
recherché les bornes qu’elle prefcrit aux nations
belligérentes, & à touts ceux qui en défendent
les intérêts. Touts les peuples ont adopté cette
inftitution falutaire , & les .défordres de la guerre
ont été fournis aux règles de la fageffe.
Ceux qui penfënt qu’en renouveilant les atrocités
des premiers peuples, on étoufferoit toute
femence de guerre, & qu’on obligeront les hommes
à y renoncer,, me paroiffent ne les pas connoître.
L ’efprit de vengeance s’empareroit de ceux qui
auroient fouffert ces horribles hoftilités : ils n’en
reprendroient que plutôt les armes ; ils détruiroient
leurs ennemis ou feroient détruits par eux , & nous
reviendrions à l’état des Algonquins & des Cannibales.
Irions-nous à la fageffe en rétrogradant
vers la barbarie ? Les bornes de ce dictionnaire,
confacré à l’expofition de notre art militaire, ne
permettent pas de traiter cet article qui demanderoit
un grand développement. Je renverrai donc aux j
auteurs qui ont écrit fur cette matière, à Grotius ,
Puftendorf, W o lf, Burlamaqui : on l’y trouvera
traitée dans touts fes détails. .
DUEL. Combat entre deux hommes. Voye^ cet
article aux di&ionnaires de morale &. de Jurilpru-
dence. Nous ne confidérerons ici le duel que relativement
aux militaires.
Des duels entre les foldats.
Il importe peu à un écrivain militaire que les
duels doivent' leur naiffance à un gouvernement
affez foible pour qu’il y foit permis aux particuliers
de fe faire juftice eux-mêmes, ou à ce préjugé
des forêts du No rd, qui faifoit regarder l’ufage
de la force comme le droit le plus glorieux &
le plus noble : peu lui importe encore qu’ils ayent
été enfantés par une fuperllition groffièreou produits
par les joutes & les tournois; ce qui l’inté-
reffe, ce qui doit être l’objet de fes recherches,
c’eft de trouver une manière facile & sûre d’éteindre
dans l’armée françoife, cette fureur barbare
, qui, dans chaque fiècle, a fait couler des
ruiffeaux du fang le plus pur & le plus généreux.
Il y a un fiècle qu’on n’auroit ofé entreprendre
d’abolir les duels, ou qu’on auroit tenté en vain
d’y parvenir ; les officiers, eux par qui il auroit
fallu commencer ,■ étoient les partifànts les plus
déterminés de cette coutume atroce ; en cherchant
à l’ébranler, on lui auroit donné une fiabilité plus
grande : aujourd’hui tout a changé de face , &
grâces à l’éducation que nous recevons, aux lumières
que la philofophie a répandues , à la poli-
teffe que vingt ans de paix ont introduites & que le
commerce’ des femmes a perfeélionnée ; grâces
fur-tout à l’anéantiffement du goût vil & brutal
que les guerriers du dernier fiècle avoient en général
pour le vin, les officiers n’ont confervé de
cette antique erreur que ce qu’il en faut peut-
ê tre, pour maintenir parmi eux quelques vertus
néceffaires. Ce n’eft donc pas vers les claffes fupérieures
que nos regards doivent fe tourner; le
temps y achèvera*fans aucun fecours étranger, la
révolution déjà fi avancée ; ce n’eft pas non plus
vers celle des bas-officiers; elle offre rarement
en ce genre des exemples funeftes : la claffe des
fofdats étant donc la feule où l’épidémie faffe des
ravages ienfibles ; c’eft elle qui mérite toute notre
attention ; c’eft à elle que nous devons prodiguer
nos foins donner les remèdes les plus aéhfs :
je me trompe, les remèdes aétifs feroient inutiles
& même dangereux ; une expérience de deux
fiecles nous l’a prouvé; elle nous a appris en même
temps que nous devons recourir à un régime pré-
fervatit, & qu’il peut feul opérer le bien que nous
efpérons.
Un maréchal de France, que fes viéloires ont
rendu célèbre, que je ne nommerai point parce
que je me fuis impofé la loi de n’inférer dans
mes articles le nom d’aucun homme vivant. Un
. maréchal de France, gouverneur d’une de nos
I grandes provinces militaires, ayant vu que les
J loix portées contre les foldats qui s’étoient battus
en duel ne diminuoient pas le nombre des duéliftes,
j que la crainte des peines les plus févères étoit
| trop toible pour retenir le foldat paffionné & l'empêcher
de iè livrer à l’ardeur de la vengeance,
a eflayé , pour atteindre à ce but fi defirable,
de févir contre les perfonnes qui, par la place
qu’elles occupent, peuvent & doivent prévenir
■ les combats finguliers. Pour cela il a ordonné que
; toute compagnie de laquelle un foldat ou un bas-
j officier fèroit convaincu de s’être battu en duel\
i monteroit la garde pendant huit jours confécutifs;
c’eft-à-dire, que chacun des membres qui la com-
1 pofent, monteroit quatre gardes dans l’efpace de
huit jours.
A peine le règlement dont nous parlons a-t-il
été mis en vigueur, qu’il a été fuivi des effets
les plus heureux. Les duels entre les foldats ont
diminué de la manière la plus fênfible : malgré
ce luccès,' le règlement n’a pas été à l’abri'de
quelques critiques affez vives; les principales font
les cinq fuivantes ; i° . le règlement eft injufte en
lui-même ; 2°. il ne punit pas le coupable ; 30. il
ne proportionne pas la peine au délit; 40. il doit
rendre le foldat moins brave ; 50. la punition qu’il
inflige eft plus deftruétive que ne pourroit l’être
le fer des duéliftes, & elle eft nuifible au bien
du fer vice.
11 faut en convenir, quelques-unes de ces ob-
jeélions paroiffent fondées : mais le font-elles?
cherchons la vérité , &. portons dans cette recherche
l’impartialité exaéle qu’on doit attendre
d’un écrivain militaire.
P R E M I È R E O B J E C T I O N .
Le reglement eft injufte en lui-même.
Les fautes font perfqnnelles, dit-on ; celui qui,
punit un homme pour le crime qu’un autre a
commis, bleffe la juftice. Cela peut-être vrai;
cela l’eft dans l’ordre métaphyfique ; mais dans
l’ordre focial, il n’en eft pas toujours de même.
Pour nous en affurer conlultons notre coeur ; ouvrons
le code de différents peuples, mais fur-tout
interrogeons la'loi primitive de toute affociation;
cette loi fur laquelle ni les hommes, ni les climats,
ni le temps ne peuvent influer, nous dira
tout règlement qui peut produire un bien général
& le falut du plus grand nombre , eft bon &. jufte ;
o r , certainement un règlement qui diminue le
nombre des duels, produit un grand bien ; donc
il eft jufte. Notre coeur nous dira à fon tour , fi
- je n’ai aucun-intérêt perfonnel à m’oppofer à ce
que mon voifin foit v o lé , fr je ne fuis chargé _
d’aucun emploi c iv il, les loix me permettent de
regarder avec indifférence un crime commis fous
mes fenêtres, je relierai tranquille fpe&ateur du
yol ou de l’affaffinat s fi au contraire des loix
fages m’avoient rendu refponfable d’un crime que
j’aurois pu empêcher, la crainte des peines auroit
terminé dans mon ame le combat qui s’y livroit,
l’amour de ma propre confervation & celui de
-l’humanité fouffrante ; or , le règlement en punif-
fant les affociés, a créé çette troifième puiflance ;
donc il eft encore jufte. Si nous parcourons enfin
le code des différents peuples,, nous y verrons
un grand,nombre de loix qui obligent touts les
membres d’une corporation à empêcher de tout
leur pouvoir l’exécution des projets contraires au
bon ordre & à la tranquillité publique, & qui
les puniffent quand ils ne l’ont pas tait. Voy.e\ les
loix de Licurgue, le code des Gëntoux, les loix
Siamoifes , Perfannes, Japonnoifes & quelques
ordonnances de nos rois de la première & fécondé
race. Pourquoi le code militaire françois feroit-il.
le feul qui fût privé de ce moyen heureux ?
Pour mettre la. juftice du règlement dans un
jour plus grand encore, remontons aux caufes des
duels. .
Lors d’un combat fingulier entre deux foldats,
il n’y a en apparence que deux hommes coupables
, & même à la rigueur , il n’y en a qu’un ; l’a-
grefleur. Mais dans la réalité, il y en a un nombre
bien plus grand : dans cette claffe.,- je place les
officiers, les bas-officiers, & les foldats deTa compagnie
de celui qui a vengé le fer à la main l’injure
qu’il prétend avoir reçue; je les y place,
parce qu’ils font fauteurs ou complices du duel ;
s’ils l’avoient voulu , ils l’auroient prévenu.
Le vin eft la principale, peut-être même l’unique
caufe des duels entre les foldats; comme ils font
prëfque toujours fevrés de cette liqueur dànge-
reufe, ils veulent, lorfque leurs facultés le leur
permettent, fe dédommager du paffé, jouir du
• préfent & voler à l’avenir. Comment leur tête
réfifteroit-elle à ce déluge , & aux élans de la
groffe joie à laquelle ils fe livrent ? Quand le foldat
eft de fang froid, il médite des combats contre
les ennemis de l’état; quand il tft pris de v in ,
il veut fe battre ; cela eft naturel. Le premier venu
eft l’homme qu’il lui faut; & ce premier venu,
compagnon de fon orgie, penfe comme lui ; cependant
ils font fans armes ; pour s’en procurer,
il faut parcourir, des rues, traverfer un quartier,
entrer dans une chambre, s’approcher du râtelier
où les bayonnettes font placées, reflertir, aller
fur le champ de bataille : eft— il poffible qu’un
homme ivre faffe toutes ces courfes fans rencontrer
un officier, un bas-officier, ou un foldat de
fa compagnie ? Aujourd’hui un homme ivre n’eft
qu’un homme ivre ; fi fes officiers, fes camarades
répondoient de fes aélions, il n’en feroit plus de
même ; un homme pris de vin deviendroit un être
intereffant dont on s’afiureroit, & qu’on puniroit
affez févèrement pour l’empêcher de retomber
dans la même faute. *
Ainfi en rendant les officiers, les bas-officiers
& foldats refponfables de la conduite de leurs
compagnons d’armes, non-feulement on prévien-
droit les duels, mais même on mettroit des bernes
à ^ivrognerie, vice commun & fi funefte à l’état
militaire.
En donnant le vin pour caufe première des combats
finguliers parmi lës foldats, il. s’en faut de
beaucoup que j’aye eu l’intention de calomnier
les foldats François, j’ai cru au contraire faire
l’éloge de leur coeur ; il ne peut devenir féroce
que lorfque leur efprit eft aliéné par les vapeurs
du vin.
Quelques rares que foient les affaires dont le
vin n’eft pas la caufe première : il en exifte pourtant,
on ne peut le nier ; mais- celles-là même
n’auroient pas lieu, fi touts les membres d’une
compagnie étoient intéreffés à prévenir l’effufion
du fang, & fongeoient plutôt à jouer le rôle noble
de conciliateurs, que le rôle bas & cruel de.boutefeux.
Quelque difeuffion précède toujours les voies
de fait; on ne débute jamais par le dénouement:
- lîaûion du duel comme toutes les autres aéiions
tragiques. ri, arrive à la cataftrophe qu’après avoir
paffé par l’expofition , le noeud & l’intrigue. Qu’au
milieu d’une des fcènes, un tiers de fang-froid
veuille interrompre les progrès de l’aélion, il y
parviendra aifément, ou en employant un peu
d’art, ou en interpofant l’autorité que les ordonnances
militaires lui donnent. Rarement on fe bat
pour foi ; rarement on veut fe venger en exposant
fa v ie ; le préjugé nous conduit plus fouvent
fur le pré que le reffentiment des propos incon-
fidérés qu’on nous a tenus ; toutes les fois qu’un
tiers fe donne la peine-de nous faire entendre
raifon, qu’il nous montre que nous pouvons accorder
l’amour de nous-même avec ce que nous
devons à l’honneur ; notre fenfibilité phyfique
avec notre délicateffe : nous laiffons fans regret
l’épée dans le fourreau.
Les foldats étant rarement feuls, parce que les
befoins les raffemblent, ayant ou devant avoir tou-
I jours avec eux des officiers ou des bas-officiers,