réponfe feroit bien capable de ternir votre gloire ?
fi vous n’eufliez depuis fait oublier ce qu'elle ayoit
de peu patriotique.
Illuftre Marlbourough , vous en qui on vit briller
tant d’autres vertus , n’avez-vous pas prolongé les
liorreuis de la guerre & les malheurs de vos concitoyens
pour prolonger la durée de votre commandement,
accroître vos honneurs & vous rendre
plus longtemps néceffaire.
Craindra-t-on une pareille conduite de la part
du général qui aimera la patrie ? Dès l’inftant qu’il
ne fera plus de l’intérêt de l’état de continuer la
guerre , il la terminera ; comme un autre Cin-
cinnatus, il abandonnera avec plaifir la pourpre
6c les faifceaux ; ou même femblable à Phocion
il voudra empêcher fes concitoyens d’entreprendre,
la guerre , quoiqu’il fçache bien qu’il doit être mis
à la tête des armées, & commander à ceux dont
il dépend pendant la paix.
Qui ofera accufer les hommes célèbres infcrits
dans la lifte des Bourguignons, des Armagnacs ,
des ligueurs & des frondeurs, de n’avoir point
connu les loix de l’honneur ; mais la patrie peut
les acculer de ne l’avoir point aimée , 6c les accabler
de reproches pour tout le fang françois qu’ils
ont verfé. Us furent éblouis par l’opinion publique
qui s’érige en juge de l’honneur ; s’ils euffent écouté
la voix de la patrie , leurs noms auroient été tranfi
mis fans tache à leurs neveux. L’honneur créé par
les hommes eft variable comme eux, chaque peuple
en a formé un à fa guife , chaque nation lui prête
un langage différent , chaque individu le modifie
d’après fon état & fes goûts ; le patriotifme émané
de la loi naturelle & fondamentale des fôciétés,
ordonné par l’être fuprême, eft toujours le même
& parle par-tout le même langage. Toujours il
dit au général 6c à fes fubordonnés, aimez la patrie,
qu’elle foit l’unique objet de vos affeétions , & cet
amour rendra légers les facrifices que fon fervice
exigera de vous ; aimez la patrie, & cet amour
s’il ne fupplée pas aux talents , vous donnera au
moins le defir & les moyens d’en acquérir; aimez
la patrie, que fon intérêt vous foit toujours facré,
qu’il foit fans ceffe préfent à votre ame , & il
ioutieqdra votre confiance dans les fatigues de la
guerre , il excitera votre courage dans les hafards
des combats , & il fera la plus douce des récom-
penfes après la viétoire.
Si jamais vous offrez vos feryices à une puif-
fance étrangère , ayez pour elle les mêmes fenti-
ments que vous devez à votre patrie , les emplois
qu’on vous aura confiés , les engagements que vous
aurez contractés , la protection qu'on vous aura
accordée , tout vous oblige auxmêmes déférences,
at x nfemes facrifices ; mais gardez-vous d’aban-
donner votre patrie fans fon aveu ; fut-elle injufte ,
ingrate à votre égard , vous n’en feriez pas moins
accablé de l’infâme nom de transfuge 6c de traître.
Connétable de Bourbon, par combien de remords
n’avez - vous point expié votre conduite envers
votre patrie , avec quel dédain ne fûtes-vous point
traité par Charles-Quint, dès qu’il vous crut inutile
à fes projets. Quand votre crime eut donné
à vos ennemis tout empire fur vous, ils fe jouèrent
des promeffes qu’ils vous avoient faites , te mépris
fut la feule récompenfe de votre trahifon ; &. telle
eft la deftinée ordinaire de ceux qui par légèreté
abandonnent leur patrie. Servez-la donc cette mère
tendre ; mais fouvenez-vous qu’en daignant accepter
vos fervicçs elle les a déjà payés, & que le fenti-
ment d’avoir fait fon devoir, eft la plus douce
des récompenfes pour un coeur qui la chérit comme
elle doit être aimée. Si elle vous donne la préférence
fur vos concurrents qu’elle puiffe vous applaudir
de fon choix ; fi elle honore quelqu’autre
citoyen de fa confiance , dites avec le lacédémo-
nien Pédarèce ; je fuis ravi qu’il y ait à Sparte trois
cents citoyens plus dignes d’être employés que
moi.
Une nouvelle confidération nous engage à donner
à l’amour de la patrie le premier rang parmi les
vertus indifpenfables au général, c’eft que fon excès
même , ( s’il eft poflible qu’on aime trop ardemment
fa patrie , ) , fon excès ne peut jamais nuire
à la caufe commune, tandis que les autres vertus
devenues extrêmes , dégénèrent en vices ou au
moins en défauts : la valeur devient témérité , la
clémence foibleffe, la fermeté roideur, &c. l’honneur
même ; l’honneur change de nature, il devient
faux préjugé , délicateffe outrée , & cruauté
barbare. L’amour de la patrie n’eft-il pas d’ailleurs
produit par le coeur , & l’honneur par l’efprit ; le
premier eft un fentiment., le fécond n’eft qu’un
préjugé ; aufli celui-ci a-t-il befoin d’être joint à
la force des loix, dit Montefquieu, tandis que
l’autre les rend fuperflues. La dernière raifon enfin,
que nous alléguerons en faveur de l’amour de la
patrie c’eft l’empire qu’il a exercé fur le coeur
des François , depuis le commencement.de la monarchie.
Si cette vertu leur eût été moins néceffaire,
ils en euffent moins fréquemment donné des
exemples éclatants : oui , fi 1’amiquité. a eu fea
Codrus, fes Curtius, fes Régulus, fes Philènps,
nous avons eu du Guefclin, Bayard, Barbafan,
Dunois , Turenne, Vauban, & c . &c.
Généraux , & vous tputs militaires François?
parcourez les faites de la nation , vous verrez que
l’amour de la patrie anima touts les héros que nous
admirons. Confultez enfuite votre coeur, fi vous
le fentez embraie de la même flamme , vous êtes
dignes de fuçcéder à leur gloire, 6c vous parta^
gerez avec eux l’hommage des fentiments vifs &
durables qu’ils nous ont infpirés.
§ . i i .
De t amour de fo n roi•
Si dans le cours de cet article nous avions eui
intention
intention de ne nous àdreffer qu’à un
tint fon pouvoir du chef d’un gouvernement despotique
ou mixte g ou même d’un monarque quelconque
, nous aurions parlé ici au commandant en
c h e f des fentiments qu'il doit a celui qui lui a confie
fon autorité ; mais ayant particulièrement en vue
un général François, nous croyons pouvoir nous
difpenfer d’entrer dans les details relatifs a 1 amour
que le commandant d’une armée Françoife doit a fon
roi • jamais cette vertu n’a eu befoin d’être recommandée
à des François. C ’eft à cet amour que nos
armes doivent leur gloire 6c leur puiffance. Cet
amour fut 6c fera dans touts les temps le garant
le plus affuré du bonheur de l’état, & fa reflource
infaillible dans fes difgraces. Ce fentiment pour nos
rois eft fi fort confondu avec celui de la patrie,
qu’en prouvant la nécefîité de l’un on a. démontré
la nécefîité de l’autre. Dans notré gouvernement,
l’état 6c le roi font deux mots fynonimes ; l’idée
d’un père tendre eft toujours infeparable de celle
d’une heureufe famille.
§. I I I .
De l'honneur.
Quoique nous ayons prouvé que l’honneur
sj’eft pas le premier des fentiments qu’on doit de-
firer dans le coeur du général, nous fômmes bien
loin de ne pas le regarder comme néceffaire ; nous
convenons au contraire avec Montefquieu, quil
donne la vie à tout lè corps politique , aux loix ,
aux vertus même ; il fait que les guerriers exécutent
fans répugnance , 6c même de bonne grâce ,
tout ce que le devoir le plus rigoureux exige d’eux;
en un mot , comme le dit Duclos , il donne
de l’éclat à la vertu, il en fait le courage. Bien
loin de vouloir impofer filence à ce moteur de là
nation Françoife , nous dirons d’après le dernier
écrivain que nous venons de citer, qu’on ne fçau-
roit trop réveiller les idées de l’honneur , en
échauffer le fentiment, en relever les avantages ,
6c attaquer tout ce qui peut y porter atteinte ; nous
regretterons avec lui le fiècle où l’honneur infpi-
roit même le fanatifme, 6c nous defirons que cet
heureux enthoufiafme fe renouvelle de nos jours,
parce que les lumières que nous avons acquifes
Serviront à le régler fans le réfroidir. Mais l’honneur
eft-il éteint dans nos âmes ? No n , il y exifte dans
toute fa force , & il n’a befoin que d’être ratifié
par la raifon , la faine philofophie , & d’être plus
immédiatement dirigé vers futilité générale. C’eft
donc cet honneur, non tel que les François l’ont
défini jufqu’ici ; mais tel qu’il a régné fur nos^ ancêtres
, .que nous demandons dans le chef d une
■ armée ; il montera nos âmes au ton de la véritable
gloire 6c de l'amour de la patrie ; il ne nous inf-
pirera plus des actions difficiles par l’efpoir du
bruit qu’elles doivent faire, mais par celui du bien
qu’elles peuvent produire ; nous n’exigerons plus
Art militaire. Tome. I l.
des préférences, des diftinétions, mais l’occaficn
dé braver de grands dangers pour rendre de grands
fervices ; cet honneur ne voudra plus qu’on lui fa-
crifie la vertu ; il fera* prêt au contraire à s’immoler
pour elle ; il obtiendra aifément de ceux
qu’il enflammera le facrifice de leur vie ; mais il
voudra qu’ils le rendent plus utile que brillant ; il
s’occupera moins de ce qu'on lui doit que de ce
qu’il doit aux-autres; il prifera davantage les actions
juftes, bonnes 6c raifonnablès, que celles
qui feront feulement grandes, belles ou extraordinaires
; en un mot, l’honneur rendra les maniérés
décentes, les moeurs auftères, & les vertus grandes
& héroïques. Si les militaires étoient imbus des
principes de l’honneur tel que nous venons de le
montrer, nous ne verrions plus des Callicratidas
combattre pour ne point s’expofer au reproche
d’avoir évité l’ennemi, mais des Fabius-Maximus
prêts à facrifier ces vains préjugés au falut general ;
les guerriers mépriferoient la tauffe delicateffe du
premier qui lui coûta la vie , 6c priva Lacede-
mone d’une flotte considérable , 6c ils adopteroient
la fermeté du fécond , qui, en fauvant Rome le
couvrit d’une gloire immortelle ; ils regarderoient
une retraite prudente, devant un ennemi Supérieur,
comme un trait de fageffe & conferveroient
leurs forces entières, quand un combat ne feroit
point le feul moyen de terminer la guerre avec
avantage. Bien perfuadés que la valeur du chef
; ne doit pas être celle du foldat, ils ne compro-
| mettroient leur vie ou leur liberté que dans une
néceSfité extrême , 6c fur-tout ils ne 1 expo fe; oient
jamais dans un combat fingulier , la patrie dût-elle
en être l’objet. On cite quelques-uns de nos monarques
, réfolus à expofer leurs jours fàcrés, pour
terminer une guerre cruelle, Sans faire verter plus
longtemps le fang de leurs peuples : le motif de
cette généreufe imprudence etoit trop beau pour
ne la point faire excufer ; mais lé général n ayant
pas les mêmes raifons, répondra comme Métellus
à Sertorius : un général ne doit point mourir comme
un gladiateur. Les anciens ne connoiffoient pas ,
j’en conviens , les préjugés de 1 honneur ; auflt
n’appuierons-nous point uniquement notre opinion
fur cet exemple, ni fur ceux de Thémiftocles ,
d’Agrippa, de Caton & d’Augufte ; mais fur la
conduite du célèbre PeScaire, général qui a vécu
dans un temps , où , comme dit Rouffeau, on
mettoit toutes les vertus à la pointe de l’épée,
& fur celle de^Turenne, que perfonne, je penfe,
n’ofera accufer d’avoir méconnu les loix de l’honneur.
Le premier refufa le cartel qui lui fut envoyé
par Chabannes de Vandeneffe, frère du
maréchal de la Paliffe , 6c le fécond n’accepta point
le défi de l’élefteur Palatin.
§ . I V .
De l'amour de la gloire.
De-.même qu’un arbre vigoureux, dans lequel
C c c c