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pas fi grande, que nous n’euffions pu pouffer cette
cavalerie devant nous julqu’au-delà de cette place ,
que nous aurions pu tout au moins bombarder &
■ réduire, en cendres ii nous l’avions voulu , & dé-
foler la plaine de Piémont, ce que M. de Savoie
n auroit pas fouffert. Ainfi , dans la conjon&ure.
prefente , il ne paroiffoit pas qu’il y eût raifon-
nablement rien à craindre, pour Cazal.
! Secondement, nous ne devions pas craindre les
fièges de Nice & de Villefranche : ces places
étoient en bon état ; nous, avions de l ’infanterie
fur le Var à portée d’y entrer. En cas que l’ennemi
eût eu ces objets .d’entreprife , il auroit fallu
qu’il eût quitté la plaine de Piémont avec fon infanterie,
en lailfant la «fevalerie feule dans la
plaine pour nous en'chicaner la poffeflion.
Nous ne devions pas le craindre par les rai-
fons que je viens de dire, en parlant de fon en-
treprife fur Cazal, beaucoup plus fortes même
pour N ic e , parce que pour cettè expédition il
auroit fallu que l’inlanterie ennemie eût paffé
toutes les Alpes du côté de Nice. M. de Savoie
ne pouvoit même tirer fqn canon, fes munitions
de guerre & fon pain, que d’Onéglia , ou des
places Efpagnoles de la côte de Tofcane. Comment
cela lui auroit-il été poffîble dans un temps
que nous étions les maîtres de la Méditerranée ?
Ainfi, rien encore à craindre pour N ice & Ville-
franche , ôc paries mêmes raifons, rien à craindre
pour Antibes..
Troifièmement, nous n’avions rien à appréhender
de la vallée de Barcelonnette, & des autres
vallées en remontant, que des courfe*s pour brûler
des villages en Provence & en Dauphiné, & pour-
enlever des beftiaux dans les montagnes.
Ces objets^étoient bien petits pour une armée
qui fe propofoit une forte offenfive. Nous avions
d’ailleurs de l'infanterie en ces pays-là, dont le
nombre auroit aifément augmenté par celle qui
étoit campée fur le mont Genèvre, & qui fe ièr.
oit trouvée fuffifamment en force, pour obliger
l’ennemi à fe retirer, & pour l’empêcher de
prendre un établiffement fur la Durance.
Il y avoit encore un raisonnement à faire pour
fe raffurer contre les entreprifes des ennemis de
ces côtés-îà, qui étoit de dire qu’ils s’y feroient
portés avec un petit corps , ou avec un gros.
S’ils avoient entrepris avec un petit corps, le remède
auroit été facile par ce côté-ci de la montagne
, en prenant le derrière de ce corps s’il s’é-
toit avancé ; s’ils avoient voulu entreprendre avec
lin gros corps d’infanterie, de quoi auroit-elle v écu,
f i , en entrant en même-temps’ avec toutes nos
lotces dans la plaine de Piémont, en fuivant le
pied des Alpes, notre armée avoit fait retirer la
portion de celle de l’ennemi qui auroit été mife à
l’entrée d’une vallée, pour raffûter le retour du
corps qui auroit voulu pénétrer ?
Quatrièmement, il ne paroïffoit pas raifonna-
ble d’avoir des fujets. d’appréhenfion pour la Sa-
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voie du côté de la Maurienne & de la Tarentaife,
ou de Chablais , parce que l’ennemi n’auroit pu y
entrer que par la vallée d’Aoufte & le petit Saint-
Bernard : ainfi le feul objet de défenfive capital à
avoir, étoit de protéger Sainte-Brigitte, Pignerol
& Suze.
\ Pour réduire donc à ce point toute l’offenfive
des ennemis, & toute notre défenfive, il y avoit
de notre part plufieurs chofes à faire, dont les
unes n’étoient que des démonftrations , les autres
etoient des chofes effentielles.
Les détoonftrations étoient la réparation des
charriots de l’artillerie & des vivres qui étoient dans
Pignerol. Cette chétive dépenfe étoit capable de
faire penfer à l’ennemi que nous voulions nous
mettre en état de profiter de touts les mouvements
qu’il voudroit faire , pour entreprendre loin
de Pignerol.
Ainfi, il ne nous auroit donné aucunes attentions
éloignées de notre véritable objet de défenfive
, parce qu’il auroit jugé que nous n’en aurions
pris aucune, puifque nous nous ferions préparés
à agir offenfivement dès qu’il nous auroit pré-
fenté le moyen de le faire avec avantage , en
s’éloignant de notre centre principal.
M. de Catinat ne devoit point auffi.mettre fa
cavalerie au camp du Sablon ; elle y étoit trop
éloignée, de fôn principal corps d’infanterie, pour
faire connoître à l’ennemi qu’il vouloit s’en fer-
vir dans la plaine de Piémont, en cas qu’il lui
en donnât le moyen, en s’attachant à des entreprifes
éloignées de Pignerol. Il devoit faire
fùbfifter dans la Savoie fa cavalerie , & la féparer
pour la commodité des fourrages, que les montagnes
lui auroient fournis dans cette faifon.
Je ne trouve pas que la raifon de garantir le
bas Dauphiné & la Provence des courfes de la
cavalerie ennemie , fût affez bonne, par les raifons
que j’ai dites ci-deffus, en parlant des-objets que
pouvoient avoir les ennemis , pour agir offenfivement
de ces côtés, pour engager ce général à
mettre les quarante efcadrons qu’il avoit tout-à-
fait hors de portée de faire craindre M. de Savoie
pour la plaine.de Piémont.
La cour devoit auffi choifir pour commander
dans Pignerol 9 & à cette tête de nôtre principale
défenfive^ un autre homme que le comte
de Teffé , qui, avec un corps conhdérable d’infanterie
, ne fçut pas trouver les moyens der
garantir le fort de Sainte-Brigitte , qu’il laiffa
prendre par M. de Savoie, qui enfuire fe faifit
de l’abbaye de faint Pierre, du malenage, de la
redoute, & des hauteurs de Louvins, coupa la
communication du camp de Rochecoftel avec.
Pignerol, dépofta l ’infanterie qui étoit campée fur.
Roçhecoftel, & la pouffa jufqu’à Mantoules &.
Féneftrelles; de forte que fi M. de Savoie, après
avoir- bombardé Pignerol , s’étoit mis auflitôt
après en devoir de former le fiège dé cette place,
il y a beaucoup d’apparence qu’il l’auroit prie.
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avant que M. de Catinat eût été en état d’entrer
dans la plaine de Piémont par Suze , pour en
faire lever le fiège à ce prince.
Exemple qui juftifie ce que j’ai dit dans mes
maximes fur la guerre défenfive, que la manière
de la foutenir confifte entièrement dans la bonne
difpofition générale oii fe fçait mettre le général
qui en eft chargé, & dans la prévoyante capacité
de ceux à qui ce général commet le détail
des mouvements particuliers qu’il faut faire pour
prévenir «eux d’un ennemi qui veut entreprendre,
parce que toutes les fautes y font capitalef, &
prefque toujours fans remède.
Car, ce ri*en eft point un raifonnable, que celui !
d’avoir recours au fuccès d’une bataille , quand
on « projetté de refter fur une judiciçufe défenfive
; & que par les fautes faites contre les véritables
règles de la guerre défenfive, on fe laiffe
réduire à un moyen d’extrémité, quand on a cru
pouvoir s’en paffer fans s’expofer à de grands inconvénients.
• C ’eft ce que je prouve par ce qui a fuivi l’événement
heureux de la bataille de la Marfaille.
La viéloite fut complète ; cependant elle ne put
pas apporter un grand changement aux affaires
du roi en Piémont.
Car quoique les débris de l’armée ennemie fe
fuffent fort éloignés de la nôtre , elle ne fut
pourtant pas en état ni d’entreprendre fur Turin ,
ni de faire le fiège de C o n i, ni même d’hiverner
en Piémont, tant parce qu’il ne fe trouva
point de charriots en état pour remuer & fervir
1 artillerie, que parce que les yoitures des mulets
ne fe trou voient pas luffifantes pour faire vivre
l’armée éloignée de Pignerol, & de nos dépôts
de farine.
Ce dernier exemple prouve qu’on ne doit jamais
tellement fe déterminer par fon choixà une
guerre défenfive , que l’on fe prive, abfolument
des moyens de la tourner en offenfive, en cas
que les fautes de l’ennemi ou des fuccès heureux
rendent la cjiofe poflible.
L’année 1694 futs affez difficile à paffer en
France , non par des mouvements, de guerre, mais
par des malheurs du dedans du royaume. Vers
la fin de 1693 , la malice de. quelques gens d’affaires
rendit l’argent plus rare qu’il ne l’avoit encore
été ; là récolte fut mauvaife dans plufieurs
provinces ce qui mit les bleds à un fi haut prix,
qu’il périt beaucoup de peuple de misère &. de’
maladies , qui en lont les fuites inévitables..
Ces malheurs- intérieurs portèrent le roi à ne
faire pour cette année qu’une guerre défenfive
par-tout. M. de Luxembourg fut chargé de celle
de Flandres, fous les ordres de M. le Dauphin.
, C e général', à qui le nombre de troupes .ne
manquoit pas, mais feulement les moyens pour
etre en état d’entreprendre, ne crut pas devoir
faire connoître aux ennemis, par des mouvements I
d’une fimpîe défenfive, qu’il n’étoit chargé que {
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de cette efpèce de guerre, qu’il ne trouvoit pas
même convenable à la préfence de M. le Dauphin.
Il porta donc à l’ouverture de la campagne
toute l’armée du coté de Tongres, pour marquer
à M. le prince d’Orange qu’il entreprendroit fur
Liège en cas que ce prince voulût fe porter vers
la Flandres.
Deux raifons l’engagèrent à prendre ce parti :
la première , d’ôter par-là à l’ennemi toutes fes
vues d’entreprife du côté de la Flandres ; la fécondé
, de trouver pour toute la campagne , ou
au moins pour la plus grande partie, des fubfif-
tances pour l'armée du roi aux dépens du pays
ennemi..
Ce deffein lui réufiit. M. le prince d’Orange
crut toujours que M. de Luxembourg vouloit
affiéger Liège dès- qu’il l’auroit perdu de vu e , &
ne fongea dans fes campements qu’à protéger Louvain,
& à fe tenir à portée de combattre l’armée
du r o i f i elle s’attachoit à Liège : de manière
que M. de Luxembourg fit vivre l’armée
une grande partie de la Campagne auprès de la
Meute , & laiffa paifiblement faire la récolte par
toute la Flandres, jufqu’à ce qu’enfin l’armée du
roi étant campée à Vignamont, & celle du prince
d’Orange à Tavières, ce prince crût qu’ayant par
cette pofition plufieurs marches fiir l’armée du
roi, il pourroit arriver avant elle en Flandres , &
qu’en couvrant bien ce deffein , il parviendroit à
l'Efcaut y &. fe faifiroit de Gourtrai, avant que
M. de Luxembourg y pût arriver, avec l’armée.
Mais ce général prévoyant fçut fe difpofer à
des marches- forcées avec tant de jufteffe, qu’il'
arriva à Haüterive, fur l’Efcaut, quelques heures
feulement avant la tête de 1’armée ennemie, &
rompit par.-là toutes les mefures que M. le prince
d’Orange avoit ptifes pour fe faifir de Gourtrai
, 6c fe donner des quartiers de fourrages aux
dépens de la Châtellenie de Courtrai, que M. de1
Luxembourg eut pour l’armée, en laiffant ainfi.
en repos le pays du roi.
Cet exemple fur une guerre défenfive', faite
en confervant toujours un air de fupériorité-, ou
au moins, d’égalité fur fon ennemi, fera fettitir
combien la pénétration cUun général qui fçait con*
noître jufqu’aux moments que fon ennemi peut
prendre pour exécuter un deffein , eft utile &.
profitable à fon prince.
C a r ,. dans cette occafion, il eft certain qu’un:
général, moins v if & moins pénétrant que M. de
Luxembourg auroit fait une fin de campagne
défagréable ; au lieu que la Tienne fut éclatante
& que fans aâion elle pût être mife au rang de
fes plus belles, par les mouvements judicieux dont
elle fut remplie;
Il ne fe paffa rien en Allemagne ni en Italie,■
qui mérite mes réflexions» La mort de M. de-
Luxembourg, arrivée au commencement de l’an-r
née 1695 » changea abfolument là face des affaire*,
du roi en Flandres,