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Polybe blâme les confuls P. Furius & Cams
Flaminius de ce que , dans un combat contre les
Gaulois en Lombardie, ils avoient appuyé la queue
de l’armée contre la rivière ; de forte que fi les
Romains étoient mis en défordre, ils n’avoient pas
de terrein pour fe rallier, & étoient forces de fe
jetter dans l ’eau.
Le danger qu’il peut y avoir a camper près des
ennemis, lorfqu’on fe trouve inférieur en troupes,
eft que leur armée, en obfervant un grand filence, j
peut, à la faveur de la nuit, fortir de fon retran- I
-chement, fe ranger en bataille &. s’avancer pour
prendre’ tout- le terrein qui lui eft neceffaire. C e ft
ainfi que le prince Eugène de Savoye 1 exécuta
pour la bataille de Belgrade.
Il me paroît pourtant difficile que , par vos
efpions ou par les partis que vous faites avancer
la nuit pour reconnoître , vous ne foyez pas averti
que l’armée ennemie fort de fa ligne , & que
vous n’en ayez pas avis affez tôt pour la-charger
lorfqu’elle défile. Or , il eft à fuppofer que les
armées étant à fi peu de diftance entre elles, la
votre doit être prête de marcher d’un moment a
l’autre ; & fi vous réuffiffiez à tomber la nuit fur
cette partie de troupes, qui eft déjà fortie de fon
retranchement, il eft certain que celles qui reftent
encore dans la ligne n’ofèroient faire feu , ou
qu’elles tueroiént autant de leurs foldats qu’elles
tueroient des vôtres.
J’ai fait vo ir , en traitant des pajfages des rivières }
que bien loin de permettre aux ennemis de faigner
la rivière qu’ils veulent paffer à gué, il vous feroit
plus avantageux d’y faire décharger quelques autres
courants d’eau.
Qu’il eft important de retirer les bateaux de
cette partie de la rivière que vous ne commandez
pas; peut-être que les ennemis les enleveroient
& s’en ferviroient.
Que fi les ennemis paffent en un même temps
la rivière par différents gués éloignés les uns des
autres , vous devez attaquer quelqu’un de ces
corps.
Que fi Rentre l’un & l’autre de ces gués, il y
a un étroit défilé, vous devez le fortifier & le
garder, afin d’éviter qu’une partie des troupes
des ennemis ne vienne au fecours de celle que
vous chargez.
Que fi les ennemis, faute de ponts, de gros
bateaux ou de bons gués, font paffer la rivière
à leur artillerie loin de l’endroit où leur armée la
paffe, il faut envoyer à la dérobée un détachement
fupérieur à l’efcorte de cette artillerie, afin
d’enlever les canons , les faire conduire par un
chemin où il ne foit pas poffible à l’armée ennemie
de couper le détachement.
De la ruine du pays tant ami qu ennemi,
U peut arri ver que fur la route-que les ennemis
ont à tenir dans leur marche, pour entrer dans
votre pay s , ils n’ont ni défilés , ni rivières à
paffer ; il fe peut auffi que vous ne vous trouviez
pas en fituation de fortifier & de garder ces paf-
fages, parce que vous n’avez pas allez de troupes,
ou parce que les ennemis ont fait avancer à bonne
heure un détachement qui les eft venu occuper :
par conféquent fi leur marche doit être longue , &
s’il n’y a qu’une feule avenue qui n’ait que quelques
lieues de front, ordonnez aux habitants des lieux
ouverts de cette contrée q ue , dans un certain
temps prefcrit, ils aient à fe retirer a telles places
défignées, ou à une diftance de tant de lieues,
avec toutes leurs familles, leurs grains, leurs légumes
, leur huile , leur vin , leurs troupeaux ,
leurs charettes, leurs boeufs , leurs chevaux , leur
foin, leur paille , leurs munitions & leurs armes ;
donnez-leur ordr-e.de détruire tout ce quils ne
pourront pas emporter , de brûler les moiffons
qui commencent à jaunir, de coucher ôi dabattre
avec des rateaux & par les troupeaux de beftiaux
cellès qui font encore vertes, de détruire les fours
& les moulins, de couper les ponts fur les grandes
rivières, de rompre les digues qui peuvent gâter
les chemins & retarder la marche des ennemis ;
enfin , s’il n’y a pas d’autre eau que celle des
mares, des citernes & des puits, prefcrivez-leur
de les corrompre, en y jettant dedans des corps
de chiens & de chevaux morts ; d’en ôter les
cordes & les féaux, fans pourtant^ empoifonner
ces eaux par quelque poifon cache ; aâion^ qui
n’eft jamais permife, & qui a été déclarée indigne
par Charles V , m-ême contre l’infidèle Barberouffe,
par Fabrice contre Pyrrhus, & par Tibère contre
Arminius.
Si ces ordres s’exécutent exa&emeht, il eft im-
poffible que les ennemis faffent plufieurs marches
dans ce pays , parce qu’une armée, quelques
charrois qu’elle puiffe avoir, eft continuellement
obligée de remplacer, dans les lieux par où elle
paffe, certaines provifions qui fe font confommées
&. qui manquent, ainfi qu’on peut le voir par les
exemples fuivants.
Diodore de Sicile, parlant du confeil que Darius
affembla pour prendre des mefures contre l’entre-
prife d’Alexandre, dit que Memnon le Rhodien s
capitaine célèbre , fut d'avis de ruiner le pays par
cm les Macédoniens dévoient pajfer > & de les empêcher
ainfi de s'avancer davantage , faute de vivres.
Le confeil de ce capitaine , a jo u te - t- il, était fort
fage y comme les fuites le firent voir 9 mais il ne fût
pas fuivi.
Cæfar avoit coutume de dire qu’il agïffoit contre
les ennemis comme les médecins en ulent à l’égard
des malades, qu’il valoit mieux les vaincre par la
faim que par le fer.
Izate, roi des Adjabeniens, pour fe préparer à
la guerre dont Vologefe, roi des Parthes, menaçoit
fon pays, fit retirer touts les grains dans fes meilleures
places, & brûler toûts les fourrages de-la
campagne dont Vologefe auroit pu profiter.
Louis X IV , roi de France, brûla toute l’Alface,
pour arrêter la marche de l’armée que Charles V ,
duc de Lorraine, commandoit.
L ’empereur Henri III, marchant pour la fécondé
fois contre la Hongrie, où régnoit André Ier, fut
contraint de s’en retourner au plutôt, parce que les
Hongrois, qui avoient abandonné tout le pays par
où l’armée impériale devoit paffer, réduifirent à
la dernière extrémité çette armée faute de fub-
ftftance.
Soliman II ne put pas continuer fon entreprife
contre les Perfes, parce que Tachmas leur roi avoit
donné ordre de ne rien laiffer à la campagne, ni
dans les lieux par où Soliman devoit paffer ; de
forte que l’armée des Turcs , ne trouvant pas le
néceffaire pour fubfifter , fut contrainte de fe
retirer.
Corbulon , pour empêcher Vologefe d’entrer
dans la Sourie, détruifit les eaux de certains
poftes fur la route qu’il penfoit que Vologefe
pourroit prendre, afin que cette difette d’eau obligeât
Vologefe de ne pas continuer fa marche.
M. de Julien, général François, ordonna de
rompre les fours & les moulins des lieux ouverts,
d’où les fanatiques du Languedoc tiroient du pain,
& fit retirer dans les places les armuriers, les
maréchaux, les felliers & autres gens de métiers,
dont les fanatiques pouvoient tirer quelques fer-
vices , afin qu’en manquant ainfi de tout, ils
fuffent forcés d’abandonner la campagne, qu’ils
avoient tenue jufqu’alors.
Il faut pourtant obferver qu’il ne feroit pas à
propos que les habitants des lieux qu’on abandonne
fe retiraffent dans les places de guerre expofées à
un blocus, à moins qu’ils ne portaffent avec eux
une abondante provifion de vivres.
Afin que. les habitants obéiffent aux ordres dont
je viens de parler, offrez-leur, par ces mêmes
ordres, d’augmenter leurs privilèges, de rebâtir
les maifons que les ennemis détruiront, & de les
dédommager abondamment de la perte qu’ils feront
& des frais du tranfport ; promettez-leur
encore de leur fournir les moyens de vivre commodément
dans les places & dans les lieux éloignés
où vous leur ordonnez de fe réfugier. En
effet, le prince à cet égard doit, en juftice & en
confeience, leur tenir parole.
"j D ’un autre côté, menacez-les de brûler leurs
villages, de les traiter comme ennemis, s’il y a
le moindre retardement dans l’exécution exaâe
de ces ordres. Il n’y aura peut-être point d’inconvénient
que ces ordres foient portés par des
officiers, qui publieront que les ennemis ont réfolu
de mettre tout à feu & à iang ; ni d’envoyer en-
fuite , apres le terme prefcrit par ces ordres, des
partis, pour châtier ceux qui n’auront pas obéi,
& pour brûler toutes les provifions & les denrées,
qu’on pourroit encore y trouver.
Louis X IV , roi de France, pour ôter le moyen
de fubfifter aux fanatiques qui tenoient la campagne,
obligea toutes les familles de cinquante-
quatre paroiffes de fe retirer dans des lieux de
défenfe, leur ayant offert de leur donner le logement
& la fubfiftance, que réellement on leur
donna, comme fi c’eût été des troupes.
Lorfqu’Archidame, fils de Zeuxidame, roi de
Lacédémone, tâchoit de perfuader aux Platéens
de quitter le parti d’Athènes & d’abandonner leurs
terres , il leur tenoit ce difeours ; remette\-nous ±
à nous autres Lacédémoniens , votre ville & vos mai-
fons; montre^-nous quels font les confins de vos
terres ; compte^-en les arbres 6* tout ce qui mérite
d’être compté ; choifijfeç vous-mêmes les lieux où vous
vouleç vous retirer pendant la guerre , 6* nous nous
obligeons y après la guerre finie , de vous rendre 6*
de .vous refiituer toute chofe. En attendant, nous
cultiverons les champs de votre territoire , & nous
vous ferons part de touts les fruits qui feront nécef-
faires pour votre fubfiflance.
Dès que le terme da temps prefcrit aux habitants
pour fe retirer dans les lieux que vous leur
avez défignés, & pour détruire ce qu’ils ne peuvent
pas emporter, fera paffé, détachez des partis qui
ruinent & qui brûlent tout ce qui pourroit fervir
à l’armée ennemie : mettez à la tête de ces partis
des officiers qui ayent beaucoup d’honneur & de
fermeté ; autrement, fubornés par argent, ou attendris
par les pleurs des habitants, ils exécuteront
mal vos ordres.
Si le retardement de l’arrivée des ennemis donne
encore quelque temps, vos partis commenceront
à mettre à exécution votre ordre ; ils y furfeoiront
enfuite pendant quelques jours, afin que les habitants
, qui n’auront pas encore mis leurs effets
en fureté , le puiffent faire dans ce court efpace
de temps, en voyant qu’il n’y a plus moyen de
reculer.
J’ai dit ailleurs par quelle voie on peut mettre
un corps de troupes en campagne devant les
ennemis. J’ajoutè que fi vous réuffiffez , vous
devez d’abord pénétrer le plus en avant que vous
pourrez dans la province ennemie , par le même
chemin que les ennemis ont à tenir en. venant
I dans les états de votre fouverain, afin de détruire
| & de brûler tout ce que vous ne pourrez pas
emporter dans, vos places. Cette incurfion n’eft
pas bien difficile, lorfque les ennemis n’ont pas
encore reçu les troupes, qu’ils attendent de l’autre
côté de la m e r , de quelque royaume confédéré
fort éloigné.
Don Adolphe V I I , roi de Caftille , apprit que
Juphet fe préparoit en Afrique pour venir débarquer
en Andaloufie avec foixante & dix mille
hommes de cavalerie , & encore un plus grand
nombre d’infanterie , & qu’il devoit être foutenu
par les rois Maures qui poffédoient l’Andaloufie*
Sur cet avis, Adolphe, entrant dans le royaume
d’Andaloufie , ravagea & brûla tout le pays voifin
des ports , où il étoit plus vraifemblable que
Juphet débarqueroit. L’Africain y prit terre ; mais