
Former une troupe en bataille , c’eft placer fes
divifions , l’une a côté de l’autre , fur la hauteur 8c
la profondeur prefcrite par les ordonnances. Former
une troupe en colonne , c’eft placer fes divisons
, l’une derrière l’autre ; dans cette difpofition,
la profondeur totale eft ordinairement plus grande
que le front.
Former un foldat, c’eft l’accoutumer à la discipline
, & lui enfeigner les exercices militaires :
former un officier , c’eft lui apprendre à obéir 8c à
commander.
FO R T IF ICA T IO N . Arme défenfive immobile.
Celle-ci a été fans doute *la première de fon
genre. C ’eft la nature même qui l’a indiquée. Le
premier homme q u i, étant attaqué par un adver-
faire plus fo r t, a eu le fentiment de la foi'blelTe * a
dû chercher à y fuppléer. U n buiflon, un rocher , '
le tronc d’un arbre lui aura fervi de fortification.
îvous ne voyons pas aujourd’hui en général que
les fauvages en ayent d’autres. Et comme le fond
naturel Sert toujours de bafe à la culture la plus ,
parfaite , nous employons encore cette fortification
primitive dans les attaques particulières & Subites.
'Nos troupes fe couvrent dé 'huilions & de troncs
d’arbres à l’attaque d’un bois : en plaine elles fe faillirent
de l’avantage d’un ravin , d’un folle , d’une
haie. La haie naturelle a fait imaginer l’artificielle ,
ou 1 abattis. Le rocher aura donné l’invention de
la muraille lèche ; lg ravin celle du parapet fait de
la terre d*un folié..
Ces premières fortifications ont défendu les premières
demeures, d’abord contre les bêtes féroces,
fuppofé que l’homme, pour attaquer, ait eu befoin
de leur exemple; enfuite contre les hommes qui
les ont imitées. L.es habitants de la nouvelle Zélande
emploient toutes ces efpèces de fortifications,
des parapets quelquefois hauts de vingt-deux pieds
depuis le fond du folié , qui en a quatorze ; des
paliflades inclinées en dehors , enfoncées profondément
fur le haut du parapet, & au bord extérieur
du folié, des avant foliés , des plateformes de
vingt pieds de haut fur fix de large , d’où ils peuvent
lancer des traits 8c des pierres ; des paliflades
de dix pieds de hauteur qui environnent leurs habitations.
Qn retrouve cette fortification au nord de
l ’Amérique ; une, deux & quelquefois trois enceintes
de paliflades , entrelalfées de branches
d’arbres qui ne laiflent aucun vuide , & ordinairement
des créneaux à la dernière. Voilà les commencements
de l’art dans tours les pays : par-tout,
plutôt ou plus tard, il commence & finit de même.
Un parapet & un folié -, ou une fimple muraille,
mirent les premières demeures à l’abri d’une attaque
fubite. Jofephe attribue à Caïn l’invention des
murs ; Sanchoniathon aux frères de Chfyfer , qui
découvrit l’art de travailler le fer ; & Pline à
Thrafon. Cependant il parut que les villes furent
long-temps fans enceinte, du moins en quelques
pays,. L’hiftpirg nous apprend qu’en Egypte, Ucho- I
rée entoura Memphis de parapets de terre & d é
foliés-, qui la mirent également à l’abri des ravages
du Nil & des infultes de l’ennemi. Dans l’A fiy r ie ,
Sémiramis entoura Babylonede murailles. Saba, que
Moïfe affiégea en Ethiopie, & qui fut enfuite nommée
Meroé par Cambyle , étoit environnée de
murs. L’île dans laquelle elle étoit fituée avoit plu-
fieurs , digues qui la défendoient contre le Nil 8c
contre l’ennemi.
Tant que 1 efcalade fut la feule manière d’attaquer
les places , une fimple enceinte fuffi-
foit. Lorfqu’on eut imaginé des machines pour
approcher à couvert, battre, ébranler 8c ruiner
les murs ; on vit facilement que l’afliégeant par-
venu-au pied d’une muraille droite n’étoit plus vu
de la place, Sc tr-availloit en fureté. On vit que
. ceîte' iureté diminuoit dans les parties'où le terrein
avoit forcé la muraille de former un angle en ren-
' tra^t‘ L’expérience apprit que cette défenfe trop
oblique étoit imparfaite ; que la nature ne la don-
noit pas toujours ; 8c que l’ennemi trouvoit fou-
. ye*11 dés parties où elle étoit nulle. L ’art y fupw
pléa en interrompant la ligne droite par des parties
faillantes que l’on nomma tours. Alors on fut en
état de voir l’ennemi lorfqu’il s’approchoit de la
courtine ou partie de muraille qui joignoit en-
fembîe deux tours. De plus , une tour découvrit
I au.tre & fervoit à la défendre. Ainfi on dut les
éloigner entr’elles de la portée du trait.
Il paroît que les premières tours furent, comme
l'enceinte , compoféas de parties droites , c’eft-à-
dire d’une face 8c de deux flancs, qui fuivant la
conétruéHon la plus fimple, furent fans doute perpendiculaires
, tant à la courtine qu’à la face de la
tour. On ne fut pas long temps à s’appercevoir
que cette face avoit à peu près le défaut de la
muraille fans tours , c’eft-à-dire qu’étant parallèles
aux deux courtines collatérales, elle n’étoit vue
d aucun endroit de la place. On y remédia en
arrondiflant la tour, qui fut mieux défendue, mais
la courtine le fut moins, parce que la défenfe
qu’elle trroit de la tour fut moins dire&e.
Ce furent les cyclopes, fuivant Ariftote , 8c
les Tyrinthiens , fuivant Théophrafte, qui inventèrent
les tours. Il y en avoit à Ninive 8c à Babylone
; mais y furent-elles dès la fondation de
ces v illes, ou furent-elles ajoutées par les rois qui
aggrandirent 8c embellirent ces villes ? Leur forme
générale peut donner une idée de celle que lés
grandes villes de plaine avoient alors. Ninive for-
moit un quarré long de quatre cents quatre-vingts
ftades de circuit, ou environ dix-huit lieues. -Les
murs avoient environ quatre-vingt-dix pieds de
hauteur, 8c allez de largeur pour que trois chariots
y puffent courir de front. Les tours étoient
une fois plus hautes que le mur , 8c il y en avoit
quinze cents : ce qui donne environ trente toifes
de l’une à l’autre.
Babylone formoit un quarré dont chaque côté
[ avoit cent vingt ftades. Les murs étoient hauts
d’environ deux cents quatre-vingt-douze pieds,
larges de foixante. Chacun des cotés avoit vingt-
cinq portes, 8c trois tours de l’une à l’autre , mais
feulement dans les parties les plus foibles où cette
défenfe étoit néceflàire. Chaque tour avoit cent
pieds au deflùs du mur, 8c l’intervalle de l’une à
l’autre étoit à peu près de cent vingt-cinq toifes.
Il eft vraifemblable que cette forme fimple étoit
la plus ordinaire , 8c que les fondateurs de ces
villes ont feulement aggrandi un modèle primitif
beaucoup plus ancien. On y peut obferver , 8c la
gradation de l’a rt, 8c celle des idées de faftè 8c de
magnificence. Avant les tours d’attaques 8c les
béliers , un fimple mur donna aux affiégés un
grand avantage. Il n’y falloit alors ni beaucoup de
hauteur ni beaucoup d’épaiffeur ; mais lorfque les
afliégeants employèrent les forces méchaniques ,
H fallut leur oppofer une plus grande réfiftance,
avec des murailles plus hautes 8c plus épaifles.
Les puiflances politiques médiocres la proportionnèrent
au befoin; les grands empiresd’Orient, à
l’exaltation de leurs idées de fafte 8c dç grandeur.
Ces monarques , qui fe difoient rois des rois, qui
vôuloient affujettir la terre, dont ils ne connoif-
foient qu’une petite partie, dévoient bâtir Babylone
8c des pyramides.
Cependant, fi nous nous tranfportons dans ces
anciens temps, 8c fi nous en confidérons les moeurs,
nous trouverons que ces grandes villes étoient né-
ceffaires jufqu’à certain degré. Le pillage étoit
l’objet principal des guerres. Les villes étoient un
lieu de retraite 8c de fureté. Dès que l’ennemi pa-
roifloit, les peuples s’y retiroient avec touts leurs
biens. S’ils avoient multiplié ces efpèces d’afyles
dans les pays de plaine, cette divifion les auroit
affaiblis , parce qu’une petite ville eft plus facile à
prendre par une armée médiocre , 8c qu’elles l’au-
roient toutes été l’une par l’autre. On trouva donc
que pour réfifter, il falloit fe réunir en un grand
corps de nation ious une même puiflance , que
pour mettre à l’abri du pillage les richefles de cette
nation , il falloit une grande ville entourée de murs
pour ainfi dire inexpugnables. On eut de petites
villes pour habiter pendant la paix , Memphis ,
Ninive, Babylone , pour réfifter aux incurfions.
Ces villes n’étoient pas peuplées, à beaucoup près
comme les nôtres, relativement à leur grandeur.
Elles contenoieut une grande étendue en terres
cultivées, utiles pendant les liages pour les fnbfif-
tances, néceflaires en tout temps pour prévenir
dans cès climats chauds les épidémies.
Les habitants des pays montagneux, étant plus
a l’abri par la nature de leur fo l , eurent plus tard
des villes fortifiées. Il paroît que celles de Canaan
»’avoient.que de fimples murs, lorfque les I-fraé-
Htes entrèrent dans ce pays. Jérufalem n’eut peut-
etre de tours que fous le règne d’Ofias y 8c lorf-
qu on la rebâtit ; elle n’en eut pas* plus de quatre.-
Le meme roi Ofias fit conftruire des tours aux
entrées 8c paflages du défert, ç’eft-à-dire > de h
partie la plus montagneufe du p a y s , 8c la plus
fterile. Cette fortification pouvoit tout au plus
fervir , par les garnifons, à réprimer quelques
troupes de brigands. Quelques peuples anciens en
ont fait de très étendues, à defiein d’arrêter de
grandes armées. Sefbftris oppofa aux incurfions.des
Syriens 8c des Arabes un mur qui s’étendoit de
Pelufium à Heliopolis, dans l’efpace d’environ
cinquante-fept lieues. Cette efpèce de retranchement
, deftiné à réprimer des courfes faites à cheval,
n’eft propre qu’à cet objet. C ’eft dans la même
vue que les Chinois ont conftruit leur grande
muraille contre les Tartares, 8c que ceux de la
Crimée ont fermé la gorge de leur prefqu’île par
les lignes de Précop. On peut l’employer aufli
contre des peuples peu inftruits dans l’art de la
guerre, comme il paroît que Trajan le fit dans-
la Da ce, pour réprimer les barbares qui habitoient
laBeflarabie ;on voit encore en Moldavie quelques
reftes de parapet 8c de, folié que l’on croit avoir
fait partie d’une ligne qui s’étendoit entre l’Ifler
8c le Tyras , depuis l’embouchure de l’Arareus y
aujourd’hui le S y re t, jufqu’au lieu où eft maintenant
Bender. Telles furent les lignes d’Adrien dans*
J la Bretagne, pour contenir les Calédoniens. Elles
s’étendoient de l’embouchure de la Tine, fur la
côte orientale, à un golfe de l’occidentale, nommé
aujourd’hui Solwaifiet, 8c avoient environ vingt-
.• fept lieues de long. Sévère , trouvant fans doute
cette étendue trop difficile à- garder, fit conftruire
une autre ligne d’onze lieues ,• entre la?
pointe du golfe de Bodotrie,. aujourd’hui d’Edimbourg.,
8c la Glota ou rivière de Clyd.
L’art de fortifier eft refté dans ie même étatÿ
tant qu’on n’a pas eu pour ruiner les remparts de
moyens plus puiflants que le bélier 8c les mines
anciennes. Lorfqu’on a eu la~poudre 8c le canon*
il a fallu leur oppofer des murs plus folides , 8c
en difpofer les parties avec un art fupérieur. On
a abandonné les tours , parce qu’elles étoient trop
petites, qu’elles fournifloient trop peu de défenfe *
8c n’en donnoient aucune à quelques parties du
rempart, auxquelles le mineur pouvoit s’attacher
fans aucun -danger. Elles- étoient d’ailleurs trop
foibles pour réfifter au canon, fur'tout celles de
forme ronde , qui peuvent toujours être battues
perpendiculairement. On y a fubftit-ué les battions,
plus grands, plus folides , 8c qui préfentent un
angle a l’afliegeant, donnent moins de prife au boulet
, parce qu’il ne fait que glifler fur- les faces , à
moins qu’on n’approche du flanc les batteries ; cç
qui oblige à les couvrir par des épaulements..
L’époque de l’invention des battions eft inconnue.
Quelques auteurs l’attribuent à Z ilca, chef
des Huflites , d’autres à Achmet-Bafla, qui, ayant
pris Otrante en 1480 , fit, drfent-ils, fortifier cette
ville, avec lès battions qu’on y voit encore aujourd’hui...
Maffexy dans fa Verona iüufirata,, en
donne la gloire à un ingénieur de Vérone , nommé
I San M i ç j id l8c il-.fe fonde, fur- ces* deux- raifens ^