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il le remît aux troupes de ce dernier, afin de fuC-
citer par ce moyen la défiance & la divifion entre
les Allemands & les Efpagnols.
La grande union qu’ii y avoit entre Salomon Ier,
roi de Hongrie, &. le duc de Geyfa, fon coufm-
geraiain , fut rompue,parce que le trouvant touts
les deux a 1 attaque d’Albe-Royale, un plus grand
nombre de ceux qui s’étoient réfugiés dans le château
de cette place, vint implorer la clémence & I
la proteélion de Geyfa plutôt que de Salomon , j
qui, jaloux de cette préférence, &. irrité par-là i
contre Geyfa, ne fongea plus qu’à lui déclarer la !
guerre, où Salomon fut enfin vaincu.
Comines, cite par rranchetta, veut qu’on puifle !
faire naître de la défiance parmi les princes alliés S
vos ennemis, en donnant à entendre que les avis
que vous recevez par vos efpions vous viennent de
la part d’un de ces princes alliés.
Nous avons dit qu’en traitant avec différents
princes de la ligue ennemie , on peut parvenir à ce
que, dans la défiance où ils feront les uns contre
- les autres, la crainte leur faffe faire la paix. Si ce
moyen ne fuffit pas, il faut effayer de détacher une
des^deux puiffances ennemies, par une vue d’interet,
en lui offrant fecrètement de l’argent ou des
terres qui puiffent fatisfaire fon ambition , appaifer
fa colere , & lui faire quitter fon ancienne alliance
pour embràffer la vôtre.
A la , roi de Jüda, fe fervit de ce moyen pour !
détacher Benadad,. roi de Syrie, de la ligue qu’il 1
avoit faite avec Baafa, roi d’Ifraël, & pour le I
porter à entrer dans la fienne. « Je l’appaiferai par |
des préfents, diloit Jacob, parlant de fon frère j
Efaü , qui étoit devenu fon ennemi. ».
■ En traitant de la guerre offenfive, je dirai quelle j
place ou quel pays vous devez céder au prince ]
ennemi dont vous achetez l’alliance ou la neutra- !
lite , fi la guerre qu’il fait à votre fouverain eft j
vifiblement injufte. .
Dans la même fuppofition que la guerre n’eft j
pas jufte de la part du prince avec qui vous voulez
faire la paix, & que cette paix, aux conditions que j
vous la propofez, lui eft véritablement avants- î
geufe, tâchez de gagner fecrètement fon miniftre , |
afin qu’il l’y porte, & lui rende difficile les moyens
de continuer la guerre.
En fuppofant toujours que la guerre que l’un des I
princes ennemis fait au vôtre eft injufte & défa- I
vantageufe à ce prince , fi vous avez gagné fon
miniftre. tâchez que, fous prétexte de l’intérêt, il j
engage à quelque chofe qui donne aux autres alliés
un fujet de défiance ou de mécontentement qui
puifle rompre leur alliance.
Adalgifle, fils de Défiré, dernier roi des Lombards
en Italie, réuflit, par fes menées fecrètes ,
à empêcher le mariage d’une fille de-Charlemagne ,
üancéè avec l’empereur Conftantin Capronime,
qui s’étoit lenti très offenfé ; alors Adalgifle n’eut
peint de peine à porter Conftantin à fe déclarer
contre Charlemagne, maître de l’Italie, qu’il avoit
conquife. Par ce ftratagème, Adalgifle réuflit à
recevoir un fecours des Grecs, que Conftantin
& 1 impératrice Irène fa mère lui envoyèrent.
Du bon traitement dont il faut ufer envers les
prifonniers.
La politefle feule ne doit pas engager à bien
traiter les prifonniers, mais encore l’intérêt de vos
troupes qui recevront le même traitement dont
on aura uié envers les ennemis.
Romain Diogène, empereur d’Orient , traita
fort bien les prifonniers de l’armée d’Àrflan , fécond
fultan*des Sélucites , qu’il défit ; mais bientôt, par
la politefle du fultan, il jouit du fruit de la fienne :
car Ârflan ayant battu l’empereur, & l’ayant fait
prifônnier, lui accorda la paix & la liberté fous
des conditions peu défavantageufes.
Le bon traitement dont on ufe à l ’égard des prifonniers
, étouffe en eux cette haine naturelle que
les troupes ont les unes contre les autres, & vous
les préparez par-là à ne pas s’oppofer avec tant
d obftination à ce qui vous eft avantageux. Peut-
être même réuflirèz-vous par ce bon procédé à
vous faire des amis de ceux qui auparavant étoient
vos ennemis. Dans cette Yue , les Athéniens ap-
prehendoient que les villes confédérées n’embraf^
faflent le parti oppole à caufe du bon traitement
que recevoient les foldats & les villes qui tom-
boient fous le pouvoir de Brafidas , général de
l’armée ennemie.
Sifebute , vingt-unième roi des Goths en Ef-
pagne, ayant défait l’armée romaine commandée
par Céfarée, Patrice paya de fes deniers ayx
Goths, fes fujets , 1a rançon des prifonniers Romains
quil avoit faits, &. qu’il mit d’abord en liberté
; de forte que les Romains , fenfibles à ce bienfait
, devinrent amis de Sifebute , à qui , dans le
traité de paix , ils accordèrent de grands avantages.
Foreftier rapporte que' C raco, fécond prince de
Pologne , s’attira, par fes manières polies & honnêtes
, l’amitié de plufieurs puiflants ennemis. Il
dit la même chofe de Lécho III, prince VIIIe de
Pologne.
Lorfque Darius apprit, par le rapport de Tiriote,
le traitement honorable qu’Alexandre faifoit à fes
filles & à fa mère , & qu’il avoit pleuré la mort de
fa femme , toutes prifohnières d’Alexandre , il
leva fa voix vers le c ie l,. & fupplia les dieux que
s’il ne pouvoir pas remonter fur le trône de Perfe ,
il ne fût occupé que par Alexandre. Cette bienveillance
qu’Alexandre s’attira dé les ennemis^., fervit
infiniment à lui faciliter fes conquêtes : car, après
la mort de Darius, prefque touts les Perfes, de
leur plein gré, le fervirent fidèlement ; & Sigigam-
bis , mère de Darius, fut fi touchée de fa mort ,
qu’elle fe .la donna à elle-même.
Je déduirai plus au long , en traitant de la
guerre offenfive, les raifons qui doivent vous porter
à traiter avec clémence ceux qui fe font rendus , à
l’exception des rebelles obftinés.
Des moyens d'éprouver la vigilance de vos troupes
& de châtier la négligence de vos fentinellcs.
Les règles que je viens d’établir îîe font que par
rapport au prince ennemi, à Ion commandant &
■ a fes troupes. Parlons à préfent de ce qu’un général
, au commencement de la guerre, doit faire
par rapport à fon armée.
Pour éprouver la ponctualité de vos troupes ,
& lorfqu’elles font affemblées, après avoir ordonné
à chaque régiment ce qu’il doit faire en cas d’alarme,
vous en ferez donner une faufle ; & , attentif à
obferver avec quelle réfolution , quel filence &
quelle promptitude chacun accourt à fon pofte *
vous donnerez des louanges à ceux qui auront
été ponCtuéls , & vous avertirez ceux qui ne l’auront
pas été àflez de l’être davantage une autre fois. Ces
faufles allarmes fervent certainement à réndre
les troupes vigilantes ; mais il en faut faire donner
rarement, de peur qu’on ne confonde enfuite une
véritable avec'les faufles : ainfi, après en avoir
fait donner une , avertiflez que vous n’en ferez
pas donner davantage, afin qué les troupes I fans
le fier fur ce qu’une ieconde faufle alarme pourroit
encore être faufle , occupent leur pofte fans le
moindre retardement.
Frontin , cité par Beyerlinx , rapporte qu’Her-
mocrate de Syracufe, pour rendre fes troupes vigilantes
, fit une nuit approcher jufqu’auprès d’elles
quelque cavalerie , comme fi cette cavalerie eût
été ennemie.
Qu’une fentinelle s’endorme , ou qu’elle ne foit
pas attentive à ce qui 1e paffe , ce n’e ft-là, à ce
qu’il paroît, qu’une légère faute, parce qu’il n’y
a point de malice ; cependant, c’eft la plus préjudiciable
qu’on puifle faire dans la guerre , puifque
c’eft par-là fouvent que les armées & les places
font furprifes : ainfi il n’y auroit pas trop de févé-
rité de punir ce foldat d’une manière à fervir
d’exemple aux troupes, pour faire obferver la
vigilance.
Epaminondas , trouvant une fentinelle de fon
camp endormie , la tua dans fon pofte, & difoit
enfuite qu’il l’avoit laiffée comme il l’avoit trouvée.
Des moyens de reconnaître tes lâches , & de quelle
maniéré on doit en ufer à leur égard.
Les foldats extrêmement vicieux font d’un très
mauvais/exemple dans une armée. Ceux qui ne
craignent pas d’enfreindre la bonne difcipline ,
èxpolent à de grands malheurs, & les poltrons
donnent par leur fuite entrée à l’ennemi , ou
mettent en défordre leurs camarades, par le trouble
qu’ils caufent dans un combat. Il importe de congé-
v er % l'armée ceux qui , malgré vos foins, &
le châtiment e * y c é contre eux, font incorrigibles ;
mais comme quelques-uns, pour avoir leur congé,
&. retourner chez eux , pourroient affeéler leur
lâcheté , ou quelqu’autre défaut, vous devez examiner
avec’ attention leur conduite, & envoyer
aux galères ou aux îles ceux qui, par malice ,
manquent à leurs devoirs. De quelle manière que
ce puifle être, il faut en purger votre armée.
Xéhophon fiippofe que Cyrus ordonna à fes
généraux de chafler de l’armée les foldats
qui manquoient de valeur , & dont les moeurs
étoient perverfes , de peur que leur dépravation
ou leur poltronnerie ne fût un pernicieux exemple
pour les autres.
Hernan Cortès, voyant quelques-uns de fes
foldats fe plaindre des fatigués qu’ils fouffroient
dans une guerre qu’il falloit continuer , fit embarquer
pour l’île de Cuba touts'ceux qui voulurent fe
retirer ; & Solis dit : « que cette forte de gens eft
préjudiciable dans un quartier , qu’elle eft inutile
dans une aéiion , qu’elle trompe dans fon nombre ,.
parce qu’on les compte pour foldats, tandis que
dans une armée ils fervent un peu moins que les
abfents. ».
D ieu , dan? le Deuteronome , donne des inftruc-
tions pour la guerre. Il parle ainfi : a fi quelqu’un
eft timide , & a la frayeur dans le coeur , qu’il
s’en aille & retourne dans fa maifon , de peur
qu’il ne jette dans lès coeurs de fes frères l’épouvante
dont il eft lui-même faifi.’ ».
Pour connoître les foldats poltrons, faites fem-
blant de vous préparer à. quelques entreprifes pé-
rilleufes; donnez ordre enfuite que touts ceux qui
ne fe portent pas bien , ou qui n’ont pas leurs
chevaux ou leurs armes en bon état, ayent à le
dire, afin qu’ils demeurent dans le camp , ou qu’ils
fe retirent dans une place voifine : lorfque, fous
ce. prétexte , quelques-uns fe feront mis à l’écarr ,
vous ferez vifiter leurs perfonnes par des chirurgiens
de l’hôpital, leurs armes par des officiers
des autres corps, & leurs chevaux par des maréchaux,
afin de voir quels font ceux qui ont un
véritable empêchement, & ceux qui le fuppofent.
On dreffera une lifte de ces derniers, qui contien-
dradeur nom & celui de leur régiment, & de leur
compagnie^
I p h i c r a t e , capitaine Athénien, conduifoit fes
troupes contre les ennemis ; voyant que quelques-
uns de fes foldats , le vifage pâle , ne le fuivoit
qu’en tremblant , il ordonna que ceux qui avaient
laifle quelque chofe derrière eux , retournaflent
pour le chercher. Sous ce prétexte , les plus lâches
fe retirèrent. Iphicrate fut charmé de n’avoir plus
dans fon armée que des valeureux foldats, avec
lefquels ayant livré la bataille , “I l remporta la
viéloire.
En parlant des occafions où il faut éviter le
j combat, je donnerai quelques autres moyens pour
éprouver le courage de vos foldats, & je "prouverai
I qu’il ne fuffit pas d’en faire faire l’épreuve par vos.
! officiers.