
habitants, afin que les autres polies ne le défen-
diffent pas avec obftination.
Le bruit d’un bon traitement que les habitants
d’une ville de l’Inde avoient reçu d’Alexandre-le-
Grand, après l’avoir conquife , fuffit pour que les
autres fe rendiffent fans répugnance.
En 1510, M. de Chaumont , chef des François,
qui, avec les Allemands que le prince d Anhalt
commandoit, vouloit fe rendre maître de Vicenze
au nom de l’empereur Maximilien, voyant que
le prince s’obflinoit à ne vouloir ufer d’aucüne
clémence avec fes peuples, lui reprefenta que,s il
les traitoit aufli mal qu’il le difoit, les autres,
plutôt que de tomber entre fes mains , fe defen-
droient jufqu’à la dernière extrémité.
Oflorius commandoit en Angleterre les troupes
de l’empereur Claude contre les Silures, & il lui.
échappa de' dire , que comme, après avoir exterminé
les Sicambres , on' avoit conduit le refte
dans les Gaules, il en falloir ufer de même manière
à l’égard des Silures. Cette feule parole lui
coûta cher ; car elle fuffit pour infpirer une obf-
tinée réfiflance aux Silures, qui firent un terrible
carnage des troupes de l’empereur.
Du pillage , & des moyens de récompenser les troupes
p a r un autre avantage proportionné à celui dont
cette défenfe les prive.
Il y a des occafions ou il ne faut pas feulement
donner le pays au pillage , mais on doit abfolu-
ment le détruire & le brûler , comme je le dirai en
fon lieu. « Il y a un temps pour la mort & pour la
fan té', un temps p o u r bâtir & pour détruire».
Généralement parlant, je ne trouve pas de plus
grand abus dans’ la guerre que celui des pillages ,
puifquau lieu de ce châtiment on peut punir les
peuples par contribution en argent, en chevaux
«ou en vivres , qui fendront à récompenfer les
troupes , & dont on fera une jufle répartition pour
elles , pour les magafins & pour le tréfor du prince.
Le marquis del Vafto , gê' Antoine de Leybas,
étoient parfaitement perfuades de cette maxime,
lorfqu’en 15 2.6 ils ne voulurent pas permettre que
la ville de Milan fût donnée au pillage à l’armée
Espagnole. >x , ...
Comme je parle ailleurs de la manière de dii-
tribuer , avec une jufle égalité , toute forte de
prife & de butin , examinons feulement à préfent
quels font les inconvénients des pillages.
Lorfqu’avant le pillage le général n’aura pas eu
le temps de connoître touts les particuliers, de
mettre des fauves-gardes aux temples & aux mai-
fons de ceux qui ne méritent pas d’être punis,
& des patrouilles pour empêcher le délbrdre,
tout fera confondu , le fujet fidèle & l’ennemi,
l’innocent & le coupable , les lieux facrés & les,
profanes, & l’avidité du pillage fera caufe d’une,
infinité de morts , même parmi les vôtres , qui
s’entretueront les uns les autres ; d ailleurs, les
ennemis voyant dans un péril évident leur Vie
& l’honneur de leur famille, ne croiront pas niquer
beaucoup en cherchant dans leur vengeance
la fin de leur malheur ; & réfolus à la mort, chaque
maifon vous coûtera plufieurs hommes.
Ce furent, je penfe, ces confidérations qui déterminèrent
fa majeflé catholique, par un efprit
de chriflianifme, &. M. le duc de Berwick, par un
effet de fa prudence ordinaire, à" empêcher que
Barcelone ne fût prife d’affaut ; car vingt mille
hommes s’étant déjà rendus maîtres de fept brèches,
& quelques régiments de la droite étant déjà entrés
par une équivoque dans la ville , les autres,
au contraire, eurent ordre de fe retrancher, afin
qu’à la vue du danger éminent dont les Catalans
étoient menacés , la raifon leur fît prendre la réfo*
lution de fe foumettre.
Comme le pillage réduit les habitants à une
extrême pauvreté, il efl ordinairement fuivi de
maladies épidémiques, qui ne tardent guère de
fe communiquer aux troupes de la garnilbn & du
voifinage. Nous l’avons vu à Lerida, fans pouvoir-
l’empêcher, iorfquenous fûmes forcés de prendre
cette ville d’aflaut. Le plus ordinaire efl que les
habitants, à qui le pillage ne laiffe pas le moyen
de v iv r e , abandonnent leurs maifons ; car l’inclination
du foldat- le porte à brifer ce qu’il ne
peut emporter ; &. alors ces habitants fe vangent
du conquérant, en réduifant en un défert inutile
ce qui devoit être une conquête avantageufe pour
lui. ' ^ -
C ’efl par cette raifon que Platon blâme les Grecs
d’avoir, même dans les pays des barbares, brûlé
les villes, ou de les avoir données au pillage.
Alexandre Ifiane , ambaffadeur des Etoliens^
difoit, qu’il faut dans la guerre tâcher de vaincre
l’ennemi, mais qu’il ne faut jamais ruiner les
villes qui doivent être le prix de la viéloire.
D ’ailleurs , les habitants des villes , qui ont été
mifes au pillage, en abandonnant leurs maifons,
iront augmenter ' le nombre des ennemis , foit
par le defir de fe venger, fôit par la néeeffité de
chercher , dans la folde des troupes de leur prince,
un moyen de v iv re , & que le pillage ordonné
par le vôtre ne leur a pas laiffé.
Tite - Live rapporte que les Iflriens prirent
avec beaucoup d’animofité les armes contre les
Romains , quoiqu’ils fuffent très perfuades qu’ils
ne pôuvoient pas égaler leurs forces à celles de
Rome : mais comme les, confüls ou les proconfuls
Marcus Junius & Âulus Manlius avoient donné
leur pays au pillage , les Iflriens crurent qu’ils -ne
pouvoient plus trouver à vivre que dans les vols
& les pilleries de la guerre.
Il arrive dans les pillages que le foldat de .mérite
efl fouvent le plus mal partagé , & que lé plus
■ lâche fait le meilleur butin , non-feulement parce
que le hafard en peut décider, mais parce qu’un
foldat qui a de l'honneur, après être entré dans
une place ennemie ? fe tient auprès de fes dra^
peaux, jufqu’à ce que, n’y ayant plus rien à
craindre de quelque nouvelle défenfe de la part
de la garnilon ou des habitants, on nomme la
garde ordinaire & on permet aux autres de fe
détacher pour le pillage; mais le foldat, dont
î’avidité prévaut à l'honneur, ne s’embarraffe ni
de la fureté de fes drapeaux, ni de l’ordre pour
le pillage, & nous voyons dans le fac de toutes les
v ille s le s foldats en fortir moins riches que les
vivandiers , les valets & les vagabonds , qui ne
luivent les armées que dans cette.efpérance.
Dans le pillage d'Exea de los Cavalleros, un
fondât de ma compagnie, le plus poltron de tout le
détachement, fit lui feul plus de butin que tout le
régiment enfemble, parce qu’il fe débanda pour
aller piller, tandis que le régiment continuoit fa
marche pour aller occuper une batterie qui, d’un
pofte élevé, tiroit fur les affiégeants.
. Gyrus s obflina à ne vouloir pas permettre le
.pillage de la ville de Sartis ; parmi plufieurs raifons
quïl en apportoit : « c’efl que je fuis, difoit - i l ,
pleinement convaincu que ce feroit principalement
•les méchants qui en profiteroient ».
La charge du butin & l’avidité de le conferver
rend les troupes lâches dans l’occafion, & les em-
barraffent lorfqu’il s’agit de faire retraite ;_la plupart
des foldats qui périrent Iorfque Cortès fe
retira.du Mexique, furent ceux à qui il avoit in-
confiderement permis de f^ charger des tréfors
u 06 ,roy aume i c^r Iss uns fe trouvèrent em-
barraffes par le poids de ces richeffes, & les autres,
pour ne pas rilquer de perdre ce malheureux butin,
abandonnèrent leur rang fans obferver aucune
difcipline, qui feulé pouvoir les délivrer de l’op-
prelîion de la multitude.
: Quand même il n’y auroit pas ce rifque à craindre
, parce que les ennemis font éloignés , n’y
auroit-il pas toujours à appréhender que les foldats,
fé trouvant chargés d’argent , ou de certaines
hardes& effets -, qu’ils n’avoient pas auparavant,
& qu’ils n’auroient jamais cru avoir, ne penfent
plus qu’à abandonner le fervice & à fe retirer
dans leurs maifons-, comme cela arrive ordinai-
_ rement ?
_-.-Eumène fçaehant que l’équipage d’Antigonus,
ion ennemi, etoit a portée de pouvoir'être enlevé
, ne voulut pas le prendre, parce qu’il craignit
qu’un fi riche butin n’ôtât à fes foldats l’envie
de continuer.le pénible exercice de la gu'erre ;
& pour ne pas fe mettre dans la néeeffité de
prendre cet équipage, il fit faire alte à toute fon'
armee, fous prétexte de la rafraîchir, donnant à
entendre qu apres que les troupes fe feront dé-
laffées, elles feront mieux en état d’entreprendre
une expédition. En même temps il donna fecret-
tement avis à Ménandre, capitaine d’Antigonus,
qui commandoit fes équipages, de fe retirer promptement
fur les montagnes voifines , où la cavalerie
d Eumène ne put lui nuire. 1
Je dis enfin que le foldat enrichi par le butin [
fe livre a la débauche & néglige la difcipline : an
lieu que leur folde ordinaire, qui leur donne feulement
de quoi vivre, ne les diftrait pas de leur
devoir ; car li une fois, ils ont pris goût au pib.
lage , tout pays leur paraîtra pays ennemi.
Les peuples de Sparte délibérèrent longtemps
sus recevraient dans leurs villes les précieufes
dépouillés d’A thènes, conquifes par leur armée ,
Psfq? qu’il leur paroiffoit que fi ces grandes richeffes
venoient à fe répandre parmi les particuliers,
, elles détruiraient la févère difcipline.
Ayant enfin refolu de les recevoir, elles causèrent
tout le mal que ton appréhendoit, fur-
tout parmi les gens de guerre , qui s’adonnèrent
dabord au fafte & aux autres v ice s , dont leur
pauvreté précédente les avoit jufqu’alors exemptés.
i ite-Live rapporte que Scipion l’Afriquain,
apres avoir chaffé les Carthaginois d’Efpagne,
mit huit mille Romains pour garder le pays voi-
fin du Tuear, & que ces Romains fe fouievèrent,
parce que, accoutumés au-pillage & aux rapines dé
la guerre, ils ne pouvoient pas s’accommoder de
> q“ 1 les privoit de commettre touts ces
defordres, 6c qu’alors ils fe mirent à ravager les
pays amis. °
Raifon de ne pas laiffer des places confidérables
derrière foi.
Une des raifons que Bélifaire donnoit pour ne
pas laiffer des places derrière fo i, étoit que , s’en
étant rendu maître , on y trouvoit une retraite en
cas de déroute.
A . cette raifon de Bélifaire, qui doit paroître
bonne, on peut ajouter que toutes les fois que
vous laifferez une place derrière , la garnifon
pour petite qu’elle foit, incommodera continuellement
par fes courfes , vos convois &. les peuples
qui vous font fournis, & apportera toujours quelque
obftacle à cette communication journalière de
votre armée avec votre pays.
Dans un confeil que tint l’archiduc Albert, pour
y refondre fi l’on donnerait du fecours à la F ère,
l’opinion qui prévalut, fut qu’il n’étoit pas poffiblé
d introduire ce fecours fans laiffer derrière les
places de. Saint Quentin, de Han, de Guife , de
Peronne & autres , qui appartenoient à Henri IV ,
roi de France, dont les garnifons feraient libre-
ment des. courfes dans le pays de Flandres, ou
incommoderaient les convois de l’armée d’E -
pagne.
Les Flafcalteques , amis d’Heman Cortès, lui
confeillèrent dè ne pas paffer par Cholula pour
aller au Mexique , attendu que cette ville étoit -
forte par le nombre de fes habitants & par celui
des troupes qui y étoient ; « c’efl: par cette même
raifon , répondit Cortès, qu’il ne me convient pas
de la laiffer derrière n; & il s’avança d’abord pour
la fubjuguer. A fon retour du Mexique, avant de
rien entreprendre, il le rendit maître de la ville de