
encore bien loin de la fupériorité qu’on doit de-
firer en eux; par e lle , ils feroient valeureux &
obéiiTants , mais elle ne leur rappelleroit pas qu’ils
font hommes, qu’ils font citoyens, Si qu’à ces
deux titres ils doivent avoir des vertus lociales ;
c’éft à la morale à leur donner ces vertus effen-
tielles à leur félicité, à leur gloire, & à celle du
peuple qu’ils fervent.
Nous croyons ne pouvoir 'mieux' terminer nos
réflexions fur la difcipline militaire, qu’en tranf-
crivant ce que ' le maréchal de Noailles écrivit
au roi Louis X V , le lendemain de la malheu-
reufe affaire de Dettingen ; « c’eft à la feule difcipline
des ennemis , à la lubordination des officiers,
Si à l’obéiffance aux commandements qu’on doit
attribuer les manoeuvres qu’ils ont faites hier ; c’eft
avec douleur que je fuis obligé de dire a votre
majefté que c’eft ce qu’on ne connoît pas dans
fes troupes, "& que fi on ne travaille poipt avec
l’attention la plus férieufe &;4 a plus fuivie a y
remédier, les troupes de votre majefté tomberont
dans la dernière décadence. ». (C . ).
; Comme il n’y a point de troupes lans lo ix ,
il n’y en a point fans difcipline , & les nations
les plus guerrières ont eu la difcipline la plus
exaâê. Voyons d’abord ce qu’elle étôit chez les
deux peuples les plus' célèbres de l’antiquité.
De la difcipline che%_ les Grecs, ■
Au fiège de Troy e , le chef de l’armée avoit
droit de tuer les foldats qui , par lâcheté, fe te-
noient loin du combat. ( llidd.Tib. 11. v. 8. IV.
4 ° 9 - )* _
Le général d’une armée Grecque etoit puni,
s’il avoit agi d’une manière nuifible à la république
& lans fon ordre : mais , dans le cas de
aéceffité, il lui étoit permis , fuivant un ancien
ufage , d’agir de la manière qu’il juge oit la plus
utile. ( Xênoph. Hifior. Grcec. L. V. p. 558. A . ).
Un polemàrque Spartiate pouvoit faire arrêter
par les locagues & leurs troupes le citoyen qu’il
jugeoit coupable d’un crime digne de mort. ( id.
L . T. p. 5 5 7 . D . ) .
A Lacedemone , celui qui, ayant la garde d une
Cortereffe , la rendoit à l’ennemi, lorfqu’il pouvoit
efpérer d’être fecouru , étoit puni de mort. Ceux
qui rendoient un pofte & livroient leurs armes ,
étoient notés d’infamie, déclarés incapables d’exercer
les emplois' publics , d’acheter & de vendre.
£ Ib. ïbid.p. 568. C. Thucid, L. V.p. 308. A . B. ),
La punition du foldat qui avoit quitté fon rang ,
étoit de refter debout en tenant fon bouclier,
pendant un certain temps : ceux qui fe glorifiaient
d’une grande exaéfitude dans le fervice , regar- 1
doient ce châtiment comme une,ignominie, celui
qui perdoit fon bouclier, encouroit la note d’infamie.
Celui qui refufoit de combattre pour la j
patrie , étoit puni de mort. ( Xenöph. Hiß. L. III. 1
p. 481. D . Lycur$. contra Leocrat. ). |
Lè général qui entroit fans ordre fur lés terres
d’une autre république , étoit puni de mort. ( Xe»
noph. L. V. p. 570. C, ).
Dans Athènes , le général rendoit compte de
fa conduite à la fin de Ion expédition. S’il n’avoit
pas rempli fon d e v o i r , il étoit condamné à une
amende. Quand fon bien n’y fuffifoit pas , les
enfans en étoient refponfables jufqü’à ce que la
dette fût acquittée , ou que le peuple devenu plus
ihdulgent leur en eût fait la remife.
En temps de paix , les généraux étoient auffi
jugés par le peuple. Lorfqu’ils ne rempliffoient pas
les devoirs de leur office , ils étoient defiitués à la
prochaine éle&ion. Quelquefois même Ü les man-
doit avant cette épo qu e, leur faifoit rendre compte
de leur conduite , ôc s’il les trouvoit coupables *
les puniffoit en proportion de leurs fautes.
Un général convaincu de trahifon , étoit condamné
à mort. ( Diodor. L. XV. p. 402— <oj.,LK
XVI. 47 7 — 5 8 6 .^ .) .
T o u t citoyen qui négligeoit de fe faire infcrire
•fur le catalogue , ou de le prél'enter lorfqu’il étoit
appellé pour quelque expédition, étoit noté d’infamie.
La loi détendoif qu’il gérât aucun office;
vo tâ t dans les affemblées du peuplé , entrât dans
les temples , affiftât aux facrifices & cérémonies
publiques. Elle l’excluoit de l’afperfion luftrale
dans les affemblées & de l ’honneur d’obtenir des
couronnes. Elle condamnoit aux mêmes peines
ceux qui abandonnoient leurs poftes.
Il étoit défendu à tout citoyen de mettre fes
armes en gage , quoiqu’elles lui appartinffent.
Comme il ne pouvoit fçavoir fi la patrie auroit
befoin de fes fervices ayant, qu’il pût les retirer ;
i l s’expofoit à manquer au premier & au plus
faint de touts les devoirs j il en étoit puni fuivant
l’exigence du cas. ( Ariftophan. Plut, in fchol. ).'
Ce lu i qui commettoit des excès & violences dans
le camp, en étoit chaffé ignominieufement. Le luxe
étoit défendu dans les camps ; ceux qui fe le pér-
m e tto ien t, en étoient piinis par des impôts confi-
dérables. (Lep. in Simon. Demoflh. in Mid. ).
• Ce lu i qui abandonnoit fon rang dans le comb a t,
étoit déclaré infâme , privé -du droit de voter
dans les affemblées , & d’entrer dans le temple ;
s’il contrevenoit à cette défenfe , il étoit permis
à tout citoyen de le dénoncer au confeil des onze
qui le faifoit traîner en prifon , & le traduifoit
devant les juges criminels. ( Eschiti in Cteph. Lep..
}n Theomnefl. ).
Celui qui jettoit fon bouclier ou quel qu’autre
partie de fon armure pour s’enfuir plus promp-t
tement, étoit déclaré infâme. ( Ulpian. in Tirnocr. ) .
Les transfuges Si les traîtres qui avoient formé
le deffein dé livre r une place , ojud’introduire l’ennemi
dans le camp , étoient-punis de mort ; s’ils
ne pouvoient être pris , leurs biens étoient confisqués
; on les barmiffoit, &. il étoit défendu de
les inhumer dans le territoire de la république.
(Demoflh. Philip. 111.).
Celui
C e lu i qui étoit pris en combattant contre fa patrie
, étoit lapidé. ( Xenoph. Hijl. L. 1.p. 4 3 4 - C ).
: A T h è b e s , les généraux qui gardoient le commandement
d’une armée au-delà du temps pref-
c r i t , étoient condamnés à mort. ( Appian. Syr. -
P• “ 4 - C.). H
Che z les T h u r ien s , colonie Grecque , une loi
de Charondas condamnoit ceux qui refufoient de
sfarmer •pour la pa trie, ou qui abandonnoient leur
troupe pendant la guerre , à être expofés dans
la place publique pendant trois jours en habits de
femme.
De la difcipline çhe%_ les Romains.
« L a févérité de la difcipline, dit Valère Maxime,
fut la garde la plus fainte de l’empire Romain.
Elle a fa it , dit Cicéron , la célébrité de Rome ;
elle a couvert cette ville d’une gloire éternelle ;
elle a contraint la terre d’obéir a fon empire ».
L a difcipline Romaine eut ces grands effets ,
tant que l’amour de la patrie en fut la b a fe , que
les moeurs furent faintes , qu’on refpeéfa la vertu
pauvre , que l’éclat des richeffes ne voilà point
une v ie honteüfe , que les crimes furent déteftés ,
qu’on ne fit pas des vice s un amufement, Si que
la proftitution , le v o l , l’adultère , ne furent pas
appellés le fiicle.
La première & principale obligation que la
difcipline impofa , fut la ‘plus entière obéiffance.
O n connoît la févérité de Manlius plus citoyen que
père , &. celle de Papirius qui ne céda qu’aux
fupplications du Sénat Si du peuple. C e furent
ces grands exemples qui maintinrent la difcipline
dans les armées Romaines pendant plufieurs
fièeles. C e fut la profonde impreffion qu’ils avoient
faite dans touts les efprits , qui conferva dans le
camp de Scaurus cet arbre chargé de fruits , Si
q u i , Tous l’ empire même , au moindre figne du
g én é ra l, fufpendoit les coups de touts les foldats
dans une v ille abandonnée-à leur fureur. ( Liv.
L. Vlll. C. 7 . de R. 4 13 . av. J. 340. C. 30 de R.
428. av. J. 325. Jof. bell. jud. L. 11. C. .18. ).
Enfreindre la difcipline , c’étoit trahir la patrie.
U n e punition fevère & certaine rendoit rare cette
efpèce de crime. A mille pas de Rome , le général
avoit fur toute fon armée une puiffance ab-
foluè. Il pouvoit juger f e u l , & la lentence étoit
fans appel : mais il affembloit le plus fouvent un
confeil de guerre. ( Liv. L. III. Cïcer. Leg. L. 111.
initio. ).
Les tribuns , fous l’autorité du co n fu l, infli-
geoiènt les amendes , recevoient les cautions ou
les gages qui étoient quelquefois des haftes., Si
cette efpèce de caution étoit nommée cenfio haf-
raria. .Ils pouvoient auifi punir par les coups ,
Si ce droit appartenoit également aux centurions.
C eux -ci portoient une tige de vigne ; c’étoit
pour eux une marque de d ift in â io n , Si l’inftru-
ment de cette peine. La févérité plus ou .moins
Art militaire. Tome IL
grande du centurion régloit le nombre des coups.
Dans la révolte des légions de Pannonie fous
Tibere , lés foldats tuèrent le centurion Lucilius
qu’ils avoient furnommé cedo alieram , parce
q ue, lorfqu’il avoitbrifé une tige de vigne lur le
dos d’un foldat , il en demandoit une autre
Si une autre encore. C e châtiment n etoit pas
regardé comme .déshonorant. Pline d it, vitis in
deliSlis panam ipfam honorât , etoit. re.ferve aux
citoyens Romains. Scipion, au fiège de Numance ,
faifoit punir les foldats. qu’il trouvoit hors de leur
rang, les Romains par des coups de tige de vigne »
les étrangers par le bâton. Si le foldat puni ré-
fiftoit Si retenoit le cep de vigne , m étoit mis
dans une troupe inférieure ; s’il le brifoit ou s il
portoit la main fur le centurion , il était puni de
mort. ( Tacit. Annal• L. I. p. 9* ad fin. Jufi. Lips.
40. P lin. L. XIV. C. L Liv. epitom. 57. Macer.fi.
de re mïlit.).
Les liâeurs exécutoient ceux que le conful condamnoit
à perdre la vie : ils les frappaient d’abord
avec les baguettes , Si enfuite avec la hache*
Lorfqu’un manipule , une cohorte , une légion ,
ou même une .armée s’étoient rendus coupables de
lâcheté ou de défobéïffance ,.le général en condamnoit
à mort la dixième' partie ; ce châtiment regardé
comme ignominieux puniffoit tous les foldats
par la crainte , & un petit nombre par le fupplice.
Alors le tribun affembloit l’armée , expofoit les
circonftances Si l’énormité du d élit, faifoit tirer
au fort *tous les foldats^ & enfuite exécuter la
fentence ; le refte de la troupe coupable étoit le
plus fouvent condamné à recevoir de l’orge au
lieu de froment, Si à camper hors du retr^nche-
men, ( Polyb. L. VL C. 36. ) * f
Lorfque le confeil de guerre avoit condamné
un aecufé au fuftuaire., le tribun le tou choit avec
un bâton, auffi-tôt les foldats, armés de bâtons
Si de pierres, le frappoient Si le tuoient le plus
fouvent; fi quelques-uns en réçhappoient, il ne
leur étoit pas permis de revenir dans leur patrie :
leurs parents même n’auroient ofé leur donner un
afyle. Ainfi tous ceux qui fubiffoient cette peine
périffoient miférablementw
Sous Tibère les centurions puniffoient eux-
mêmes les foldats en certaines circonftancss, non-
feulement par les coups de baguette , mais par la
mort. Dans la fédition des troupes de Pannonie ,
Drufus en fit tueries principaux auteurs, les uns
par des centurions, les autres par les foldats des
cohortes Prétoriennes, quelques-uns par ceux de
leur décuries. ( Tacit. anal. L.,i , p. ç . )
Dans celle dés légions de Germanie, les foldats
eux-mêmes jugèrent Si punirent les féditieux. Ils
les conduifirent à C. Centonius , légat de la première
légion ; celui-ci les fit monter iur le tribunal
l ’un après l’autre , Si les montra aux foldats qui
tenoient leurs.épées nues; s’ils crioient que celui
qui leur étoit préfenté étoit coupable , il étoit jette
en bas du tribunal, & tué auffi-tot. Germanicu*
C c