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m e t, la difçipline qu’on a adoptée, les peines qu’on j
leur fait fouffrir pour la défertion ; telles font les I
càufes principales parmi lesquelles, on peut claffer
celles infiniment trop nombreufes, qui contribuent,
parmi les ; foldats François , à la naiffance, au
progrès Ôc à la continuité de la défertion.
lncenflançe, caprice du coeur humain, caractère,
efprit national.
Si il eft dans la nature humaine que touts les
hommes naifient avec un penchant plus ou moins
for t, à la légèreté & à l’inconftance , & que chacun
d’eux faffe plus ou moins de cas de fa liberté ;
il n’en n’eft pas moins vrai de dire que ces différentes
qualités qui conftituent en partie le ea-
raélère de chaque homme, font infiniment fub'or-
données à la réunion primitive des hommes en
fociété , aux différents changements qu’ont fubi lés
loix de cette fociété, & qu’ils fubiffent encore
au pays qu’elle1 a habité 6c qu’elle habite, aux événements
qu’elle a éprouvés Ôc qu’elle éprouve, 6c
enfin aux différentes gradations par cm elle a paffé
depuis fa formation. Examinez l’homme de chaque
fociété ou de chaque gouvernement ; fùivez-le
depuis l’inftant où il fe réunit à d’autres ; voyezde
peu-à-peu s’écarter de la nature Ôç bientôt ne plus
lui appartenir 5 voyez-le devenir irzéfiftiblement
l ’homme de la fociété dans laquelle' il eft né ; voyez
cette fociété lui donner fes affeétions 6c fes paf-
fîons, l’affervir à fies opinions, à fes'coutumes,
dépraver fes penchants heureux en! les contraignant
avec fes mauvaifes loix, fatiguer fon ame
des-30uiiranc.es trop multipliées que lui procure
les arts, altérer en mille manières fa fènfibilité,
au lieu de la développer 6c de la fatisfaire, le
tourmenter de fefpérance 6c de la- crainte , lui
donner des habitudes fauffes ôf profondes, avec
l’ambition qui traîne à fà fuite le chagrin, l’inquiétude
longtemps prolongée 6c la contention
d’efprit ; enfin travailler de toutes les manières
fur fon organifation , 6c lui faire un caraélère
prefque toujours mauvais 6c vicieux.
_tA.infi dan§ touts les gouvernements qui font
déjà anciens, le défordre s’étend depuis le trône ,
jufqu’à la chaumière du pauvre, 6c tout y tend
à'arrêter 6c à contrarier les mouvements répara- :
tenrs qui pourroient rétablir l’équilibre 6c ramener ’
les individus à une plus heureufe harmonie, Ainfi
dans ces mêmes gouvernements, aucun des êtres,
qui y font fournis ne fe trouvent à leur place ,
çhacun voudroit en changer, de-là cette inquiétude
qu’augmente encore l’inconftance humaine,
Ja dépravation de l ’ordre, les maux dont nous
'fortunes la proie ; 6c ces anxiétés cruelles, qui, à
la douleur, -ajoutent la trifteffe, pire1 cent fois que:
la douleur, la trifteffe qui nous porte trop fou-
vent à notre deftruçfion ou à la diffolution de
l’ordre auquel nous nous étions fournis d’abord,
mais prefque toujours malgré nous.
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Nos maux phyfiques font donc devenus au*
jourd’hui aufïi multipliés que nos befoins, milia
caufes que l’on fouffre mal-à-prôpos concourent
à les faire naître, mille-autres circonftances les
maintiennent ; quand ils exiftent une fois , trop fou-
vent, on doit en convenir, ils font fi enracinés,
chaque ' génération les tranfinet fi intimement à
la génération qui lui' fuccède, qu’il faudroit une
volonté bien forte 6c’ bien confiante de la part
du gouvernement, pour parvenir à les détruire.
A ces maux qui femblent attachés à touts les
gouvernements, qui, en vieilliffant, ne fe font
oppofés aux abus que par des abus nouveaux,
fe joignent les caufes locales. En France, par exemple
, né fous tin'climat dont la température varie
fans ceffe, le François reçoit à chaque inftant des
impreflions nouvelles qui tiennent fon ame toujours
éveillée ; il eft donc aélif , impatient 6c mobile
comme l’air* qui l’environne ; tandis que
le fauvage indifférent, tandis que le Mufulman ,
froid 6c tranquille, vivant fans defirs 6c fans ambition,
né pçrtent jamais un regard curieux fur l’avenir,
le François eft tourmenté par unè aélivité
q ui, chez quelques-uns, deviènt lame de touts
les talents, chez prefque touts la caufe de leurs
peines, 6c cette aélivité n’eft qu’une efpèce d’ivrefle
qui le tient hors de lu i, 6c le fait courir après
fon bonheur qui lui échappe; pour vous en convaincre
, parcourez touts les états , examinez le
François dans chàcun, depuis le malheureux qui
mandie fon pain, jufqu’au grand feigneur, qui -
mandie des places; par-tout vous verrez l’inconftance
changée en befoin, pouffer chaque individu
du mécontentement au- defir, 6c du defir à l’intrigue
; par-tout vous verrez l’homme qui vient
d’obtenir ce qu’il follicitoit avec un fi grand acharnement
, ce qu’il avoit pôurfuivi avec une fi grande
conftâncè, n’être pas fatisfait 6c former de nouveaux
defirs.
Après des vérités aufïi inconteftables , forcés
de convenir que la défertion doit être.fouvent la
fuite du caraélère de légèreté de touts les hommes ;
compterez-vous pour rien cette légèreté ôc cette
incônftance qui-femble être 'la principale bafe du
caraélère françois ; compterez-vous pour rien
cette inquiétude .machinale, ce befoin de changer,
de lieu , d’occupation , d’état même , ce palfage
fréquent de l’enjouement au dégoût, qualités plus
communes chez eux que chez les autres peuples
de l’Europe, 6c ce feront ces hommes que la nature
, leurs opinions, votre gouvernement ont fait
inconftants 6c légers , pour l’inconftance 6c la légèreté
defquels vous ferez fans indulgence ; ce
feront ces hommes , plutôt enchaînés qu’engagés,
que vous voudrez punir d’infamie ou de mort,
lorfque leur caraélère leur rendra, j’ofe dire né-
ceffaire, *de rompre des chaînés que vous aurez
rendues trop pefantes 6c dont ils ne peu vent plus
fupporter le poids.
A ces caufes qui viennent toutes de l’inconf-,
tance
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fonce primitive de l’efpèce humaine bien plus forte
parmi nous , ajoutez que les foldats jettés prefque
fans le fçavoir dans le métier.pénible des armes,
y ont moins d’aifance, moins de liberté, moins
de profit que dans ceux qu’ils ont quitté fans réflexion
, que leurs peines y font trop peu payées,
leurs fervices trop peu recompenfés, 6c vous ne
pouvez plus être étonné que le caraélère national
reparoiffe avec empire , ôc les ramène à des'defirs
pour la liberté qui deviennent irréfiftibles.
Si vous voulez encore réfléchir que le foldat
tiré prefque toujours de la lie du peuple, fie
trouve tout-à-coup dans un état différent , qui
le rapproche par fes officiers 6c fes . garnifons,
de la nobleffe , de la bourgeoifie, des artiftes,
des artifans , 6c lui donne bientôt des,goûts
6c des defirs qui lui rendent plus infupportable
fon état, vous ferez forcé de convenir toujours'
davantage, combien en France, plus qu’ailleurs,
la légèreté, l ’inconftance, l’amour de la liberté
6c l’efprit national excitent puiffamment vos foldats
a la défertion. >
Efpèce d’hommes dont on compofe les armées.
Forcé comme on l’eft dans la conftitution actuelle
de- prendre pour foldat touts les hommes
qui fe préfentent, ou ceux que l’on peut féduire,
afin d’avoir au moins un fimnlacre de troupes ;
on s’occupe bien'peu de fçavoir fi l’homme que
l ’on enrôle a les qualités propres à faire un bon
foldat. Ainfi pour le phyfique, fon âge, fa tournure
, fa fanté, fa fo r c e fo n t bien peu mifes en
confidération ; on fçait qu’à feize ans on peut faire
contraéler un engagement, 6c inftruit par l’expérience
qu’à cet âge on eft plus aifé à être féduit
6c trompé qu’à tout autre, on a grand foin de
s’adreffer de préférence à de jeunes gens étourdis
6c inconfidérés, qui commençant à entrer dans
l’âge des paflions, 6c fentant le befoin d’une plus
grande liberté pour les fatisfaire , croyent devenir
leurs maîtres 6c fe fouftràire à la férule de
leurs parents, en endoffant un uniforme & prenant
une tocarde. Et dans quelle claffe de citoyens
■ encore trouve-t-on ces entants qui fe laiffent fé-
duire aufïi aifément par les propos 6c les pro-
meffes de,s recruteurs ?
Depuis la découverte du Nouveau - Monde ,
^augmentation des richeffes , la perfeélion 6c la
multitude des arts, le luxe enfin , ont multiplié
dans toute l’Europe une efpèce,-dè citoyens livrés
à des-travaux fédentaires qui n’exercent ni lie fortifient
le corps ; de citoyens qui , accoutumés à
une vie douce 6c paifible , font moins propres à
fupporter les fatigues , la privation des commodités
, 6c même les dangers que les robuftes 6c
laborieux cultivateurs ; mais, depuis que le nombre
des foldats .eft augmenté, depuis qii’ils font continuellement
retenus fous leurs drapeaux , depuis
jfpc-tout que le fervicè 6c la manière dont on y
<drt militaire. J'orne IJ
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eft traité , eft mieux connue, ne trouvant prefque
plus dans les campagnes des gens affez crédules
ou d’affez bonne volonté , c’eft dans les villes ôc
dans la clafle des citoyens dont nous venons de
parler, que l’on eft obligé de faire des levées.
De quelle efpèce d’êtres compofe-t-on donc les
armées ? D ’un grand nombre d’hommes que- leur
éducation , leurs habitudes , leur métier , leur
force machinale , ne rendent point propres à faire
la guerre ; qui, par conféquent, ne peuvent point
en prendre le g oû t, dont' une partie eft défolée
de s’être engagée, quand ils commencent à con»-
noître leur nouvel état , 6c dont le refte ne fe
feroit jamais enrobé, fi l’on n’avoit fait de l’en—
rollement un a r t, auquel il eft difficile qu’échappe
la jeuneffe étourdie : encore , fi l’on avoit foin
de proportionner à l’âge ÔC aux forces du jeune
foldat, l’inftruélion qu’on lui donne, & le fervic,e
qii’on lui fait faire ; mais , par un abus auquel
on n’a jamais affez fait attention , à peine un jeune
homme a-t-il été fignalé , que déjà on lui -*m-
pofe beaucoup plus de devoirs pénibles à remplir
qu’à un ancien foldat.
Quoi l vous voulez que cet homme , que trop
fouvent le caprice , lé dépit, le libertinage , un
moment d’ivreffe, les fupercheries des enrolleurs
ont fait foldat malgré lu i, que cet homme dont la
bonne volonté a été contrainte , à qui vous n’avez
pas même îaiffé le temps de la réflexion , ne fente
pas fortement le befoin de quitter un nouveau
genre de vie , auquel il voit qu’il n’eft point
propre , ôc dans lequel vous le forcez encore de
fe convaincre touts les jours qu’il n’a pas même
les qualités phyfiques qui lui feroient néceffaires ;
je ne dis pas pour le bien remplir , mais même
pour le foutenir.
Cependant ce n’étoit point affez d’avoir encouragé
6c permis d’abord les enrolleurs, de les avoir
tolérés enfuite ; à quelque degré qu’ils aient pu
porter l’art des enrobements , cçt art né pouvant
pas fournir les recrues dont on a befoin, on a
cru qu’il falloit y fuppléçr par des milices ; mais ,
parmi ces hommes tirés ait fo r t, pris fans choix ,
arrachés à leurs familles ÔC-à l’état , auxquels ils
s’étoi'ent: confaêrés ; fi une partie prend i’efprit ÔC
le goût de fon nouvel état, un grand nombre aufti
y périt de chagrin ôc de maladie.
Ainfi , parmi les hommes dont un ordre dû
! prince a fait des foldats , ôc ceux qui n’entrent
au fer vice que parce qu’on les a féduits 6c trompés
, vous en trouverez à peine quelques - uns ,
que vous puifliez-vous applaudir d’avoir pour
foldats , fur lefquels vous puiftiez compter , ôc qui
ne foient pas fréqitemtngnt tentés de renoncer à
leur état.
Mais., fi l’on néglige de rechercher dans l’efi-
pèce des hommes.dont on compofe les armées,
lès qualités phyfiques qui devroient en faire des
foldats fur-lefquels on pourroit compter , on néglige
encore bien davantage de rechercher en eu^