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lui affigna des terres où il pouvoit vivre décemment,
mais qui étoient dans le coeur de l’Efpagne
chrétienne.
L’empereur Juftinien , après avoir chaffé les
Goths de l’Italie, donna à Vitige leur ro i, qu’il
avoit fait prifonnier , le gouvernement d’une province
; mais ce fut en Perfe, où il n’étoit pas facile
au roi Goth d’exciter des troubles en Italie, ni
même d’y revenir.
Lorfqu’on reconnoît dans le prince prifonnier
un génie entreprenant, capable de former, parmi
fes amis & fes fujets, un parti pour recouvrer fes
états, il faut le faire garder décemment, mais
fûrement, parce que, s’il vient à s’échapper &
trouver par lui-même la liberté, il ne fe croira
obligé à aucune reconnoiffance , & votre fouve-
rain ne pourra pas faire paroître fa générofité.
Séleucus Nicanor, foi de Syrie, ayant conquis
l’Afie mineure, & fait prifonnier Démétrius Poliorcète,
qui en étoit roi , l’envoya dans une île
de Sorie, où il le tint toujours fous une bonne
garde, parce que Séleucus ne pouvoit pas fe promettre
du génie ambitieux de fon prifonnier, que,
s’il étoit mis en liberté, il ne reprendroit pas un
jour les armes. .
Si le prince prifonnier fe fert de l’honnête liberté
que vous lui donnez pour fomenter des intelligences
dans fes états contre vous, on peut le faire
garder plus étroitement.
Ce fut par cette raifon que Torchile Canut,
gouverneur de la Suède pendant la minorité du
roi Birgire I I , fit garder dans une prifon bien
fûre le fils de Valdemare , chaffé du trône de
Suède.
Si le prince prifonnier a exercé quelque cruauté
contre votre fouverain ou contre fes prédéceffeurs,
il paroit d’abord qu’on peut ufer de repréfailles,
& que cette conduite eff autorifée par les exemples
de Judas & de Gédéon, que je viens de rapporter,
& par les paroles de Samuel à A g a g , roi des
Amalécites, fon prifonnier : « comme le tranchant
de ton épée , lui dit - i l , a privé les femmes de
leurs enfants , ta mère fera auffi privée des fiens ».
Mais ces exemples ne fçauroient plus avoir d’application
; car fi la loi de Moïfe petmettoit de
prendre oeil pour oeil & dent pour dent, la loi
évangélique nous a donné un précepte nouveau,
& nous ordonne d’aimer nos ennemis & de faire
du bien à ceux qui nous haïffent.
J’ai prouvé dans un autre endroit qu’il y a
beaucoup de "gloire, même félon le monde, à ne
pas imiter les ennemis dans ce que leur procédé a
d’injufte & de déraifonnable.
La feule difficulté qui peut fe rencontrer -eff
lorfque le prince ennemi prifonnier eff un implacable
ennemi de notre religion , laquelle feroit
en grand danger, fi ce prince, ayant fuborné fes
gardes , recouvroit la liberté. Ecoutez les parôles
de Dieu à Saül, par la bouche de Samuel , contre
A g a g , ennemi de la religion & du peuple d’Ifraël ;
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« j’ai rappellé dans ma mémoire , lui dit-il, tout
ce qu’Amalec a fait autrefois à Ifrael, & de quelle
forte il s’oppofa à lui dans fon chemin, loriqu’il
fortoit de l’Egypte ; c’eft pourquoi marchez contre
Amalec, taillez-le en pièces, & détruilez tout ce
qui eff à lui ; ne lui pardonnez point ; ne defirez
rien de ce qui lui appartient ; mais tuez tou t,
depuis l’homme jufqu’à là femme , jufqu’aux petits
enfants , & ceux même qui font à la mamelle ,
jufqu’aux boeufs , aux brebis , aux chameaux &
aux ânes ». Saül fit Agag prifonnier ; mais lui
ayant fauvé la vie , & n’ayant pas détruit une
partie du butin , u Dieu fe repentit de l’avoir
conftitué roi d’Ifraël ».
D E L A G U E R R E D É F E N S I V E .
Principes généraux.
On doit regarder comme une forte de guerre
défenfive celle qu'on entreprend pour recouvrer
un pays ufurpé ; pour prévenir un ennemi qui
fûrement fe prépare à vous attaquer & à entrer
dans votre pays ; pour foutenir la religion , fes
alliés ou quelque puiffance injuftement Opprimée ;
pour avoir raifon d’une griève offenfe publique ;
pour punir des rebelles qui fe font révoltés contre
un autre fouverain ; pour contrebalancer les forces
d’un injufte conquérant trop puiffant, &c.
C ’eft une excellente maxime de politique, de
prendre toutes les mefures poffibles , afin qü’on foit
perfuadé que la guerre où vous vous engagez n’eft
qu’une pure défenfe. Par-là les fujets contribueront
plus volontiers aux frais de cette guerr'e , & les
princes voifins , moins alarmés que s’ils croyôient
que vous armez pour faire des conquêtes, ne fe
déclareront pas contre vous.
Avant que la guerre commence , ayez foin de
reconnoître vos frontières & vos magafins. Achetez
dans le pays neutre, même chez l’ennemi ,
tout ce qui peut vous être néceffaire ou faire faute
à ceux qui vont devenir vos ennemis, & tâchez
d’être prêt à vous mettre en campagne avant eux ;
ne vous laiffez pas furprèndre par de fauffes apparences
de vouloir conferver la paix ; préparez-
vous fut-tout à la guerre, lorfque lè prince qui
peut vous la faire vous demande à l’amiable
quelque chofe que vous ne fçauriéz accorder à
moins d’y être forcé par les armes, parce qu’une
pareille demande ne doit être regardée que comme
un artifice, afin que le refus lui ferve d’un prétexte
pour rompre la paix.
Les Lacédémoniens, ayant deffein de prendre
Elide, demandèrent que certains lieux de la dépendance
d’Elide fuflent fournis à la puiffance &.
aux loix de Lacédémone, & que les Eliens con-
tribuaffent, pour une quatrième partie, aux frais
de la guerre contre Athènes. Par ces demandes,
ajoute Diodore de Sicile , les Lacédémoniens ne
i cherchaient quun refus , qui leur fervît d'un pré-
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texte apparent pour déclarer la guerre aux Eliens.
Denis 1er j tyran de Syracufe, s’étant propofé
de détruire Regio, pour fe venger du refus que
cette ville lui avoit fait d’une dèmoifelle qu’il
avoit demandée en mariage, ne voulut point,
fans quelque nouveau prétexte, rompre une paix
qu il venoit de conclure avec les Regiens. Dans
cette vu e , ayanf controuvé des raifons pour contenir
l’armée de Syracufe dans les états de Regio ,
il demanda fi fouvent aux Regiens des vivres pour
la fubfiftarice de fes troupes, qu’à la fin ils furent
obliges de lui en refufer : ce qui fut pour Denis.
I occalion qu’il cherchoit’ de recommencer la guerre.
II attaqua Regio, & ayant pris cette place, il la
nt ruiner.
EJl-il plus avantageux à un prince qui fe prépare à
la défenfive de combattre fur mer ou fur terre des
ennemis qui doivent venir de de-là les mers ?
Suppofé que les ennemis, pour vous faire la
guerre , ayent befoin de conduire leurs troupes par
mer ; ne prenez point la réfolution d’aller à leur
rencontre pour les attaquer fur mer, ou de les
attendre pour combattre fur terre, fans examiner
auparavant quelle peut être votre Jureté ou fupé-
riorite par le nombre & la qualité de vos vaiffeaux,
par le courage, l’habileté & l’expérience de vos
mariniers, &. par la réputation que vos armes fe
leront acquiles dans les précédents combats de
mer ou de terre.
Adherbal, commandant de l’armée navale de
Carthage, ayant eu, avis que le conful P. Clâudius
tranfportoit des troupes par mer pour venir inveftir
i ropano, prit la rélolution de l’attaquer dans fon
voyage, parce que les Carthaginois étoient alors
beaucoup plus expérimentés dans les combats fur
nier que les Romains , qui furent défaits par
Adherbal. r
Plutarque blâme avec raifon Marc-Antoine de
ce que fa flotte étant plus mal équipée, moins
aguerrie, & par conféquent plus foible que celle
Augufte, il avoit voulu combattre fur mer, ce
qui fut la caufe de touts fes malheurs : il perdit
la bataille navale d’A âium , fon pays fut conquis,
. 11. en couta la vie. Au lieu que Marc-
Antoine , ainft q.ue Plutarque l’a obfervé, aurait
du engager un combat fur terre , puifqu’il avoit
un grand nombre de troupes aguerries , bien
diiciphnees , & pleines de courage & d’ardeur
K p t r qU'dleS Ve”° ient de
Pour vous déterminer à combattre plutôt fur mer
que fur terre ou au contraire, confidérez s’il vous
fuPPPfé vous foyez défait,
de rétablir votre armee de terre ou de mer. D ’un
â ™ „ COtV Pdez mâreraent queues fuites plus
avantageas pourrait avoir pour vous une bataille
que vous auriez gagnee fur mer, ou une viftoire
que vous auriez remportée dans un combat fur
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terre, & quelle plus grande utilité les ennemis
tireroient de la déroute de votre armée de mer ou
de terre.
. Celui qui peut, dans le cas dont il s’agit, mettre
une armee navale fupcrieure à celle des ennemis,
jouit de 1 avantage de délivrer fon pays des maux
& des ravages que la guerre y cauferoit.
Il n y auroit pas de plus mauvais parti à prendre
qpe de divifer les hommes , les munitions, les
vivres, les armes & l’argent, de manière qu’en
l une & 1 autre armée vous fuffiez plus foible qu»
les ennemis. Au contraire, tirez de l’un ou l’autre
de ces deux corps tout ce qui eft néceffaire pour
rendre un des deux fupérieur , ou du moins égal
a celui des ennemis , ce qui n’eft pas fort difficile,
puifque l’argent, les vivres & une partie des
munitions fervent également à une armée de
terre comme à une de mer. A l’égard de la manoeuvre
qui fe doit faire fiu>le premier pont ou
le tillac du vaiffeau, les foldats, après quinze
jours d’embarquement, en fçavent autant que les
mariniers ; & ceux-ci Serviront beaucoup mieux
que d’autres recrues, fi l’on en met huit ou dix
dans chaque compagnie de l’armée de terre, puisqu’ils
font déjà accoutumés au péril de la guerre &
au maniement des armes ; je comprends parfaitement
que c ’eft une plus groffe dépenfe de
donner a un homme, qui -ne doit faire que la fonction
de fantaffin| la plus haute paye que celle qu’a
le marinier ; mais auffi je fuppofe que ce ne fera
que pour ce peu de temps, qui s’écoulera depuis
le moment que vous aurez pris la réfolution de
livrer bataille, jufqu’au combat que vous donnerez
aux ennemis nouvellement débarqués.
Cneius Cornélius Scipicn , commandant pour
les Romains en Efpagne, avoit formé le deffein
d’attaquer l’armée de terre.de Carthage, dont
Afdrubal étoit général, avant qu’elle fût renforcée
par les troupes qu’Amilcar devoit débarquer •
mais ayant fçu que les Carthaginois fe trouvoient
plus forts fur terre que fur mer, il changea de
réfolution ; il fit embarquer fes meilleures troupes
fur les vaiffeaux de Rome, & ayant attaqué auprès
des alfags de Tortofe l’armée navale de Car-
thage, il remporta fur elle une pleine & entière
victoire.
Themiftocle , connoiffant qü’il étoit impoffibJe,
Athènes fa republique, de mettre fur pied Une
armee de terre affez nombreufe pour s’oppofer à
celle des Per fes, doifna pour confeil de ruiner
toutes les forces de la république dans la feule
armee navale, afin de combattre avec quelque
avantage la flotte Perfienne. Ce confeil de Themiftocle
fut approuvé des Athéniens*; ils mirent
toutes leurs-forces fur mer, & donnèrent le com-
mandement de cette armée à Themiftocle , qui
dent les Perfes auprès dé Salamine.
Cæfar renforça avec fuccès fon armée de terre
par un nombre de mariniers, qu’il tira de fon
armee navale.
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