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pas gardé le fecret, le pape n’auroit pas pu s’aflürar
de la perfonïie du cardinal des Urfins & des autres
de fa faélion , qui , ne fçachant rien de ce qui
s’étoit paffé à Sinegale, vivoient tranquilles à Rome,
où Alexandre V I les fit arrêter , après avoir reçu
cet avis.
Lorfque Vefpion n’eft pas capable de fervir fans
porter des lettres à celui avec qui vous etes en
intelligence, ou quand il eft néceflaire que nul
autre que vous & cette perfonne affidée ayent con-
noiffance de l’affaire dont il s’agit, ou dans la fuppo-
fition que Vefpion, venant à être pris , ne puiffe
pas nier le métier qu’il fait, ce qui arriveroit, par
exemple, s’il étoit arrêté en voulant entrer dans
line place alfiégée , parce qu’alors il y auroit à
craindre qu’à force de tourments on ne lui fit avouer
tout ce qu’il Yçait ; dans touts ces cas, n’inffruifez
pas Vefpion de ce qui eft contenu dans les lettres,
& ne lui fiez pas la clef de votre chiffre ; car,
puifque vous écrivez tout ce que vous jugez à propos
, pourquoi rifquer inutilement que votre fecret
puiffe être découvert faute de précaution, de fidélité
ou de confiance de la part de Vefpion r
Lorfqu’André T enfin , chancelier de Pologne ,
& Nicolas d’Arbicde , vice-chancelier du même
royaume , voulurent faire tenir au gouverneur de
Çaminik une lettre qui devoit paffer par la Lithuanie
, où Svitigelbn , contre qui la lettre étoit
écrite, commandoit, ils la mirent dans une bougie,
& , bien loin de confier au porteur ce qu’elle con-
tenoit, ils lui ordonnèrent feulement de dire au
gouverneur, en lui remettant la bougie : monfieur,
ii vous voulez éviter de tomber ? fervez-vous de
çettg lumière.
Je fuppofe que, pour écrire à la perfonne avec
qui vous êtes en intelligence , vous vous fervez
de quelque habitant qui fait iin commerce en vivres
ou en marchandifes dans l'armée des ennemis ;
que, de votre camp, il ne va pas au leur en droiture
, mais qu’il fait un détour pour aller prendre
le chemin qui, de fon lieu, le mène droit à la place
ou à faimée ennemie, afin de ne pas donner tant
à foupçonner à ceux qui le rencontre.roient en fon
yoyage ; mais, fi , malgré toutes ces précautions,
il eft reconnu par les grandes gardes , pu par les
partis avancés, voyons comment il pourra faire
pour qu’on ne lui trouve pas la lettre qu’il porte.
Il faut, pour cela ; que ce payfan prenne un
bâton , qu’il y faffe un trou par le bas, & qu’il y
mette la lettre , après l’avoir bien roulée, fermant
le trou par un bout de fe r , ainfi que les payfans
les portent dans la plupart des provinces.
Il peut auffi porter une lettre divifée en plufieurs
petites bandes de papier, qu’il mettra bien roulées
dans les moules des boutons de 'fon habit, qu’à
cet effet, il aura fait faire creux, & l’on couvrira
ces moules de toile, ou de drap neuf ou v ieu x ,
félon què fera l’habit. Chacune de ces bandes contiendra
une ou deux lignes, ôt elles feront toutes
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numérotées > afin que celui qui les recevra, fçache
comment il faut les ranger pour les lire.
Le moyen le plus aifé & le plus sûr, à mon
avis, pour cacher une lettre , eft de là mettre dans
un fufil, fur la charge de la poudre, & , pardeffus,
une balle que l’on fera entrer de force avec une
baguette de fer ; car, quoique les ennemis foup-
çonnent ce payfan , à qui je fuppofe qu’il eft permis
de porter des armes à feu', & qil’ils vifitent fon
fufil, excepté .qu’ils ne s’avifent d’en ôter la culaffe ,
ils ne trouveront jamais la lettre, n’étant pas poflible
de faire fortir avec le tire-bourre la balle qu’on y
a fait entrer avec tant de force ; & , s’ils tirent le
fufil.9 la lettre fera fi maltraitée, qu’il n’y aura
pas moyen de la lire , ni de connoître autre chofe ,
fi ce n’eft qu’elle a fervi pour bourrer la poudre;
Je dois pourtant vous avertir de deux chofes; la
première eft que le fufil doit avoir une fort mau-
vaife apparence, de peur que le premier foldat qui
le verra entre les mains d’un payfan, ne le lui
enlève , fans foupçonner même qu’il foit efpion.
La fécondé eft que, fi celui qui porte la lettre dans
le fufil, eft foldat ; & f i , nonobftant la précaution
qu’il prend d’aller par des chemins écartés,il rencontre
quelque parti des ennemis dont il ne foit pas fur
de le pouvoir échapper , il ne doit pas le tenter; car
il doit au contraire tirer fon fufil en l’a ir, & fai- .
fant figne au parti avec fa cravatte , ou avec un
mouchoir blanc , il ira vers lui comme s’il étoit un
déferteur. De cette manière, les ennemis ne foup-
çonneront pas que ce foit un efpion ; & , quand ils
auroient ce foupçon , il ne leur fera pas poflible
d’en avoir aucune preuve , parce que la lettre s’étant
brûlée en tirant le fufil, ce foldat n’a plus rien
fur lu i, qui puiffe donner le moindre indice. On
ne pourra pas même lui faire un crime d’avoir été
trouvé dans des ^eîhins écartés ; parce qu’il répondra
qu’il l’a fait pâr la crainte de rencontrer
des partis de l’armée de laquelle il déferte.
Le comte Bifaccioni rapporte que la place de
Newmarket étant afliégée par les Ecoffois, Charles
l e?r, roi d’Angleterre , envoya à celui qui en étoit
gouverneur, un billet dans une balle de moufquet,
que le porteur avala pour n’être pas découvert ,
en cas qu’il tombât entre les mains des ennemis ,
& qu’on le fouillât. De cette forte il fit entrer le
billet dans la place , qu’il rendit enfuite parie bas
en fon temps. *
Je fuppofe que ce que Bifaccioni appelle Amplement
balle, devoit être quelque petite boule de
plomb, ou de quelque autre métal, creufée pour
pouvoir contenir le billet , & partagée en deux'
moitiés, qui, par une vis ou une foudure , pou-
voient fe rejoindre ; car , fi cette balle n’a v o it,
pour tout artifice, qu’un trou où l’on mit le petit
papier , l’humidité du corps le détruiroit de manière
qu’on ne pourroit plus le lire.
Il y a une infinité de moyens de cacher les
lettres : fi j’en ai rapporté quelques-uns, c’eft feulement
pour en donner une idée ; perluadé que je
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fuis que quiconque voudra s’appliquer a en imaginer,
en trouvera de meilleurs. ,
De l'écriture fecrètel
Si Ton peut imaginer une infinité de moyens de
cacher les lettres qu’on porte, on peut auffi trouver
autant de différents chiffres pour les écrire.;
avec cette différence qu’on a-déjà mis [au jour
plufieurs livres fur ces manières fecrèt.es d’écrire :
ainfi , je ne parlerai que de l’ufage du chiffre qu’on
appelle le chajfis ; car /quoiqu’il y ait peu de
perfonnes qui n’en ait entendu parler, on en trouve
rarement qui le déchiffrent. Voici comment on s’en
fert. _ |
Prenez deux feuilles de papier de la même me-
fure, & ayant mis l’une fur l’autre , faites-y des
traits pouf marquer la marge & les lignes , comme
fur un papier difpofé pour écrire des lettres. Découpez
fur ces traits qui diftinguent les lignes, de
petites ouvertures à fantaifie, un peu éloignées
les unes des autres , larges à proportion de la hauteur
de votre caraélère , & allez longues pour pouvoir
contenir un mot ordinaire. Envoyez une de
ces feuilles à la perfonne avec qui vous êtes en
intelligence. Lorfque vous voudrez lui écrire, vous
mettrez la feuille que vous aurez gardée, fur une
autre de la même mefure , fur laquelle , par les
ouvertures de la première feuille , vous écrirez
ce. que vous fouhaitez faire fçavoir à la perfonne
pour qui eft cette lettre. Rempliffez enfuite les
vuides que vous aurez laiffés entre les ouvertures,
de quelques autres mots qui, joints aux premiers ,
faffent un fens fi différent, que toute la lettre pa-
roiffe être fur quelque intérêt particulier. Il fera
bon auffi que vous foyez convenu avec cette perfonne
de cent ou deux cents termes déguifés, pour
exprimer entre vous le nom de chaque régiment,
celui des-, généraux , des places , &. autres chofes
principales , dont il eft néceflaire de parler dans
vos lettres, ne pouvant pas les appeller par leur
nom , fans donner quelque foupçon aux ennemis
qui intercepteroient ces lettres.
Lorfque cet homme , avec qui .vous êtes en
relation, aura reçu cette lettre , il y appliquera
deflùs la feuille de papier, qui eft découpée , & ,
par les ouvertures , il lira les mots^qui forment
Je véritable fens de la lettre ; tout le relie n’ayant
été ajouté dans les intervalles , que pour déguifer
le chiffre , qui demande que celui à qui vous écrivez
, ait quelque capacité, afin que , dans fa ré-
ponfe , on ne diftmgue pas le véritable fens que
les paroles de la lettre contiennent, de celui qui
fuppofe par les mots dont il s’eft fervi pour remplir
les intervalles. Par-là ce chiffre ne paroîtra
pas en être un ; & c’eft pat cette raifon que Don j
Diegue d’Alava a dit avant m o i, que ce chiffre 1
étoit le meilleur. Il eft néanmoins embarraffant & f
long : ainfi on ne peut s’en fervir que dans des j
-affaires qui ne demandent pas un grand détail, ou 1
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dans celles d’une grande importait e ê , Sc qui n’exigent
pas une prompte expédition.
Chacun fçait qu’en écrivant avec du jus d’oignon
ou de citron , l’écriture ne paroît pas, .fi l’on ne la
préfente au feu : la même chofe arrive lorfqu’on
écrit avec de l’urine.
On ne .fçauroit lire ce qui a été écrit avec du
fue de titimale , qu’en y jettant de la cendre par-
deflùs , ou en trempant le papier écrit dans de
l’eau.
On ne peut lire ce qui a été écrit avec du lait
qu’on vient nouvellement de traire , fans y jetter
de la fine poufîière de charbon.
Les autres manières d’écrire font à - peu - près
femblables à celles-là, & toutes font communes,
à l’exception d’une qui deviendroit commune
auffi , fi je difois en quoi elle confifte ; & , quoiqu’elle
approche de ces encres de fÿmpathie , dont
Lemeri & quelques autres auteurs ont donné, les
recettes , elle renferme quelque chofe de plus car
ché &. de moins commun.
De la maniéré d'injlruire les efpions;
Faites inftruire fecrétementvos efpions à eonnoi-
tre comment un pofte, une place, un retranchement
, font forts par l’art ou par la fituation : quelle
étendue de terrein un tel nombre d’infanterie ou de
cavalerie occupe ordinairement dans un camp , ou
dans une marche , félon les différents fronts fur lef-
quels on marche , afin que ces efpions comprennent
d’un coup d’oeil quelle eft à-peu-près la force d’un
camp & d’un pofte, où les ennemis font logés ; combien
, d’infanterie &. de cavalerie ils ont dans leur
camp , ou dans leur marche , fans avoir befoin de
compter les tentes ou les régiments , ni de s’arrêter
fur un défilé pour voir paffer l’armée ennemie ; parce
que toutes ces démarches font périlleufes pour les
efpions qui p a r - là , fe font obferver & ‘découvrir.
Par-deflùs la paye ordinaire que vous donnez
à vos efpions , vous leur ferez quelque gratification
toutes les fois qu’ils vous apporteront un avis important
, afin qu’animés par cet intérêt extraordinaire
, ils mettent tout en ufage pour vous rendre
une autrefois de pareils fervices : car , fi ces fortes
de gens qui font toujours des'miférables , s’apper-
çoivent qu’ils n’ont pas un plus grand profit à,
efpérer , foit qu’ils fe donnent peu ou beaucoup
de mouvement , ils ne rifquer ont plus , & ne
prendront pas même la peine de vouloir s’inftruire
de ce qui fe paffe. Cependant, fi vous reconnoiffez
| que vos efpions , bien loin de difliper leur bien ,
> ne cherchent, qu’à en amaffer , prenez garde de
les enrichir fi fort , qu’ayant lâtisfait leur ambition
, ils ne faffent plus le métier qu’avec noncha-*
lance.
ç Le comte de Staremberg, gouverneur de Vienne
fous l’empereur Léopold Ignace , voulant donner
avis au duc de Lorraine de l’état où fe trouvè/t