iens. Celui-ci montrait devant Timothée les blet-
fures qu il ayoit reçues, 6c fon bouclier percé d’une
pique ; Timothée, prenant la parole , dit : 6c moi,
quand j’afliégeois Samos, un trait étant venu tomber
près de moi, j’en fus honteux, comme m’étant
expofé en jeune homme, fans néceffité, ôc plus
qu il ne convenoit au chef: d’une 11 grande armée.
L’hiftoire romaine nous préfente une -foule
d exemples femblables. D ’abord celui du* conful
"Valerius dont on cache la mort à les foldats jufqu’au
moment où ils le font rendus les maîtres du capi-
tole. Au combat donné fur les bords de la Séris,
entre .les Romains 6c Pyrrhus, les Epirotes font
prêts à prendre la fuite , parce qu’ils croyent
que leur roi a été tué ; Pyrrhus ôte fon cafque,
parcourt la plupart des lignes , 6c fe fait recon-
noître ; les Epirotes jettent alors des cris de foie ,
qui font bientôt changés en cris de viéfoire. Dans
un combat entre les'Gaulois 6c les Romains , Po-
pilius Lena s’engage trop avant ; il eft blefle 6c
obligé de fe retirer dans fa tente : aulïï-tôt l’ardeur
des Romains diminue , ôc les Gaulois commencent
a avoir le deflùs; le général Romain reparoît, 6c
les Gaulois font repoülïés. Outre ces exemples ,
on peut voir encore la défaite des troupes de
Labiénus par Cæfar, celle de Civilis par Vocula;
d’Arnegifan par Attila ; du général Léon par le roi
des Bulgares ; de Scélérus par Phocas ; enfin , de
l’u'urpateur Brienne par l’empereur Michel. Boto-
niate.
L ’hiftoire moderne fournit aufîi des exemples
frappants des vérités que nous avons avancées. A la
bataille d’Elney , donnée en 1006, entre les Danois
ôc les Anglois, un Danois apperçcit un foldat
qui reffemble beaucoup au général Anglois: il lui
coupe la tête, ôc la montrant toute fanglante aux
ennemis, il leur crie r voilà la tête de votre roi.
Les foldats , découragés par ce fpe&acle , font fur
le point de prendre la fuite , quand Edmond , leur
général ôcleur roi, reparoît : il fend la preffe, lève
la vifière de fon cafque , fe fait reconnoître , ôc le
combat eft rétabli. A la fameufe bataille de Li-
gnitz, en 12 4 1 , entre les Polonois ôc les Tartares,
ce ne fut point une force magique qui rendit ces
derniers victorieux , mais la mprt du général Polonois.
A Aurai , un bruit confus fe répand que
Montfort eft mort, ôc la victoire va fe ranger du
côté de Charles de Blois ; Montfort fe montre,
diffipe par fa préfence l’alarme que les clameurs
des ennemis avoient jettée dans l’efprit de
fes foldats, ôc la victoire redevient incertaine ; a
fon tour Charles eft preffé ; il reçoit une atteinte
mortelle ; il tombe , ôc alors, malgré la valeur de
du Guefclin , Montfort eft victorieux. Le'fuccès
de la journée d’Agnadel eft douteux jufqu’à l’inftant
où d’Alviane , renverfé de deflùs fon cheval, eft
blefle Ôc fait prifonnier. Valeureux Nemours, votre
mort ravit aux François les avantages de la victoire
que vous veniez de remporter. On fçait que le
Connétable de Bourbon, blefle mortellement à j
l’attaque de Rome, ordonna qu’on le couvrît d’un
manteau, afin que fes foldats ignoraflent le malheur
qui venoit de lui arriver. On fçait encore qu’il
répondit lui-même à ceux qui, en paflant auprès de
lu i, demandoient où eft le général : alle^ , alle^ ,
Bourbon marche devant.
L’abbé de Vertot rapporte, dans fes Révolutions
de Portugal, un fait fi inftrudtif en ce genre , qu’on
feroit pr-elque tenté de le croire le fruit de l’imagination
de l’hiftorien. Mullei Molluc va livrer une
bataille décifive à Mullei Mahamet, fon compétiteur
au ttône de Maroc ; il eft attaqué d’une maladie
mortelle ; cependant il fe fait voir à fes foldats,
range lui-même fon armée, ôc, après avoir donné
.touts les o'rdres néceflaires, il commande aux officiers
dont il eft environné, que, s’il expire pendant
la chaleur du combat, on cache avec foin la nouvelle
de fa mort ; que, pour entretenir la confiance
des foldats, fes aides de camp s’approchent à l’ordinaire
de fa litière, ôc feignent de prendre fes ordres.
Après un combat opiniâtre qui a confumé le peu
de forces qui ieftent à Molluc, il tombe évanoui ;
fes écuyers le rapportent dans fa litière ; à peine
y eft-il arrivé, qu’il met le doigt fur la bouche ,
comme pour renouveller l’ordre qu’il a donné, ôc
il expire.
Dès l’inftant que Warvick eut été tué à Barnet
Je refte de l’a&ion ne fut plus qu’un carnage
effroyable. Dans des temps plus rapprochés du
nôtre, on peut voir la célèbre bataille de Lutzen
que les Suédois gagnèrent, mais dont ils ne tirèrent
aucun avantage \ parce que Guftave y fut la victime
de fa fougueufe valeur; celle de Nordlingue,
où les ennemis ne combattirent plus dès que Merci
eut reçu une atteinte mortelle ; la malheureufe
journée de Salsbach, journée dans laquelle Turenne
comptoit recueillir enfin le fruit de touts fes travaux
, ôc après laquelle les François s’eftimèrent
trop heureux de n’être pas entamés dans leur retraite
; qu’on voye encore la fécondé bataille
d’Hochtedt, où la déroute devint complète auff-
tôt que Tallard eut été pris ; le combat de Caflano
dont le fuccès n’eft plus incertain dès que les blef-
fures qu’Eugène a reçues , l’obligent de fe retirer;
l’attaque des lignes des François fous Turin, où
les Impériaux commencèrent à mollir dès qu’ils
crurent que la mort leur avoit enlevé leur général,
ôc où ils reprirent courage dès qu’Eugène reparut;
enfin nous croyons avec Villars qu’il eût obtenu le
triomphe le plus complet ôc le plus glorieux, s’il .
n’eût étéjfleffé à Malpjaquet; ôc, pour terminer
dignement ces recherches, nous allons emprunter
les expreflions du vertueux père de notre jeune
roi , ÔC nous tranfportant avec lui fur le champ
de Fontenoi, nous dirons que c’eft la vie du général
qui eft la plus précieufe le jour d’une bataille.,
• D’après ces autorités ôc ces exemples, les généraux
craindront-ils encore de compromettre leur
gloire en n’expofant point leur vie ? Ne peut-on
pas regarder comme prouvé qu’ils doivent employer
leur courage a captiver leur bravoure, ôc , fuivant I
l’expreflion de Scipion, agir en capitaines, Ôc non I
pas en foldàts ,, r, . v • / , 1
Mais cette valeur fi fouvent retenue ne doit-elle J
pas aufli quelquefois avoir un libre cours ? Il s agit J
de faire une percée décifive ou de rétablir le coin- j
bat ; les troupes balancent, flottent ou reculent ;
la préfence de leur général peut opérer une révolution
heureufe; elle peut ranimer le courage Je
ramener la vi&oire. Quand la perfonne du général
eft expoiée, le danger difparoît aux yeux du ioldat ;
il ne voit que fon chef; il ne craint que pour lu i, ôc
v, il fait les plus grands efforts de bravoure pour le
garantir ou le délivrer des périls. Que le général
s’élance donc alors, ôc, tel que Scipion contre les
Carthaginois dans la Betique , ou tel que Cæfar
contre les Nerviens ôc à la bataille de Munda,
qu’il vole où il voit le plus grand défordre ; qu’il
mette pied à terre; qu’il fe précipite au milieu des
ennemis , ôc il fixera la viôoire fous fes drapeaux.
Mais pourquoi chercher des exemples dans
l’antiquité ? L’hiftoire moderne de l’Europe n’en
fournit-elle pas plufieurs , ôc les faftes, François
fur-tout n’en offrent-ils pas fous chaque règne ôc
dans chaque campagne l O u i, fans doute ; ôc c’eft
précifément parce qu’ils en préfentent un trop grand
nombre, que nous avons cru néceflaire d’accumuler
les autorités pour convaincre le général qu’il
doit réprimer fa valeur ôc régler fa bravoure ; qu’il
d oit, avant de fe précipiter au milieu des ennemis ,
avoir calculé avec beaucoup de froideur ôc les iuites
heureufes de la viéloire, Ôc les dangers que fa mort
feroit courir à la patrie. Ce calcul, effet néceflaire
du fang-froid ôc de la tranquillité d’ame, loin d’être
contraire à l’honneur bien entendu ôc à la véritable
bravoure, eft exaélement conforme aux loix que
l’un ôc l’autre impofent.
§. V I I I .
Du courage•
Si les occafions où le général pourra faire éclater
fa bravoure ôc fon intrépidité font rares, il en trouvera
fréquemment, où il aura befoin de déployer
le courage le plus énergique, la fermeté la plus
mâle, ôc la grandeur d’ame la plus héroïque. Avant
de parvenir au commandement, de quelle fermeté
n’a-t-il pas eu befoin pour facrifier les plaifirs qui
naiffent en foule fous fes pas , au défir de commander
avec gloire. Combien de fois fa grandeur d’âme
ne s’eft-elle point montrée au milieu des difficultés
qu’il a dû furmonter dans la longue carrière qu’il
a déjà parcourue ? Mais enfin fon mérite eft reconnu,
il va paroître furie grand théâtre du monde,
voyons la conduite qu’il y tiendra s’il eft vraiment
courageux.
Dès le moment qu’il eft défigné pour commander
les armées, il nomme à fon maître celui qu’il
croit plus capable que lui de remplir dignement
les fondions de général ,6 c il le fupplie au nom
de, la patrie de le choifir à fa place. Telle fut la
conduite de Richemont, de Cliflbn ôc de C oucy ,
quand leurs fouverains voulurent leur confier l’épée
de connétable Ôc le commandement dés aimées.
Eft-il cependant obligé de céder aux defirs Ôc aux'
volontés de fon prince ; il ne fait plus d’attention
au poids du fardeau qu’il s’impofe ; il ne veut plus
voir que ce poids eft augmenté encore par les contrariétés
dont on accable celui qui fe dévoue à le
fupporter ; il ne fe fouvient plus que les courtifans ,
envieux du pofte brillant qu’il va occuper , profiteront
de fon abfençe pour lui porter les atteintes
les plus cruelles ; oubliant enfin qu’il laifle fon
prince au milieu de fes ennemis, il ne fonge qu’à
triompher de ceux de la patrie. Le partage Ôc l’incertitude
dans le commandement peuvent nuire
aux fuccès, une autorité fans bornes eft néceflaire
au général tout ce qu’il demande donc à fon
maître c’eft de lui accorder u*e confiance fans
réferve.
Bientôt après, le général travaille avec les mi-
niftres, il traite des opérations qu’il doit entreprendre
, du plan qu’il doit fuivre ; de la force ,
de la compofition de fon armée ; de quel courage
n’a-t-il pas beloin pour fe maintenir entre une fermeté
opiniâtre ôc une condefcendance fervile. il
prend ici pour modèles ou Weimar avec Richelieu ,
ou ce qui vaut encore mieux , Turenne ayec
Louvois. ...
Il quitte la cour , il vole au champ de Mars ;
il va montrer une humeur égale dans l’une ôc
dans l’autre fortune , de la modeftie dans le bonheur
, de la confiance dans les drlgraces, de la
fermeté dans les dangers , de la patience dans les
travaux, de la réfolution dans les projets, ôc de
la juftice dans la diftribution des récompenfes. II
facrifie fans fafie fon repos au maintien de la discipline
, Ôc à la fureté de fon armée ; il oublie les
intrigues de la cour , les plaifirs de la v ille , les
intérêts dé fa maifon , Ôc même , quand il le faut
jufqu’aux liens du fang ôc aux noeuds de l’amour
ôc de l’amitié ; il impofe filence aux impétueux
defirs de la vengeance ; il ferme l’oreille au venin
piquant de l’envie , ôc aux fons doux & flatteurs
des louanges ; il aime , il accueille la vérité fous
quelque afpeél qu elle fe préfente, ôc enfin il Fofffe
à fon maître Ôc à fes miniftres.
Pour nous former une idée nette du courage
néceflaire au chef d’une armée, fuivons-le dans
les différentes circonftances où il peut fe trouver.
On vient de livrer un combat dont les ennemis
ont remporté tout l’avantage,, que fera le héros
dans ce moment critique.
Que d’autres admirent B ru tus, Caton , Caffius
j ôc touts ces Romains célèbres, qui pour ne point
| furvivre à leur défaite fe procurèrent une mort
1 facile ÔC prompte ; qu’on loue un général qui après
| une bataille perdue fe précipite au milieu des en-
I jnemis, Ôc dit à ceux qui lui propoftnt de fe retirer ;