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les ennemis entreprirent le liège de cette place.
• Après le combat d’Oudenarde l’armée de M. le
duc de Bourgogne s’étoit retirée derrière le canal
de Bruges à Gand, pour la protection de ces
deux grandes villes , ôc M. le comte de la Mothe
commaqdoit un corps détaché du coté de la mer,
pour favorifer les convois 3 qui ne pouvoient plus
venir à notre armée que par le canal de Nieuport
à Bruges.
M. le maréchal de Berwick, q u i, comme je l’ai
dit ailleurs, n’avoit pu arriver en Flandres.qu’après
M .le prince Eugène, avoitfait entrer toute l'on infanterie
dans les places du Hainault, de l’Efcaut
& de l’A rtois, 8c il étoit avec fa cavalerie derrière
la S carpe.
L ’armée principale des ennemis , commandée
par M. de Marlborough , s’étoit avancée jufqu’au-
pres de Menin. Celle de M. le prince Eugène étoit
vers la Dendre, pour couvrir les places du Brabant.
Voilà- quelle étoit la pofition des deux
armées, depuis le temps du combat d’Oudenarde,
jufqu’au jour de l’inveftiture de Lille.
On pouvoit bien penfer que l’ennemi ne pou-
voit former & exécuter une aulîi grande entreprife,
avec les feules munitions de guerre ôc d’artillerie
qu’il avoit dans Menin ; ôc l’on a vu pendant un
temps confidérable, qu’il faifoit venir de Hollande,
par Je grand Efcaut, jufqu’à Bruxelles , une'prôdi-
gieufe quantité de munitions de guerre êc d’artillerie.
De Bruxelles cet amas ne pouvoit être conduit
devant Lille que par terre. -La diftance de ces
deux villes eft de vingt-deux à vingt-trois lieues ;
& l’on voyoit que nos ennemis allembloient fept
à huit mille charriots pour le tranfport de leurs munitions
, fans qu il foit entré dans l’efprit d’interrompre
cette affemblée de voitures , ce qui a été
une premièrè faute. Ces voitures affemblées &
chargées fe font miles en marche , 8c dévoient au
moins faire une file de cinq lieues , qui n’étoit protégée
depuis Bruxelles jufqu’à la Dendre, que d’un
corps'de quatorze à quinze mille hommes.
Comment peut-on comprendre que l’ennemi,
dans une fi grande étendue , ait pu fi bien couvrir
cette longue file,'que ni l’armée dèM. de Berwick,
ni celle de M* le duc de Bourgogne, n’ayent rien
entrepris fur ce convoi ? C ’elt ce que perfonne
de bon léns ne comprendra jamais. De la Dendre
à l’Efcàut l’efcorte du convoi fut fortifiée d’un corps
de cavalerie détaché de l’armée de M. de Marlborough
ainfi ce convoi arriva fur l’Elcaut fans
aucun inconvénient, & donna le moyen à l’ennemi
de commencer le fiège de Lille.
Le convoi, quelque grand qu’il fût, ne pouvoit
av-oir porté à l’ennemi de quoi finir un fiège de
cette conféquence ; ôc il aûroit été- forcé d’aban^
donner fon entreprife , fi nous n’avions encore
trouvé le moyen défaire afiez d’autres fautes pour
lui rendre l’exécution de fon projet poflible. Voici
ce que nous fîmes.
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Notre armée principale quitta le camp de Lo-^
vendeghein, ne laiffant qu’un corps d’infanterie
dans Gand, ôc marcha à la Dendre , où elle joignit
l’armée de M. de Berwick. De-là ces deux
armées marchèrent à Tournai, où elles pafsèrent
l’E fcaut, à deffein de lever le fiège de Lille par
un combat.
Pendant ce temps-là , on ne veilla point fur les
convois qui pouvoient fortir de Bruxelles ; de forte
qu’il en paffa encore plufieurs petits, qui arrivèrent
touts au camp devant Lille , fans qu’il y ait jamais
eu un feul charriot enlevé : défaut d’attention bien
confidérable de notre part.
Enfin, lorfque l’armée du roi fe fut retirée de
la Margne, fans avoir combattu les ennemis, &
qu’on eut pris la réfolution de les forcer à abandonner
le fiège de Lille, faute de munitions pour
l’achever , on forma ce grand ceintre dont j’ai
parlé ailleurs. -
M. le duc de Bourgogne & M. de Vendôme
occupoient avec l’armée principale l’Artois , la
Scarpe , 8c le pays depuis Tournai jufqu’à Gand;
M. le comte de la Motthe eut le foin du ceintre
depuis Nieuport jufqu’à Gand ; & au centre de ce
ceintre étoient toutes les forces de nos ennemis ,
bien occupés des moyens de fe procurer des
vivres & des munitions de guerre.
Par cette nouvelle pofition des armées , on voit
que les ennemis ne pouvoient plus rien tirer de
Bruxelles ; auffi n’y penfoient-ils plus. Ils ne fon-
geoient qu’à vivre de l’Artois & de nos châtellenies
, en quoi on ne leur fit jamais trouver artcune
difficulté. Ils imaginèrent défaire venir par Oftende
ce qui leur manquoit de munitions de guerre pour
achever le fiège de Lille, où plufieurs fois ils ont
été un nombre de jours confidérable fans tirer un
feul coup de canon faute de poudre.
Ils ne fuffifoit pas à nos ennemis de faire entrer
dans Oftende leurs munitions de guerre. Ils étoient
les maîtres de la mer, & les armateurs de Dunkerque
n’interrompoieat en rien leurs tr&nfports
de Hollande & d’Angleterre. La difficulté qui pa*
roiflbit infarmontable , étoit de tirer ces munitions
d’Oftende pour les conduire par des charrois jufqu’à
Leflinghen , que M. le comte de la Motthe leur
avoit laiffé occuper , ou jusqu’au bord de l’inondation
formée des eaux du canal de Nieuport ; de faire
paffer l’inondation à des voitures pour charger les
munitions , & enfuite de les conduire à Lille.
M. le comte de la Motthe, qui depuis quinze ou
feize ans avoit toujours été employé à Ypres & à
Bruges , & qui par conféquent devoit connoître le
pay s , ne s’eft jamais oppofé àtôut ce que les ennemis
ont imaginé , pour tirer leurs convois d’Oftende
; il lui auroit pourtant été bien facile de fe
fervir plus utilement qu’il n’a fa it, des forts de
-Plaffenclael 8c de Nieuwendam, 8c même de Nieu*
port ; d’empêcher ainfi que les ennemis ne tiralfent
continuellement des convois d’Oftende , avec toutes
les difficultés naturelles qu’ils avoient à vaincre. II
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ne fe feroit pas fait battre à Winer.dalt par un corps
infinimentinférieur à celui qu’il avoit ; ôc il auroit
détruit, & le convoi 6c l’efcorte, s’il avoit été un
peu plus attentif qu’il ne le fut. _ ,
Il fçavoit que les ennemis étoient dans la né-
ceffité abfolue de tirer leurs munitions de guerre
d’Oftende , pour achever le fiège de Lille. Pourquoi
, à l’aide de Plaffenclael, ne s’eft-il pas placé
avec un corps confidérable plus près d Oftende ?
Et pourquoi n’a-t-il pas été continuellement en
attention depuis Plaffendael jufqu’a Nieupprt ?
Pourquoi a-t-il fouffert que les ennemis s eta-
bliffent à Leffinghen ? Pourquoi n’en a-t-il pas détruit
le pont d’avance ? 6c puilqu’il avoit des barques
armées à Nieuport , pourquoi a-t-il fouffert fur le
canal 6c fur 1 inondation, un feul bateau de quelque
conftruétion qu’il pût être ?
La fuite de tout ce manque d’attention a été
précédée de celle du combat de Winendall, qui
en ayant été une des principales caufes , m engage
, àen rapporter ici quelques fingularités.
Les ennemis, à la faveur de toutes ces négligences
, avant la fortie du grand convoi d’Oftende ,
qu’on auroit pu détruire entre Oftende & le canal,
parvinrent à Winendall malgré bien des difficultés.
M. de la Motthe étoit parti de Bruges avec trente-
fix bataillons 6c foixante-deux efcadrons , dans le
deffein d’attaquer leur convoi.
On a peine à comprendre pourquoi il a préféré
de prendre fa marche par Oudembourg 6c le
long du canal jufque près de Ghiftel , qui eft un
pays fort ferré 6c coupé, plutôt que par le grand
chemin de Bruges à Winendall, qui effùn pays plus
ouvert; pourquoi, quand il eft enfin arrivé à la
vue des ennemis , placés dans les bois de Winendall
, ayant de groftes haies en avant fur leurs flancs
garnies d’infanterie , il les a attaqués.
Comme fon principal objet étoit celui, de détruire
le convoi, il n’avoit qu’à tourner le bois ,
qui étoit fort petit. Il feroit tombé fur ce convoi ,
6c l’auroit facilement détruit; après quoi il feroit
revenu fur l’efcorte, en cas qu’il l’eût encore retrouvée
; 6c fi elle lui étoit échappée, ce naiiroit
pas été un grand inconvénient , puifqu’il auroit
réuffi dans fon principal objet, dont les confé-
quences auroient été la levée du fiège de Lille ,
faute de munitions pour le continuer.
Des enlèvements de convois.
Les enlèvements des convois fe fon t, ou dans
un pays ferré , ou dans un pays ouvert.
Si on attend le convoi dans un lieu ferré , il
faut être placé ôc embufqué longtemps avant qu’il
arrive ; fôigneux de n’être point découvert ; laiffer
engager le convoi dans le défilé ; ne l’attaquer que
lorfque tout ce qui pourra y entrer y fera entré ;
6c en charger l’efcorte en même temps en tête ,
au milieu 6c en queue.
Il n’y faut employer que de l’infanterie : elle
Art militaire, Tome II»
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î fe cache plus aifément, dételle les chevaux pm»
■ promptement, 6c fe retire avec plus de facilite au
j gros de l embufcade , qui doit toujours fe tenir en-
lëmble, pour éviter que l’efcorte du convoi ne
fe raffemble , ôc ne batte les affaillants.
Si l’on attaque le convoi dans une plaine , 1 etn-
bufcade doit être de cavalerie, éloignée du lieu
où paffe le convoi, caçhée ou dans un bois, ou
derrière un rideau. Elle doit être féparee en p u-
fieurs. corps ; les gros chargeront l’efcorte ; les
petits détachements dételleront promptement »
prendront les devants dans la retraite ; ôc tout le
refte de la cavalerie fe rejoindra, pour atlurer le
butin 6c le ramener en fureté. . .
Lorfque j’ai dit qu’il faut que l’embufcade loit
un oeu éloignée du lieu où paffe le convoi, c elt
parce que l’officier qui eft chargé de fa conduite ,
pour peu qu’il fçache fon métier , a toujours lur
les flancs de petits détachements pour découvrir
ce qui peut venir à lu i, 6c ne s approche., point
du bois dans le voifinage duquel il doit paner ,
- qu’il ne l’ait fait fouiller , avec d’autant plus de
raifon, que comme cette efcorte eft prefque toujours
de cavalerie 6c d’infanterie, lorfqu’elle craint
d’être attaquée en plaine par la cavalerie , elle
s’enferme dans les charriots , pour spmpecher
d’être forcée ; 6c par le feu de fon infanterie ,
placée derrière les chevaux 6c les charriots , elle
empêche qu’on ne puiffe dételler aifément ; étant
bien rare que l’enlèvement du convoi puiffe etie
fait ft commodément, qu’on en puiffe oter a 1 ennemi
jufqu’aux charriots, ôcles conduire avec leurs
charges en lieu fur, 6c hors de portée d etre repris
par l’ennemi. :
Ainfi , comme l’avantage de l’enlèvement d un
convoi A bit de vivres, foit de munitions de guerre,
ne confifte qu’à ôter à fon ennemi les vivres ou
les munitions de guerre dont le convoi eft charge ,
il fuffit prefque toujours d’en amener les chevaux,
& d’en brûler ou rompre les charriots, autant qu il
eft poflible de le faire.
R E M A R Q . t r ES.
Je ferai feulement remarquer ic i , par quelques
exemples appliqués à mes maximes , quels ont ete
les inconvénients des convois difficiles quon a
laiffé paffer. t
Si en l’année 1673 M. de Montecuculi n avoit
pas enlevé le convoi de pain qui fortoit de Wirtz-
bourg , pour i’armée de M. le maréchal de Tu-
! renne , il eft certain que ce general ennemi n au-
I roit pu forcer M. de Turenne à abandonner laFran-
; conie , pour aller chercher du pain a Philifbourg ,
1 6c qu’ainfi, n’ofant laiffer l’armée du roi au milieu
j de l’Allemagne , 6c dans le voifinage des états he-
• réditaires de l’empereur, fans lobferver de pi es,
; il lui auroit été abfolument impoffible de marcher
; au bas Rhin, d’y arriver avant M. de Turenne,
j Ôc de fe joindre aux Hollandois 6c aux Elpagnols.