
ment, exempts d’avarice Sc d’ambition, paflions qui
feules peuvent caufer la défunion entre les membres
de ce‘coaleil. En ce cas , la foibleffe du gouvernement
ne dure qu’autant que la minorité du prince ,
pourvu qu’à fa majorité il fçache marquer qu’il veut
gouverner par lui-même.
Les guerres civiles qui fe forment fous un règne
foible font fans nombre , 8c renaiffent à melure
quelles Unifient, parce que c’eft le prince même
qui en èft l’origine. 11 élève mal-à-propos les fujets
indignes ; cela éloigne de lui les gens de mérite :
il accablé mal-à-propos: les grands ; cela les irrite ,
les unit entré eux , 8c les force à prendre des mesures
contre l’oppreflion. Il furcharge les peuples
avec excès , 8c fans raifons plaüfibles ; ils en murmurent
d’abord , 6c deviennent fufceptibles de fé-
dition dès qu’il fe montre un chef. Touts ces ma-
heurs durent autant que la vie d’un prince foible.
La troifièmé efpèce de guerre civile eft la plus
aifée à calmer , parce què^cette émotion n’eft jamais
générale.
Si elle eft fufcitée par les intelligences des en--
nemis avec quelqu’un des grands de l’état, il faut,
à la première fumée de ce feu , porter toutes fe s
forces contre le féditieux , & l’accabler par toutes
fortes de moyens , avant qu’il ait eu le temps de
fe-mettre en état de réfifter.
■' Si les intelligences de l’ennemi ne font point; i
foutenues par'un chef puiffant, cette émotion populaire
, fans ordre & fans conduite 3 fe doit
appaifér par le châtiment févère des plus mutins ,
qu’on obfervera de faire en différents lieux , afin
de partager les exemples du châtiment, auxquels
il faut faire fuccéder ceux de la clémence , & fe
contenter, à l’égard du relie des féditieux, d’une i
levée extraordinaire d’argent, qui fera employée
ou à fortifier quelques poftes qui tiennent à l’avenir
en refpeéf ceux qui voudront remuer , ou à d’autres
befoins de l’état , mais toujours à quelque ufage
utile & qui paroifle.
En un m o t, cette dernière efpèce de guerre fe
prévient aifément quand le prince & les gens
dont il fe fert, tant dans fon confeil, que dans
les provinces de fon état , font attentifs fur la
conduite des particuliers , principalement de ceux
qui peuvent avoir de juftes fujets de mécontentement
, ou qui ont des intérêts ou des alliances
avec les voifins de l’état.
De la guerre offcnfcve.
La guerre offenfive doit être méditée longtemps.
Le fecret avant qu’elle éclate , le projet 6c l’ordre
dans les entreprifes dès qu’elle aura éclaté , font
les deux parties' qui en rendent le fuccès heureux.
Elle doit avoir été méditée longtemps ; parce que,
quelque habile que foit le prince & fon confeil ,
il eft toujours fort à craindre qu’il ne lui foit
échappé quelques-unes des précautions qu’il faut
prendre. Elles font infinies , tant à l’égard du de?
î>ors qu’à l’égard du dedans.
Les précautions au dehors font, les alliances 5c
les furetés pour n’être point troublé dans l’expédition
méditée ; les levées étrangères, foit d’hommes
ou de chevaux , 6c les achats de munitions de
guerre, fi on ne les a pas dans fon pays , foit pour
augmenter celles qu’on a , foit pour les ôter à l’ennemi.
Les précautions au - dedans font la fureté des
frontières éloignées , la levée fecrette des troupes
nouvelles, ou l’augfnentation des vieilles , la fourniture
des magafins de guerre 6c de bouche , la
conftruéfion des charriots d’artillerie 6c de vivres ,
la levée de leurs chevaux, qu’il faut faire autant
qu’il eft poflible chez les voifins, tant pour leur
ôter lefdits chevaux , que pour garder ceux de
votre propre pays pour l’ufage de votre cavale*-,
rie, 6c pour les équipages particuliers des officiers.
Le fecret avant que l’entréprife éclate eft abfo-
lument néceffaire , non-feule'ment pour n’être point
troublé du côté des frontières éloignées , mais
auffi afin que l’ennemi qu’on veut attaquer ne
puiffe pas démêler par où l’on veut commencer
la guerre. Il eft néceffaire pour cela que les dépôts
de vivres 6c d’artillerie foient à une portée qui
donne également jaloufie à plufieurs places de vos
ennemis, afin de les obliger , en partageant leurs
forces, de n’avoirlefditesplaces qu’à demi-garnies.
L’ordre dans les entreprifes eft encore néceffaire
à fuivre pour plufieurs raifons principales , qui
dépendent de l’arrangement qu’on aura fait pour
l’adminiftration des vivres 6c munitions de guerre ,
fuivant la nature du pays que l’on veut attaquer.
Ce pays fera ou bordé de places fortes, ou ouvert
à vos armées, ou coupé de rivières , ou chargé
de montagnes ou de bois , 6c coupé de défilés ou
; pays de plaines , ou mêlé de toutes ces differentes
chofes. Toutes ces différences emportent après,
elles différents projets, 6c un ordre différent dans
l’exécution.
Si le pays eft bordé de places fortes , il faut,
attaquer le quartier qui y donne une entrée libre ,
6c qui porte avec plus de facilité vers la capitale,
à qui il faut, autant qu’il eft poflible, être en état,
au commencement de la guerre , de faire voir
l’armée , afin d’y jetter la terreur, 8c tâcher par-là.
d’obliger l’ennemi à dégarnir quelques-unes des
places de la frontière pour raffurer le coeur du
pays.
Il faut enfuite retomber fur les places qui auront
été dégarnies, pour ouvrir davantage le pays .attaqué
; faire apporter dans ces places , après leur
prife , touts les dépôts qui étoient dans les vôtres,
6c faire ainfi la guerre avec plus de commodité.
En ce cas , l’armée doit être beaucoup plus forte
en infanterie qu’en cavalerie. On doit avoir pris
des mefures pour avoir fait lever de l’infanterie
nouvelle, dès que le deffein aura éclaté, qui ,
jettée d’abord dans les places conquifes, 6c mêlée
avec une partie de la vieille qu’on aura, tirée de
l’armée, fe former^ & fe mettra en état de fervir.
<en campagne l’année fuivante , l’expérience nous |
apprenant que les nouvelles levées doivent être -|
fort ménagées dans les commencements, & expo-
fées le moins qu’il fe peut aux grandes fatigues de
la guerre de campagne , où la confommation des
hommes nouvellement foriis du repos 6c de leurs
maifons eft trop grande.
Que fi le pays eft ouvert., il faut être fort en
cavalerie, afin de pénétrer avec plus de diligence
jufques dans fon centre , 6c de pouvoir faire des
détachements pour conduire les convois en fureté ,‘
fuififant en ce cas de mettre feulement de l’infanterie
dans les châteaux ou petites villes, qui affure
les chemins des convois.
Lorlqu’on aura pénétré le plus avant qu’on l’aura
pu faire commodément, il faut camper l’armée
en lieu fain 6c commode pour les fourrages , 6c
même en lieu avantageux par fon affiette , afin
de pouvoir de là faire des détachements confi-
dérables , pour réduire par la terreur des armes
les extrémités du pays où l’on ne pourroit pas avec
fureté 6c commodité pour les vivres , fe porter
avec l’armée entière.
C ’eft au général à fe conduire avec douceur ou
rigueur pour l’entière conquête du pays attaqué ,
fuivant la connoiffance qu’il aura de l’efprit des
peuples auxquels il aura affaire ; il y en. a que
la douceùr du conquérant gagne , 6c fait demeurer
en repos ; il y en a auffi en qui la rigueur fait
le même effet, il eft de fa prudence de bien examiner
ces deux moyens mais pourtant de n’avoir
recours à celui de la rigueur , que lorfque celui de la
douceur 6c de la clémence paroît abfolument inutile.
Si ce pays eft coupé de rivières, on doit obferver
fi elles entrent dans votre pays - ou fi elles en
forrent ; fi elles traverfent le pays qu’on veut conquérir
j fi elles font profondes, larges 8c navigables.
Si elles entrent dans votre pays , 6c que près
de votre frontière l’ennemi ait une place forte ,
grande , 6c qu’à l’entrée de votre pays fur cette
même rivière , on n’y en ait point, c’eft par cette
place qu’il faut commencer, afin que , fi dans la
luite la conftitution de la guerre venoit à changer ,
vous ne laiffiez pas à votre ennemi une place où
il pût affembler de grands magafins, 6c les faire
entrer chez vous avec commodité pour la fubfif-
tance de fes armées, 8c pour le tranfport de fes
munitions de guerre.
S i, au contraire, les rivières fortent de votre
p ay s , 6c que l’ennemi y ait auifi une place , ou •
grande par fon habitation, ou forte , il eft d’une
conféquence infinie de s’en rendre le maître , pour
en faire une place d’armes , ou un dépôt commode
pour porter la guerre bien avant dans le pays
ennemi.
Si les rivières traverfent le pays, ennemi, 6c
qu elles foient grandes , il faut compter que la
conquête n’en peut pas être fi rapide ; & en ce cas ,
ma penfée eft que l’on doit s’appliquer, avant la déclaration
de h guerre, à faire écrire des gens fçavants
pouf avoir des manifeftes prêts 3 contenant des
raifons véritables, s’il fe peut, ou au moins apparentes
des prétendus droits fur quelques parties ,
ou fur la totalité du pays que l’on veut conquérir.
Ces manifeftes doivent être publiés à propos. Ils
ne font pas un effet folide fur les efprits des
princes , qui doivent prendre jaloufie de votre
agrandiffement ; mais il arrive fouvent qu’ils font
effet fur les peuples qu’on attaque 9 6c que cela
peut difpofer leurs efprits à confèrver une fidélité
moins entière à leurs princes & leur fervir de
raifon & de prétexte pour ne pas fouffrir avec
fermeté la ruine du plat-pays , 6c même celle
des villes.
Dans cette conftituîiori de p a y s , il ne faut
rien laiffer derrière foi , 6c étendre d’abord i a
conquête jufqu’à cette rivière qui traverfe le pays ,
des bords de laquelle il faut fe rendre maître , en
cas qu’il y ait quelque ville qui foit de votre côté.
Que fi elle n’eft pas forte, elle doit être fortifiée
avec diligence , afin de pouvoir s’y établir fi foîi-
dement qu’on ne puiffe pas vous en chaffer ; 6c
en ce cas auffi , il eft très important de traiter
avec unev extrême douceùr ces nouveaux fujets,
8c de ne leur donner aucune ràîfôn de fe plaindre ,
foit par le défaut de difcipline , foit par aucun
changement dans leurs privilèges , foit par des levées
d’argent. Il faut qu’ils trouvent du calme,
6c même de l’avantage à s’être fournis avec facilité.’
De cette nouvelle barrière qu’on fe fera faite ,
fi les conjonâures le permettent, on fe portera
dans la fuite en avant ; fino'n il doit être de la
fage politique d’affe&ër de la modération , 6c de
cacher fon efprit de conquérant ; de couvrir fcn
ambition de toutes les raifons dont on fé fera
fervi dans fon manifefte, 6c en traînant la guerre
en longueur 6c en négociations , faire enforte ,
par un traité, de garder la conquête, ou du moins
une partie , auquel cas il faut faire touts fes efforts
pour que les bornes en foient portées jufqu’à cette
rivière , ou il faut avoir , de toute néceflité, une
v ille , d’où par les fuites on fe procure une nouvelle
entrée dans le pays.
Je ne fuis point d’avis qu’à l’imitation de ces
derniers temps, après la paix conclue , on s’applique
à conftruire de nouvelles places ; cela
réveille trop la jaloufie des voifins , 8c les met
dans une continuelle attention à fe parer des nouveaux
projets qu’on pourroit former. Cette’ politique
engage même le prince à une trop grande
dépenfe, tant par la conftruâion de ces places ,
que pour l’artillerie dont il les faut garnir , ôc
l’entretien de leurs garnifons 6c états-majors.
Il me paroît qu’il doit fuffire d’en avoir ut?e
dont l’habitation foit grande , afin qu’elle puiffe
contenir une nombreule garnifoo , 6c de grands
magafins de toute efpèce.
Il faut fe contenter , fi le hafard vous donne
la poffeflion d’une ville fituée fur la rivière, de
la fortifier, 6c même de l’aggrandir avec appUcatios^