
de. fes foldats qu’il animoit au carnage , a immolé
fur des débris fumants des hommes fans défenfe
la place de ce guerrier eft peut-être marquée à
côté d’A ttila, de Gengis, de Timur , conquérants
barbares qui fe glorifioient d’être les fléaux du
l’humanité.
. Les généraux que la nature aura doués d’un coeur
fenfible* & bon , feront retenus fans doute par la
crainte d’un furnom odieux ; mais comme il eft
des guerriers qui n’ont jamais été émus par les
accents douloureux de l’humanité gémiflante, dont
l’oreille n’eft ouverte qu’aux fons aigus de la trompette
guerrière , & qui l'ont uniquement flattés de
l’éclat des couronnes que la viétoire diftribue ,
montrons-leur que chaque goutte de lang verlée
inutilement rejaillit fur le chef, tache fes lauriers,
&. que la yiétoire elle-me me fuit loin des drapeaux
du général inhumain.
• Eu parcourant, en effet, les faftes du monde ,
on ne trouvera inferits parmi les héros que les
guerriers humains ; on verra que l'humanité a luffi
pour élever plufieurs généraux à ce rang glorieux ,
& l’inhumanité pour les en faire deicendre.
Je né fuis plus éjpnné des viéroires d’Alexandre ,
quand je le vois aller au-devant d’un foldat que le
froid avoit faifi , s’emprefîer de le décharger de
fes armes | & le placer auprès du feu à l’endroit
qu’il occupoit lui-même. L’humanité avec laquelle
ce héros traita la famille infortunée de Daiius ,
n’a-t-cîle pas effacé les vices dont il s’étoit noirci ?
L ’humanité de Jules-Cæfar ne fit-elle pas oublier
pendant quelque temps aux Romains qu’il avoit
ufurpé l’autorité fùprérne , & cette vertu ne lui
gagna-t-elle pas autant de partifans que l’or des
Gaulois ? Ave c quel plaifir ne répète - t - on pas
ce mot trop peu connu d’Alexis Comnène. Cet
empereur avoit vaincu les Scythes j un de fes généraux
lui confeilla de faire mettre à mort les pri-
fonniers qu’il avoit faits ; Alexis indigné s’écrie.
« Quoique d’un pays barbare, les Scythes ne font-
ils pas dès hommes ?_» L’humanité de Totila, après
fa conquête de Naples , a immoralifé fon nom ; la
Barbarie de Clovis a terntfa gloire ; les cris douloureux
desSaxons égorgés par l’ordre de Charlemagne,
ont prefque étouffé la voix d’un peuple admirateur
des vertus de fon empereur, & reconnoiffant des
ioix fages qu’il lui avoit données.
Le temps a autorifé h’uiage cruel & barbare qui
permet aux affiég-eants d’expofer aux injures de
l’air , aux coups des deux partis , & de lailTer périr
de faim touts les êtres infortunés à qui leurs
compatriotes ont fait un crime de leur fqiblefle ÿ
les loix de la guerre permettent aüili aux défen-
feu.rs des places afliégées de. repoufler hors-des
murs les femmes , les enfant-s & :lesrvieillards ,
ces êtres timides & foiblçs-, pour qui. les. premiers
m*urs furent élevés les premiers, remparts,copf-
truits j. mais bl ârper a-t-on. j a mai s,le s ^ chefs des i\fiié-
géants qui, à l’exemple d’Edouard IXI^ou. d’A lphonfe
lé magnanime , fe laiffant attendrir paÿ
ces objets, fi bien faits pour infpirer la pitié, &.
qu’on facrifie toujours inutilement, leur permettront
dé fuir loin des murs qui les ont rejettés
*de leur fein , ou même les recevront dans leur
camp.
Vertueux Louis IX , les François répandront
toujours de douces larmes au récit des foins que
tu prodiguois à ton armée-, & quand ils fe reflou-
viendront que tu étois le conlolateur , l’ami , le
père de tes foldats ; que tu allois vifiter ceux qui
étoient malades, les foulager de tes auguftes mains ,
ils t’éléveront de nouveaux autels.
Ces antiques chevaliers, qui.furent fi fouvent
les foutiens de l’état , qui donnèrent fi fréquemment
les plus grands exemples de la valeur la
plus fublime , méritent fans doute par. leurs hauts
faits d’être préfentés pour modèles aux guerriers de
nos jours ; mais on les admire & on les aime encore
davantage quand on leur voit faire le voeu folem-
nël de protéger le foible , de défendre l’opprimé
quand on apprend qu’ils nous ont infpiré la noble
compàffion pour les vaincus, & qu’ils nous ont
enseigné par leurs exemples à être humains jufqu’au
milieu des combats.
En parcourant les temps célèbres ou- la chevalerie
fut en honneur , combien ne trouve-t-on pas
de preuves de ces vérités? Ici le bon connétable
dit à fes foldats : « fouvenez - vous que par-tout
où vous ferez la guerre , le pauvre peuple, les-
! femmes & les enfants ne font point vos ennemis »<.-
Louis XII veut que fon armée foit fuiy ièm êm e
dans le pays ennemi, par un homme j„ufte, chargé
d’empêcher le défordre & de réparer -le dommage
qu’elle aura fait ; il pleure fur fes viétoires ; il
confole l’Alviane , & il veut, par les égards dont
il lé comble , lui faire oublier fa défaite. Plus- loin ,
c’eft Gonfalve de Cordoue; il ,s’occupe à réprimer
la licence de fon armée, & il empêche fes troupes
d’approcher des lieux où les vieillards , les femmes
& les enfants font allés chercher un abri contre
la foldatefque effrénée. On entend Charles-Quint
lui - même ordonner d’épargner le fang , & dire'
qu’il eft plus glorieux à un capitaine de compter
des prifonniers que des morts. On voit enfin François
duc de Guife/j que la défenfe de Metz &
la prife de Calais n’auroient rendu que célèbre
s’immortalifer en pardonnant, à fôn aflafim , &
fur-tout en fe montrant humain & généreux avec
les ennemis- de l’état. Lorfque .ce héros-eût forcé
Charles - .Quirit à faire >une retraite honteifte , il
porta l’humanité fi . loin; , ' que longtemps- après
cette glorieufe époque-/, nos-, ennemis vaincus
nous rappelloient la caurtoifi’e de Metz toutes les
fois qu’ils vouloient obtenir merci <*.&.faire tomber
les - armes de nos mains. .
, Si nous nptis arrêtions fur le règne de Henri-
le-Grand , quels? fuperbes .tableaux ne. fe préfente-
roient pas à nous mais les fujets en font connus 5,
& nous ne/ pourrions que les., affoiblùv.
A- méfure que nous avançons, la terre s’éclaire ^
& l’empire de l’humanité .s’étend.; Dans le fieçle de |
Louis XIV , nous compterons autant de généraux
humains , que de généraux célèbres.
Immortel Condé , on t’a accufé, avec quelque
apparence de raifon, d’avoir prodigué le fang de
tes foldats; on répète un mot de toi qui femble
juftifier cette grave accufation. Mais lorfqu’on te
voit à Roeroy veiller avec autant de foin à faire
épargner les vaincus que tu en avois apporté à
les vaincre ; lorfqu’on t’apperçoit fur les bords
de la Mofelle vifitant les foldats malades, leur
portant toi-meme des fecours dans les fermes éloignées
, où une épidémie cruelle t’avoit forcé de
fes difperfer ; lorfqu’on te voit dans Paris , après
12 combat de la porte Saint-Antoine , répandre
des larmes amères fur Nemours, la Rochefoucaut,
& Clinchamp , dont tu croyois avoir caufé la mort,
on reconnoit que ton coeur etoit humain , & 1 on
eft forcé de répéter avec Boffuet : « on croit qu’il
expofe les troupes, il les ménagé en abregèant le
temps des périls par la vigueur des attaques ».
Turenne , tu n’as pas befoin d’apologifte : on
fçait combien tu étois avare du lang de tes troupes ;
tes foldats t’avoient donné le tendre nom de père ;
ils t’avoient vu mettre pied à terre, relever un de
leurs camarades accablé fous le poids- de fes maux
& de la fatigue, l’aider à monter fur ton cheval,
& toi-même, l ’accompagner à pied jufqu’aux char-
rïots de l’armée. Personne n'ighore que les ennemis
de la France célébroient ta bonté, parce que tune
diftinguois pas après la vi&oire le vainqueur
du vaincu. L ’Europe entière fçait que tu répandis
le premier des larmes fur le Palatinat devafte, &
que les maux dont cette contrée malheureufe fut
inondée -, ne prirent pas leur fource dans ton
coeur , mais dans les ordres diâés par un miniftre
.inhumain. .
Que ne puis-je rapporter ici la conduite de
Fabert avec l’armée que commandoit Gallas , &
fuivre Catinat dans le pays de Juliers & de Lim-
bourg; avec quel plaifir ne montrerois-je pas un
général qui fçait allier le fervice de l’état avec les
loix facrées de l’humanité. Que ne puis-je parler,
des Luxembourg &. de touts les autres généraux
qui ont rendu ma patrie- célèbre- : les exemples
d’humanité que je- retracerois , toucheroient plus
fenfiblement ces ombres illuftres , fi elles font fe-n-
fibles à nos éloges, que le récit-de-leurs vertus
guerrières.
Si les bornes- de-ce-t ou-vrage me l’avoiem permis ,
j’aurois raconté^les foins que Banier prenoit de
fes troupes ; j’àurois montré Eugène & Marlbo-
toug occupés à diftribuer a-leurs foldats bleffes
l’argent que la république de Hollande avoit deftiné
à des réjouiflances pour leurs viftoires.- _
J’aurois peint 1 Alexandre du nord: je-n’aurois
pas faifi l’inftant où-jil diftribue des couronnes ,
mais-le- moment où il donne fon habit, fon épée -,
la. liberté, à un officier-ennemi qu’il trouve-dépouillfé
fur le- ichafcnp de bataille1; j’aurois montre
Ce héros donnant- Ion cheval à un placier Suédois
qui vient d’êtré bleffé, & allant lui- même
combattre à la tête de fon infanterie , ou bien
ordonnant à un de fes généraux d’aller èfeorter
lui-même des femmes qu’il avoit prifes. Je n’au-
rois pas peint non plus le créateur de l’empire
de Ruflie fur lé champ de bataille de Pultava
quoique fes égards pour les officiers Suédois aient
mérité d’être tranfmis à la -poftérité ; mais je
l’aurois représenté dans l hotel-de-ville de Nerva ;.
je l’aurois- montré couvert de fang- & de pouf-
fière , le feu des combats auroit encore paru dans
fes yeux , mais les traits de la clémence auroient
déjà repofé fur fon vifage : par un figne de bonté ,
il auroit dit aux habitants profternes à fes pieds,
qu’ils n’ont rien à craindre, & qu’ils peuvent fe
relever ; ce héros leur auroit fait voir que fes armes:
n’étoient point teintes du fang de leurs concitoyens,.
mais de celui de fes foldats qu’il avoit immolés de
fa propre main , parce que l’ivrefle- du carnage-
les avoit rendus féroces.
Après avoir expofé ces tableaux , nous aurions-
tourné l’attention des généraux vers Louis-le-Grand-
& fa famille. Ils auroient vu ce prince vifiter les'
hôpitaux de fon armée , parler à fes foldats & les
confoier : fon fils auroit lu . devant eux la lettre-
dans laquelle le duc de Montaufier le félicite , non
parce qu’il vient de prendre une ville , mais parce-
qu’il s’eft montré libéral & humain. Us auroient1
entendu Philippe duc d’Orléans , & régent de
France , dire après le combat : il n’eft plus d'ennemis
, & Louis X V s’écrier , qu’il aime mieux
prendre une place quatre- jours plus tard , que-'
perdre quatre de fes foldats- ; mais les exemples
que nous avons rapportés nous ont paru fufnfants :•
ils renferment en effet les divers objets fur lefquels3
les généraux doivent exercer leur humanité.
1 V I I I.
Des moeurs.- ,
L ’ardente jeunefle n’entrevoit les objets que-
fous leur afpeâ le plus riant &. le plus agréable ;
elle chante lans cefle des hymnes a l’amour ; elle
embellit la fliatuè- de ce- dieu , elle la couronné de
fleurs toujours nouvelles ; elle apporte en foule à
fes p.ieds le-tribut de fes hommages & de fon coeur ;
elle croit qu’il eft le feul difpenfateur de la félicité
fuprême ; elle place enfin touts les grands
hommes parmi les humbles adorateurs de- la d iv i nité
qu’elle encenfe. La froide vieillefle, appuyée'-
fur une morale auftè.re , peint au contraire l’amour '
fous la forme la plus hideufe, avec les couleurs •
les plus noires ; elle le montre foulant aux pieds
les vertus',.étouffant les talents , précédé par la-
folie ; environné de crimes fuivi par le ridicule
les revers ôi- les-remords ; elle regarde comraé"
infen.fés touts les hommes qui lui vent- les-loix de