi, exagérez-en les richeffes & les délices
, afin que leur imagination flattée ne donne
pas à l’efprit le temps de la réflexion.
Jacques-Benigne Boffuet, évêque de Meaux,
remarque que Dieu , en rappellant à fon peuple le
fou venir de; la terre promife , l’appelle la terre
graffe, la terre abondante, où le lait & le miel découlent
de toute part.
Si les expédients que j’ai propofés jufqu’ici ne
fuffifent pas pour porter les peuples à contribuer
volontiers aux frais de la guerre , rappellez-leur
toutes les infultes, touts les-mauvais traitements,
ou touts les dommages qu’ils ont reçus de la nation
dont vous voulez qu’ils fe déclarent ennemis ; car,
peut-être le défir de fe venger fera ce que l’amour
pour leur prince, ni la vue de quelqu’autre intérêt
n’ont pu faire. - -
La veille que les Grecs dévoient déclarer la
guerre à Xercès, le confeil général-dû la guerre
ordonna que les maifons que Xercès avoit ruinées
ne feraient pas rétablies, afin que la vue de ces
ruines entretînt la haine des Grecs contre les Pèrfes.
Les Gabaonites ayant exercé les plus exécrables
O o o o ij