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les interprète a fa guife , & dont enfuite on maintient
la iubordination & la difcipline qu’elles exi-
s étrangers ont mieux connu que nous la
neceffite d ufer fobrement de cette efpèce de befoin
qu ont les nouveaux chefs & les nouveaux minières
ae faire de nouvelles ordonnances , & , bien moins
changeants que nous , ils le fervent de moyens
cien plus fages pour établir' parmi leurs foldats
Ja Iubordination & la difcipline. Chez "eux les
égards entre les égaux , le refpeft outré pour
le nom & pour le rang , ne font pas la fource
de mille abus ; la loi militaire y commande également
à tout militaire ; le général s’y foumet ;
il la fait fuivre exactement par les généraux qui
font fous les ordres ; ceux-ci par les chefs de corps
qui la font fuivre par les officiers fubalternes ■
comme la loi eft extrêmement refpe&ée de touts,
c e ft toujours elle qui commande , 8c le général,
par rapport aux officiers , & ceux-ci, par rapport
aux foldats, n’ofent lui fubftituer leurs préférences
, leurs fantaifies, leur petit intérêt. Le
foldat Pruffien , Allemand a_Anglois , quoique plus
afiervi que celui de France , fent donc bien moins
la fervitude, parce qu’il n’eft afiervi que par la
loi ; ceft toujoiirs én vertu de l’ordre émané du
prince , ( 5c cet ordre né change prefque jamais ) ;
c’eft uniquement pour le bien du fervice , qu’il
eft commande , employé , confervé , récompenfé,
puni, congédié ; ce n’eft jamais par la fantaifte
de fes cheh>. Je fais que les foldats François ne
fupporteroient pas labaftonnade comme les foldats
que ■ 1 on vient de citer , ( & à dieu ne plaile que
j ’approuve jamais cette punition pour eux ) ; mais
je luis perfuadé qu’ils la fupporteroient plus aifé-
ment que les coups de pi edde canne, d’épée,
que leur donnent trop fouvent des bas-officiers
trop durs , ou des officiers étourdis : la h?.{~
tonnade eft un châtiment , les coups font des
infultes ; elles, reftent fur le coeur des foldats les
plus eftimables ; elles leur donnent un dégoût invincible
pour leur état , & les force fou vent à
déferter. Ce qui leur en donne encore l’envie
ce font les fautes dans lefquelles ils tombent,
êc dans lefquelles ils ne tomberoient pas , fi la
difcipline étoit plus uniformément obfervée, &
les ordonnances toujours egalement en vigueur ■
fouvent les troupes qui étoient fous un homme
relâche , partent fous les ordres d’un homme fé- j
vère , quelquefois d’un homme qui . fe laifie do- j
miner par la colère ; elles font des fautes , en font
punies trop févèrement, prennent du mécontentement
, d’où s’enfuit bientôt le befoin de déferter.
Mais fi étant auffi fouvent expofées qu’elles le
font en effet , à être la yi&ime de la partialité
& de 1 humeur -, on leur fait éprouver des mauvais
traitements fans les a^pir mérités ; fi on les
«ffocie à. des camarades , fi on les mèt fous la '
dépendance de bas- officiers, avec lefquels elles
feront incompatibles , pourront-elles s’empêcher :
«le prendre elles-mêmes de l’humeur qui les j
D É-S
mènera bien vite au defir d’un état différeffC
Expofes au défoeuvrement comme le font vos
foldats , 1 ennui ne doit-il pas fouvent les tour*-
menter 8c les exciter à la défertion ? L’ennui qui
neft réfervé qu’aux perfonnes q u i,'n e pouvant
modérer la violence de leurs pallions, ni Tatisfair#
1 etendue de leurs goûts, les rend à; charge à elles*
memes par-tout où elles.font, & ne leur fait voir
du bien-être que là où elles ne font pas.
Les changements fi fréquents dans les exercices
qui font que le foldat eft peiné de fe trouver
toujours ignorant, excédé de ce qu’il a déjà appris,
& fatigué d’avance de ce qu’on va lui apprendre
encore auffi inutilement. La pauvreté à laquelle il
eft obligé de fe foumettre , n’ayant, comme nous
venons de le dire, ni de quoi vivre ni de quoi
s entretenir avec fa paie. L’efclavage où on le tient
en le renfermant continuellement dans desbaftions.
Le peu de confidération qu’ont pour lui les autres
citoyens. Le peu de diftraâions ou d’amufements
qu on cherche à lui procurer ; la- contrainte dans
laquelle on le retient fans aucune diftinéfion d’ancienneté
ou de bonne conduite. La dureté & l'injuf*
tice de la plupart des bas-officiers. La légèreté quelquefois
cruelle des officiers. Le peu d’intérêt que
le foldat s’apperçoit trop fouvent que l’on prend
a lui. La néceffité de fe foumettre aveuglément *
& tout de fuite, à des devoirs & à un genre de
vie fi différent de celui qu’il vient de quitter. Les
congés abfol'js retardés quelquefois au-delà du
moment où i’on devroit les expédier , 8c toujours
fans le confentement du foldat lèfé. La difficulté
d’avoir des congés avant le terme, quoiqu’on ait
pour les folliciter toutes les bonnes raifons qu’exige
la fage ordonnance qui autorife cette efpèce de
grâce & qui en fixe le prix. La douleur que doivent
fentir ces mêmes foldats lorfqu’ils voient plufieurs
de leurs camarades obtenir, fans raifon , mais par
des protégions ou de très fortes fommes , la
grâce qu’on vient de leur refufer auffi injuftement
parce qu’ils n’étoient autorifés que par la loi.
L’efpoir de n’être pas pris s’il déferte , parce
que chacun d’eux connoît l’intérêt qu’infpire à
chaque citoyen le malheureux qui a déferté y
& les fecours qu’il reçoit par - tout pour fe cacher
& même pour fa fubfiftance. Le terme
des rengagements peut-être trop long. L’efpoir
de la commuation de la peine ou d’un congé
abfolu s’il eft arrêté, celui d’une amniftie s’il ne
l’eft pas. La facilité, en fortant d’un régiment ^
d’être accueilli dans un autre. L’admiffion réciproque
des déferteurs chez les différentes puifi-
fances : toutes raifons trop puiffantes pour entretenir
la défertion , la perpétuer ôc la rendre
même trop fouvent néceflaire.
A tant de caufes, qui tiennent aux vices fans
nombre de notre conftitution militaire , ajoutcns-
en encore deux auxquelles on fait trop peu d’attention
, 8c qui agiffent. fur l’efprit du foldat
François bien plus puiffamment qu’on ne le croit*
D É S
C*eft d’abord la facilité avec laquelle on compofe
chaque régiment avec des recrues faites dans toutes
les différentes provinces du royaume , & le peu
de réflexions qu'on a faites jufqu’à pré fent fur les
inconvénients d’un pareil mélange. C ’eft enfuite la
manière locale dont font diftribuées les troupes en
garnifon.
Quant aux mélanges des recrues , on fçait affez
combien chaque province en France forme prefque
un état particulier , avec des loix , des coutumes,
des ufages , des habitudes , des moeurs, des opinions
, un caractère, une nourriture, 8c un langage
différent. On fentira aifément d’après cela combien
il eft difficile que le Provençal, v if 5c brutal,
mais bon,.; qué le Languedocien , v if 8c léger,
mais gai ; que le Gafcon, plein de pétulance , mais
très-brave; que le Dauphinois, l’habitant du Viva-
rais , qui joignent au caractère du Provençal 8c du
Languedocien , la fineffe des gens qui habitent les
montagnes ; que ces différents peuples du midi,
qui font abreuvés avec du v in, des liqueurs fortes ,
nourris avec beaucoup d’aliments falés , expofés dès
leur enfance à un foleil brûlant, à un air vif, puiffent
fympatifer avec l’Auvergnac , 1e Limoufin , l’habitant
du Berri, du Poitou, de la Saintonge , du
Forets , duNivernois, 6c prefque toujours nourris
avec de mauvais pain, abreuvés avec de l’eau,
expofés à un air froid, humide,. 8c c. & encore
bien moins ni les uns ni les autres avec le flegmatique
Flamand , nourri avec du beurre , ne buvant
que de la bierre ; le.trifte Normand , partant fa vie
dans un air lourd , humide, gras, buvant cîu cidre,
mangeant bien affez de laitage , 8c le Franc-Comtois
,J?e Lorrain , joignant aux qualités des Montagnards
les défauts de ceux qui vivent dans la
plaine ; ceux de ia Beauce , de l’Orléanois, de
l’Ile de France, de la Brie, de la Picardie , du
Gâtinois, de toutes ces provinces enfin qui entourent
la capitale , & où le paylàn eft plus fournis
à l’efclavage que par-tout ailleurs, par l’habitude
où. il eft de refpeâer les grands feigneurs ou les
gens riches qui couvrent la plus grande partie de
ces provinces de leurs châteaux , de leurs parcs ,
de leur înfolente valetaille , de leur arrogance , 6c
qui n’y font trop fouvent connus que par leurs vexations
, les dégâts de leur charte , leurs moeurs corrompues,
& leur infenfibilité à la misère des paysans
qui les entourent.
Quant aux garnifons, fi les foldats des différentes
provinces de France doivent s’habituer difficilement
à vivre enfemble , 6c fi ce mélange doit
fomenter des haines , faire naître des dilputes,
entretenir des antipathies 6c occafionner fouvent
des déferlions, combien ne doit-il pas être plus
dangereux de forcer la plus grande partie de touts
ces peuples fi différents , de paffer leur vie depuis
Calais 6c Dunkerque jufqu’à Strasbourg, dans des
villes frontières , où ils refpirent très fouvent l’air
le plus mal fain dans plufieurs, 8c dans toutes ,
parmi des peuples dont le cara&ère en général
D É S S t
j affez trifte, ne peut convenir qu’à leurs compa- .
| triotes. Suivez enfuite toutes les autres garnifons ,
ce font prefque ^par-tout des villes fermées 6c
ifolées , des forts dont les habitants font ordinairement
triftes , 6c portent fur leur vifage l’air de
contrainte que doit leur donner la fermeture des
portes, les ponts levis , les patrouilles, les fenti-
nelles, les bayonnettes , 6c le defpotifme militaire
qui les entoure prefque toujours. Nulle part, fi
vous, en exceptez une partie de vos troupes a
cheval, vous ne trouverez des foldats en garniloa
dans des villes ouvertes, ou dans des villages a*
i milieu d’une campagne riante, fur le bord d’une
rivière, dans des lieux ou avec des vivrespeu chers
6c abondants il$ pourroient refpirer un bon air, voir
des habitants plus gais , 6c jouir fur-tout dune
plus grande liberté. Et ce font ces hommes que
nos négligences , notre conftitution informe , nos
partions, dont ils font la vi&ime , notre patrimoine
mal placé rendent fi fouvent malheureux,
que nous ferons étonnés de voir fentir leurs peines
6c céder quelquefois au befoin de s’en délivrer.
Difcipline qu'on a adoptée pour les hommes qui
cornpofent nos armées.
Les aéfions des hommes réunis en corps ont
deux grands mobiles , la crainte des châtiments ,
& 1 efpoir dès récompenfes ; mais fi i’on punit
j injuftement, ou fi l’on récompenfe mal ou mal-à-
propos , le but eft manqué , 6c au lieu de retenir
les hommes par une bonne difcipline , on les décourage
& quelquefois même on les porte jufqu’à
I commettre des fautes ; ainfi , en n’établifl’ant
aucune efpèce de diftin&ion apparenté entre le
j foldat qui fe conduit bien 6c celui qui fe conduit
j mal ; en rie prouvant prefque jamais aux foldats
I qu’on s’occupe de leurs intérêts, en foumettant
j. également à la rigueur de la difcipline , le vétérant
comme le recrue , en confondant le délit 6c les
j fautes, en puniffant le foldat pour des fautes
imaginées ou exagérées par les bas-officiers ou
I les officiers, en ne diftinguantpoint affez les droits
j de l’autorité avec ceux de la juflice , combien de
| fois n’avez-vous pas dû faire naître dans Famé du
| foldat le défir de déferter. La manière arbitraire
| dont chaque chef entretient la difcipline, n’a-t-elle
[ pas dû rendre quelquefois les foldats viéfimes de
la prévention 6c de la partialité ; vos loix, fouvent
j obfcures, ne fervent-elles pas le goût des chefs
| qui aiment à punir , ou q u i, ayant trop peu ci’ap-
' titude pour les interpréter , ne fçavent point pro-
; portionner les peines aux fautes, puniflent, non
• pas félon la faute, mais félon leurs pallions; non
: pas félon la chofe, mais félon le moment ; cependant
ces foldats font des hommes, pe uvent-iis être
• irifenfibles au poids de tant d’injufti ces , 6c ces
mauvais traitements ne doivent-ils pas les conduire
au dégoût d’abord , au défefpoir enfuite , 6c à 1^
| défertion ?