d’autant plus animés au combat, que le butin à
efpérer étoit plus confidérable ». J’ai oui dire à
plufieurs officiers de réputation, que le prince
Eugène de Savoie s’étoit fervi en Flandres de je
ne lçais quel prétexte pour donner ordre à touts
les officiers d’envoyer pour quelques jours, dans
un certain lieu marqué, la plus grande partie de
leurs équipages ; que ce général, s’en voyant
débarrafté , défendit de les faire revenir julqu’à
nouvel ordre , & paffia ainfi toute la campagne
exempt de l’incommodité d’un gros bagage.
Evitez que dans votre armée on ufe du pain, du
vin , de l'avoine &. de l’eau des puits ou des
marres que vous trouvez dans les places ou pays
des barbares, fans être affuré , par l’épreuve que
vous en ferez faire lur quelques prifonniers, que
les ennemis' n’ont pas laiffé toutes ces choies
empoifonnées. Je trouve ce même avertiflement
dans les maximes de guerre de l’empereur Léon ; ÔC
faint Thomas , commentant ce proverbe de Salomon
, buveç L'eau de votre citerne , dit : « par l’eau,
toute forte de nourriture eft comprife , & principalement
la boiffon dont il faut fe défier davantage
, mais dont on peut plus facilement découvrir
la tromperie ; parce que toute chofe étrangère
eft contraire à fa nature & à fa pureté.
L ’armée de l’empereur Conrad fut ruinée, parce
que les Grecs mêlant du plâtre ôede la chaux dans
la farine qu’ils vendoient, la plupart des Impériaux
moururent pendant la marche en allant à la guerre
de la Terre-Sainte.
Quoique les ennemis empoifonnent les vivres
ôc les eaux, évitez de commettre une femblable
infamie, parce qu’il y auroit du crime à les imite
r , Ôc la viéfoire eft honteufe quand on l’obtient
par une pareille voie*
Les hiftoriens rapportent que le conful Marcus
Aquilius avoit terni toute- la gloire qu’il avçit
acquife dans la guerre de Pergame , par l’infamie
qu’il çornipit en empoifonnant les fontaines de
FA fie.
. Si vous connoiflez qu’on a empojfonné les vivres
ôc les eaux , vous ferez brûler les vivres , Ôc ayant
fait fermer les puits ou les marres, vous ferez ouvrir
une quantité d’autres puits dans des endroits un
peu éloignés , & vous y mettrez des fentinelles ,
pour éviter que quelque faux déferteur ou quelque
gutre de la nation ennemie n’en approche pour
les empoifonner. On deftinera deux ou trois de
çes puits nouvellement ouverts pour les prifon-
niers, les déferteurs ôc les payfans qui viennent
du pays ennemi à votre armée fous prétexte d’y
vendre des vivres, ou pour quelque autre motif.
Lorfqu’il n’y a que deux ou trois jours de marche
pour arriver à des rivières ou à des fontaines
q u i, par l’abondance de leurs taux ou par fa force
de leurs courants, ne fçauroient nuire par un
poifon qui ne peut pas y lubfifter, votre armée
portera de i’eau pour fa marche, de la maniéré que
j’îi dit que l’gvoient pratiqué les ^rméçs dç l’empereur
Charles V , deMetellus, de Marîus, d’Iphï-'
crat & de Pompée.
L’empereur Léon , dans fes maximes de guerre,
veut encore que, pour préferver les troupes contre
les flèches empoifonnées des barbares , ôc autres
fers de leurs armes, les foldats 6c .les officiers
portent quelque remède pour le prendre dès qu’ils
fe fentiront bleffés.
Caton d’Utique , commandant contre Caifar
l’armée qu’avoit eu Pompée ? marchoit pour aller
J joindre Scipion, Acius Varus Ôc le roi Juba ; ÔC.
comme il devoit traverfer des pays où il y avoit
quantité de ferpents , dont les piqûres étoient fort
dangereufes, une de fes principales attentions fut
de mener avec lui un nombre de certains hommes
appellespifiles, qui-fçavoient guérir les piqûres de
1 ces ferpents.
Si vous portez la guerre dans un pays éloigné ÔC
fort différent du vôtre , informez-vous s’il n’y a
pas de certaines chofes dans ce pays, qui, bonnes
dans le vôtre , font très nuifibles dans celui-là, ÔC
| ayez foin d’en avertir votre armée , afin que les
troupes s’abftiennent de ce qui pourroit beaucoup
les incommoder. Foye^ les exemples fiiivants.
Dans plufieurs _ endroits de l’Italie , 6c prefque
dans tout le Levant, on tombe malade dès qu’on
dort en campagne pendant la canicule, 6c Xéno-
phon rapporte que, venant de Perfe, il arriva à
un certain endroit de Colchos où touts ceux de
fes foldats qui mangèrent du miel devinrent fous ,
6c qu’après quelques jours ce miel les ayant fait
beaucoup évacuer , ils étoient retournés dans leur
bon fens.
Chacun fçait que dans quelques provinces de
nos Indes il y a des fruits magnifiques à la vu e ,
femblables à ceux d’Europe, mais fi dangereux
que ceux qui en mangent meurent prefque furie
champ : 6c Hernan Cortès éprouva , dans la
province de Tafcala, que touts ceux qui fe bai^
gnoient dans la rivière de Zahabal ou qui buvoiçnt
de fon eau devenoient couverts de gale.
Plutarque rapporte que Marc-Antoine quittant
le pays des Parthes, quelques - uns de fes foldats
mangèrent certaines herbes qui d’abord les rendirent
fous , & peu après leur causèrent la mort, 6c
qu’avant dWriver à Araxe , ils trouvèrent une
rivière fi pernicieufe, que quiconque buvoit de
fon eau reffentoit une foif extrême 6c des douleurs
extraordinaires dans les entrailles , quoique cette
eau lût claire 6c fraîche ; 6c que l’on trouva que
le remède efficace contre ces herbes, qui faifoient
devenir fou, étoit de boire du v in4 ainfi il n’eft
pas inutile de fçavoir comment on peut remédier
à touf5,r ces accidents , au cas qu’il arrive que
quelques officiers ou quelques foldats, foit pour
avoir méprifé l’avis, on pour ne s’en être pas ref-
fouvenu, ayent ufé de ces chofes dangereufes dans
, un pays.
Je fuppofe que, pour, quelque motif que çe puiffq
Itre , yous n’approcherez p a s de plufiewfs lieues
d’un pays infeéfé de pefte, ou de quelqüe maladie
épidémique confidérable , 6c que vous ne permettrez
pas qu’aucun tambour ou trompette, que les
ennemis , fous quelque faux prétexte , pourroient
peut - être envoyer pour introduire la contagion.
dans votre pays ou parmi vos troupes , approche
de votre camp ; les premiers qui viendront des
pays contagieux, ÔC les déferteurs ennemis , feront
mis dans un lieu écarté, où on leur fera- faire une
rigoureufe quarantaine , avec toutes les précautions
qui s’obfervent dans les ports de mer , 6c particulièrement
dans ceux qui font voifins du Levant.
Je donne cet avis en traitant des nations barbares,
parce que la pefte eft fouvent parmi elles, 6c fur-
tout parmi les Turcs du Levant.
Guichardin prétend que certaines troupes affligées
de la pefte avoient, de deffein prémédité, envoyé
quelques hommes à l’armée de M. de Lautreck,
& que la maladie s’y étant par-là communiquée,
elle avoit été en peu de temps-ruinée. Quelques-
autres auteurs, qui paroiffent moins paffionnés,
n attribuent pas la perte des François à un fi infâme
artifice de leurs ennemis, dont ils ne parlent même
pas, ôc attribuent à un motif tout différent là maladie
des François.
Si vos troupes paroiffent s’effaroucher de la 1
nere cpntenance 6c de l’afpeéf des barbares , or- I
donnez-leur de fe retrancher , ôc n’aventurez pas j
un combat général ,jufqu’à ce que vos foldats,
accoutumés à les voir 6c à les battre dans des
efearmouches , perdent cette frayeur, que la pure
■ nouveauté de voir de tels ennemis leur caufe.
Comment un prince qui fuit une guerre ojfenfive doit
fe comporter a l egard des.^princes neutres,
J’ai fait voir par quels moyens une guerre offen-
live ne fera ni défaprouvée des fujets ni fufpe&e
aux princes neutres ; mais comme je n’ai traité
cette matière que par rapport au feul commen- s
cernent de la guerre, je me fuis réfervé à la retoucher
dans le cours de cet ouvrage , à mefure
que^ les matières le demanderoient : je ne répé-
dprai n n(i POinti^ CG ^u e î’en ai déjà dit. Donnez
t/n. n S ib° - T Sr V?,S con<3uètes qu’elles n’exci-
tent pas la jaloufie d un puiffant prince neutre
fur-tout s'il eft d'un génie" défiant%mbitieux &
guerrier., parce que la fureté de fes états & fon
inclination naturelle pour la guerre pourroient plus
tacilement lui faire rompre le neutralité. I
fcn 1 ^07, Louis X I I , roi de France , voyant
que fon entrée avec fon armée dans l’Italie mettoit >
B BjBÜB pinceurs princes , qui pouvaient s'unir j
contre lu i, fit retirer fes troupes dès qu’il eut
u jugue Genes, qui s’étoit révoltée contre lui.
Alors 1 empereur Maximilien n’eut plus le même !
M 1U arguent pour exciter contre la France j
comm? 1 é,a? ? deS P™ ces d’Allemagne, qui i
commencèrent a fe refroidir, par rapport an fpcours
q u ’ils l u; a v o ie n t p rom is » p a r c e q u ’ils c o rn - I
prireut que les François s’étant retirés, l'empire
n’avoit pas lieu de craindre , comme l’empereur
le, donnoit a entendre , que les domaines de fa
dépendance fuffent envahis par le roi de France.
Une des raifons qui portèrent Ptolomée Pbilo-
metor, roi d’Egypte , à abandonner Antioche,
après 1 avoir foumife , fut pour ne pas donner de
la jaloufie aux Romains ; ainfi, il céda à Pémé-
trius Nicanor ce pays, dont il venoit de dépouiller
Alexandre Balez.
Je crois encore que la prudence demande de ne
pas etendre fi lofiilyos conquêtes, que les alliés
meme de votre prince puiffent craindre quelque
choie pour leur liberté ou pour leur commerce.
L auteur du manifefte anglois, touchant la pair
conclue entre les deux couronnes & la reine Anne
dit que quoique les Anglois, dans la précédente
cubent parfaitement compris qu’il leur
leroit facile & avantageux de faire des conquêtes
dans les Indes occident les, ils n’avoient pas voulu 1
les entreprendre, pour ne pas donner de la jaloufie
aux Hollandois leurs alliés , qui n’auroient pas vu
de bon oeil que les Anglois , ayant mis le pied
dans ces Indes, leur enflent ënleyé une partie du
commerce qu’ils y font.
_ Celui qui. montrera une envie démefurée de
taire des conquêtes, s’attirera les princes neutres
pour ennemis , parce que chacun d’eux ayant lieu
a appréhender que le conquérant ne veuille envahir
leurs états, ils fe ligueront totits contre Jui
pour le détruire.
d r 6S princes voifins du royaume de Démétrius
rolicrate, voyant que ce roi alloit, fans s’arrêter
de conquête en conquête , n’eurent pas beaucoup
de peine a comprendre que fi tout d’un coup ils
ne fa,forent pas touts les efforts poflibles pour
soppofer a Demétnus, fon ambition le porterait MB! ! Il «pris les antres,Pde lents
états & des-lors touts ces princes fe liguèrent
enfemble, plus par crainte que par haine^ontre
Demetnus, qui perdit fon royaume, au lieu de
faire de nouvelles conquêtes.
, J'ai propofé ci-devant un autre moyen pour
cviter que vos trop grandes conquêtes ne vous
attn-em une guerre de la part des princes nemres
« Une puiffanec, félon Strada, ne s’accroh pas’
toujours en s’étendant davantage,,. Lucain nous
ehCs-mê^es.6S ^ ^ ^ * - 1 “
Leconfeil qu’Augufte, dans fes mémoires manuicnts,
a la,(Te a touts fes fucceffeurs à l’empire
Romain, de ne pas etendre plus loin Iës"jimhes
c f jenï ” je ’ Teft tres conforme aua fentiments de
Strada & de Lucam. Outre la raifon que l'exemple
de Demétnus m’a fourni, je ’trouve encore d’autres
motifs^ qui doivent vous obliger de donner des
bornes a vos Conquêtes, quand même votre deffein
ferai, de recommencer 1* guerre après quelque péd
de temps de paix Je tire le p r e m i e r l X d C
obfervation que Ricaut a faite dans fon hifloire