
tant de honte au v i c e , qu'il ne refte que le defir
d ’être vertueux.
D o n n e re z -v o u s à v o s recrues la liberté de
rompre leur engagement jufqu’au moment où ils
auront prêté leur ferment ? D è s - lo r s vous ferez
obligés de les traiter jufque-là a v e c plus de douceur
, de compatir davantage à leurs, foibleffes
ou à leurs befoins, ôc vous réuffirez mieux à les
habituer au nouveau genre de v ie auquel ils vont
fe foumettre.
Adopterez-vous le plan des garnifons permanentes
Ôc du travail de la plus grande partie de
vo s troupes? V ou s obvierez bien vite au double inconvénient
du mélange dès hommes de vos différentes
provinces dans le même régiment , ôc
des garnifons dans lès villes de guerre qui font
f i bien faites pour infpirer au foldat du dé goû t,
d e l’enn ui, ôc le befoin de s’en délivrer. Bientôt
chaque «régiment ne fera plus^ que l’affemblage
de plufieurs familles, toutes liées enfemble par
la même éducation ôc les. mêmes habitudes ; les
p a ren ts, les am is , les jeunes perfonnes mêmes
auxquelles v o s foldats adrelferoient leurs voe u x ,
tou t contribufcroit à les rendre plus fournis à la
difcipline , plus exaéls à leurs de vo ir s , Ôc plus attachés
à leur état ; que de raifons puiffantes pour
efpérer enfuite que la déferùon ne feroit plus un
mal auffi dangereux Ôc auffi commun.
^doyens que peut employer la difcipline pour diminuer
la défertion.
Punir 8c récompenfer, tels font fans doute les
grands mobiles de la difcipline ; mais tandis que
les peines préviennent les fautes par la terreur
qu’elles infpirent, les récompenfes au contraire
mettent les hommes en mou vement, animent leurs
facu ltés, & les dirigent vers les objets qui pour—
roient les leur procurer.
Dans le recueil de vos ordonnances, on trouve
tin grand nombre de chapitres entiers fur les crimes
6c fur les peines , aucuns fur les bonnes allions
6c les récompenfes ; fi le criminel doit fçavoir la
punition qui l’attend ; pourquoi l’homme de bien
ne peut-il pas même efpérer que l’on penfera à
l e récompenfer ; pourquoi n’avez-vous fait donner
au prince que des lo ix pour la rigu eu r, aucune
pou r la bienfaifançe ; pourquoi n’avez-vous pas
autant empêché le v ic e par la crainte d’être éloigné
de la réçompenfe, que par .celle de la peine corporelle
; les anciens enivroient pour ainfi dire
leurs foldats de l’amour de la gloire ôc de leurs
devoirs par leur talent à favoir les récompenfer,
6c fi aucune confidération ne pou voit fouftraire
un cou pab le, à la févérité de la l o i , rien ne pou-
v o it enlever à un brave homme le prix d’une
b elle ou d’une bonne a â io n qu’il avoit faite. Hé
comment ne s’ ê,tre pas fervi davantage jufqu’à pré-
fent de ce m o b ile , f i puiflant vis-à-vis d’une nation
bien plus faite j>.pur êtçe arrêtée ou excitée
par Pefpoir des récompenfes, que par la craint#
des peines ? Mais parmi les récompenfes fans
nombre que l’on peut em p lo y e r , une des plus
flatteufes ôc en même temps des plus néceffaires
pour le militaire, doit être la confidération que
devroit avoir la nation d’abord pour l’état en
général, enfuite pour les individus qui le méri-
teroient en particulier.
Voulez-vous attacher les foldats à leur éta t,’
donnez de la confidération à leurs officiers, faites
aimer leurs devoirs à ces derniers, ils font pafler
leur efprit dans ceux qu’ils commandent ; le loldat
fe plaint dès que l’officier murmure; quand l’un
fe retire par mécontentement, l’autre eft tenté de
déferter; vous vous plaignez que l’elprit militaire
fe p e rd , ôc que l’officier ni le foldat n’ont plus
le même zèle : diions quelques-unes des caufes
de ce changement.
Dans des temps où il y avoit moins de numéraire
ôc beaucoup moins de luxe, l’officier pouvoit
fupporter la pauvreté fans en rougir; actuellement
elle l’humilie; autrefois on avoit pour la
noblefl’e une confidération que l’on n’a plus depuis
que l’on peut l’acquérir, par une multitude de charges
inutiles ; les vi&oires des grands généraux qui
lervirent Louis X IV , répandirent lur le militaire
François un éclat qui rejaillit jufques fur le moindre
officier; la guerre malheureufe de 1701 changea
l’efprit de la nation à leurs égards , Ôc le militaire
fut bien moins confidéré après les batailles
d’Hochtet & de Ramiliies. A cette guerre fuc-
cèda une longue paix, pendant laquelle la nation
fe livra entièrement au commerce, aux finances ,
ôc aux fpéeulations lucratives, d’où s’enfuivirent
de grandes diftinâions pour les. riches & les "ri—
cheiies, ôc un oubli pouffé prefque jufqu’au mépris
pour ceux qui n’avoient qu’une fortune modique ;
au milieu "de tout ce boule.verfement, lé militaire
refta dans le néant, ôc l’on s’en apperçut au commencement
de la guerre de 17 4 1 , le dégoût étoit
e x trêm ed an s l’officier comme dans le foldat,
les uns & les autres défertoient les armées , ôc
revenoient en foule de Bohême ôc de Bavière,
on fut obligé d’en venir jufqu’à donner des ordres
de les arrêter fur les frontières. La préfence du
roi dans les armées, les victoires de M. de Saxe,
ranimèrent le zèle des troupes; ce qui les ranima
peut-être davantage pour un moment, ce fut la
prodigalité des grâces honorables ôc pécuniaires ,
on multiplia auffi les grades ; mais ce qui fit un
bon effet alors, eut les luites les plus fâcheufes ; les
récompenfes pécuniaires ôc les grades ont été multipliés
à l’excès ; les officiers lubalternes fe font
trouvés avilis ; & ils fupportent touts leur état
avec d’autant plus d’impatience, que la nation
trop accoutumée à ne faire attention qu’aux officiers
fupérieurs, femble ne plus voir dans les capitaines
& les lieutenants que des afpirants à ces
mêmes grades, 6c attendre qu’ils y foient parvenus
poqr avoir un peu plus dç confidération pour
feux. C ’eft encore bien pire pour le foldat ÿ très
peu connu par la plus grande partie des citoyens ;
nos.armées toujours renfermées fur nos frontières ,
dans des villes de guerre, ne font compofées aux
yeux de la nation que par des libertins ou de
mauvais fujets ; les foldats font donc prefque tours
ou craints ou méprifés ; la puiffancé s’en fert pour
faire exécuter fes ordres, ôc les abandonne en-
fuite à la misère ôc à la pauvreté ; d’où s’enfuit
lé peu de confidération que l’on a pour les troupes,
dont on plaint au plus quelquefois les individus;
auffi l’officier eft mécontent , 8c il fe retire ; le
foldat eft malheureux, ôc il déferte.
Q u e lle différence fi vous vouliez donner de la
confidération à vos officiers ôc à vo s foldats; fi
en les honorant vous-même vous les rendiez ref-
pe&ables au refte des citoyens ; fi rendant leurs
devoirs plus aifés, vous les leur rendiez plus chers ;
fi toujours e x a â à accorder les réçompenfes que
vous promettez, vous les encouragiez p a r - là à
les mériter 6c à les attendre ; fi leur peignant la
défertion comme un crime contre l’honneur 6c un
manque de prob ité, vous la leur faifiez détefter,
non pas par rapport à la peine qui doit fu iv re ,
mais pour l’infamie dont fe couvre aux y e u x de
fes concitoyens tout homme qui manque à fa
parole ; fi mettant un grand intérêt à conferver
les bons foldats, vous preniez touts les moyens
pour leur faire defirer de refter au fervice ; fi une
b o n n e , une belle a& io n , ne pouvoit jamais être
effacée ; fi toujours vous étiez jaloux d’en tenir
compte ; fi après avoir confervé un foldat un certain
nombre d’années, vous lui affuriez les fecours
de l’état toutes les fois qu’il en auroit befoin ; fi
le foldat v é té ran t , qui a fervi a v ec diftin&ion ,
etoit traité avec des égards particuliers dans fa
v ille ou dans fon v illa g e ; fi confultant enfin le
caractère de la nation , vous fçaviez tirer parti
de fa fenfibilité, de fon amour pour l’honneur,
& fur-tout de c£ befoin qu’ont touts les citoyens ;
bien moins des récompenfes pécuniaires, que de
ces marques diftin&ives qui leur méritent l’eftime
6c la confidération de leurs compatriotes. Hé ne
doit-on pas tout cela au fold a t, à -cette efpèce
d’hommes à laquelle on impofe des lo ix fi févères ,
6c de qui on exige tant de facrifices? Membres
de la fociété qu’ils -protègent, ils doivent en partager
les avantages, ôc les défenfeurs ne doivent
pas être fes v iâ im e s ; il eft injufte 6c barbare d’enchaîner
le foldat à fon métier, fans le lui rendre
agréable ; il fait à la fociété des facrifices ; la fo-
ciete lui doit des dédommagements ; pourquoi
mener avec rudeffe une nation qu’on peut récompenfer
par des é lo g e s , ôc qu’on punit par un
ridicule ; puniffez donc exaâement plutôt que fé-
verement ; corrigez fans humilier, fans injures, fans
mauvais traitements , cette conduite infpirera à
vos foldats un grand éloignement pour la défertion
6c pour le fervice étranger ; elle les retiendra
dans celui qu’ils ont choifi de préférence f ils fe
croiront aü-deffus des autres n ation s, 6c vous parviendrez
à leur donner ainfi que l’avoient les R o mains
; cette fierté qui leur fèroit craindre de
s’avilir s’ils ceffoient d’être François.
Moyens de rendre les peines des déferteurs plus
efficaces contre la défertion.
Il eft en politique comme en médecine un art
plus important que celui de g u é r ir , c’eft celui de
préferver ; malheüreufémênt, en légifla tion, l’art
de prévénir les crimes a été jufqu’ici prefque
ignoré; ainfi que la m éd ec in e, la légiflation ne
paroît avoir pu appaifer que des fymptômes. Mais
trouver pourquoi l’homme eft méchant, même
dans un meilleur ordre dè ch ofes , le détourner
des caufes qui produifent en lui le v i c e , c’eft ce
qu’elle eft encore bien loin de pouvoir faire. Hé
pourquoi donc les efforts qu’on fait dans ce genre
ont-ils toujours été malheureux? Parce que dans
les réformations il y à une difficulté à laquelle
on ne fait point affez attention, c’eft que pour
détruire un v i c e , il faut auparavant en détruire
beaucoup d’autres qui le font naître , qui l’entretiennent
& qui le feroient revivre ; d’ailleurs
en s’occupant d’une grande réforme que lconque, on
s expofe à ne faire que des vôeux inutiles, fi on ne
fe borne pas à des modifications 6c à des moyens
d’une exécution facile. Je fçais qu’en s’interdifant
les idées tranchantes on doit bien moins s’attendre
a entraîner les opinions ; mais il eft des o b je ts , &
celui dont je m’occupe eft de ce n omb re, où les
avantages 6c les inconvénients fe trouvent tellement
u n is, qu’il feroit très difficile ôc même dangereux
de les féparer d’une main violente ; n’oublions
pas auffi que dans nôtre nation , fi l’on eft
prefque toujours féduit par les projets de réfo rm e ,
nulle part peut-être on ne met plus d’acharnement-
à les traverfer 6c à les contrarier : fimacfination
françoifè , fi ardènte à d e firer, 6c toute auffi
prompte à fe dégoûter , l’autorité même éprouve
fouvent des réfiftances , plus fouvent encore elle
fe foucie peu de s’occuper du mieux , 6c elle refte
dans l’ina&ion fous le prétexte fpécieux qu’il ne
faut pas contredire l’habitude ôc les préjugés. Mais
quand il s’agira de la confervation d’une partie p ré-
cieufe de fes p eu ples, un roi fenfible , bon ôc compati
flant , qui s’e ft déjà empreffé de diminuer la
peine des déferteurs, faifira a vec plaifir les moyens
de rendre la défertion encore moins fréquente ; il
voudra bien faire dans fes troupes des changements
heureux qui attacheroient davantage les
citoyens au fervice , ôc il ordonnera pour ceux
qui enfreindront les lo i x , des peines plus douces ,
plus utiles ôc plus efficaces.
Rap p e lie z -vou s, en ordonnant des peines , que
chez un peuple dont les moeurs font d ou ce s, quand
les loix font atroces , elles font néceffairement éludées
; autant que vous le pourrez , n’infligez donc
des peines que fur un petit n omb re, & que la